CA Aix-en-Provence, ch. 3 sect. 1, 15 décembre 2022, n° 19/12821
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Depil Tech (SAS)
Défendeur :
Taddei (SCP)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Calloch
Conseillers :
Mme Berquet, Mme Combrie
Avocats :
Me Marchio, Me Prandi, Me Magnan
FAITS ET PROCÉDURE
Suivant acte en date du 7 novembre 2017, madame [C] a signé avec la société DEPIL TECH un contrat de franchise afin de pouvoir exploiter un centre de dépilation à la lumière pulsée et de photo-rajeunissement dans la ville de [Localité 5]. Elle a versé une somme de 26 400 € TTC au titre du droit d'entrée.
Par courrier en date du 22 décembre 2017, madame [C] a mis en demeure la société DEPIL TECH de lui rembourser les sommes versées au titre du droit d'entrée et lui a notifié sa volonté de résilier le contrat, n'ayant pu trouver de financement pour le projet.
Cette mise en demeure restant infructueuse, madame [C] a fait assigner la société DEPIL TECH devant le tribunal de commerce de NICE en nullité du contrat et restitution des sommes versées par acte en date du 22 décembre 2017. Elle a appelé à la cause la SCP
TADDEI [L] et SELARL BG ET ASSOCIES en qualité de mandataire et d'administrateur judiciaire par actes des 12 et 13 novembre 2018, la société DEPIL TECH ayant été placée sous sauvegarde par jugement du tribunal de commerce de NICE le 24 mai 2018.
Suivant jugement en date du 29 avril 2019, le tribunal a débouté la société DEPIL TECH de ses demandes de question préjudicielle et de sursis à statuer, a débouté madame [C] de l'ensemble de ses demandes et dit que la somme de 26 400 € n'était pas récupérable par madame [C], celle-ci devant verser une somme de 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Madame [C] a interjeté appel de cette décision par déclaration enregistrée au greffe le 2 août 2019.
Par ordonnance en date du 10 octobre 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction et a renvoyé l'examen de l'affaire à l'audience du 10 novembre 2022.
A l'appui de son appel, suivant conclusions déposées par voie électronique le 03 avril 2020, madame [C] soulève la nullité du contrat de franchise en raison de l'illécéité de son objet. Elle invoque à ce titre différentes jurisprudences, notamment du Conseil d'Etat, et des débats parlementaires. Elle affirme que du fait de cette nullité, le droit d'entrée par elle versée devrait lui être restitué. Elle rappelle que le centre n'a jamais été exploité et se réfère aux motivations des premiers juges pour affirmer que les demandes reconventionnelles de la société DEPIL TECH ne peuvent prospérer. Elle conclut en conséquence à l'infirmation de la décision l'ayant déboutée de sa demande en restitution de la somme de 26 400 € et sollicite la fixation en outre d'une somme de 10 000 € au titre de dommages-intérêts au passif de cette société, outre 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions déposées par voie électronique le 30 septembre 2022, la société DEPIL TECH, la société civile professionnelle TADDEI [L] en qualité de mandataire judiciaire et la SELARL BG ET ASSOCIES concluent à la confirmation ayant débouté madame [C] de la décision en soutenant que l'activité d'épilation à la lumière pulsée par personnes n'ayant pas la qualité de médecin est parfaitement licite et ils se réfèrent pour cela à un arrêt en date du 8 novembre 2019 du Conseil d'Etat, à la jurisprudence de la présente cour et à deux arrêts qualifiés d'arrêts de principe de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 19 mai 2021. Ils concluent en conséquence à l'infirmation de la décision les ayant débouté de leurs demandes reconventionnelles, sollicitant la condamnation de madame [C] à verser une somme de 8 625 € correspondant à six mois de redevances en réparation du préjudice lié à l'immobilisation de la zone pendant cette période, et ce conformément aux stipulations contractuelles. Ils sollicitent en outre l'octroi d'une somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Madame [C] invoque l'illicéité de l'objet de la cause des contrats de franchise en excipant des dispositions de l'article 5 2° de l'arrêté du 6 janvier 1962 et de différentes décisions judiciaires pour affirmer que la technique de l'épilation par lumière pulsée doit être considérée comme un acte médical ; force est de constater que par arrêt en date du 8 novembre 2019, le Conseil d'Etat a annulé la décision du ministre des solidarités et de la santé refusant d'abroger les dispositions de l'article 5 2° de l'arrête du 6 janvier 1962, se référant pour cela à la liberté d'établissement et à la libre prestation de services garantis par le droit de l'Union Européenne ; au vu de cette décision, et en l'absence de tout texte réglementaire régissant actuellement la matière, il convient de constater que l'activité d'épilation par lumière pulsée ne peut être en l'état considérée comme illicite ; la jurisprudence contradictoire constatée concernant la licéité de l'activité proposée par le franchiseur à des personnelles non titulaires d'un doctorat de médecine a été unifiée par la première chambre civile de Cour de cassation dans un arrêt du 19 mai 2021 versé aux débats ; cet arrêt indique expressément que la pratique par un professionnel non médecin d'épilation à la lumière pulsée n'est plus illicite et que, si elle peut être soumise à des restrictions pour des motifs d'intérêt général, elle ne justifie pas l'annulation des contrats que ce professionnel a pu conclure aux seuls motifs qu'ils concernent une telle pratique ; il ajoute que cette évolution de jurisprudence s'applique immédiatement aux contrats en cours, en l'absence de droit acquis à une jurisprudence figée et de privation d'un droit d'accès au juge ; il découle de cette dernière précision que le caractère licite du contrat doit être apprécié au moment de la signature du contrat, mais au vu des principes dégagés au jour où statue la juridiction, et ce que ce soit pour les contrats en cours d'exécution, ou pour ceux résiliés par l'une ou l'autre des parties ; en conséquence, au cas d'espèce, le contrat de franchise signé par madame [C] ne peut être jugé nul pour défaut d'objet licite.
Les documents d'Informations Précontractuelles versés aux débats indiquent de manière claire les aléas juridiques liés à la pratique de l'épilation par lumière pulsée, et leur analyse selon laquelle cette pratique doit être considérée comme licite même sans recours à un docteur en médecine ; ces documents ne peuvent être qualifiés de trompeurs au vu des éléments rappelés au paragraphe précédent ; madame [C] ne peut en conséquence
soutenir avoir été induite en erreur sur la licéité de l'activité, observation étant faite que les documents pré-contractuels n'éludaient pas l'incertitude juridique régnant alors sur la question ; il ne peut en conséquence être fait droit à la demande en nullité de la convention
pour dol ou plus subsidiairement pour erreur, et le jugement déféré sera en conséquence infirmé ; la société DEPIL TECH apparaît dès lors fondée en application de la clause de dédit stipulée à ce contrat à conserver la somme totale de 26 400 € TTC perçue au titre de droit d'entrée, le contrat ayant été résilié unilatéralement par madame [C] ; le jugement sera en conséquence confirmé sur ce point.
La société DEPIL TECH ne justifie pas qu'un autre candidat ait sollicité l'octroi de la zone réservée par madame [C] pendant la durée de six mois entre la signature du contrat et la résiliation ; elle ne justifie pas non plus avoir effectivement porté assistance à madame [C] durant cette période ; enfin, il est constant que le centre n'a jamais été exploité ; il apparaît dès lors que la société DEPIL TECH ne justifie pas avoir subi un préjudice excédant la somme de 26 400 € par elle conservée au titre de la clause de dédit ; c'est à bon droit que les premiers juges l'ont en conséquence déboutée de ses demandes reconventionnelles.
Les circonstances de l'espèce imposent en équité de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de madame [C].
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
- CONFIRME le jugement du tribunal de commerce de NICE en date du 29 avril 2019 dans l'intégralité de ses dispositions,
Y ajoutant,
- DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes.
- DÉBOUTE les parties de leurs demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile.
- MET l'intégralité des dépens à la charge de madame [C].