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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 8 juillet 2022, n° 20/04670

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

AXYME (SELARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hébert-Pageot

Conseillers :

Mme Texier, Mme Dubois-Stevant

Avocats :

Me Ingold, Me Tabohout, Me Etevenard, Me Tricaud

T. com. Paris, du 18 févr. 2020, n° 2018…

18 février 2020

FAITS ET PROCÉDURE :

La Sarl Art World, dirigée par Mme [O] [W] depuis sa création le 8 septembre 2011, exerçait une activité d'achat, vente, négoce d'œuvres d'art contemporain ou ancien, haute jewellery, accessoires bijoux vintages en or et métaux précieux.

La société Art World est une SARL au capital social de 1.000 euros dont toutes les parts sont détenues par Mme [W] qui en est la gérante. Constituée le 8 septembre 2011, par transformation d'une activité en nom propre initiée par la dirigeante, elle a pour objet social l'achat, la vente, le négoce d'oeuvres d'art contemporain ou ancien, haute joaillerie, accessoires, bijoux en or et métaux précieux.

Sur déclaration de cessation des paiements de la dirigeante en date du 2 juin 2015, le tribunal de commerce de Paris, par jugement du 11 juin 2015, a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Art World, désigné la SELARL EMJ, prise en la personne de Maître [J] [R], en qualité de liquidateur judiciaire et a fixé la date de cessation des paiements au 2 juin 2015.

Par ordonnance du 20 juillet 2017, la SELARL Axyme prise en la personne de Maître [R] a été désignée en remplacement de la SELARL EMJ.

Le 11 avril 2018, la SELARL Axyme a déposé une requête aux fins de reprise de la liquidation judiciaire sous le régime du droit commun et le 17 mai 2018, le tribunal de commerce de Paris a mis fin à l'application des règles de la liquidation judiciaire simplifiée.

Par actes des 28 et 31 mai 2018, la SELARL Axyme prise en la personne de Maître [R] a fait assigner Mme [W] en responsabilité pour insuffisance d'actif.

Par jugement du 18 février 2020, le tribunal de commerce de Paris a condamné Mme [W] à payer au liquidateur ès qualités la somme de 114.717 euros au titre de sa responsabilité pour l'insuffisance d'actif, ainsi que 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Mme [W] a relevé appel de cette décision le 3 mars 2020.

Dans ses dernières conclusions n°2 notifiées par RPVA le 15 décembre 2020, Mme [W] demande à la cour :

- à titre principal, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a admis qu'elle démontrait qu'elle n'avait pas personnellement disposé du montant de la vente du droit au bail, et que les virements querellés en provenance du Crédit du Nord d'un montant de 132.300 euros avaient été opérés à une période où l'entreprise était in bonis, débouter la Selarl Axyme de sa demande en paiement d'une somme de 324.049,77 euros à titre de contribution au passif,

-Infirmer le jugement du 18 février 2020 pour le surplus

-Statuant à nouveau, débouter la Selarl Axyme prise en sa qualité de mandataire liquidateur de la SARL Art World de l'ensemble de ses demandes et la condamner ès qualités à lui verser 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- à titre subsidiaire, confirmer le jugement en ce qu'il déboute la Selarl Axyme de sa demande de fixation de la contribution à mettre à sa charge à hauteur de 324.049,77 euros, l'infirmer pour le surplus, statuant à nouveau, limiter sa contribution à la somme de 10.000 euros au titre de sa responsabilité au sens des dispositions de l'article L651-2 du code de commerce et débouter la Selarl Axyme, ès qualités, de l'ensemble de ses demandes.

Par conclusions notifiées par RPVA le 17 novembre 2020, la Selarl Axyme, ès qualités, demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et condamner Mme [W] à lui payer, ès qualités, 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans son avis notifié par RPVA le 16 septembre 2021, le ministère public invite la cour à confirmer dans son principe le jugement entrepris en ce qu'il a retenu les trois fautes de gestion reprochées par le liquidateur à Mme [W] et à aggraver la contribution en la fixant à 147.644 euros.

SUR CE.

- Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif

Selon l'article L 651-2 du code de commerce «'lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée (...)’ »

Mme [W] a été la gérante de droit de la SARL Art World depuis sa création le 8 septembre 2011.

La SELARL Axyme fait état d'une insuffisance d'actif de 324.049,77 euros et reprend en appel les fautes de gestion qu'elle avait invoquées devant le tribunal : la poursuite d'une activité déficitaire, l'inobservation des régles fiscales et comptables et l'absence de coopération aux opérations de la procédure collective, et soutient que ces fautes ont concouru à l'insuffisance d’actif.

Le ministère public demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu ces trois fautes de gestion, mais de l'infirmer sur le montant de la condamnation mise à la charge de Mme [W], en l'aggravant.

Mme [W] conteste l'ensemble des fautes de gestion invoquées par le liquidateur et soutient au surplus qu'il n'existe aucun lien de causalité entre les fautes alléguées et l'insuffisance d'actif. Liminairement, elle expose qu'après avoir exploité une entreprise individuelle, pris à bail une boutique [Adresse 8], payé le droit au bail d'un montant de 47.840 euros TTC sur ses deniers personnels, elle a créé en 2011 la société Art World pour se développer en reprenant son activité de ' vente, négoces d'oeuvre d'art contemporain ou ancien, haute joaillerie, accessoires, bijoux vintages en or et métaux précieux' et exploiter la boutique d'articles vintages et a apporté le droit au bail à la société, qu'à partir de 2012 la société a connu des difficultés par suite des attentats et de la crise économique qui a ralenti le secteur du luxe, que la société a été condamnée par ordonnance de référé du 25 janvier 2013, à payer à la Caisse d'épargne une somme de 51.589,94 euros outre intérêts au titre du solde débiteur de son compte courant, et 49.122,15 euros outre intérêts au titre d'un crédit professionnel, que suite à cette condamnation, la société a été portée sur le fichier des incidents de paiements et les autres banques ont clôturé les comptes bancaires de la société, que dans ce contexte pour continuer son activité à dimension internationale, elle a dû ouvrir un compte bancaire aux Etats Unis, au nom de la société, en janvier 2013. Elle ajoute qu'un important contentieux a opposé la société à un client américain la société Kazadjan Bros à propos des conditions de revente d'un bijou et qu'une ordonnance de référé du 25 février 2014, a ordonné à la société Art World soit de restituer le bracelet, soit de payer le solde du prix auquel elle avait racheté le bijou, représentant un montant de 560.000 USD ou 420.560 euros, étant précisé qu'elle avait revendu le bracelet à un prix bien inférieur, que pour payer ses dettes la société a dû céder son droit au bail le 7 avril 2014, pour un prix de 300.000 euros, qui a été encaissé non pas sur le compte de la dirigeante, mais sur le seul compte bancaire dont la société était titulaire aux Etats-Unis, cette vente ayant permis de solder dans le cadre d'une transaction le montant de la condamnation prononcée au profit de la société Kazadjan Bros et d'apurer les dettes auprès de ses fournisseurs et des banques Crédit du Nord et Crédit Coopératif . Elle souligne qu'après la cession du droit au bail, elle a installé la société à son domicile afin de tenter de relancer l'activité de vente par internet, ce qui a été un échec, de sorte qu'elle a déclaré la cessation des paiements le 2 juin 2015 avec alors pour seul passif exigible, les dettes envers la Caisse d'Epargne Ile de France pour un montant total de 112.168 euros.

- sur le montant de l'insuffisance d'actif

Le liquidateur judiciaire expose que le montant de l'insuffisance d'actif ressort à la somme de 324.846,06 euros, le passif se chiffrant à 152.742 euros pour le passif privilégié, 129.104 euros pour le passif chirographaire et 43.000 euros pour le passif déclaré à titre provisionnel et l'actif réalisé à 796,29 euros.

Mme [W] relève que le passif n'a pas été vérifié et discute le passif fiscal.

Il résulte des pièces versées aux débats par le liquidateur judiciaire que le Trésor Public ayant abandonné la créance de 43.000 euros déclarée à titre provisionnel, cette créance ne sera pas comptabilisée au passif et ne peut donc constituer une composante de l'insuffisance d'actif. La cour retiendra en conséquence un passif de 281.846 euros, ce dont il se déduit une insuffisance d'actif de 281.049,77 euros compte tenu d'un actif réalisé de 796,29 euros, étant surabondamment relevé que la SELARL Axyme n'a pas formé d'appel incident et sollicite uniquement la confirmation de la condamnation fixée par le tribunal à 114.717 euros.

- Sur la poursuite d'une activité déficitaire

Le liquidateur soutient Mme [W] a poursuivi une activité déficitaire dès 2012, que si elle s'est résolue le 7 avril 2014 à céder son droit au bail pour un montant de 300.000 euros, elle a toutefois encaissé le prix de cession sur son compte bancaire personnel, ce qui s'est traduit comptablement par un compte courant d'associé débiteur de 379.460 euros dans la liasse fiscale du 31 décembre 2014, qu'en outre elle a prélevé sur le compte Crédit du Nord de la société par virements successifs un total de 132.000 euros entre octobre 2011 et juin 2012, et a attendu le 2 juin 2015 pour déclarer la cessation des paiements. Il en conclut que cette poursuite d'activité est abusive et constitue une faute de gestion qui a aggravé les dettes de la société.

Mme [W] conteste avoir poursuivi une activité déficitaire, exposant que si la société a connu des difficultés temporaires cumulées avec la crise économique mondiale, sa gestion était saine, qu'elle a vendu le droit au bail pour apurer le passif et abandonné son compte courant d'associé, que la seule dette existante était celle de la Caisse d'épargne, la vérification de la comptabilité de la société, qui a donné lieu à redressement, étant postérieure à l'ouverture de la procédure collective.

Il ressort des pièces aux débats, que contrairement à ce qu'indiquent les conclusions du liquidateur judiciaire, le prix de cession du droit au bail (300.000 euros) n'a pas été encaissé en avril 2014 sur un compte personnel de la dirigeante, mais sur le compte bancaire de la société Art World ouvert aux USA dans les circonstances qui ont été précédemment rappelées et que ce prix a permis d'apurer une partie du passif, notamment l'importante créance de la société Kazadjan Bros. C'est donc à la suite d'une erreur d'écriture que le compte courant d'associé de Mme [W] dans les livres de la société Art World a été présenté comme débiteur de 379.460 euros par imputation du prix de cession du droit au bail.

Si les exercices clos au 31 décembre 2012 et 31 décembre 2013 de la société Art World ont abouti à des résultats d'exploitation négatifs, de respectivement 13.167 euros (2012) et 31.775 euros ( 2013), il sera relevé qu'il s'agissait des deux premiers exercices sur 12 mois, la société ayant été créée en septembre 2011 et que des pertes en début d'activité ne signifient pas nécessairement que l'exploitation est irrémédiablement déficitaire.

Face aux difficultés rencontrées par la société, Mme [W] a pris des dispositions pour tenter d'assainir la situation et limiter le passif, en procédant à la cession du droit au bail, à un prix qui ne fait pas l'objet de critique. A la suite de cette cession en avril 2014, la société ne disposait plus de locaux commerciaux, mais Mme [W] a alors envisagé de poursuivre son activité par internet.

Ce projet n'a pas abouti et dans la déclaration de cessation des paiements du 2 juin 2015 Mme [W] a indiqué que la société avait en pratique cessé son activité le 2 avril 2014 et que le passif échu s'élevait à 100.712 euros correspondant à deux créances de la Caisse d'épargne (solde débiteur du compte courant 51.590 euros et crédit professionnel 49.122 euros).

La vérification de comptabilité, qui a donné lieu à redressement en l'absence notamment de déclarations de TVA sur les exercices 2012 et 2013 n'a commencé qu'après l'ouverture de la procédure collective, de sorte que les propositions de redressement au titre de la TVA et des BIC n'ont été connues qu'en septembre 2015.

Dans le contexte qui vient d'être décrit, la poursuite de l'activité, certes déficitaire, mais qui a donné lieu à réaction de la dirigeante pour tenter de redresser la situation, ne constitue pas un comportement d'une gravité suffisante pour caractériser une faute de gestion au sens de l'article L 651-2 du code de commerce.

Aucune faute de gestion ne sera retenue de ce chef.

- Sur l'inobservation des obligations comptables et fiscales

Le liquidateur judiciaire expose que Mme [W] a manqué gravement et de manière répétée à ses obligations comptables et fiscales, en ce que la comptabilité de la société n'était pas régulièrement tenue, le dépôt des comptes sociaux n'ayant jamais été effectué au greffe du tribunal de commerce, en ce que la vérification de comptabilité a mis en évidence que les bénéfices industriels et commerciaux des années 2012, 2013 et 2014 avaient été déclarés en dehors des délais légaux et l'absence de dépôt des déclarations de TVA relatives aux exercices 2012 et 2013 ce qui a donné lieu à taxation et redressement.

Mme [W] fait valoir que le non-respect des obligations comptables invoqué par le liquidateur est involontaire, que le défaut de tenue d'une comptabilité et plus précisément de déclaration de la TVA alors que la société ne génère pas de chiffre d'affaires et de vente, constitue une négligence par ignorance au moment de l'arrêt de la société et non une faute de gestion pendant le cours de la direction de la société, ajoutant qu'elle a rencontré des difficultés avec l'expert-comptable.

La société Art World a fait l'objet d'une vérification de comptabilité du 17 juillet au 17 septembre 2015 portant sur les exercices clos en 2012, 2013 et 2014.

Le 22 septembre 2015 l'administration fiscale a notifié une proposition de rectification, dont il ressort qu'il a été dressé un procès-verbal de défaut de présentation de comptabilité, qu'aucune déclaration de TVA n’a été déposée pour la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2014 et que la situation n'a pas été régularisée malgré l'envoi d'une mise en demeure le 18 mai 2015. Cette vérification a conduit à des rappels de TVA de104.717 euros en 2012 et de 2.600 euros au titre de l'exercice 2013, sur lesquels il a été appliqué une majoration de 40% soit 41.887 euros et 1.040 euros.

Selon le procès-verbal de défaut de comptabilité établi par l'inspecteur des finances publiques le 17 juillet 2015, aucun document comptable n'a été communiqué en ce qui concerne les exercices clos en 2012, 2013 et 2014.

Si ce contrôle est intervenu après l'ouverture de la liquidation judiciaire, les rectifications concernent bien une période antérieure à la déclaration de cessation des paiements, de sorte que Mme [W] ne peut se retrancher derrière la date de mise en demeure de régulariser la situation ( 18 mai 2015) pour expliquer qu'elle n'a pas déposé les déclarations de TVA afférentes aux exercices 2012 et 2013. Si Mme [W] conteste le calcul de la TVA auquel l'administration fiscale a procédé d'office au vu des relevés de comptes, objectant que tout crédit sur le compte ne correspond pas à une vente, il n'en reste pas moins que la proposition de rectification est devenue définitive et que des majorations viennent pénaliser la société.

En sa qualité de dirigeante, Mme [W] ne pouvait ignorer que la société n'avait déposé aucune déclaration de TVA sur les années 2012 à 2014 et qu'elle exposait de ce fait la société à un contrôle fiscal et à des majorations et amendes susceptibles d'augmenter le passif social. Elle ne peut utilement soutenir pour les exercices 2012 et 2013 qu'il n’y avait pas lieu à déclaration, dès lors que la société Art World n'a, selon ses indications figurant dans la déclaration de cessation des paiements, cessé son activité qu'en avril 2014.

Les difficultés avec l'expert-comptable alléguées par Mme [W], alors que les factures de ce dernier n'étaient pas réglées, ne sont pas de nature à décharger Mme [W] des obligations découlant de l'article L.123-12 du code de commerce qui impose à tout commerçant, personne physique ou morale de procéder à l'enregistrement comptable chronologique des mouvements affectant le patrimoine de son entreprise et d'établir des comptes annuels à la clôture de chaque exercice au regard des enregistrements comptables et de l'inventaire, lesquels comptes annuels doivent être constitués du bilan, du compte résultat et d'une annexe.

Ce manquement aux obligations comptables et fiscales sur au moins deux exercices ne saurait, contrairement à ce que soutient Mme [W], se résumer à une simple négligence, mais caractérise bien du fait de sa gravité une faute de gestion, qui a contribué à l'insuffisance d'actif, dès lors que ces manquements ont conduit l'administration fiscale à reconstituer la comptabilité et à appliquer des majorations au titre de la TVA éludée, qui sont venues aggraver le passif de la société Art World.

- Sur l'absence de coopération aux opérations de la procédure

Le liquidateur soutient que le défaut de coopération aux opérations de la procédure peut constituer une faute de gestion ayant contribué au passif de la société, lorsque le défaut de transmission d'informations par le dirigeant au liquidateur entraîne une diminution du gage des créanciers. Il expose que Mme [W] n'a pas jugé utile de se présenter à la convocation qui lui avait été adressée dans le cadre de la procédure de vérification de comptabilité, qu'elle n'a répondu aux convocations du liquidateur qu'en novembre 2015, soit plus de 5 mois après le jugement d'ouverture, que si elle a répondu à une nouvelle convocation du 6 mars 2018, elle a persisté dans son refus de présenter les pièces sollicitées et de fournir des informations sur la SCI Mab qui est domiciliée à la même adresse que l'établissement exploité par la société Art World, qu'elle n'a pas non plus donné suite aux convocations du commissaire-priseur judiciaire, de sorte que le sort des éléments d'actifs et du mobilier figurant au dernier bilan pour un montant de 57.000 euros est resté inconnu.

Mme [W] affirme avoir répondu aux convocations du liquidateur et participé aux opérations de la procédure collective. Elle précise s'agissant de son stock,que suite à la cession du droit au bail en 2014, elle s'est trouvée dans l'obligation de déposer le stock dans les entrepôts de la société Shurgard et que celle-ci, a vendu son stock en 2014 sans son consentement, au motif que les frais de location du box n'étaient pas payés.

Le dommage invoqué par le liquidateur judiciaire, c'est à dire la disparition du gage des créanciers et donc la diminution de l'actif, qui par voie de conséquence aurait aggravé l'insuffisance d'actif, se serait produit en 2014, c'est à dire antérieurement à la faute alléguée qui consiste dans l'absence de collaboration aux opérations de liquidation judiciaire, et qui par hypothèse n'a pu être commise qu'à compter de juin 2015 au plus tôt.

Or, la faute de gestion visée par l'article L 651-2 du code de commerce, doit avoir été commise avant l'ouverture de la liquidation judiciaire, de sorte que le défaut de coopération avec les organes de la procédure, nécessairement postérieur au jugement d'ouverture les désignant, ne peut pas constituer une faute de gestion donnant lieu à responsabilité pour insuffisance d'actif.

Quand bien même le liquidateur aurait entendu en réalité au travers de cette faute stigmatiser les manquements de Mme [W] dans la disparition des actifs de la société avant l'ouverture de la procédure collective, une telle faute n'apparaît pas caractérisée en l'espèce. En effet, ainsi qu'il a été dit, la cession du droit au bail est intervenue un an avant l'ouverture de la procédure collective dans des circonstances qui le justifiaient, la société se trouvant dans une situation financière difficile, cette vente ayant permis d'apurer une partie du passif de la société et il n'a pas été démontré que Mme [W] avait personnellement profité du produit de cette vente.

Quant au stock que Mme [W] avait, suite à la cession du droit au bail, fait entreposer en 2014 dans les locaux de la société Shurgard, il ressort des échanges de mails entre Mme [W] et la société Shurgard, que cette société, considérant que les factures de location du box étaient restées impayées et que le contrat stipulait une clause de transfert de propriété, a fait vendre par un commissaire-priseur les marchandises stockées, malgré la vive opposition de Mme [W].

En conséquence, la cour ne retiendra pas la faute de gestion invoquée par le liquidateur, dès lors que les manquements allégués sont postérieurs à l'ouverture de la liquidation judiciaire.

- Sur la sanction

En définitive, seuls les manquements de Mme [W] à ses obligations comptables et fiscales ont été retenus comme faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif.

Pour soutenir que la condamnation prononcée par le tribunal est disproportionnée, Mme [W], de nationalité tunisienne, fait valoir qu'elle est titulaire d'un titre de séjour, qu'elle travaille désormais comme assistante de direction (salariée), qu'elle est divorcée et subvient aux besoins de son fils étudiant, qu'elle n'a jamais utilisé les biens de la société à des fins personnelles et a au contraire investi à perte ses économies dans la société Art World, que contrairement à ce qu'insinue le liquidateur elle ne dissimule pas une situation avantageuse, la SCI Mab dont elle était gérante ayant vendu le seul immeuble dont elle était propriétaire sans dégager de plus-value eu égard au prêt immobilier en cours, cette société ayant par ailleurs cessé son activité depuis 2018 et été radiée le 20 novembre 2019.

Le liquidateur indique que postérieurement au jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire, Mme [W] a fait donation à son fils des parts et compte courant d'associé, qu'elle détenait dans la SCI Vintage & Design, et qu'elle dirige par ailleurs la SCI Mab.

Mme [W] justifie par un extrait Kbis, que la SCI Mab dont elle était gérante, a cessé son activité en 2018 et été radiée le 20 novembre 2019. Cependant, elle n'apporte pas d'élément établissant que la vente du bien immobilier appartenant à la SCI s'est dénouée sans plus-value.

Mme [W] détenait par ailleurs 90 parts sociales sur les 100 qui composaient le capital social de la SCIVintage & Design, ce capital étant de 1.000 euros. Il est constant que par acte notarié du 2 mars 2017, Mme [W] a fait donation à M.[B] [N] [U], son fils, de ses 90 parts, ayant une valeur de 900 euros, et de sa créance en compte courant d'associé sur la SCI d'un montant de 99.100 euros, soit une donation totale de 100.000 euros.

La circonstance que cette donation a été faite avant que Mme [W] ne soit informée, un an plus tard, de l'introduction d'une action en responsabilité pour insuffisance d'actif à son encontre, ne remet pas en cause le constat fait par le liquidateur, selon lequel, Mme [W] s'est volontairement privée d'une partie de son patrimoine, au titre des droits qu'elle détenait dans cette SCI, droits valorisés à 100.000 euros.

Au regard de cet ensemble d'éléments, la cour condamnera Mme [W] à payer à la SELARL Axyme, ès qualités, la somme de 50.000 euros à titre de contribution à l'insuffisance d'actif, le jugement étant infirmé en ce sens.

- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Mme [W], qui demeure condamnée à contribuer à l'insuffisance d'actif, même si la condamnation a été allégée en appel, supportera les entiers dépens et sera déboutée de sa demande d'indemnité procédurale.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné Mme [W] à payer au liquidateur, ès qualités, une indemnité procédurale de 3.000 euros. L'équité ne commande pas d'allouer une indemnité complémentaire en appel.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné Mme [O] [W] à payer à la Selarl Axyme, prise en la personne de Maître [R], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Art World, la somme de 114.717 euros, le confirme en ce qu'il a condamné Mme [W] au paiement d'une indemnité de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,

Condamne Mme [O] [W] à payer à la Selarl Axyme, prise en la personne de Maître [R], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Art World, la somme de 50.000 euros au titre de sa responsabilité à l'insuffisance d'actif,

Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [W] aux dépens d'appel.