CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 24 mai 2011, n° 10/13447
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Magic Line (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Maestracci
Conseillers :
Mme Moracchini, Mme Delbes
Avoués :
SCP Naboudet Hatet, SCP Fisselier Chiloux Boulay
Avocats :
Me Frenot, Me Borgniet
La société DISPAG, société de distribution de produits d'art graphique, a été créée par Monsieur S..
Le 6 mars 2003, celui-ci a conclu avec Monsieur A. une promesse unilatérale de vente des actions de cette société.
Le 30 avril 2003, un acte intitulé constatation de cession d’actions a été signé entre la société MAGIC LINE, substituée à Monsieur A., et Monsieur S..
Le 30 juillet 2003, les parties ont signé une convention d'ajustement du prix des actions et le prix définitif de cession a été fixé à 686.734 €.
Le 3 octobre 2003, une convention de mise en jeu de garantie d'actif et de passif a été conclue entre Monsieur S., d'une part, et la société MAGIC LINE, et Monsieur A., actionnaire de MAGIC LINE, d'autre part. Cette convention faisait suite à des conflits entre la nouvelle direction de la société DISPAG et Madame G., directrice au sein de cette société.
Le 17 octobre 2003, la société DISPAG a procédé au licenciement de cette dernière pour faute grave que celle-ci a contesté en intentant, le 23 octobre 2003, une action devant le conseil des prud'hommes pour licenciement abusif.
Monsieur S. a, quant à lui, initié une action devant le tribunal de commerce d'Evry pour obtenir l'annulation de la convention de garantie d'actif et de passif du 3 octobre 2003, dont il a été débouté par jugement du 20 janvier 2005, confirmé par la cour d'appel de Paris, le 31 mars 2006.
Le 18 juin 2004, la société DISPAG a licencié le fils de Madame G., Monsieur T., pour faute grave. En juillet 2004, celui-ci a créé une nouvelle société, LP GRAPHIC. Son licenciement a été requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse par un jugement du conseil des prud'hommes d'Evry daté du 7 mars 2006.
Par assignation du 23 juin 2005, la société MAGIC LINE a demandé au tribunal de commerce d'Evry d'annuler l'acte de cession du 30 avril 2003 pour dol.
La société DISPAG a poursuivi parallèlement une action en concurrence déloyale contre Madame G., Monsieur T. et Monsieur S., au motif que sa clientèle avait été détournée par la société LP GRAPHIC.
Par jugement du 26 septembre 2005, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidatio judiciaire de la société DISPAG.
Le 6 avril 2006, la même juridiction a procédé à la radiation des deux affaires (concurrence déloyale et assignation en annulation de l'acte du 30 avril 2003) qui avaient été jointes.
Par arrêt du 13 février 2008, infirmant un jugement du Conseil de Prud hommes du 7 mars 2006 qui avait dit que le licenciement était justifié par une faute grave, la cour d'appel de Paris a caractérisé le licenciement de Madame G. comme relevant d'une faute personnelle mais pas d'une faute grave.
La procédure visant à l'annulation de l'acte du 30 avril 2003 a été reprise à la requête de la société MAGIC LINE et, à la suite d'une requête en suspicion légitime, la cour d'appel de Paris a renvoyé l'affaire devant le tribunal de commerce de Paris.
Par le jugement déféré du 3 juin 2010, le tribunal de commerce de Paris a débouté la SARL MAGIC LINE de sa demande d'annulation de la vente des actions de la société DISPAG ainsi que de ses demandes de dommages et intérêts et de celles formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et l'a condamnée à payer à Monsieur S. la somme de 7.500 € sur ce fondement.
Par déclaration du 29 juin 2010, la société MAGIC LINE a interjeté appel de cette décision.
Par conclusions signifiées le 15 mars 2011, l'appelante demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, d'annuler la cession des actions intervenue le 30 avril 2003, de condamner Monsieur S. à restituer l'intégralité du prix de cession, soit la somme de 686.734 € avec intérêts au taux légal à compter du 30 avril 2003, et ce, au besoin, à titre de dommages et intérêts réparateurs du dol commis, de condamner celui-ci à lui payer la somme de 150.000 € à titre de dommages et intérêts ainsi que la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions signifiées le 28 mars 2011, Monsieur S. demande à la cour d'écarter la pièce adverse n°50 en ce qu'elle n'est pas loyale et constitue une atteinte à la vie privée, de confirmer le jugement entrepris, de débouter la société MAGIC LINE de l'ensemble de ses demandes et de la condamner à lui verser la somme de 15.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE
Pour débouter la société MAGIC LINE, les premiers juges ont estimé :
- que l'appelante avait connaissance, avant la cession, de la situation des associés de Monsieur S.,
- qu'elle n'apporte pas la preuve d'un complot entre Monsieur S. et ses anciens associés, ni de manoeuvres déloyales et dolosives de la part de ce dernier, antérieures à cette cession et dont les éléments de preuve se seraient manifestés postérieurement.
L'appelante fait valoir :
- que les manoeuvres dolosives sont établies par le fait que Monsieur S. a occulté les réelles relations qui existaient entre lui-même, Madame G. et Monsieur T.,
- que les difficultés de la société DISPAG ont commencé en 2004, ainsi qu'en témoignent les comptes arrêtés au 30 juin 2004 qui font état d'une perte de 118.228 €, qu'elles résultent de la captation par la société LP GRAPHIC, créée 13 mois après la cession des actions, de la quasi-totalité des clients de la société DISPAG,
- que le dol résulte encore de l'enchaînement des circonstances factuelles, que le scénario, tel qu'il a été décrit, a été prévu et fomenté par Monsieur S. bien avant la cession,
- que les difficultés ne peuvent être imputées à la gestion de Monsieur A. contre laquelle d'ailleurs aucune procédure n'a été engagée à l'occasion de la procédure de liquidation judiciaire.
Monsieur S. réplique :
- que la convention de mise en jeu des garanties d'actif et de passif, signée le 3 octobre 2003 contenait une clause transactionnelle aux termes de laquelle l'appelante renonçait à tout recours ultérieur contre lui, que la cour d'appel par un arrêt du 31 mars 2006 a jugé que la société MAGIC LINE a renoncé de son côté à tous recours contre Monsieur S., susceptibles d'être engagés sur le fondement de la garantie du passif, nés du comportement de Madame G.', que c'est en conséquence à bon droit que les premiers juges ont estimé que les actions de Madame G. ne devaient plus être à la base d'actions de MAGIC LINE';
- que l'appelante ne démontre pas l'existence d'un dol antérieur ou concomitant à la signature du contrat, que les griefs reprochés à Madame G. et Monsieur T., qui n'étaient pas partie au contrat ne peuvent entraîner la nullité pour dol ; que Monsieur A., qui a d'ailleurs réalisé un audit préalable à l'acquisition, était un homme d'affaires averti qui ne peut soutenir avoir été trompé;
- que la société DISPAG, créée en 1979 par Monsieur S., a toujours été bénéficiaire, que le premier exercice postérieur à la cession a vu le chiffre d'affaires progresser, que la liquidation de la société n'est pas liée à la baisse de son chiffre d'affaires mais à l'explosion des charges, et à la mauvaise gestion de Monsieur A. ;
- qu'aucun acte de concurrence déloyale n'est établi, que la société LP GRAPHIC a été créée en août 2004, soit 15 mois après la cession, de sorte qu'elle ne peut expliquer la perte de DISPAG au 30 juin 2004, que Monsieur S. n'a d'ailleurs aucune part dans la création et l'exploitation de cette société et que les salariés n'étaient astreints à aucune obligation de non-concurrence ;
- subsidiairement, si la nullité était prononcée, que la remise en état est impossible dès lors que la procédure de liquidation judiciaire de la société DISPAG a été clôturée pour insuffisance d'actif.
Sur la pièce n°50
Il n'y a pas lieu d'écarter des débats la pièce n°50 dès lors qu'il n'est pas contesté qu'elle a été régulièrement communiquée et qu'elle ne constitue pas une atteinte à la vie privée au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. S'agissant du rapport d'un enquêteur privé sur la situation financière de Madame G., non daté et rédigé au conditionnel, sa valeur probante est toutefois limitée.
Sur la demande principale
Aux termes de l'article 1116 du code civil, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé.
Il résulte de ces dispositions, d'une part, que les manoeuvres dolosives, doivent être antérieures ou concomitantes à l'acte dont la nullité est demandée, et d'autre part, qu'elles doivent émaner du co contractant à l'exclusion de tiers, sauf si l'erreur provoquée par le dol porte sur la substance même du contrat.
Il s'ensuit que les griefs reprochés à Madame G. ou à Monsieur T., à les supposer établis, ne peuvent fonder la demande en nullité de l'acte litigieux.
La cour observe en outre qu'aux termes de la convention de mise en jeu de garantie d'actif et de passif conclue le 3 octobre 2003, et validée par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 31 mars 2006, la société MAGIC LINE, s'est engagée, en contrepartie de l'engagement de Monsieur S. à assurer une transmission paisible de l'entreprise et à prendre en charge les conséquences du licenciement de Madame G., à renoncer définitivement et irrévocablement à titre transactionnel à tous recours ultérieurs contre le garant.
Il s'ensuit que c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que l'appelante ne pouvait pas fonder son action sur les agissements de Madame G..
L'appelante ne peut sérieusement soutenir qu'elle ne connaissait pas les liens qui unissaient Monsieur S. à Madame G. et à Monsieur T., dès lors qu'elle indique elle-même dans son assignation devant le tribunal que Monsieur S. alla même plus loin en indiquant dès la première réunion [antérieure à la vente des actions], à Monsieur A. que, le plus important pour lui, au-delà de l'encaissement du prix, était d'avoir l'assurance que l'entreprise ne serait pas restructurée et que sa compagne Madame G. dont l'investissement dans l'entreprise représentait toute sa vie ne serait pas écartée.' et que Monsieur S. avait, selon elle, la volonté de mettre sa propre famille à l'abri des besoins et de faire plaisir à sa compagne, Madame G..
Les pièces et attestations produites par l'appelante, si elles démontrent le climat qui régnait au sein de l'entreprise au moment du licenciement de Madame G., et postérieurement à celui-ci, ne permettent pas d'établir des manoeuvres dolosives antérieures ou concomitantes à l'acte litigieux.
La création de la société LP GRAPHIC ne peut s'analyser davantage comme la preuve d'une manoeuvre dolosive. S'il n'est pas contesté que Monsieur S. s'était engagé, aux termes de la promesse de vente du 6 mars 2003, à ne pas créer de commerce concurrent dans le délai de 5 ans, cette obligation ne s'imposait qu'à lui-même et l'appelante ne verse aux débats aucun élément permettant d'établir qu'il soit intervenu dans la création ou l'exploitation de la société LP GRAPHIC, dont la cour observe qu'elle a été créée plus de 15 mois après la cession.
Force est de constater au surplus, que si la création de la société LP GRAPHIC a pu jouer un rôle dans les difficultés qui ont conduit à la liquidation judiciaire de la société DISPAG, il résulte des pièces produites, et notamment des attestations établies par d'anciens clients de cette société, qu'elles trouvent également leur origine dans des dysfonctionnements imputables à la société.
Enfin la portée de manoeuvres ou de réticences dolosives doit s'apprécier en fonction de la qualité de celui qui est victime. Or, l'appelante rappelle elle-même dans ses écritures que Monsieur A., ancien directeur de banque et dirigeant de société, était un professionnel particulièrement averti.
Il s'ensuit que ni la chronologie des opérations, ni les éléments produits aux débats tels qu'ils viennent d'être rappelés, ne permettent d'établir les manoeuvres dolosives dont l'appelante prétend avoir été victime.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la société MAGIC LINE de ses demandes.
Sur la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile
Compte tenu de la solution donnée au litige, la société MAGIC LINE sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile. Il apparaît en revanche équitable de la condamner à payer à Monsieur S. la somme de 8.500 € à ce titre.
PAR CES MOTIFS,
Dit n'y avoir lieu à rejeter des débats la pièce n°50 produite par l'appelante,
Confirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions,
Condamne la société MAGIC LINE à payer à Monsieur Jean Jacques S. la somme de 8500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés en cause d'appel,
Rejette toutes autres demandes des parties,
Condamne la société MAGIC LINE aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.