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Décisions

Cass. com., 25 mai 2022, n° 19-24.470

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mollard

Rapporteur :

Mme Lefeuvre

Avocats :

SARL Cabinet Briard, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol

Reims, du 2 avr. 2019

2 avril 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 2 avril 2019), l'Urssaf de Champagne-Ardennes (l'Urssaf) a notifié à la société FSE sécurité Grand Est (la société FSE sécurité) plusieurs mises en demeure en raison d'impayés de cotisations sociales à compter du mois de décembre 2016. Le 2 août 2017, l'Urssaf l'a informée de sa décision de reprendre les poursuites, compte tenu du non-respect de l'échéancier qu'elle lui avait accordé. Le 3 septembre 2017, la commission des chefs des services financiers a notifié à la société FSE sécurité sa décision de ne pas donner une suite favorable à sa demande de plan de règlement des dettes fiscales et sociales.

2. Le 9 octobre 2017, les actions de la société FSE sécurité ont été cédées à la société So Far Away Holding UG (la société So Far Away), de droit allemand, qui en est devenue l'associé unique. Il a été procédé le même jour à la dissolution sans liquidation de la société FSE sécurité, cette décision étant publiée dans un journal d'annonces légales le 13 novembre 2017. Le 6 décembre 2017, la société FSE sécurité a cédé son fonds de commerce à la société FSE, alors en cours d'immatriculation. Le 11 janvier 2018, la radiation de la société FSE sécurité a été publiée au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales.

3. Se prévalant d'une créance contre la société FSE sécurité, l'Urssaf l'a assignée en ouverture d'une procédure de redressement et subsidiairement de liquidation judiciaires. Invoquant la perte de la personnalité morale de la société FSE sécurité, la société So Far Away a soulevé la nullité de la procédure.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident éventuel, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

5. La société So Far Away fait grief à l'arrêt de dire que la demande de l'Urssaf était recevable, de constater l'état de cessation des paiements de la société FSE sécurité et d'ouvrir une procédure de liquidation judiciaire sans poursuite d'activité à l'égard de cette société alors « que le principe selon lequel la fraude corrompt tout étant d'application subsidiaire, un créancier ne peut s'en prévaloir dès lors qu'il a négligé de mettre en oeuvre en temps utile le mécanisme de protection spécifiquement prévu par la loi pour la préservation des droits qu'il argue tardivement de fraude ; qu'après avoir énoncé que le principe suivant lequel la fraude corrompt tout est normalement d'application subsidiaire, l'arrêt retient néanmoins, pour ouvrir une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société FSE sécurité grand est SASU, que l'opération de dissolution sans liquidation avec transmission universelle du patrimoine de cette société est un montage juridique conçu pour priver d'efficacité la faculté d'opposition ouverte aux créanciers, afin la faire échapper aux dispositions impératives régissant les procédures collectives, de sorte que ladite dissolution, décidée dans un but frauduleux, n'est pas opposable à l'Urssaf, ce qui permet de soumettre la société FSE sécurité grand est SASU, censée avoir conservé sa personnalité juridique, au droit des procédures collectives ; qu'en statuant ainsi, quand l'Urssaf ne pouvait se prévaloir d'une quelconque fraude après avoir négligé d'user de la faculté d'opposition qu'elle tenait spécialement de la loi pour la sauvegarde de ses droits, la cour d'appel a violé le principe selon lequel la fraude corrompt tout. »

Réponse de la Cour

Vu le principe suivant lequel la fraude corrompt tout :

6. Un créancier ne peut se prévaloir de ce principe pour remettre en cause la dissolution sans liquidation d'une société que si la société bénéficiaire de la transmission universelle du patrimoine de la société dissoute a mis en oeuvre un processus lui ayant permis de priver d'efficacité la faculté d'opposition ouverte par l'article 1844-5, alinéa 3, du code civil.

7. Pour dire que la dissolution de la société FSE sécurité n'était pas opposable à l'Urssaf et ouvrir à son égard une procédure de liquidation judiciaire sans poursuite d'activité, l'arrêt constate que la dissolution de la société FSE sécurité a été publiée dans un journal d'annonces légales mais retient qu'une telle formalité apparaît en pratique illusoire, dès lors qu'elle implique une surveillance quotidienne de publications multiples. Il ajoute que, même si le texte ne l'impose pas, il aurait pu se concevoir, dans un souci de loyauté vis-à-vis de son créancier, que, se sachant poursuivie pour le paiement de sommes très conséquentes, la société FSE sécurité avise personnellement l'Urssaf de la dissolution.

8. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que la société So Far Away avait mis en oeuvre un processus lui ayant permis de priver d'efficacité la faculté d'opposition ouverte à l'Urssaf par l'article 1844-5, alinéa 3, du code civil, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable l'appel interjeté par la société So Far Away Holding UG, l'arrêt rendu le 2 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz.