Cass. com., 12 mai 2004, n° 00-15.618
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Rapporteur :
M. Petit
Avocat général :
M. Feuillard
Avocats :
SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, SCP Gatineau, Me Le Prado
Attendu, selon l'arrêt attaqué qu'en 1990, M. Samuel X..., président du conseil d'administration de la société Etablissements X... et fils (la société X...), a constitué, avec d'autres actionnaires de cette société, la société Financière X..., dont il est également devenu président du conseil d'administration ; qu'au cours d'une "réunion de famille" tenue le 23 janvier 1993, M. Samuel X... a proposé aux actionnaires de la société X... de céder leurs actions à la société Financière X... ; que cette proposition a été acceptée par MM. Marc et Philippe X... qui, le 29 mars 1993, ont cédé à la société Financière X..., au prix unitaire de 1 800 francs, respectivement 800 et 686 actions de la société X... ; qu'au mois de mai 1993, la société Former a acquis, au prix unitaire de 4 022 francs, 955 actions de cette même société ;
qu'au mois de juin 1993, la société Former a acquis, également au prix unitaire de 4 022 francs, la quasi-totalité des actions composant le capital de la société Financière X..., qu'elle a ultérieurement absorbée ; que MM. Marc et Philippe X..., estimant avoir été victimes d'un dol par réticence, ont demandé que M. Samuel X... et la société Former, venant aux droits de la société Financière X..., soient condamnés à leur payer des dommages-intérêts ;
Sur le moyen unique, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches :
Attendu que MM. Marc et Philippe X... font grief à l'arrêt d'avoir rejeté la demande dirigée contre la société Former alors, selon le moyen :
1 ) qu'il résulte des énonciations de l'arrêt et du jugement entrepris que M. Samuel X... était le dirigeant des sociétés X... et Financière X..., dont il était également associé, que le 23 janvier 1993, au cours d'une "réunion de famille", il a proposé aux actionnaires de la société X... de céder leurs actions à la société Financière X... au prix de 1 800 francs chacune, qu'à son instigation, le 29 mars 1993, MM. Marc et Philippe X... ont accepté de céder respectivement 800 et 686 actions de la société X... (soit 6, 30 et 5, 41 % du capital de celle-ci) à la société Financière X..., au prix de 1 800 francs par action, qu'au début des mois de mai et juin suivants, la société Former a acquis, d'abord, 955 actions de la société X... (soit 7% du capital social de celle-ci), au prix unitaire de 4 022 francs l'action - la société Former et M. Samuel X... ayant refusé de produire aux débats les ordres de mouvement correspondants - ensuite, la quasi-totalité du capital de la société Financière X..., le prix de l'action étant également fixé à 4 022 francs ; que MM. Marc et Philippe X... soutenaient que lorsqu'ils avaient cédé leurs actions à la société Financière X..., ils n'avaient pas été informés de l'existence des négociations, alors en cours, entre les sociétés X... et Financière X..., toutes deux représentées par M. Samuel X..., et la société Former ;
qu'en les déboutant de leur demande formée à l'encontre de la société Former, venant aux droits de la société Financière X..., après avoir constaté qu'il est "tout à fait vraisemblable qu'à (la) date (du 23 janvier 1993), ou à celle à laquelle (MM. Marc et Philippe X...) ont cédé leurs actions, soit le 29 mars 1993 ... les sociétés X... et financière X... avaient déjà entrepris des négociations avec la société Former", sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si l'existence de ces négociations ne leur avait pas été cachée et si la société Financière X... n'avait pas par là-même commis une réticence dolosive en leur dissimulant une information déterminante de leur consentement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
2 ) que MM. Marc et Philippe X... faisaient valoir, dans leurs écritures, qu'ils avaient vainement "sollicité, par deux sommations de communiquer (puis par ordonnance d'injonction de communiquer) la production des ordres de mouvement en application desquels MM. Y... et Z... étaient devenus actionnaires des sociétés X... et Financière X... (et) des ordres de mouvement portant sur les 955 actions de la société X... acquises par la société Former en mai 1993 au prix de 4 022 francs", en invitant la cour d'appel à tirer toutes conséquences de ce refus ; qu'en se bornant à relever qu'il "importe peu que les ordres de virement du mois de mai 1993 n'aient pas été produits car il n'est pas discuté que les actions, dont le nombre pouvait assurer à la société Former le contrôle de la société X..., ont été acquises au prix de 4 022 francs", sans répondre au moyen par lequel elle était invitée à tirer les conséquences du refus manifesté par la société Former et M. Samuel X... de produire les ordres de virement en application desquels MM. Y... et Z... étaient devenus actionnaires des sociétés X... et Financière X..., la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
3 ) qu'en retenant également, à l'appui de sa décision, que MM. Marc et Philippe X... "ne sauraient contester qu'on ne peut assimiler la cession d'actions d'actionnaires minoritaires avec l'acquisition de la totalité du capital, qui permet au cessionnaire le contrôle total de la société cédante", sans répondre aux conclusions qui lui étaient soumises dans lesquelles MM. Marc et Philippe X... faisaient valoir que "cette tentative de justification ne résiste pas à l'examen (puisque) ... en mai 1993, la société Former a acquis 955 actions de la société X... (représentant uniquement 7 % du capital) au prix unitaire de 4 022 francs ;
cette cession, indépendante de la cession du prétendu "bloc de contrôle" de la société X... par l'intermédiaire de la cession de l'ensemble des actions de la société holding (réalisée en juin 1993), s'est faite au même prix que la cession du prétendu "bloc de contrôle", (cependant) que ces 7 % du capital sont tout à fait équivalents aux 6, 30 ou 5, 41 % du capital (précédemment détenu et cédé par eux)" et que "la société Former n'a (donc) clairement fait aucune distinction entre la cession d'actions minoritaires ou d'un bloc de contrôle majoritaire", la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que le cessionnaire n'est tenu d'informer le cédant ni des négociations tendant à l'acquisition par un tiers d'autres titres de la même société ni de celles qu'il conduit lui-même avec ce tiers en vue de lui céder ou de lui apporter les titres faisant l'objet de la cession ; que l'arrêt, qui a répondu en l'écartant au moyen invoqué par la troisième branche se trouve justifié, abstraction faite du motif surabondant que critique la quatrième branche ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur la première branche du moyen :
Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu que pour rejeter la demande formée contre M. Samuel X..., l'arrêt retient que s'il paraît tout à fait vraisemblable qu'à la date de la "réunion de famille" ou à celle de la cession, les sociétés X... et Financière X... avaient déjà entrepris des négociations avec la société Former, rien ne permet d'affirmer qu' au jour de la cession le prix de l'action avait déjà été fixé ni que l'absorption de la société était acquise, ceux-ci étant conditionnés par la possibilité pour la société Former d'acquérir l'ensemble des actions et donc par l'attitude des actionnaires minoritaires ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors qu'elle constatait que M. Samuel X..., dirigeant et actionnaire des sociétés X... et Financière X..., avait été à l'initiative de la cession des actions de la première au bénéfice de la seconde et sans rechercher, ainsi qu'il lui était demandé, s'il n'avait pas caché l'existence des négociations conduites avec un tiers en vue du rachat ou de l'apport de ces mêmes actions, et ainsi manqué à l'obligation de loyauté qui s'impose au dirigeant de société à l'égard de tout associé en dissimulant aux cédants une information de nature à influer sur leur consentement, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande formée à l'encontre de M. Samuel X..., l'arrêt rendu le 8 mars 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Colmar.