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Décisions

Cass. com., 14 juin 2016, n° 14-24.843

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Avocats :

Me Le Prado, SCP Boulloche, SCP Gaschignard, SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Hémery et Thomas-Raquin

Versailles, du 26 juin 2014

26 juin 2014

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, de 1995 à 2000, la société Ets. A. Arnaud, devenue ensuite le Groupe Arnaud (la société Arnaud), aux droits de laquelle vient la société Azelis France (la société Azelis), a conclu avec la société Trader's des contrats de location de matériels informatiques fournis par la société IBM France ; que les matériels et les contrats ont été cédés aux sociétés Bail expansion devenue société Lease expansion, ING Lease et UFB Locabail devenue BNP Paribas Lease group (la société BNP Lease) ; que la société Arnaud a déposé plainte avec constitution de partie civile pour escroquerie et vol et a assigné les sociétés Trader's, IBM France, Lease expansion, ING Lease et BNP Lease en annulation des contrats ; que la société Crédit industriel et commercial (la société CIC), ayant réglé une certaine somme à la société ING Lease depuis un compte détenu par la société Arnaud malgré une interdiction que lui avait faite cette dernière, a par la suite restitué cette somme à la société Arnaud et a assigné la société ING Lease pour en obtenir le remboursement ; que les deux procédures civiles ont été jointes ; que par un arrêt du 16 novembre 2010, devenu irrévocable, la société Trader's, M. Z..., président de la société Trader's, et M. A..., salarié de la société IBM, ont été relaxés des chefs d'escroquerie, les deux derniers étant déclarés coupables de corruption et condamnés de ce chef ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal :

Attendu que la société Lease expansion fait grief à l'arrêt d'annuler les contrats n° 99/08.11A et 00/01.08A passés entre la société Azelis France et la société Trader's, ainsi que les conventions de cession de ces contrats passées entre la société Trader's et la société Lease expansion et de la condamner à restituer à la société Azelis France une certaine somme au titre des loyers payés alors, selon le moyen :

1°/ que l'autorité de la chose jugée au pénal s'impose au juge civil ; que dans son arrêt du 16 novembre 2010, la cour d'appel de Paris avait énoncé que « le contrat de « location financière » qui était proposé par Trader's au Groupe Arnaud ne constitue pas en soi un montage frauduleux et correspondait à un choix de gestion fait par la société Groupe Arnaud ; que M. B..., directeur général du Groupe Arnaud, a confirmé que le président demandait que les budgets informatiques ne varient pas d'une année sur l'autre et avait souhaité des locations à long terme pour des raisons de trésorerie […] ; que la preuve n'est pas non plus rapportée que Bernard C... et la société Trader's auraient, par des manoeuvres frauduleuses, contraint le Groupe Arnaud à conclure de nouveaux contrats alors que les anciens n'étaient pas arrivés à leur terme, cette succession de contrats […] permettait au Groupe Arnaud de disposer de matériels récents, même si, ainsi qu'il l'admet, il peut être reproché à Bernard C... d'avoir manqué de vigilance et de contrôle en ce qui concerne les coûts des contrats signés par le Groupe Arnaud (…) ; qu'en l'état de ces constatations, la preuve que le consentement du groupe Arnaud à conclure les vingt-quatre contrats en cause, aurait été vicié par des manoeuvres frauduleuses, n'est pas rapportée » ; qu'en affirmant, en dépit de ces motifs dont il résultait que le consentement de la société Groupe Arnaud à souscrire les contrats litigieux n'avait pas été vicié, qu'il était « certain que si la société Arnaud devenue Azelis avait eu connaissance des conventions existant entre la société Trader's et les établissements financiers et des commissions occultes versées au préposé de la société IBM, elle n'aurait à l'évidence pas contracté », la cour d'appel a porté atteinte au principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le juge civil et a ainsi violé les articles 1351 du code civil et 4 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en retenant tout à la fois les énonciations de l'arrêt précité de la cour d'appel de Paris selon lesquelles « le contrat de location qui était proposé par la société Trader's […] correspondait à un choix de gestion fait par la société Azélis dont le président demandait que les budgets informatiques ne varient pas d'une année sur l'autre et avait souhaité des locations à long terme pour des raisons de trésorerie […] et que la succession de contrats […] permettait à la société Azélis de disposer de matériels récents », tout en affirmant qu' « il est certain que si la société Arnaud devenue Azélis avait eu connaissance des conventions existant entre la société Trader's et les établissements financiers et des commissions occultes versées au préposé de la société IBM, elle n'aurait à l'évidence pas contracté », la cour a entaché son arrêt de motifs contradictoires et violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que dans ses conclusions d'appel, la société Lease expansion a soutenu que la procédure pénale et le rapport d'expertise avaient permis d'établir que M. C..., directeur financier de la société Groupe Arnaud, avait eu « a minima connaissance du pacte corruptif et des modalités de rachat des matériels et que cette dernière était responsable des agissements de son préposé » ; qu'en retenant la réticence dolosive de la société Trader's à l'égard de la société Azélis sans répondre à ce moyen pertinent des écritures de la société Lease expansion, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant énoncé que les éléments constitutifs du délit d'escroquerie sont des actes positifs tandis que les éléments constitutifs du dol civil comprennent la réticence dolosive, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, en a exactement déduit, sans se contredire, que rien n'interdit au juge civil de rechercher si le dol est constitué par une réticence dolosive même lorsque le cocontractant a été relaxé du chef d'escroquerie ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen de ce pourvoi :

Attendu que la société Lease expansion fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à être garantie par la société Trader's pour toutes les condamnations qui seraient prononcées à son encontre alors, selon le moyen :

1°/ que le cessionnaire de bonne foi d'un contrat de location, tenu de restituer l'intégralité des loyers perçus en raison de la réticence dolosive du cédant lors la conclusion du contrat cédé, peut appeler en garantie ce dernier pour l'intégralité des condamnations à restitution prononcées à son encontre ; qu'en affirmant le contraire, au motif erroné que le cessionnaire ne pourrait obtenir que des dommages-intérêts destinés à réparer son préjudice personnel, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

2°/ que le juge a le pouvoir de requalifier une demande de garantie en demande de dommages-intérêts ; que la cour d'appel, qui a constaté que « si la société Trader's n'avait pas commis un dol, les contrats de location n'auraient pas été annulés et la société Lease expansion n'aurait pas été tenue de restituer les loyers », mais qui a néanmoins refusé d'accueillir la demande de cette dernière à l'encontre de la société Trader's au motif qu'elle avait formulé une demande de garantie et non d'indemnisation, quand elle pouvait requalifier la demande, a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et a violé par refus d'application l'article 12 du code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt retient que les condamnations qui sont prononcées contre la société Lease expansion sont, par suite de l'annulation des contrats concernés, des condamnations à restituer les loyers qu'elle a indûment perçus ; que la cour d'appel, qui n'était saisie de la part de la société Lease expansion que d'une demande de garantie de cette obligation de restitution des loyers, qui ne constitue pas en elle-même un préjudice indemnisable, et non d'une demande de dommages-intérêts, a décidé à bon droit et sans méconnaître l'étendue de ses pouvoirs que la société Trader's ne pouvait être tenue de garantir la société Lease expansion de sa condamnation à restituer les loyers ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le premier moyen de ce pourvoi :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi incident :

Vu l'article 4 du code de procédure civile ;

Attendu que pour rejeter les demandes du CIC, l'arrêt retient que la cour d'appel n'était saisie d'aucunes conclusions de sa part ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résulte de l'avis de réception de dépôt et de notification de conclusions en date du 12 novembre 2013 que la société CIC avait déposé des conclusions au greffe, la cour d'appel, qui les a dénaturées par omission, a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi principal ;

Et sur le pourvoi incident :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de la société Crédit industriel et commercial, l'arrêt rendu le 26 juin 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée.