Cass. com., 12 mai 2021, n° 19-14.059
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Darbois
Rapporteur :
Mme Lefeuvre
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Piwnica et Molinié, SCP Rousseau et Tapie
Déchéance partielle du pourvoi
Vu l'article 978 du code de procédure civile :
1. Conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, avis a été donné aux parties qu'il serait fait application du texte susvisé.
2. En vertu de ce texte, à peine de déchéance, le demandeur doit, au plus tard dans le délai de quatre mois à compter du pourvoi, remettre au greffe de la Cour de cassation un mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée.
3. Aucun grief n'étant formulé contre l'arrêt rectificatif du 17 janvier 2019, il y a lieu de constater la déchéance du pourvoi en ce qu'il est formé contre cet arrêt.
Faits et procédure
4. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 15 novembre 2018, rectifié le 17 janvier 2019), la société Groupe Iti (la société Iti) a cédé à la société Frégate les actions de la société Etudes et fabrications industrielles tôlerie aéronautique mécanique (la société Efitam), à un certain prix, dont une partie payable au jour de l'acte et le solde en trois annuités à échéances des 30 juin 2009, 2010 et 2011, par billets à ordre.
5. L'acte de cession a été assorti d'une convention de garantie d'actif et de passif.
6. Les billets à ordre à échéance des 30 juin 2009 et 2010 n'ayant pas été honorés, la société Iti a assigné la société Frégate en paiement. Celle-ci a demandé, à titre reconventionnel, la mise en oeuvre de la garantie d'actif et de passif.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
7. La société Frégate fait grief à l'arrêt tel que rectifié de rejeter ses demandes au titre de la garantie de passif et de la condamner à payer à la société Iti certaines sommes au titre des billets à ordre échus les 30 juin 2009, 30 juin 2010 et 30 juin 2011, avec intérêts et capitalisation, alors « que le rapport d'expertise judiciaire soulignait que "les principes comptables décrits dans l'annexe 5 de la GAP ne sont pas justifiés par la société Iti et que les stocks et encours de l'exercice de référence (2006) présentent une insuffisance d'actif qui est d'ailleurs entérinée par les commissaires aux comptes à hauteur de 990 000 euros pour M. [V] et au moins à hauteur de 555 000 euros pour Mme [R]" ; que la cour d'appel a constaté que "M. [V], commissaire aux comptes "historique" de la société Efitam, a certifié sans réserve les comptes de l'exercice 2007 et ainsi validé les corrections apportées par la société Frégate à la valorisation des stocks existants au 31 décembre 2006 et leur retraitement en charges exceptionnelles" et que "Mme [R], commissaire aux comptes nouvellement mandatée par la société Frégate, a, dans son rapport général du 28 juin 2008, émis des réserves expresses sur les corrections faites au titre du calcul des affaires partiellement réalisées à hauteur de 345 326 euros et des frais à intégrer dans les encours de production et produits finis pour un total de 52 753 euros" ; qu'il se déduisait de ces constatations à tout le moins que les deux certificateurs des comptes reconnaissaient une inexactitude sur la valeur des stocks et encours de l'exercice 2006, pour une somme a minima de 555 000 euros ; qu'en retenant, pour débouter la société Frégate de sa demande indemnitaire en application de la garantie, que cette société ne démontrait pas l'insincérité des comptes et plus particulièrement de l'évaluation des stocks, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1134 du code civil, devenu l'article 1103 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134, alinéa 1, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
8. Aux termes de ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
9. Pour rejeter la demande de mise en oeuvre de la garantie d'actif et de passif, l'arrêt retient qu'il ne peut être tiré des avis contradictoires des commissaires aux comptes de la société Efitam d'éléments probatoires pertinents quant à la sincérité ou à l'insincérité des comptes et de la valorisation des actifs de cette société.
10. En statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que le commissaire aux comptes « historique » de la société Efitam avait certifié sans réserve les comptes de l'exercice 2007 et ainsi validé les corrections apportées par la société Frégate à la valorisation des stocks existants au 31 décembre 2006 et leur retraitement en charges exceptionnelles, et que le commissaire aux comptes nouvellement mandaté avait émis des réserves expresses sur les corrections faites au titre du calcul des affaires partiellement réalisées, à hauteur de 345 326 euros, et des frais à intégrer dans les encours de production et produits finis pour un total de 52 753 euros, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
11. La société Frégate fait le même grief à l'arrêt tel que rectifié, alors « que dans son rapport d'expertise, l'expert précisait que "je crois qu'il n'est pas besoin de reprendre en détail ma conclusion récurrente : les méthodes annoncées dans l'annexe 5 de la GAP ne sont pas soutenables et vérifiables et c'est pourquoi [U] a proposé un ajustement en 2007 pour corriger les comptes 2006 afin de retrouver des méthodes plus soutenables et dont le montant total s'est élevé à 990 K?, montant qui a été validé par le co-commissaire aux comptes M. [V] et partiellement par l'autre co-commissaire aux comptes, Mme [R]", que "le fait que les comptes 2007 aient été certifiés sans réserve (M. [V]) ou avec réserve (Mme [R]), ce qui remet en cause la certification des comptes 2006 qui ne sont donc pas sincères, remet en cause le socle sur lequel cette GAP a été établie", que "pour toutes ces raisons, y compris l'analyse de la marge brute et de son évolution ainsi que l'évolution des stocks sur les années 2004 à 2007 on est conduit à penser que les méthodes ayant servi à l'établissement et à l'évaluation des stocks 2006 ne correspondent pas aux assertions figurant dans l'annexe 5 de la GAP", que "ces deux certifications successives sans réserve signifient que M [V] s'est trompé pour la certification des comptes 2006 et qu'il aurait dû faire constater une correction dans les stocks pour le montant de 990 K? qu'il certifie comme étant une correction d'erreur constatée sur les comptes 2007. De facto, il admet que les comptes 2006 sont erronés. De facto, il admet par conséquent que les méthodes comptables retenues pour 2006 pour établir les comptes n'étaient pas bonnes et qu'il fallait donc les changer. C'est exactement ce qu'impliquent ces certifications de comptes par M. [V], et peu importent ses explications en parallèle soit auprès de sa consoeur, soit auprès de la société Iti, soit auprès de la nouvelle direction d'Efitam. En effet, c'est sa certification qui fait foi", et que "compte tenu des travaux d'expertise au cours desquels j'ai constaté ne pas avoir eu la documentation nécessaire au chiffrage précis du litige, mais en référence avec les certifications des commissaires aux comptes, je peux dire que le montant du dommage se situe entre 990 K? et au moins 555 K?, avant impôt sur les sociétés" ; que le rapport de l'expert contenait ainsi de nombreuses constatations quant à l'irrégularité et quant au manque de sincérité des comptes litigieux justifiant la mise en jeu de la garantie d'actif et de passif ; qu'en retenant, pour écarter comme non probant le rapport d'expertise, que l'expert se bornait à faire des conjectures et des interrogations, la cour d'appel a méconnu le principe de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les éléments de la cause. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
12. Pour rejeter la demande de mise en oeuvre de la garantie d'actif et de passif, l'arrêt retient encore que l'ensemble du travail d'analyse, par l'expert, des données de comptabilisation des stocks s'est heurté à l'absence d'éléments permettant de vérifier la mise en oeuvre des principes énoncés et l'a conduit à des conjectures, interrogations et déductions plutôt qu'à des conclusions étayées, et que le caractère tronqué de l'analyse, faite sur des éléments comptables parcellaires, a privé son avis de toute efficacité.
13. En statuant ainsi, alors que l'expert judiciaire avait indiqué dans son rapport : « je crois qu'il n'est pas besoin de reprendre en détail ma conclusion récurrente : les méthodes annoncées dans l'annexe 5 de la GAP ne sont pas soutenables et vérifiables et c'est pourquoi [U] a proposé un ajustement en 2007 pour corriger les comptes 2006 afin de retrouver des méthodes plus soutenables et dont le montant total s'est élevé à 990 K?, montant qui a été validé par le co-commissaire aux comptes M. [V] et partiellement par l'autre co-commissaire aux comptes, Mme [R] », que « le fait que les comptes 2007 aient été certifiés sans réserve (M. [V]) ou avec réserve (Mme [R]), ce qui remet en cause la certification des comptes 2006 qui ne sont donc pas sincères, remet en cause le socle sur lequel cette GAP a été établie », que « pour toutes ces raisons, y compris l'analyse de la marge brute et de son évolution ainsi que l'évolution des stocks sur les années 2004 à 2007 (voir infra § 5.2.2) on est conduit à penser que les méthodes ayant servi à l'établissement et à l'évaluation des stocks 2006 ne correspondent pas aux assertions figurant dans l'annexe 5 de la GAP », que « ces deux certifications successives sans réserve signifient que M. [V] s'est trompé pour la certification des comptes 2006 et qu'il aurait dû faire constater une correction dans les stocks pour le montant de 990 K? qu'il certifie comme étant une correction d'erreur constatée sur les comptes 2007. De facto, il admet que les comptes 2006 sont erronés. De facto, il admet par conséquent que les méthodes comptables retenues pour 2006 pour établir les comptes n'étaient pas bonnes et qu'il fallait donc les changer. C'est exactement ce qu'impliquent ces certifications de comptes par M. [V], et peu importent ses explications en parallèle soit auprès de sa consoeur, soit auprès de la société ITI, soit auprès de la nouvelle direction d'Efitam. En effet, c'est sa certification qui fait foi » et que « compte tenu des travaux d'expertise au cours desquels j'ai constaté ne pas avoir eu la documentation nécessaire au chiffrage précis du litige, mais en référence avec les certifications des commissaires aux comptes, je peux dire que le montant du dommage se situe entre 990 K? et au moins 555 K?, avant impôt sur les sociétés », la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis de cet écrit, a violé le principe susvisé.
Et sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
14. La société Frégate fait encore le même grief à l'arrêt tel que rectifié, alors « que la garantie donnée au cessionnaire par le cédant doit s'appliquer dès lors qu'une différence est constatée entre la situation sociale décrite par le cédant et la situation réelle de la société dont les titres ont été cédés, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que le cessionnaire en avait ou non connaissance ; qu'aux termes de la garantie d'actif et de passif, la société Iti s'était engagée à : "indemniser l'acquéreur de l'intégralité de tous dommages, pertes, dettes ou frais de toute nature (.) qui découleraient des éléments suivants :- toute inexactitude, erreurs ou omissions contenues dans les déclarations et garanties, - toute diminution de la valeur d'un actif ou toute augmentation de passif ayant son fait générateur avant la date des présentes, et apparaissant après cette date, non comptabilisés ou insuffisamment comptabilisés dans la situation comptable et qui n'aurait pas fait l'objet de provisions ou de provisions suffisantes dans la situation comptable pour la fraction du préjudice excédant la provision" ; qu'il en résultait que cette clause garantissait toute inexactitude, erreur ou omission contenue dans la clause "déclarations et garanties", quelle qu'elle soit, peu important la suspicion que pouvait avoir le cessionnaire sur l'exactitude et la sincérité des déclarations lors de la cession ; qu'en retenant, pour priver de tout effet la garantie d'actif et de passif, que la société cessionnaire avait fait procéder à un examen des comptes de la société cédante par le cabinet Ace et fait pratiquer un audit qui l'avait alertée sur les difficultés et imprécisions relatives à l'évaluation des stocks et des encours, en sorte que les irrégularités étaient connues du cessionnaire lors de la cession, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant et a violé l'article 1134 du code civil, devenu l'article 1103 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134, alinéa 1, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
15. Pour rejeter la demande de mise en oeuvre de la garantie d'actif et de passif, l'arrêt retient enfin que la société Frégate a fait procéder, avant la cession, à un examen des comptes de la société Efitam au 31 décembre 2006 et à un audit qui l'a alertée sur les difficultés et les imprécisions relatives à l'évaluation des stocks de la société Efitam.
16. En se déterminant ainsi, sans rechercher si l'examen des comptes de la société cédée et l'audit que la société cessionnaire avait fait pratiquer avaient été suffisants pour porter à la connaissance de celle-ci, au moment de la cession, la nature exacte et l'ampleur des irrégularités constatées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CONSTATE la déchéance du pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt rectificatif du 17 janvier 2019 ;
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il fixe à 147 422,49 euros le montant des frais de fermeture du site [Localité 1] à déduire du prix de cession, l'arrêt rendu le 15 novembre 2018 tel que rectifié, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry.