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Décisions

CA Paris, 3e ch. B, 18 décembre 2008, n° 07/17137

PARIS

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Monin-Hersant

Conseillers :

Mme Jourdier, M. Loos

Avoués :

SCP Monin - d'Auriac de Brons, SCP Gerigny- Freneaux

Avocats :

Me Alexandre, Me Bouveresse

Besançon, du 8 mars 2000

8 mars 2000

EXPOSÉ DU LITIGE

Les parties sont membres de la famille B., descendants de Paul B. qui avait fondé en 1946 une société Etablissements BELEY et fils, fabricant de pièces pour l’automobile dans le Doubs.

En 1990 Monsieur Samuel B., président du conseil d'administration de la S.A. Etablissements B. et fils (la société Ets B.) a constitué avec quelques actionnaires de cette société, leurs épouses et la société de développement régional du Centre Est ('CENTREST') la société FINANCIERE BELEY ayant pour objet de détenir tout ou partie du capital de la première. Monsieur Samuel B. est devenu également le président du conseil d'administration de la société holding.

Messieurs Marc et Philippe B. qui n'entraient pas dans la société FINANCIERE BELEY ont cédé à celle-ci pour le prix unitaire de 1.500 francs une partie de leurs actions de la société Ets

B. le 18 décembre 1990 puis le 21 janvier 1991.

Le 22 décembre 1992, Monsieur Samuel B. a invité les actionnaires de la société Ets BELEY pour évoquer les conséquences pour eux des décisions à prendre par la société holding afin d’assurer l'avenir de l'outil de travail', dans un contexte de regroupement des fournisseurs souhaité par les constructeurs automobiles. La réunion s'est tenue le 23 janvier 1993 et elle a été suivie de nouvelles cessions d'actions de la société d'exploitation au bénéfice de la société FINANCIERE BELEY moyennant un prix unitaire de 1.800 francs.

C'est ainsi que notamment Messieurs Marc et Philippe B. ont accepté de céder 800 actions pour le premier, 686 actions pour le second; les ordres de mouvement ont été signés le 29 mars 1993.

Puis le 1er juin 1993 la société FORMER a acquis simultanément la totalité du capital de la société FINANCIERE BELEY et les 955 actions de la société Ets BELEY encore détenues par les associés de la holding membres de la famille B. au prix de 4.022 francs l'action.

S'estimant victimes d'un dol, Messieurs Marc et Philippe B. ont assigné en juin et juillet 1995 la société FORMER venant aux droits de la société FINANCIERE BELEY et Monsieur Samuel B., ancien président des deux sociétés B. en raison de ses fautes personnelles, demandant réparation de leur préjudice sur la base de 2222 F de perte par action vendue.

Par jugement du 23 septembre 1997 le Tribunal de grande instance de BELFORT a déclaré leur action recevable mais mal fondée, estimant la rétention dolosive non établie.

La Cour d'appel de BESANÇON par arrêt du 8 mars 2000 a confirmé ce jugement

La Cour de Cassation par arrêt du 12 mai 2004 a cassé cet arrêt, au visa de l'article 1382 du Code civil, mais seulement en ce qu il a rejeté la demande formée contre Monsieur Samuel B. ; elle a reproché à la Cour d'appel de ne pas avoir recherché si il n’avait pas caché l’existence des négociations conduites avec un tiers... et ainsi manqué à l'obligation de loyauté qui s'impose au dirigeant de société à l'égard de tout associé en dissimulant aux cédants une information de nature à influer sur leur consentement

Désignée comme cour de renvoi la Cour d'appel de COLMAR par arrêt du 15 mai 2006 a confirmé le premier jugement ayant rejeté les demandes formées contre Monsieur Samuel B., au motif que les demandeurs n'établissaient pas que le défendeur avait manqué de loyauté à leur égard.

La Cour de Cassation par arrêt du 25 septembre 2007 a cassé cet arrêt en toutes ses dispositions au visa de l'article 4 du Code de procédure civile, reprochant à la Cour d'appel d'avoir dénaturé les conclusions des appelants en ce qu'elle a retenu que Messieurs Marc et Philippe B. ne contestaient pas que le 23 janvier 1993 Monsieur Samuel B. les avait informés de contacts en vue d'une cession, alors que ceux-ci dans leurs conclusions soutenaient qu'il ne leur avait été donné aucune information de cette nature.

Par acte du 4 octobre 2007, Messieurs Marc et Philippe B. ont saisi la Cour d'appel de PARIS désignée comme cour de renvoi.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Vu les dernières conclusions déposées au Greffe le 25 septembre 2008 par Messieurs Marc et Philippe B., appelants, demandant à la Cour d'infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Belfort et de condamner Monsieur Samuel B. à leur payer respectivement 270.993,37 € et 232.376,81 € avec intérêts au taux légal à compter du 29 mars 1993 et capitalisation des intérêts,

Vu les dernières conclusions déposées au Greffe le 9 octobre 2008 par Monsieur Samuel B., intimé, tendant à la confirmation du jugement et à la condamnation des appelants à lui payer 1 € de dommages et intérêts pour préjudice moral,

SUR CE,

sur la responsabilité de Monsieur Samuel B.

Considérant que Messieurs Marc et Philippe B. reprochent à Monsieur Samuel B. un manquement à l'obligation de loyauté pesant sur lui en qualité de dirigeant des deux sociétés B. à l'occasion de la cession de leurs actions de la société Ets B.;

Considérant que dans sa lettre de convocation à la réunion des actionnaires de la société Ets B. Monsieur Samuel B. évoque l'obligation imposée par les constructeurs automobiles à leurs fournisseurs de se regrouper, ses propositions récentes aux membres de la holding destinées en priorité à assurer l'avenir de l'outil de travail et son souci de les informer et d'en examiner les conséquences pour eux;

Qu'il n'a été établi aucun procès-verbal, ni compte-rendu de la réunion du 23 janvier 1993;

Que Messieurs Marc et Philippe B. admettent qu'ils ont été informés de la nécessité pour la société Ets BELEY de se céder à un groupe plus important et pour ce faire de recentrer l'actionnariat au moyen du rachat des actions de la société Ets BELEY par la société FINANCIERE BELEY; que par contre ils affirment que leur a été dissimulée l'existence des négociations en cours au jour de la réalisation de la cession;

Considérant que Monsieur Samuel B. reconnaît dans ses dernières conclusions (pages 14, 23 et 24), comme déjà dans ses conclusions devant la cour d'appel de COLMAR, l'existence de contacts ou de pourparlers antérieurs au 29 mars 1993 avec les groupes potentiels acquéreurs mais soutient que les négociations ont commencé seulement le 15 avril 1993 avec la société FORMER;

Considérant cependant que, même si la négociation ayant abouti à la cession de juin 1993 n'a véritablement commencé que 15 jours après la cession consentie par Messieurs Marc et Philippe B., l'existence de contacts antérieurs est reconnue; que de plus il est établi que le groupe GFI INDUSTRIES, dont faisait partie la société FORMER, avait manifesté son intérêt pour la société Ets B. avant le début de l'année 1993 et avait fait part de sa stratégie aux dirigeants de celle-ci (cf attestation de M. G. pièce 38 de l'intimé);

Que l'existence de propositions de la part de ce groupe avant la cession litigieuse est corroborée par le fait que dès le 9 avril 1993 ont été édités des documents comptables sur les conséquences financières du rapprochement entre la société Ets BELEY et la société FORMER (cf pièces 17 et 18 des appelants);

Qu'il n'est pas démontré que le dirigeant de la société Ets B. a informé les associés, incités par lui à céder leurs actions à la société FINANCIERE BELEY, de la discussion entamée par le groupe GFI INDUSTRIES;

Qu'ainsi il est établi que Monsieur Samuel B. a manqué à son obligation d'informer Messieurs Marc et Philippe B. de perspectives de nature à influencer leur consentement à la cession de leurs actions de la société Ets B.;

sur le préjudice

Considérant qu'en raison de ce manquement imputable à Monsieur Samuel B., Messieurs Marc et Philippe B. sont fondés à demander réparation du préjudice en résultant pour eux;

Que cependant Monsieur Samuel B. fait valoir justement que leur préjudice ne peut pas être égal à la différence entre le prix auquel ils ont cédé et le prix d'acquisition des actions de la société Ets BELEY par la société FORMER le 1er juin 1993;

Qu'en effet il est certain qu'au 29 mars 1993 le prix de cession au groupe GFI INDUSTRIES n'était pas fixé et qu'il existait même encore un aléa sur la réalisation d'un rapprochement ou d'une cession; qu'il n'est donc pas certain que Messieurs Marc et Philippe B., s'ils avaient été pleinement informés, auraient conservé leurs actions; que même dans ce cas, il n'est pas sûr que l'acquéreur aurait accepté de racheter les 800 actions de Marc B. et les 686 actions de Philippe B. (c'est-à-dire respectivement 6,30% et 5,41% du capital) au prix de 4.022F payé concomitamment à la reprise de la société holding qui leur assurait le contrôle de la société Ets B.;

Qu'ainsi le défaut d'information reproché à Monsieur Samuel B. est seulement à l'origine d'une perte de chance pour Messieurs Marc et Philippe B. de céder leurs actions dans de meilleures conditions; que compte tenu des circonstances ci-dessus rappelées, cette perte de chance sera exactement réparée par une indemnité de 146.000 € pour le premier et de 125.000 € pour le second;

Considérant que s'agissant de la réparation d'un dommage, l'indemnité portera intérêts seulement à compter du présent arrêt, conformément à la règle de l'article 1153-1 dernier alinéa du Code civil à laquelle rien ne justifie de déroger;

Considérant que les reproches formulés par Monsieur Samuel B. sur les fausses affirmations contenues dans les conclusions de ses contradicteurs sont insuffisants pour caractériser une faute génératrice d'un préjudice moral;

Considérant qu'en application des articles 639 et 696 du Code de procédure civile, il y a lieu de mettre à la charge de Monsieur Samuel B., partie perdante, tous les dépens exposés par Messieurs Marc et Philippe B. devant les juridictions du fond;

PAR CES MOTIFS:

LA COUR,

INFIRME le jugement frappé d'appel en ce qu'il a statué sur les demandes de Messieurs Marc et Philippe B. envers Monsieur Samuel B.;

statuant à nouveau de ce chef:

CONDAMNE Monsieur Samuel B. à payer la somme de 146.000 euros à Monsieur Marc B. et la somme de 125.000 euros à Monsieur Philippe B.;

DIT que ces sommes porteront intérêts à compter du présent arrêt;

REJETTE la demande de dommages et intérêts de Monsieur Samuel B.;

CONDAMNE Monsieur Samuel B. à payer la somme de 10.000 euros aux appelants en application de l'article 700 du Code de procédure civile;

CONDAMNE Monsieur Samuel B. à supporter tous les dépens tant de première instance que d'appel exposés par Messieurs Marc et Philippe B., y compris ceux des décisions cassées,

Accorde à la S.C.P. MONIN - d'AURIAC de BRONS, Avoué à la Cour, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.