Cass. com., 23 juin 2004, n° 01-00.400
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Lysac, M. Yves X... et Mme X... (les cédants) ont cédé aux sociétés ACMB et BSC finance, à M. Bernard X... et à Mme Y... (les cessionnaires) la quasi totalité des actions composant le capital de la société Abris Jaeckle X... (la société AJL) ; que les cédants ayant demandé que les cessionnaires soient condamnés à leur payer le solde du prix des actions, ces derniers ont demandé l'annulation de la cession sur le fondement du dol ; que le tribunal a accueilli cette dernière demande, condamné les cédants à restituer la fraction du prix qu'ils avaient perçue et ordonné l'exécution provisoire du jugement ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses trois branches :
Attendu que les cessionnaires font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande d'annulation de la cession et de les avoir condamnés à payer le solde du prix des actions ainsi qu'à restituer les sommes qui leur avaient été versées en exécution du jugement rendu en première instance alors, selon le moyen :
1 / que les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée ; qu'elles comprennent en outre l'indication des pièces invoquées ; qu'à cet effet, un bordereau récapitulatif leur est annexé ; que les dernières conclusions récapitulatives d'appel de la société Lysac, de M. Yves X... et de Mme Simone X..., signifiées le 15 octobre 1999, ne comportent, par hypothèse, aucun moyen tiré de la teneur de la sommation interpellative qui a été délivrée à la société Cegelec le 26 octobre suivant, dont il n'est pas davantage fait état dans le bordereau récapitulatif des pièces invoquées qui leur est annexé ; qu'en se déterminant de la sorte, la cour d'appel a violé l'article 954 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / qu'après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office ; qu'en se déterminant en considération de la sommation interpellative qui a été délivrée à la société Cegelec le 26 octobre 1999 sans indiquer si le moyen qui en était tiré avait été soutenu, et la pièce produite, antérieurement à l'ordonnance de clôture, rendue le 28 octobre suivant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 783 du nouveau Code de procédure civile ;
3 / que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en se déterminant en considération de la sommation interpellative qui a été délivrée à la société Cegelec le 26 octobre 1999, quoique cette pièce n'ait pas été soumise au débat contradictoire des parties, la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que, pour écarter le moyen pris de la circonstance que la créance de la société AJL sur la société Cegelec n'avait pu être recouvrée que pour partie, la cour d'appel retient que cette créance concerne des factures du mois d'août 1994 dont la contestation chiffrée n'a été faite que le 17 mai 1995 par la société Cegelec et qu'il n'est donc pas démontré que le 7 juin 1995 il n'était pas justifié de faire figurer cette créance pour le montant indiqué ; qu'ainsi l'arrêt se trouve justifié, abstraction faite du motif critiqué par le moyen ; que celui-ci ne peut donc être accueilli ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en ses quatre branches :
Attendu que les cessionnaires font encore le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :
1 / que la victime de manoeuvres dolosives ne peut se voir reprocher son absence de diligences, s'agirait-il d'un professionnel rompu à la vie des affaires, serait-elle conseillée par un juriste ou un avocat ;
qu'en retenant, à l'appui de sa décision, qu'il incombait à M. Bernard X..., professionnel avisé, qui avait été conseillé par un juriste, de procéder aux vérifications qui s'imposaient et de prendre toutes précautions utiles, et que, s'en étant abstenu, les cédants ne pouvaient prétendre que la situation exacte de la société dont ils avaient acquis les titres leur aurait été cachée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du Code civil ;
2 / que le cessionnaire d'actions ou de parts sociales victime d'un dol est fondé à obtenir la nullité de la cession, que celle-ci ait ou non été assortie d'une clause de garantie ; qu'en retenant, à l'appui de sa décision, que les cessionnaires ne pouvaient pas prétendre qu'ils n'auraient pas contracté s'ils avaient eu connaissance du passif et de l'actif réels de la société AJL puisque M. Bernard X..., pourtant professionnel avisé, conseillé par un juriste, n'avait pas fait insérer de clauses de garantie de passif et de recouvrement de créances clients ni fait mentionner l'état des procès en cours dans les contrats de cession, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du Code civil ;
3 / qu'en retenant, à l'appui de sa décision, qu'il incombait à M. Bernard X..., professionnel avisé, qui avait été conseillé par un juriste, de procéder aux vérifications qui s'imposaient et de prendre toutes précautions utiles en faisant insérer des clauses de garantie de passif et de recouvrement des créances clients et mentionner l'état des procès en cours dans les contrats de cession, sans répondre aux conclusions qui lui étaient soumises, dans lesquelles les cessionnaires faisaient valoir que le principe et les modalités de la cession avaient été arrêtés dans l'urgence, en quelques jours, ensuite du rejet du pourvoi en cassation qui avait été formé par M. Yves X... à l'encontre de l'arrêt qui l'avait condamné à une peine d'emprisonnement pour fraude fiscale, et que M. Bernard X... avait d'autant moins été incité à procéder à des vérifications approfondies et à exiger des garanties de passif et (ou) d'actif qu'il n'avait agi que par solidarité familiale, la transaction intervenant entre deux frères, dans un climat de confiance, contexte dont le tribunal avait pour sa part expressément tenu compte, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
4 / qu'en se bornant à relever, sur chaque élément d'actif ou de passif, envisagé isolément, que les cessionnaires n'établissaient pas que, s'ils l'avaient connu, il est évident qu'il n'aurait pas contracté, sans rechercher, comme elle y était invitée, s'il n'y avait pas lieu d'avoir égard, pour se prononcer sur le vice du consentement invoqué, comme l'avait fait le tribunal, au cumul des omissions et surestimations dénoncées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant retenu, au terme d'un examen détaillé des différents éléments allégués par les cessionnaires au soutien de leur demande, que ceux-ci ne démontraient pas que les cédants avaient pratiqué des manoeuvres telles qu'il était évident que sans ces manoeuvres ils n'auraient pas contracté, la cour d'appel, qui a répondu en les écartant aux conclusions prétendument délaissées, a légalement justifié sa décision, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les deux premières branches du moyen ; que celui-ci n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en ses deux branches :
Attendu que les cédants font grief à l'arrêt d'avoir condamné les cessionnaires à leur payer diverses sommes au titre de la restitution de ce qu'ils avaient versé en exécution du jugement et de la dette du solde du prix de cession alors, selon le moyen :
1 / qu'entache sa décision d'une contradiction entre ses motifs et son dispositif, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, la cour d'appel qui, après avoir condamné dans ses motifs les cessionnaires "à restituer les sommes qui leur ont été versées par les cédants en vertu de l'exécution provisoire du jugement", condamne dans son dispositif les cessionnaires à verser aux cédants le seul principal des sommes versées en vertu de l'exécution provisoire, à l'exclusion des intérêts ;
2 / que les actes de cession de parts prévoyaient que le solde du prix serait payé le 31 décembre 1996 ; qu'en condamnant les cessionnaires à payer les sommes correspondantes "à l'échéance du 31 janvier 1997", échéance qui ne figurait d'ailleurs nulle part dans les actes de cession, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis des actes de vente, et violé l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel ne s'est pas contredite en retenant, dans ses motifs, le principe de la condamnation des cessionnaires à restituer aux cédants les sommes que ceux-ci leur avaient versées au titre de l'exécution provisoire du jugement réformé et en fixant, dans son dispositif, le montant des sommes dues à ce titre ;
Et attendu, d'autre part, qu'il résulte des conclusions des cédants, auxquelles se réfère larrêt, que ceux-ci demandaient que la condamnation au paiement de la somme correspondant au solde du prix de cession soit assortie des intérêts au taux légal à compter du 31 janvier 1997 ; que les cédants ne peuvent, faute d'intérêt, faire grief à la cour d'appel d'avoir accueilli cette demande ;
D'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa première branche, est irrecevable en sa seconde branche ;
Mais sur le troisième moyen du pourvoi principal :
Vu l'article 1153 du Code civil ;
Attendu que pour condamner les cessionnaires à payer aux cédants le solde du prix des actions qui devait être versé le 31 janvier 1996 avec intérêts au taux légal à compter de cette date, l'arrêt retient que les intérêts doivent courir à compter des échéances des 31 janvier 1996 et 31 janvier 1997 pour les sommes dues en exécution des actes de cession ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que, dans les obligations qui se bornent au paiement d'une certaine somme, les intérêts au taux légal ne sont dus que du jour de la sommation de payer et non, sauf stipulation contraire, du jour de l'échéance contractuellement prévue, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a fixé au 31 janvier 1996 le point de départ des intérêts dus par les cessionnaires sur la fraction du prix dont ils devaient s'acquitter à cette date, l'arrêt rendu le 16 décembre 1999, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée.