Cass. com., 15 juin 2022, n° 20-21.588
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mollard
Rapporteur :
M. Boutié
Avocat général :
Mme Gueguen
Avocats :
SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SARL Cabinet Rousseau et Tapie
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 2 juillet 2020), suivant lettre de mission en date du 17 août 2009, M. et Mme [E] ont confié une mission d'assistance et de conseil en placements financiers à Mme [B], assurée auprès de la société Covea, aux droits de laquelle sont venues les sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD (les sociétés MMA).
2. Mme [B] a mis un terme à sa mission le 4 novembre 2014.
3. Estimant avoir subi des pertes imputables aux manquements de Mme [B] à ses obligations, M. et Mme [E] l'ont assignée, ainsi que les sociétés MMA, en paiement.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
4. M. et Mme [E] font grief à l'arrêt de les débouter de leurs demandes de condamnation de Mme [B] et des sociétés MMA à leur payer les sommes de 565 018,29 euros au titre de la perte de valeur du portefeuille, 299 640 euros au titre de la perte de chance de valorisation de ce portefeuille, outre 10 000 euros au bénéfice de M. [E] et 10 000 euros au bénéfice de Mme [E], alors « que le conseiller en investissements financiers est tenu de fournir à son client un conseil adapté à sa situation personnelle dont il doit rapporter la preuve de l'exécution ; qu'en l'espèce, dans leurs conclusions d'appel, M. et Mme [E] soutenaient que Mme [B] n'avait pas respecté les objectifs fixés dans la lettre de mission dans laquelle elle s'était engagée à émettre une proposition écrite et complète comprenant le bilan actif et passif de M. et Mme [E], l'évaluation de leurs besoins fixes et variables, la répartition de leurs besoins, la répartition du capital en fonction de leurs besoins et, pour la répartition des avoirs sur des contrats à capital différé, d'attendre les nouvelles mesures fiscales ; que pour écarter la responsabilité de Mme [B], la cour d'appel s'est bornée à retenir que ''la signature des époux [E] aux bulletins de souscription produits est précédée de la mention selon laquelle le souscripteur choisit ses supports d'investissements en connaissance de cause, et en cas d'instruction sur un produit différent de son profil, il reconnaît avoir eu connaissance des risques associés et assumer les éventuelles pertes futures ; qu'il reconnaît en outre avoir reçu les prospectus de l'AMF de chaque OPCVM'', et que M. et Mme [E], ''par le choix d'une gestion directe avec recherche de revenus dans le cadre d'une gestion dynamique à fort risque [?] ont accepté les aléas inhérents aux placements boursiers, leur qualité d'investisseurs non professionnels n'étant pas suffisante à elle seule pour caractériser un quelconque manquement de la part de Mme [B]'' ; qu'en statuant ainsi sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant expressément invitée, si Mme [B] justifiait avoir exécuté son obligation de conseil adapté à la situation personnelle de M. et Mme [E], la cour d'appel a privé a décision de base légale au regard des articles L. 541-8-1 et suivants du code monétaire et financier, ensemble l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 541-4, 4°, du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-544 du 12 avril 2007, et L. 541-8-1, 4°, du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1107 du 22 juin 2017 :
5. Il résulte de ces textes que, avant de formuler un conseil, le conseil en investissement financier doit s'enquérir auprès de ses clients de leurs connaissances et de leur expérience en matière d'investissement, ainsi que de leur situation financière et de leurs objectifs d'investissement, de manière à pouvoir leur recommander les opérations, instruments et services adaptés à leur situation. Lorsque les clients ne communiquent pas les informations requises, les conseillers en investissements financiers s'abstiennent de leur recommander les opérations, instruments et services en question.
6. Pour rejeter les demandes de M. et Mme [E], l'arrêt retient que la signature des bulletins de souscription produits est précédée de la mention selon laquelle le souscripteur choisit ses supports d'investissements en connaissance de cause et reconnaît, en cas d'instruction sur un produit différent de son profil, avoir eu connaissance des risques associés et assumer les éventuelles pertes futures et avoir reçu les prospectus de l'AMF de chaque OPCVM. Il retient encore que M. et Mme [E], par le choix d'une gestion directe avec recherche de revenus dans le cadre d'une gestion dynamique à fort risque, ont accepté les aléas inhérents aux placements boursiers, leur qualité d'investisseurs non professionnels n'étant pas suffisante à elle seule pour caractériser un quelconque manquement de la part de Mme [B].
7. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si Mme [B] justifiait avoir exécuté son obligation de conseil adapté à la situation personnelle de M. et Mme [E], la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Et sur le moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
8. M. et Mme [E] font le même grief à l'arrêt, alors « que c'est à celui qui est tenu d'une obligation de conseil de rapporter la preuve de l'exécution de cette obligation ; qu'en retenant que ''les appelants ne démontrent pas l'existence d'une faute de Mme [B] constituée par des manquements à son obligation de conseil'', que ''pour caractériser les manquements de la part de Mme [B], il convenait que les époux [E] versent aux débats les éléments relatifs à leur patrimoine global et son évolution pouvant justifier des conseils de gestion différents de ceux qui ont pu influencer leur choix avec une analyse précise de l'évolution de leur situation sur toute la période d'exécution de la mission de Mme [B]'', et que ''les époux [E] ne caractérisent pas la faute de Mme [B] ne justifient pas de la responsabilité encourue au titre d'un manquement à son obligation de moyen'' quand il appartenait au contraire à Mme [B], débitrice de l'obligation de conseil, d'établir avoir exécuté son obligation, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et a ainsi violé l'article 1315 devenu 1353 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1315, devenu 1353, du code civil :
9. Aux termes de ce texte, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
10. Pour rejeter la demande d'indemnisation de M. et Mme [E], l'arrêt retient qu'ils ne démontrent pas l'existence d'une faute de Mme [B] constituée par des manquements à son obligation de conseil et énonce qu'il leur appartenait de verser aux débats les éléments relatifs à leur patrimoine global et à son évolution pouvant justifier des conseils de gestion différents de ceux qui ont pu influencer leur choix, avec une analyse précise de l'évolution de leur situation sur toute la période d'exécution de la mission de Mme [B].
11. En statuant ainsi, alors qu'il incombe à celui qui est tenu d'une obligation de conseil de rapporter la preuve de son exécution, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen.