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Décisions

CA Paris, 14 décembre 2022, n° 21/00815

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

France Partenaires Médical (SAS)

Défendeur :

Laboratoire de Technologie Appliquée à la Sante (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Brun-Lallemand, Mme Depelley

Avocats :

Me Ducret, Me Becaud, Me Obadia Achille, Me Le Jariel

T. com. Lyon, du 15 déc. 2020

15 décembre 2020

FAITS ET PROCÉDURE

La société Laboratoire de Technologie Appliquée à la Santé exerce une activité de distribution de matériel médical.

La société France Partenaires Médical est spécialisée dans la conception, la fabrication et la commercialisation de matériel médico-chirurgical et dentaire à usage unique.

Ces deux sociétés ont entretenu des relations commerciales à partir de la fin de l'année 2004. Elles ont conclu un contrat de fabrication le 1er avril 2008.

Par lettre recommandée du 24 novembre 2016, avec accusé de réception, la société LTDAS a résilié le contrat à effet au 1er avril 2019.

Se plaignant d'une rupture brutale partielle de leurs relations pendant la période de préavis, la société FPM a fait assigner la société LDTAS le 22 février 2019 devant le tribunal de commerce de Lyon.

Par jugement assorti de l'exécution provisoire rendu le 15 décembre 2020, le tribunal a :

- constaté l'existence de relations commerciales établies entre les sociétés France Partenaires Médical et Laboratoire de Technologie Appliquée à la Santé,

- constaté la réduction substantielle et sensible du volume d'affaires de la société France Partenaires Médical réalisé avec la société Laboratoire de Technologie Appliquée à la Santé à compter de la résiliation du contrat par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 24 novembre 2016 à effet au 1er avril 2019,

- dit que la baisse du chiffre d'affaires est conjoncturelle,

- dit que le préavis de 28 mois donné par la société Laboratoire de Technologie Appliquée à la Santé dans sa lettre recommandée avec accusé de réception du 24 novembre 2016 est effectif et raisonnable,

- dit que la rupture partielle des relations commerciales par la société Laboratoire de Technologie Appliquée à la Santé ne peut être qualifiée de brutale et que la société France Partenaires Médical n'est pas fondée à dire qu'elle a subi un préjudice,

- débouté la société France Partenaires Médical de sa demande de réparation de préjudice d'un montant de 1 153 093 €,

- rejeté tous autres fins, moyens et conclusions contraires des parties,

- condamné la société France Partenaires Médical aux dépens et à payer la somme de 2 000 € à la société Laboratoire de Technologie Appliquée à la Santé au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration reçue au greffe le 7 janvier 2021, la société France Partenaires Médical a relevé appel du jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 7 octobre 2022, la société France Partenaires Médical (FPM) demande à la cour, au visa des articles 9 et 700 du code de procédure civile ainsi que de l'article L 442-6-1 5° du code de commerce (dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 entrée en vigueur le 26 avril 2019), de :

1) confirmer le jugement en ce qu'il a :

- constaté l'existence de relations commerciales établies entre les sociétés France Partenaires Médical et Laboratoire de Technologie Appliquée à la Santé (LDTAS),

- constaté la réduction substantielle et sensible du volume d'affaires de la société France Partenaires Médical réalisé avec la société Laboratoire de Technologie Appliqué à la Santé à compter de la résiliation du contrat par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 24 novembre 2016, à effet au 1er avril 2019,

2) infirmer le jugement en toutes ses autres dispositions et, statuant à nouveau :

- condamner la société LDTAS à lui payer la somme de 1 153 093 € au titre du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies, en l'absence de préavis effectif laissé à son partenaire pendant 28 mois à compter de la résiliation du contrat du 1er avril 2008 par lettre recommandée avec accusé de réception du 24 novembre 2016, à effet au 1er avril 2019,

- débouter la société LDTAS de l'ensemble de ses moyens, fins et prétentions,

- condamner la société LDTAS aux entiers dépens et à lui payer la somme de 50 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 26 septembre 2022, la société Laboratoire de Technologie Appliquée à la Santé demande à la cour, au visa de l'ancien article L 442-6-1 5° du code de commerce (devenu l'article L 442-1 du code de commerce) ainsi que des articles 1103 et 1231-2 du code civil, de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- débouter la société FPM de ses demandes, fins et prétentions,

- condamner la société FPM aux dépens et à lui payer la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 octobre 2022.

 MOTIVATION

La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

Il n'est pas contesté que les parties ont entretenu des relations commerciales établies à partir de la fin de l'année 2004.

Le contrat de fabrication signé le 1er avril 2008 contient notamment les stipulations suivantes :

- LDTAS, désignée sous son enseigne Apotecnia, s'engage pendant la durée du contrat à confier à FPM l'exclusivité de ses besoins de fabrication et conditionnement de dispositifs médicaux,

- le contrat conclu pour une durée de 3 ans est renouvelable par tacite reconduction pour des périodes de 2 ans,

- il peut être dénoncé par l'une ou l'autre des parties, par lettre recommandée avec accusé de réception adressée à l'autre partie, 6 mois au moins avant l'expiration de l'une quelconque des périodes contractuelles,

- l'inexécution de ses obligations par l'une ou l'autre des parties confère à son cocontractant la faculté de résilier par anticipation le contrat 3 mois après une mise en demeure d'exécuter restée infructueuse, expédiée par lettre recommandée avec accusé de réception.

Par lettre portant la date du 25 avril 2015, la société Lavorel Médicare a proposé à la société FPM d'acquérir 100% de ses titres, son offre étant valable jusqu'au 30 avril 2015.

Dans le même temps, par lettre recommandée datée du 30 avril 2015, la société LDTAS a reproché à la société FPM de ne pas respecter son obligation de livraison sous 45 jours, prévue à l'article 2.7 du contrat, et de la confronter à des ruptures de stocks sur 3 références. Elle en a déduit qu'elle se trouvait dans l'obligation de faire appel à d'autres fabricants, comme c'était déjà le cas avec l'ancienne direction d'Apotecnia, pour répondre aux exigences de ses clients.

La société FPM lui a répondu, le 29 mai 2015 :

- que la majorité des retards de livraison concernait des commandes de nouvelles références, non soumises à l'article 2.7 du contrat,

- que les faits dénoncés, même s'ils étaient avérés, ne l'autorisaient pas à ne pas respecter l'exclusivité convenue en recourant à d'autres fabricants,

- que compte tenu de l'augmentation importante des commandes, elle était consciente que les délais étaient une préoccupation majeure pour la société LDTAS,

- qu'elle souhaitait trouver avec la société LDTAS les solutions permettant de continuer leur partenariat en toute confiance.

La société LDTAS n'a pas donné de suite à cette réponse.

Les négociations en vue du rachat de la société FMP par la société Lavorel Médical n'ont pas abouti.

Puis, par lettre recommandée du 20 octobre 2016 avec accusé de réception, la société LDTAS a écrit à la société FPM :

- qu'elle n'était pas satisfaite de la qualité et de la tarification par elle proposées,

- que les tarifs de FPM étaient supérieurs à ceux de la concurrence, que son offre à elle n'était donc plus compétitive et qu'elle avait perdu ses clients Experf et Homeperf,

- que l'article 5 du contrat prévoyait une obligation de négocier de bonne foi les prix de vente,

- qu'il lui était impossible de développer les sets de soins auprès de ses clients et qu'il fallait impérativement réviser les conditions de leur collaboration.

Le 14 novembre 2016, la société FPM a demandé à la société LDTAS de lui communiquer ses commandes ainsi qu'un prévisionnel pour le premier trimestre 2017, conformément à l'article 3.6 du contrat, l'avisant qu'à défaut elle ne pourrait être tenue pour responsable d'une rupture de stocks.

Par lettre recommandée du 24 novembre 2016, la société LDTAS a informé la société FPM :

- qu'elle lui ferait parvenir le volume à produire avant le 30 novembre pour l'année à venir et le 10 du mois précédent pour chaque trimestre, comme prévu au contrat,

- que leurs relations ne pouvaient perdurer en l'état, alors qu'elle avait déjà perdu les marchés de Homeperf et de Experf,

- que l'exclusivité consentie devait être réaménagée pour la durée restante du contrat,

- que d'ores et déjà, elle n'entendait pas poursuivre le contrat au delà de son prochain renouvellement, soit après le 31 mars 2019.

Le 9 décembre 2016, la société FPM a répliqué :

- qu'elle n'acceptait pas une modification substantielle du contrat, ayant pour effet de le vider de sa substance, sans contrepartie

- qu'elle s'étonnait que la société LDTAS n'ait pas dénoncé le contrat le 16 septembre 2016 pour une cessation à l'échéance du 31 mars 2017, soit après un préavis de 6 mois,

- qu'elle lui demandait de poursuivre l'exécution du contrat jusqu'au 31 mars 2019, lui rappelant l'interdiction de sous-traiter la fabrication des produits à des tiers conformément à l'exclusivité accordée.

Par la suite, la société FPM, dans une lettre de son conseil du 11 juillet 2018, a reproché à la société LDTAS une baisse drastique de ses commandes de 46 % en 2017 et de plus de 80 % en 2018, faits constituant selon elle une rupture partielle des relations commerciales établies.

La société LDTAS a fait valoir, par lettre de son conseil du 19 septembre 2018 :

- que la baisse du chiffre d'affaires réalisé par la société FPM dans le cadre du contrat n'était due qu'à ses multiples manquements : délais de livraison anormalement longs, manque de réactivité à ses demandes de cotation, prix anormalement élevés enlevant toute compétitivité aux produits,

- que pour autant, en dépit de ces manquements, elle avait pris le soin de respecter un délai de préavis suffisamment long,

- que cette situation lui était préjudiciable puisqu'elle avait perdu deux clients et ne pouvait en conquérir de nouveaux,

- que la société FPM ne pouvait se prévaloir d'un préjudice dont elle était seule responsable.

C'est dans ces circonstances que le 22 février 2019, la société FPM a fait assigner la société LDTAS devant le tribunal de commerce de Lyon afin d'obtenir réparation de son préjudice résultant selon elle d'une rupture brutale partielle de la relation commerciale établie.

La société FPM est appelante du jugement qui l'a déboutée de sa demande de dommages-intérêts en retenant que la réduction substantielle des commandes de la société LDTAS à compter de la résiliation du contrat trouvait sa cause dans l'évolution défavorable de la conjoncture, plus précisément, dans la perte de deux clients importants, et ne pouvait être imputée à la société LDTAS.

Sur le caractère effectif ou non du préavis

Exposé du moyen :

La société FPM, qui fonde ses prétentions sur les dispositions de l'article L 442-6-1 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable en l'espèce, rappelle la jurisprudence selon laquelle :

- sauf circonstances particulières, l'octroi d'un délai de préavis suppose le maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures ou selon des modalités équivalentes à celles précédant la rupture,

- n'est pas effectif le préavis au cours duquel les relations se déroulent à des conditions substantiellement différentes de celles entretenues antérieurement, en raison de la diminution significative des commandes et du chiffre d'affaires réalisé auparavant,

- la faculté de résiliation sans préavis exige une faute d'un degré de gravité suffisante,

- le maintien de la relation postérieurement aux inexécutions fait présumer l'absence de gravité de la faute et cette présomption est irréfragable,

- la décision de modification substantielle ne doit pas être justifiée par des circonstances objectives, car elle n'est alors pas imputable au partenaire, notamment lors d'une crise économique affectant le secteur.

L'appelante fait valoir, en fait :

- que depuis le 24 novembre 2016, les commandes de la société LDTAS ont chuté entraînant une baisse du chiffre d'affaires réalisé avec celle-ci : en 2017 de 48 % par rapport à 2016 et en 2018 de 88 % par rapport à 2015 et de 68 % par rapport à 2017,

- qu'à la date de notification de la rupture, ce chiffre d'affaires représentait 76 % de son chiffre d'affaires total et qu'elle se trouvait incontestablement dans un état de dépendance économique vis à vis de son distributeur,

- que c'est suite à son refus de perdre l'exclusivité sans aucune contrepartie que la société LDTAS s'est abstenue de lui passer les commandes de sets de soins et ne lui a pas permis de maintenir le même volume d'affaires pendant toute la durée du préavis,

- que l'échec des négociations de son rachat par LDTAS a conduit le groupe Lavorel Médical à se reporter sur un concurrent de FPM, à savoir la société Innoset qui exerce la même activité de fabrication de sets de soins stériles ou non stériles, qu'elle a racheté en mai 2018,

- que la société Innoset a récupéré les marchés de sets de soins avec les clients Homeperf et Expert,

- que c'est cette stratégie d'intégration qui a permis de l'évincer,

- que la perte de ces deux clients invoquée par LDTAS ne constitue pas des circonstances objectives justifiant une rupture brutale de la relation commerciale en l'absence de crise économique affectant le secteur de la vente de soins stériles.

L'appelante conteste les manquements contractuels que lui impute la société LDTAS, soulignant :

- que les premiers reproches formulés à son encontre le 30 avril 2015 n'ont pas perduré suite à sa réponse du 29 mai 2015,

- que les nouveaux reproches qui lui ont été adressés les 20 octobre, 24 novembre et 20 décembre 2016 ne sont pas démontrés et qu'elle ne peut être tenue pour responsable de la perte des clients Homeperf et Experf,

- qu'elle n'avait aucune obligation de renégocier les clauses du contrat pendant la période de préavis, ayant exactement considéré que les propositions de modification de LDTAS risquaient de vider le contrat de sa substance,

- que LDTAS ne lui a jamais adressé de mise en demeure ou de lettre visant la clause résolutoire mais, au contraire, a résilié le contrat en lui accordant un préavis de 28 mois malgré les prétendus manquements qu'elle lui reprochait.

Pour conclure à la confirmation du jugement, la société LDTAS soutient, d'une part qu'elle n'a commis aucune faute, d'autre part que se sont les manquements de la société FPM qui sont à l'origine de son préjudice.

Sur le premier point, l'intimée rappelle que, selon la jurisprudence, les circonstances économiques objectives de nature à justifier l'évolution des relations entre les parties excluent toute faute imputable à l'une d'entre elles. Elle expose :

- que si elle a réduit ses commandes auprès de FPM, ce fait ne s'explique que par la baisse de ses ventes de sets de soins à ses propres clients, son chiffre d'affaires correpondant à ses ventes ayant chuté de 81 % entre 2015 et 2018,

- que cette activité a été réduite de moitié en 2017 et a quasiment disparu en 2018,

- qu'au cours de ces années, elle a perdu ses deux principaux clients Homeperf et Experf,

- qu'il ne peut lui être reproché de n'avoir pas acheté de sets de soins alors qu'elle ne pouvait plus les revendre,

- que le contrat passé avec FPM ne prévoyait aucun montant minimum garanti de commandes,

- que la perte de ses deux clients, annoncée en 2016, s'est traduite par une diminution progressive de leurs commandes et que, possédant encore un stock important, elle a dû négocier avec ses clients pour l'écouler, ce qui explique le maintien d'un chiffre d'affaires, mais a subi une perte substantielle dans l'opération,

- que c'est parce que FPM pratiquait des prix trop élevés, supérieurs à ceux de la concurrence, qu'elle-même a perdu ses deux clients,

- que PFM a refusé de renégocier le contrat,

- que l'acquisition de la société Innoset, dont l'activité est plus étendue que celle de FPM comme faisant de la stérilisation et de l'assemblage, n'est intervenue qu'en 2018 et n'a aucune influence sur des faits survenus deux ans plus tôt,

- qu'elle n'a pas mis fin à son partenariat avec FMP en raison de l'acquisition de la société Innoset.

Sur le second point, l'intimée reproche à la société FPM, d'abord :

- d'avoir manqué à ses obligations contractuelles qui lui imposaient des délais de livraison de 45 jours sauf commande exceptionnelle, une négociation des prix de bonne foi et

l'obligation générale de réactivité pour le traitement des cotations,

- d'avoir proposé des prix au-dessus des tarifs de la concurrence, ce qui a conduit la société Experf à se diriger vers une autre société,

- d'avoir pratiqué des prix 30 % au dessus de ceux de la concurrence, ce qui lui a fait perdre son client Hexaplus en juillet 2017.

Elle lui reproche ensuite d'avoir commis une faute à l'origine de son préjudice en refusant de renégocier le contrat. Elle allègue en ce sens :

- qu'elle avait proposé à FPM d'aménager leurs relations contractuelles de façon à assurer leur pérennité pendant la période de préavis,

- que c'est le refus de FPM qui a conduit à la disparition de l'activité de vente de sets de soins stériles,

- qu'elle a toujours voulu préserver sa cocontractante en lui laissant un préavis suffisamment long pour trouver d'autres marchés.

La société LDTAS prétend encore que la société FPM ne produit que des pièces comptables parcellaires ne permettant pas d'apprécier la réalité de ses allégations ainsi que sa situation actuelle et les démarches qu'elle a initié pendant la durée du préavis pour se réorganiser.

Réponse de la cour :

Il est de principe que pendant la durée du préavis, la relation commerciale doit se poursuivre aux conditions antérieures ou selon des modalités équivalents à celle précédant la rupture.

L'expert comptable de la société FPM atteste que, en 2016, cette société avait réalisé avec la société LDTAS un chiffre d'affaires de 1 883 204 € sur un chiffre d'affaires total de 2 377 686 €.

Le commissaire aux comptes de la société LDTAS atteste quant à lui que cette société a réalisé avec la société FPM un chiffre d'affaires de 2 834 318 € en 2015, de 2 355 312 € en 2016, de 1 282 935 € en 2017 et de 535 644 € en 2018.

Indépendament des tableaux dressés par les parties et figurant dans leurs conclusions, il est établi une réduction drastique des commandes en 2017 et 2018.

Les lettres échangées entre les parties les 30 avril et 29 mai 2015, puis le 20 octobre 2016 et jusqu'au 24 novembre 2016, analysées plus haut, montrent que la société LDTAS était consciente des problèmes posés par les prix proposés par la société FPM, les qualifiant de supérieurs à ceux de la concurrence, et de la perte de ses deux clients Homeperf et Experf qui en résulterait, comme des conséquences susceptibles d'affecter son propre chiffre d'affaires.

Nonobstant ces éléments et les faits qu'elle avait pu reprocher auparavant à la société FPM, elle lui a consenti en toute connaissance de cause un préavis de 28 mois dans sa lettre de rupture du 24 novembre 2017.

La société LDTAS n'apporte aucune justification sur une crise du secteur de la vente de sets de soins à domicile qui aurait été de nature à justifier la baisse drastique de ses commandes à la société FPM. Il lui incombait donc, pendant la durée du préavis, de maintenir sa relation commerciale avec la société FMP à un niveau de chiffre d'affaires sensiblement équivalent aux années 2015 et 2016 précédant la rupture de la relation commerciale.

Avant cette rupture, la société FPM n'a pas commis de faute en refusant de renoncer à l'exclusivité dont elle bénéficiait et qui constituait une clause importante du contrat.

Pendant la période de préavis :

- par courriel du 19 juillet 2017, la société LDTAS s'est plainte auprès de la société FPM qu'elle n'avait pas d'offre tarifaire acceptable à transmettre à son client Hexaplus, les prix des sets de soins FPM étant en moyenne 30 % supérieurs à ceux de la concurrence,

- par courriel du 10 novembre 2017, en joignant le prévisionnel 2018, la société LDTAS a notamment souligné la perte totale de chiffre d'affaires pour Homeperf et Experf et demandé à la société FPM de lui proposer une cotation tarifaire sur de nouveaux sets standards,

- par courriel du 15 décembre 2017, la société LDTAS a demandé à la société FPM de lui répondre, en précisant que son absence de réponse rendait très difficile leur collaboration,

- la société FPM a envoyé un courriel le 18 décembre 2017 pour adresser divers commentaires à la société LDTAS, laquelle lui a répliqué que ses commentaires n'apportaient aucun élément de réponse,

- par courriel du 19 décembre 2017, ayant pour objet le prévsionnel 2018, la société LDTAS a informé la société FPM que si ses prix continuaient à augmenter, le prévisonnel 2018 ne pourait pas être tenu, qu'elle vendait les sets avec des marges très souvent inférieures à 10 % et ne pouvait les vendre à perte, qu'elle était contrainte de vendre ses stocks à prix coûtant et ne pouvait développer l'activité de soins.

Ces éléments démontrent que les difficultés opposant les parties sur la fixation du prix des sets de soins fabriqués par la société FPM, qui existaient avant la rupture des relations, ont continué pendant la période de préavis, sans que soit démontré un comportement fautif de la société FPM.

Les pièces versées aux débats révèlent en outre :

- que la société Lavorel Médicare, après le rachat de la société LDTAS en janvier 2015, en est devenue son président, Mme [Y] étant sa directrice générale,

- qu'en mai 2018, la société Innoset, ayant une activité similaire à celle de la société FPM, a été rachetée par la société Lavorel Médicare, Mme [Y] étant désignée comme sa présidente,

- que sur son site internet, le groupe Lavorel Medicare précise que « les acquisitions de Kelis Medical (c'est à dire LDTAS), puis d'Innoset ont permis de proposer une offre complète et complémentaire pour les différents acteurs de la santé »,

- que sur son set Charlotte et Masque, la société Homeperf mentionne : « Fabriqué en France par Innoset », ce qui prouve que la société Innoset a récupéré le marché de sets de soins du client Homeperf.

Il résulte de tout ce qui précéde que la rupture brutale partielle de la relation commerciale pendant le temps du préavis est bien, comme allégué par l'appelante, imputable à la société LDTAS.

En conséquence, celle-ci doit réparer le préjudice en résultant.

Sur le préjudice

Exposé du moyen :

La société FPM calcule son préjudice sur la base de la moyenne mensuelle de la marge sur coûts variables générée au cours des trois derniers exercices précédant la rupture : 2014, 2015 et 2016, soit 41 182 € qu'elle multiplie par 28 mois pour aboutir à la somme de 1 153 093 €.

La société LDTAS s'oppose à cette demande aux motifs :

- que les pièces produites par FPM ne sont pas suffisantes pour justifier de son préjudice,

- que les relations contractuelles n'imposaient aucun niveau minimum de commandes,

- que le chiffre d'affaires réalisé entre les deux sociétés était encore de 942 635 € en 2017 et de 297 366 € en 2018 et qu'il convient de déduire de la demande le montant de la marge sur coûts variables générée par ces chiffres d'affaires.

Réponse de la cour :

L'expert comptable de la société FPM atteste que :

- les chiffres d'affaires réalisés par cette société avec LDTAS se sont élevés à 1 741 875 € en 2014, 2 416 134 € en 2015 et 1 803 204 € en 2016,

- la marge sur coûts variables pour ces trois années a été respectivement de 24,43 %, 25,54 % et 24,39 %, soit au total 1 482 548 €.

Il est ainsi justifié que pendant les trois années qui ont précédé la rupture, la société FPM réalisait une marge sur coûts variable de 41 182 € par mois.

Pour déterminer le préjudice réellement subi par la société FPM, s'agissant d'une rupture brutale partielle de la relation commerciale, il doit en être déduit la marge sur coûts variable obtenue sur les chiffres d'affaires réalisés pendant le préavis.

Au vu de l'attestation du commissaire aux comptes de la société LDTAS, ce chiffre d'affaires a été de 1 282 935 € en 2017 et 535 644 € en 2018. La marge sur coûts variables étant de l'ordre de 24 %, soit 436 459 €, cette somme doit venir en déduction du montant de 1 153 093 € réclamé.

En conséquence, la société LDTAS devra payer la somme de 716 634 € à la société FPM en réparation de son préjudice.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

La société LDTAS, qui succombe, doit supporter les dépens de première instance et d'appel.

Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il y a lieu d'allouer la somme de 20 000 € à la société FPM et de rejeter la demande de la société LDTAS à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement en ce qu'il a :

- constaté l'existence de relations commerciales établies entre les sociétés France Partenaires Médical et Laboratoire de Technologie Appliquée à la Santé,

- constaté la réduction substantielle du volume d'affaires de la société France Partenaires Médical réalisé avec la société Laboratoire de Technologie Appliquée à la Santé à compter de la résiliation du contrat par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 24 novembre 2016, à effet au 1er avril 2019,

Infirme le jugement en toutes ses autres dispositions et, statuant à nouveau :

Condamne la société Laboratoire de Technologie Appliquée à la Santé à verser à la société France Partenaires Médical la somme de 716 634 € en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale partielle des relations commerciales établies en l'absence de préavis effectif laissé à sa partenaire pendant 28 mois à compter de la résiliation du contrat du 1er avril 2008, par lettre recommandée avec accusé de réception du 24 novembre 2016 à effet au 1er avril 2019,

Condamne la société Laboratoire de Technologie Appliquée à la Santé à verser à la société France Partenaires Médical la somme de 20 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,

Condamne la société Laboratoire de Technologie Appliquée à la Santé aux dépens de première instance et d'appel.