Cass. 2e civ., 4 avril 2019, n° 17-24.470
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Flise
Rapporteur :
Mme Vieillard
Avocat général :
M. Gaillardot
Avocats :
SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, SCP Gatineau et Fattaccini
Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, qu'une convention dénommée contrat d'investissement a été conclue, le 17 décembre 2004, entre la société Groupe U... M... (la SGLB), ses dirigeants et la Société de Détention d'actions du groupe U... M... (la SDAGLB), aux termes de laquelle, la SGLB ayant souhaité mettre en place, au profit des dirigeants, des mécanismes d'intéressement, ceux-ci ont souscrit des bons de souscription d'actions émis par la SGLB ; qu'il était notamment stipulé que les bons ne pourraient être exercés qu'à compter de la cotation de la SGLB ou de "la sortie de Colony", c'est-à-dire du transfert de la propriété de la totalité de la participation des sociétés ColAce et ColPlay à une autre entité, et étaient incessibles, les dirigeants s'engageant toutefois irrévocablement, notamment en cas de sortie de Colony, à vendre leurs bons à la SDAGLB moyennant un prix dont les modalités de calcul étaient précisées ; que, cette condition s'étant réalisée le 15 avril 2009, les dirigeants ont cédé leurs bons à la SDAGLB en réalisant une plus-value globale de 2 693 820 euros ; qu'à la suite d'un contrôle de la SGLB portant sur les années 2008 et 2009, l'URSSAF de Paris et région parisienne, aux droits de laquelle vient l'URSSAF d'Ile-de-France, a réintégré dans l'assiette des cotisations le montant de cette plus-value et a notifié, le 2 décembre 2011, une mise en demeure à la SGLB qui a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses trois premières branches, qui est préalable :
Attendu que la SGLB fait grief à l'arrêt de rejeter son recours alors, selon le moyen :
1°/ que les bons de souscription d'actions sont des instruments financiers, valeurs mobilières, permettant de souscrire à une ou plusieurs actions dites sous-jacentes pendant une période donnée, dans une proportion et à un prix fixé à l'avance ; qu'ils sont acquis moyennant un investissement financier de la part de leur détenteur et leur valorisation varie en fonction de la valeur des actions auxquelles ils se rattachent ; qu'ils sont susceptibles de générer des profits comme des pertes en fonction de l'évolution à la hausse ou à la baisse des actions auxquelles ils se rattachent ; que l'achat de bons de souscription d'actions effectué par des dirigeants d'entreprise en leur qualité d'associé et d'actionnaire - peu important qu'il leur soit réservé et/ou qu'il soit soumis à conditions - doit en conséquence être qualifié d'investissement financier et non d'élément de rémunération assujetti à cotisations de sécurité sociale ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale ;
2°/ qu'en retenant l'existence d'un avantage résultant de l'achat de bons de souscription d'actions par les dirigeants de la société Groupe U... M..., sans constater que ces bons avaient été octroyés à des conditions préférentielles aux personnes concernées, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale ;
3°/ qu'en se fondant sur le motif impropre selon lequel "le fait de pouvoir vendre les bons avant leur période d'exercice établit que les dirigeants bénéficiaient en réalité d'un avantage pécuniaire certain", cependant que n'importe quel détenteur de bons de souscription d'actions peut, sans bénéficier d'un quelconque avantage, les céder avant leur période d'exercice à l'expiration de laquelle ils deviennent caduques, la cour d'appel a violé l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale ;
Mais attendu qu'il résulte de l'article L. 242-1, alinéa 1, du code de la sécurité sociale que, dès lors qu'ils sont proposés aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion du travail et acquis par ceux-ci à des conditions préférentielles, les bons de souscription d'actions constituent un avantage qui entre dans l'assiette des cotisations sociales ;
Et attendu qu'après avoir analysé le contrat d'investissement conclu le 17 décembre 2004 entre la SGLB, les dirigeants et la SDAGLB, l'arrêt retient essentiellement qu'un lien est affirmé, aux termes de cette convention, entre d'une part l'attribution de BSA et le maintien de ceux-ci, et d'autre part, l'existence et le maintien d'un contrat de travail ou d'un mandat social ;
Que de ces constatations, la cour d'appel a exactement déduit, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la troisième branche, que la possibilité d'acquérir et d'exercer les bons de souscription d'actions litigieux constituait un avantage, qui devait entrer dans l'assiette des cotisations de la société ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le premier moyen :
Attendu que la SGLB fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que les cotisations de sécurité sociale se prescrivent par trois ans à compter de la fin de l'année civile au titre de laquelle elles sont dues ; que les bons de souscription d'actions sont des instruments financiers, valeurs mobilières, permettant de souscrire à une ou plusieurs actions dites sous-jacentes pendant une période donnée, dans une proportion et à un prix fixé à l'avance ; qu'en admettant que les bons de souscription d'actions constituent un avantage susceptible d'être assujetti à cotisations de sécurité sociale, le fait générateur des cotisations dues sur cet avantage est constitué par l'acquisition des bons par leur détenteur ; qu'en l'espèce la Société Groupe U... M... a soutenu à ce titre dans ses conclusions d'appel que les bons de souscription d'actions ayant été acquis, sur leurs deniers propres, par plusieurs de ses dirigeants au cours du mois de décembre 2004, c'est à cette date que devait être retenu le fait générateur des cotisations dues au titre d'un éventuel avantage ; qu'elle a fait valoir en conséquence qu'au jour du redressement survenu en 2011 l'action en recouvrement des cotisations de sécurité sociale dues au titre d'un tel avantage était prescrite comme ayant dépassé le délai de prescription triennale ; qu'en retenant au contraire, pour écarter la prescription, que le fait générateur des cotisations dues sur l'avantage retenu était constitué, non par l'acquisition des bons de souscription d'actions par les dirigeants de la société, mais par la cession en 2009 de ces bons à la société SDAGLB, la cour d'appel a violé les articles L. 242-1, R. 243-6 et L. 244-3 du code de la sécurité sociale ;
Mais attendu qu'il résulte des dispositions combinées des articles L. 242-1, alinéa 1, et R. 243-6 du code de la sécurité sociale, ce dernier dans sa rédaction applicable à la date d'exigibilité des cotisations litigieuses, que le fait générateur des cotisations sociales afférentes à un avantage, qui constitue le point de départ de la prescription, est la mise à disposition effective de l'avantage au salarié bénéficiaire de celui-ci ; qu'aux termes de l'article L. 244-3 du même code, la mise en demeure ne peut concerner que les cotisations exigibles au cours des trois années civiles qui précèdent l'année de son envoi, ainsi que les cotisations exigibles au cours de l'année de son envoi ;
Et attendu que l'arrêt constate que selon le contrat d'investissement conclu le 17 décembre 2004 entre la SGLB, la SDAGLB et les dirigeants, les bons de souscription d'actions étaient incessibles et que chacun des dirigeants ne pouvait les exercer qu'à compter de la survenance de la sortie de Colony, ou de la cotation de la société ; qu'il précise que la cession de Colony à Accor a été réalisée le 15 avril 2009 ;
Qu'il en résulte que ce n'est qu'à compter de cette dernière date que les bénéficiaires ont eu la libre disposition des bons de souscription d'actions, de sorte que l'action en recouvrement des cotisations afférentes à cet avantage n'était pas prescrite à la date de délivrance de la mise en demeure ;
Que, par ces motifs de pur droit substitués à ceux critiqués par le moyen, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié ;
Mais sur le deuxième moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches, qui est recevable :
Vu l'article L. 242-1, alinéa 1, du code de la sécurité sociale ;
Attendu que pour débouter la SGLB de l'ensemble de ses demandes, l'arrêt énonce que l'avantage soumis à cotisations doit être évalué en fonction de la plus-value réalisée sur la cession des bons de souscription ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'avantage devait être évalué selon la valeur des bons à la date à laquelle les bénéficiaires en ont obtenu la libre disposition, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le troisième moyen :
Vu les articles L. 242-1, alinéa 1, et L. 311-3, 23°, du code de la sécurité sociale, ce dernier dans sa rédaction applicable au litige ;
Attendu, selon le second de ces textes, que sont affiliés obligatoirement aux assurances sociales du régime général les présidents et dirigeants des sociétés par actions simplifiées et des sociétés d'exercice libéral par actions simplifiées ;
Attendu que pour débouter la SGLB de l'ensemble de ses demandes, l'arrêt retient que le contrat d'investissement conclu le 17 décembre 2004 entre cette société, les dirigeants et la SDAGLB, indique que les associés ont souhaité, conformément au Protocole, mettre en place au profit des dirigeants des mécanismes d'intéressement ; que les bénéficiaires sont précisés en page 8 sous le titre intitulé '"Investissement des dirigeants", à savoir MM. S..., L..., K..., O..., I... et D... ; que les fonctions de dirigeant au sein de la SAS de M. L... sont remises en cause par la société pour l'année 2009, seules les fonctions de président du conseil de surveillance lui étant reconnues ; qu'or, il résulte clairement de la lecture du contrat que l'offre de souscription de BSA ne valait qu'au profit des dirigeants sociaux et qu'en conséquence, au moment de la signature du contrat, M. L... avait nécessairement cette qualité ; qu'il est dès lors inopérant de produire des extraits Kbis de la société datés de 2009 ne faisant apparaître que S... en qualité de président de la SAS ; que de plus, si dans les années qui ont suivi, il avait perdu cette qualité, il aurait dû, comme il a été vu précédemment, faire procéder au rachat de ces bons, ce qui n'a pas été le cas ; que par ailleurs, les autres bénéficiaires à savoir MM. S..., K..., O..., I... et D... ne sont pas plus mentionnés sur cet extrait Kbis alors même qu'ils profitent également de l'offre de souscription, ce qui sous-tend soit leur qualité de dirigeants sociaux, soit celle de salariés membres de la direction ; que dans la lettre d'observations, l'inspecteur relevait à cet égard qu'ils étaient tous titulaires d'un mandat social ou d'un contrat de travail au sein de la SAS Groupe U... M... et que cette dernière ne démontre pas le contraire aujourd'hui ;
Qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la situation de M. L... au regard de la règle d'assujettissement au régime général énoncée au second des textes susvisés, à la date du fait générateur de l'avantage, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 juillet 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.