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Décisions

Cass. com., 21 avril 2022, n° 20-21.753

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mollard

Rapporteur :

Mme de Cabarrus

Avocat général :

M. Douvreleur

Avocats :

SCP Boutet et Hourdeaux, SCP Ohl et Vexliard

Paris, du 17 sept. 2020

17 septembre 2020

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 septembre 2020), les actions de la société anonyme Montaigne Fashion Group (la société MFG), dont la société à responsabilité limitée Jekiti Mar Capital était le principal actionnaire, étaient négociées sur le compartiment C d'Euronext Paris. M. [J] était le président-directeur général de cette société et le gérant de la société Jekiti Mar Capital.

2. Le 1er juillet 2015, la société MFG a été mise en liquidation judiciaire, la date de cessation des paiements étant fixée au 13 octobre 2014.

3. Par décision n° 4 du 17 avril 2019, la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (l'AMF) a retenu que la société MFG n'avait pas communiqué dès que possible une information devenue privilégiée le 14 octobre 2014, en violation des dispositions de l'article 223-2 du règlement général de l'AMF (le RGAMF), et qu'elle n'avait pas communiqué une information exacte, précise et sincère à l'occasion de la publication des communiqués de presse des 29 décembre 2014 et 20 février 2015, en méconnaissance des articles 223-1 et 632-1 du RGAMF ainsi que de l'article 12, paragraphe 1, sous c), du règlement (UE) n° 596/2014 du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission (le règlement MAR). Elle a également retenu que la société Jekiti Mar Capital avait utilisé, lors de ses cessions de titres MFG les 24 et 25 février 2015, des informations privilégiées, en méconnaissance des articles 622-1 et 622-2 du RGAMF, et qu'elle n'avait pas déclaré ces cessions à l'AMF, en méconnaissance des articles L. 621-18-2 et R. 621-43-1 du code monétaire et financier ainsi que de l'article 223-22 du RGAMF. Elle a enfin retenu que M. [J] avait commis les deux manquements reprochés à la société MFG et celui tenant au défaut de déclaration des cessions de titres MFG reproché à la société Jekiti Mar Capital, manquements lui étant imputés en sa qualité de dirigeant de ces sociétés, par application de l'article 221-1 du RGAMF, et qu'il avait utilisé, pour le compte de la société Jekiti Mar Capital, les informations privilégiées dont l'usage a été reproché à cette dernière lors des cessions de titres MFG des 24 et 25 février 2015, en méconnaissance des articles 622-1 et 622-2 du RGAMF. La commission des sanctions a en conséquence infligé une sanction d'un montant de 90 000 euros à la société MFG, de 75 000 euros à la société Jekiti Mar Capital et de 250 000 euros à M. [J].

Examen des moyens

Sur le premier moyen, le deuxième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches et le quatrième moyen, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. M. [J] et les sociétés Jekiti Mar Capital, MFG et EMJ, cette dernière en sa qualité de liquidateur de la société MFG, font grief à l'arrêt de rejeter les moyens d'annulation et de réformation formés par la société MFG et M. [J] contre la décision de la commission des sanctions n° 4 du 17 avril 2019, alors « que l'exigence d'un procès équitable et le respect des droits de la défense impliquent que le mis en cause soit exactement informé de la qualification des faits qui fondent la poursuite ; que la notification des griefs était fondée sur les articles 223-1 et du RGAMF, dont la cour d'appel et la commission des sanctions constatent qu'elles étaient inapplicables, les dispositions du règlement MAR étant rétroactivement applicables et distinctes de celles du RGAMF, ce qui impliquait la délivrance d'une nouvelle notification de griefs sous la seule qualification des dispositions du règlement MAR, de sorte qu'en décidant le contraire à l'aide de considérations inopérantes, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1er de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

6. Après avoir énoncé que l'article 12, paragraphe 1, sous c), du règlement MAR, entré en vigueur le 3 juillet 2016, soit postérieurement aux faits, dispose qu' « aux fins du présent règlement, la notion de "manipulation de marché" couvre les activités suivantes : / [...] / c) diffuser des informations, que ce soit par l'intermédiaire des médias, dont l'internet, ou par tout autre moyen, qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses en ce qui concerne l'offre, la demande ou le cours d'un instrument financier [...], ou fixent ou sont susceptibles de fixer à un niveau anormal ou artificiel le cours d'un ou de plusieurs instruments financiers [...], alors que la personne ayant procédé à une telle diffusion savait ou aurait dû savoir que ces informations étaient fausses ou trompeuses », l'arrêt retient que ce texte est plus restrictif que les articles 223-1 et 632-1 du RGAMF, en vigueur au moment des faits, puisque la diffusion d'informations seulement imprécises ou inexactes ne peut plus caractériser le manquement, lequel ne sera constitué qu'en cas d'indications fausses ou trompeuses en ce qui concerne l'offre, la demande ou le cours d'un instrument financier, ou lorsque ces indications fixent ou sont susceptibles de fixer à un niveau anormal ou artificiel le cours d'un ou plusieurs instruments financiers. Il en déduit qu'il doit en être fait application de façon rétroactive. Il ajoute qu'en l'espèce, la notification des griefs portait sur un manquement de diffusion d'informations tant inexactes que trompeuses, de sorte que le visa des anciennes dispositions du RGAMF aux lieu et place de celles, plus douces, du règlement MAR n'a pas pu porter atteinte aux droits de la défense de la société MFG et de M. [J], et ce d'autant que ces derniers ont pu faire valoir leurs arguments sur les critères constitutifs du manquement tirés des dispositions du règlement MAR dans leur réponse au rapport du rapporteur, qui recommandait à la commission des sanctions de l'AMF d'appliquer rétroactivement les dispositions plus restrictives du règlement MAR.

7. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, c'est sans méconnaître les exigences du procès équitable ni les droits de la défense que la cour d'appel a retenu qu'une nouvelle notification de griefs sous la seule qualification des dispositions du règlement MAR n'était pas nécessaire.

8. Par conséquent, le moyen n'est pas fondé.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

9. M. [J] et les sociétés Jekiti Mar Capital, MFG et EMJ, cette dernière ès qualités, font grief à l'arrêt de rejeter les moyens d'annulation et de réformation formés par M. [J] contre la décision de la commission des sanctions n° 4 du 17 avril 2019, alors « que par l'effet de la rétroactivité in mitius, l'entrée en vigueur du règlement MAR a rendu inapplicables les articles 223-1 et 632-1 du RGAMF en vigueur à la date des faits reprochés à M. [J] (s'agissant de la qualité de l'information résultant du communiqué de presse du 29 décembre 2014) ; que, selon l'article 12, paragraphe 4, du règlement MAR, "lorsque la personne visée dans le présent article est une personne morale, le présent article s'applique également, conformément au droit national, aux personnes physiques qui prennent la décision de mener des activités pour le compte de la personne morale concernée" ; que l'article 221-1 du RGAMF en vigueur dispose que les dispositions du titre II du livre II du RGAMF sont également applicables aux dirigeants de l'émetteur et qu'au nombre de celles-ci ne figure pas l'article 12, paragraphe 1, sous c), du règlement MAR, de sorte que la responsabilité personnelle de M. [J] ne pouvait être recherchée ni sur ce fondement, ni sur celui des articles 223-1 et 632-1 du RGAMF, inapplicables, et qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé lesdits textes. »

Réponse de la Cour

10. Selon l'article 12, paragraphe 4, du règlement MAR, relatif aux manipulations de marché, « [l]orsque la personne visée dans le présent article est une personne morale, le présent article s'applique également, conformément au droit national, aux personnes physiques qui prennent part à la décision de mener des activités pour le compte de la personne morale concernée. » Dès lors, les dispositions de l'article 12 de ce règlement ne sont pas moins sévères, en ce qu'elles sont relatives au régime d'imputabilité aux dirigeants du manquement en cause, que celles des articles 221-1, 2°, et 632-1 du RGAMF, dans leurs versions applicables à l'époque des faits litigieux.

11. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.

Sur le cinquième moyen

Enoncé du moyen

12. M. [J] et les sociétés Jekiti Mar Capital, MFG et EMJ, cette dernière ès qualités, font grief à l'arrêt de rejeter les moyens d'annulation et de réformation formés par la société Jekiti Mar Capital contre la décision de la commission des sanctions n° 4 du 17 avril 2019, alors « que les personnes mentionnées au c de l'article L. 621-18-2 [du code monétaire et financier], qui ont des liens personnels étroits avec l'une des personnes mentionnées aux a ou b du même article, sont, [aux termes de l'article R. 621-43-1, 4°, du code monétaire et financier,] "toute personne morale ou entité, autre que la personne mentionnée au premier alinéa de l'article L. 621-18-2, constituée sur le fondement du droit français ou d'un droit étranger, et : / a) dont la direction, l'administration ou la gestion est assurée par l'une des personnes mentionnées aux a et b de l'article L. 621-18-2 ou par l'une des personnes mentionnées aux 1°, 2° ou 3° et agissant dans l'intérêt de l'une de ces personnes" ; qu'en décidant que la condition tenant à ce que les personnes autres que la personne mentionnée au premier alinéa de l'article L. 621-18-2 du code monétaire et financier "agissent dans l'intérêt de l'une de ces personnes" visait uniquement les personnes morales mentionnées au 1°, 2° ou 3° quand cette condition concernait également les personnes mentionnées au a et b de l'article L. 621-18-2 du code monétaire et financier, la cour d'appel a violé l'article R. 621-43-1 du code monétaire et financier. »

Réponse de la Cour

13. Aux termes de l'article R. 621-43-1, 4°, a, du code monétaire et financier, font partie des personnes ayant des liens personnels étroits avec les personnes mentionnées aux a et b de l'article L. 621-18-2 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012, d'une part, « [t]oute personne morale ou entité, autre que la personne mentionnée au premier alinéa de l'article L. 621-18-2, constituée sur le fondement du droit français ou d'un droit étranger, et [... d]ont la direction, l'administration ou la gestion est assurée par l'une des personnes mentionnées aux a et b de l'article L. 621-18-2 », d'autre part « [t]oute personne morale ou entité, autre que la personne mentionnée au premier alinéa de l'article L. 621-18-2, constituée sur le fondement du droit français ou d'un droit étranger, et [... d]ont la direction, l'administration ou la gestion est assurée par l'une des personnes mentionnées aux 1°, 2° ou 3° et agissant dans l'intérêt de l'une de ces personnes. »

14. Le moyen, qui repose sur une interprétation erronée de cet article, n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.