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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 14 décembre 2022, n° 21/00642

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Globus France (SARL)

Défendeur :

Podravka International Deutschland Konar (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Brun-Lallemand, Mme Depelley

Avocats :

Me Pascal, Me Roth , Me Russo-Tranchand

T. com Paris, du 26 nov. 2020

26 novembre 2020

La SARL Globus France (ci-après Globus) est une société importatrice spécialisée dans le commerce de gros de produits alimentaires balkaniques.
 
La société Podravka International Deutschland - Konar (ci-après PID) est une société de droit allemand filiale de la société Podravka Croatie commercialisant des produits Vegeta.
 
Globus commercialise depuis 2001 le produit Vegeta, mélange de produits légumineux vendus en sachets.
 
Elle l'achetait initialement auprès de la société Podravka DD de droit croate (ci-après Prodravka Croatie), laquelle a en 2009 modifié sa distribution et exigé de Globus que ces produits soient désormais achetés à la société de droit allemand Podrakva International Deutschland Konar (ci-après PID), filiale de la société Podravka Croatie.
 
Par jugement définitif du 1er février 2013, le tribunal de commerce de Paris a condamné les sociétés Podravka Croatie et PID payer la somme de 41 760, 90 euros de dommages et intérêts pour rupture brutale partielle des relations commerciales établies et à 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
 
Globus et PID ont poursuivi leurs relations commerciales jusqu'au 27 juin 2016, date de l'interruption de leur relation suite à un courrier de PID adressé à Globus, intitulé « Information über neuen Distributeur der Podravka d.d. » (traduction libre : information sur le nouveau distributeur des produits Podravka d.d.) dans lequel elle l'invite à fournir « sofort » (dès à présent) auprès de la société Adriatic Group Gmbh de Vienne (Autriche), qui n'est pas dans la cause.
 
Ce courrier ne prévoit aucun préavis mais une substitution d'un fournisseur à un autre.
 
Le 30 septembre 2016, Globus a reçu le bonus lié à sa dernière commande auprès de PID.
 
Par courrier en date du 10 octobre 2016, Globus a reçu de la société Natura, filiale du groupe Adriatic, le listing de prix de produits qui lui ont permis de constater une augmentation significative des prix.
 
Le 13 décembre 2016, Globus a mis en demeure PID de revenir à l'état initial des engagements en poursuivant les relations commerciales aux conditions habituellement appliquées, en vain.
 
La société Globus a saisi le Tribunal de commerce de Paris par acte du 29 novembre 2017 afin d'obtenir réparation pour la rupture brutale des relations établies, alléguant que les nouvelles conditions commerciales lui sont désavantageuses et que ce changement de circuit de distribution lui cause un préjudice dont elle demande réparation.
 
Par jugement du 26 novembre 2020, le tribunal a de commerce de Paris a :
 
- débouté la société Globus France SARL de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamné la société Globus France SARL à payer, à la société allemand Podrakva International Deutchland Konar GmbH la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Globus France SARL aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 78,36 € dont 12,85 € de TVA.
 
Le 4 janvier 2021, Globus a interjeté appel devant la Cour d'appel de Paris.
 
Vu les dernières conclusions de la société Globus, appelante, déposées et notifiées le 18 août 2022 par lesquelles il est demandé à la Cour de :
 
Vu la jurisprudence,
Vu l'article L. 442-6-I.5° du code de commerce,
Vu les articles 695 et suivants du code de procédure civile,
 
- Recevoir l'intégralité des moyens et prétentions de l'appelante,
 
En conséquence :
- Infirmer le jugement en date du 26 novembre 2020 en ce qu'il a :
Débouté la société Globus France SARL de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
Condamné la société Globus France SARLà payerà la société PID KonarGmbH la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamné la société Globu France SARL aux dépens dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 78,36 € dont 12,85 € de tva,
 
Statuant à nouveau,
- Condamner la société PID à verser à la SARL Globus France la somme de 897 007,00 € au titre de dommages et intéréts,
- Condamner la société PID à lui à verser la somme de 136.105 €à titre de six mois de préavis,
- Débouter la société PID de l'ensemble de ses demandes,
- Condamner la société PID à verser à SARL Globus France la somme de 5 000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure de premiére instance,
- Condamner la société PID à lui verser la somme de 5 000,00 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile au titre de la procédure d'appel,
- Condamner la société PID aux entiers dépens.
 
Vu les dernières conclusions de la société PID, déposées et notifiées le 29 juin 2022 par lesquelles il est demandé à la Cour de :
 
Vu l'article L.442-6 alinéa 5 du code de commerce,
Vu les articles 559, 699 et 700 du code de procédure civile,
 
Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris du 26 novembre 2011 (RG 2018000261) en ce qu'il a débouté la société Globus France SARL de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
 
Et statuant à nouveau,
 
Condamner la société Globus France SARL à payer à la société PID GmbH la somme de 10 000 € au titre de l'exercice abusif de la présente procédure d'appel ;
 
En tout état de cause,
 
Condamner la société Globus France SARL à payer à la société PID GmbH la somme de 10 000 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
 
La condamner aux entiers dépens ;
 
Dire que les dépens pourront être recouvrés par Maître Christian Roth, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
 
 
MOTIVATION
 
 
La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
 
 
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
 
La Cour rappelle que les ruptures brutales intervenues avant le 26 avril 2019 sont soumises à l'ancien article L. 442-6-I, 5e du code de commerce, lequel dispose :
 
« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé par le fait, pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au registre des métiers :
(...) 5° de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. »
 
Le tribunal de commerce a, dans la décision attaquée, retenu que les pièces et les débats établissent que les relations commerciales entre les parties n'ont fait l'objet d'aucun cadre écrit, accord d'exclusivité ou formalisation de contrat, mais qu'elles ont été matérialisées de 2009 à 2016 par des commandes successives et que ces relations commerciales ont donc revêtu un caractère établi sur une durée de 7 ans. Ce n'est pas contesté en appel.
 
 Le fait pour un fournisseur d'informer son partenaire qu'il ne commercialisera plus directement le produit en cause et qu'il lui faudra désormais se fournir auprès d'une société tierce, laquelle ne lui a pas consenti les mêmes conditions tarifaires, constitue une rupture de la relation établie.
 
 
Sur la durée du préavis nécessaire
 
Exposé du moyen :
 
Globus considère que 6 mois de préavis auraient été nécessaires.
 
PID ne se prononce pas sur ce point.
 
 
 
Réponse de la Cour :
 
De jurisprudence constante, la résiliation à effet immédiat, dès lors qu'elle est injustifiée, est nécessairement brutale. Engage en effet sa responsabilité celui qui rompt, « en l'absence d'un préavis écrit », une relation commerciale établie.
 
Le délai de préavis suffisant doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le degré de dépendance économique (entendu comme la part du chiffre d'affaires réalisé par la victime avec l'auteur de la rupture), le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.
 
Au cas présent, les relations commerciales ont été entretenues pendant 7 ans.
 
La part du chiffre d'affaires réalisé par Globus avec l'intimée n'a pas été communiquée.
 
En tant qu'importateur de produits alimentaires spécialisé dans la cuisine des Balkans, Globus pouvait s'approvisionner auprès d'un autre fournisseur, et pouvait également choisir de recourir à plusieurs autres simultanément.
 
En l'état de ces éléments, la Cour estime qu'un préavis de 3 mois était nécessaire mais suffisant.
 
 
Sur l'évaluation du préjudice
 
Exposé du moyen :
 
Globus soutient avoir subi un préjudice du fait de la perte de bénéfice escompté qu'elle aurait pu tirer du maintien de la relation commerciale.
 
Elle sollicite, en premier lieu, une indemnisation à hauteur de 897 007,00 € correspondant au chiffre d'affaires total réalisé en 2014, 2015 et 2016. Elle ajoute qu'il ressort de la comparaison entre le listing de prix appliqué par la société Natura et de la facture que lui a adressé la société PID en mars 2016 (pièces Globus n°10 et 15) une augmentation des prix de plus de 30 % (exemple des produits Vegeta 250 g, Vegeta 1 kg, Vegeta 2kg). Elle fait valoir, en second lieu, que l'absence de préavis constitue une faute justifiant qu'elle demande réparation correspondant aux 6 mois durant lesquels elle aurait dû effectuer le préavis, soit 136 105 euros.
 
PID prétend en réponse que la société Globus ne démontre pas que son préjudice est réparable, certain, direct et déterminé. Elle rappelle que l'article 9 du code de procédure civile dispose qu'il incombe à toute partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au soutien de sa prétention.
 
Elle demande qu'il soit constaté que les prérequis nécessaires à l'établissement d'un préjudice ne sont pas remplis par Globus dans le cadre de la procédure d'appel, pas plus qu'ils ne l'étaient devant les premiers juges. Elle se réfère à la décision attaquée, en observant que le tribunal a établi comme manquants l'absence d'élément probant sur le taux de marge, tant sur les prix Vegeta que sur l'ensemble de son activité ; l'absence de réponse sur l'éventuelle répercussion ou non auprès de ses clients depuis 2016 des hausses tarifaires dues au changement de distributeur et l'absence de démonstration que son chiffre d'affaires a pâti d'une éventuelle hausse des coûts des produits, sa marge en étant négativement impactée.
 
 
Elle ajoute que la victime peut prétendre à la réparation du gain manqué, à savoir la perte de marge nette, pour la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé et dont elle a été privée, laquelle ne peut être équivalente au cumul des chiffres d'affaires réalisés sur les produits Podravka pendant les trois dernières années avant la rupture.
 
Réponse de la Cour :
 
En application du principe de la réparation intégrale du préjudice, la victime de celui-ci doit être rétablie, autant que faire se peut, dans la situation qui aurait été la sienne en l'absence de fait dommageable.
 
En premier lieu, Globus sollicite réparation au titre du gain manqué pendant la période de préavis non réalisée, soit la marge qu'elle pouvait escompter tirer de ses relations commerciales avec PID pendant la durée du préavis qui aurait du être respecté.
 
Au vu des éléments versés aux débats :
Le chiffre d'affaires moyen annuel de Globus avec PID, calculé sur les trois derniers exercices est de 379 416 euros (2014), 290 749 euros (2015) et 226 842 euros (2016), soit une moyenne mensuelle arrondie à 24 917 euros (cf. pièce Globus n°14 - attestation du commissaire aux comptes quant au volume d'achat des produits Vegeta auprès de PID entre 2009 et 2016) ;
La marge brute s'est élevée selon Globus en 2016 à la somme de 45 368 euros (achats Podravka : 226 842 euros, ventes 272 210 euros), soit environ 16, 6 %, ce qui correspond à un montant inférieur à la marge nette de 20 % retenue pour cette même activité par le tribunal de commerce dans la précédente instance (jugement du 1er février 2013) ;
 
La Cour retiendra un coefficient de marge sur coûts variables de 14 % en l'absence d'éléments précis contraires soit une marge mensuelle arrondie 3488 euros.
 
Le nombre de mois de préavis dont Globus aurait du bénéficier étant de 3 mois, il convient de lui allouer la somme de 10 464 euros en réparation du préjudice qu'elle a subi au titre du gain manqué.
 
En second lieu, Globus évoque un préjudice distinct qui devrait selon elle être indemnisé à hauteur de 897 007,00 € correspondant au chiffre d'affaires total réalisé en 2014, 2015 et 2016.
 
Ce préjudice n'étant pas justifié, elle sera déboutée de sa demande.
 
 
Sur les autres demandes
 
Exposé des moyens :
 
PID prétend que Globus a fait un exercice abusif de la procédure d'appel et demande réparation à hauteur de 10 000 euros. Cette dernière aurait initié la procédure d'appel afin d'échapper aux condamnations du jugement de première instance qui ne serait pas assorties de l'exécution provisoire. Le caractère abusif se traduirait par l'absence de preuve du préjudice par la société Globus. PID demande en outre la condamnation de la société Globus au paiement de la somme de 10 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
 
Globus répond que la décision de première instance avait retenu une rupture brutale sans préavis des relations commerciales établies, ce qui suffit à justifier le bien-fondé de l'action. Elle fait valoir que l'abus de droit serait le fait de la société PID qui s'est abstenue de répondre à la mise en demeure qu'elle lui a adressée concernant le changement de partenaire. Elle demande en outre la condamnation de la société PID au paiement de la somme 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
 
 
Réponse de la Cour :
 
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Globus les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'exposer pour faire valoir ses droits en justice. PID sera en conséquence condamnée à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
 
Le jugement attaqué est réformé en ce qu'il fait droit à la demande de PID relative aux frais irrépétibles.
 
Les conditions d'application de l'article 559 du code de procédure civile relative à l'appel principal abusif ne sont pas réunies.
 
PID, qui succombe, sera condamnée aux dépens.
 
 
PAR CES MOTIFS
 
 
La Cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
 
Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
 
Statuant de nouveau,
 
Condamne la société Podravka International Deutschland - Konar Gmbh à verser à la société la société Globus France SARL la somme de 10 464 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique subi du fait de la rupture brutale des relations contractuelles établies ;
 
Déboute la société Globus France SARL de ses autres demandes ;
 
Condamne la société Podravka International Deutschland - Konar Gmbh à verser à la société Globus France SARL la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
 
Condamne la société Podravka International Deutschland - Konar Gmbh aux dépens de première instance et d'appel.