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Décisions

Cass. com., 3 novembre 2004, n° 03-11.662

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tricot

Paris, 25e ch. A, du 10 janv. 2003

10 janvier 2003

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 10 janvier 2003), que les 27 novembre 1989 et 31 janvier 1990, les sociétés Viel et Compagnie Finance, Staff, Quilvest Capital France, anciennement Sapla, et la banque Sifas, devenue la société Banque privée Quilvest (les cessionnaires), ont acquis les actions de la société X... de la Y... (la société X...) appartenant à M. Le Z... et aux consorts A... (les cédants) ; que le prix de cession des actions a été fixé à la somme de 1 393,50 francs par action correspondant à une valorisation de l'entreprise de 60 millions de francs ; que la société X... a été mise en redressement judiciaire en juillet 1992 ; que s'estimant trompés sur la situation financière de la société X..., les cessionnaires ont obtenu, en référé, la nomination d'un expert et ont assigné les cédants, MM. X... et Le Z... (les dirigeants) et M. B... (le commissaire aux comptes), pour dol ; que le tribunal a rejeté leurs demandes et les a condamnés à verser à MM. B..., X... et Le Z..., à chacun, la somme de 100 000 francs ; que la cour d'appel a confirmé le jugement sauf en ce qu'il a dit nulles les opérations d'expertise ;

Sur le premier moyen :

Attendu que les cessionnaires font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leurs demandes et de les avoir condamnés à payer à MM. Le Z..., X... et B..., chacun, la somme de 100 000 francs à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :

1°) qu'ils faisaient valoir dans leurs conclusions récapitulatives signifiées le 22 octobre 2002 que la situation nette au 30 juin 1989 de la société X... de la Y... présentée par les cédants, sous l'égide des dirigeants, sur la base de laquelle avait été fixé le prix de cession des actions était totalement fausse ; que le rapport des experts retenu par la cour d'appel estimait que cette situation présentée par les cédants à 34 millions de francs était en réalité négative ; qu'en écartant néanmoins toute mise en jeu de la responsabilité des cédants et du président du directoire sans répondre à ce moyen déterminant, la cour d'appel a méconnu les dispositions de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

2°) que tout fait de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; qu'en écartant toute mise en jeu de la responsabilité des cédants des actions de la société X... de la Y... et du président du directoire de cette société tout en retenant la valorisation du montant de la situation nette de référence au 30 juin 1989 arrêté par les experts à moins 58 348 680 francs, ce qui établissait que la situation nette de 34 millions de francs garantie par les cédants et présentée aux acquéreurs lors des négociations était manifestement fausse, la cour d'appel n'a pas tiré de ses constatations les conséquences qui en découlaient en méconnaissance de l'article 1382 du Code civil ;

3°) qu'ils faisaient valoir dans leurs conclusions récapitulatives signifiées le 22 octobre 2002 l'impossibilité dans laquelle s'était trouvée la société X..., lors du dépôt de bilan, à l'occasion de la migration des comptes vers le locataire gérant, la société Altus patrimoine et gestion, de représenter à sa clientèle l'ensemble des titres et des espèces dont elle assumait la conservation ; qu'ils ajoutaient que le rapport article 61 de Me C... confirmait l'importance de ces manquants qu'il chiffre à hauteur d'une somme de 104 millions de francs, qu'en écartant toute réticence dolosive sans répondre à ce moyen déterminant, la cour d'appel a méconnu les dispositions de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que les cessionnaires qui connaissaient préalablement à l'acquisition des titres l'état de désordre de la comptabilité de la société, avaient acheté les titres malgré l'absence de certification des comptes et avaient accepté que le prix soit fixé en fonction d'une situation arrêtée par les dirigeants de la société sous condition de la souscription de convention de garantie ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions prétendument délaissées et qui a légalement justifié sa décision, a pu décider que les cessionnaires n'établissaient pas la preuve de manoeuvres ou de réticences dolosives des cédants, ou des dirigeants, voire du commissaire aux comptes de ceux-ci qui aurait déterminé leur consentement aux cessions d'actions et sans lesquelles ils n'auraient pas contracté ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que les cessionnaires font encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1°) qu'en retenant, pour écarter toute dissimulation dolosive dans le fait que les vendeurs n'avaient pas communiqué aux acquéreurs le rapport de la SBF du 13 mars 1999, que les cédants avaient pu croire que les acquéreurs avaient eux mêmes pris tous les renseignements nécessaires, la cour d'appel a statué par des motifs hypothétiques ne permettant pas de déterminer si les vendeurs avaient ou non communiqué ledit rapport, et a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

2°) qu'en validant le rapport d'expertise qui constatait que le rapport de la SBF n'avait pas été communiqué aux acquéreurs tout en s'abstenant de se prononcer sur la dissimulation ou non de ce rapport, la cour d'appel s'est contredite en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

3°) qu'en écartant toute faute des cédants pour n'avoir pas communiqué aux cessionnaires des actions de la société X... de la Y... le rapport de la SBF dès lors que le caractère délibéré de cette omission n'était pas démontré, la cour d'appel a statué par un motif inopérant en méconnaissance des dispositions de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que quand bien même le rapport de la SBF du 13 mars 1989 n'aurait pas été porté à la connaissance des sociétés cessionnaires, cette omission était sans incidence, les informations contenues dans ce rapport, qui faisait état notamment des graves lacunes dans l'organisation générale administrative et comptable de la société X..., et de la nécessité d'une révision complète de cette comptabilité, n'étant pas radicalement différentes de celles en leur possession ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu, sans se contredire, statuer comme elle a fait dès lors que le caractère délibéré de cette omission n'était pas démontré, que la situation financière de la société cédée était connue des cessionnaires, que les cédants avaient pu croire que ceux-ci avaient pris tous les renseignements auprès des autorités du marché dont l'agrément constituait une condition de la réalisation des cessions litigieuses et qu'enfin les informations contenues dans le dit rapport, qui portait essentiellement sur les deux années antérieures à sa rédaction en mars 1989, ne reflétaient plus exactement la situation à la date de la signature des actes litigieux ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que les cessionnaires font encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1°) qu'ils faisaient valoir dans leurs conclusions signifiées le 22 octobre 2002 que le commissaire aux comptes leur avait laissé croire qu'il avait établi la situation comptable au 30 juin 1989 ; que le rapport des experts retenait que les cédants avaient pu considérer la situation établie au 30 juin 1989 comme auditée et constatait en outre que l'attitude des vendeurs avait tendu "à minimiser les risques, au besoin en présentant des informations incomplètes ou d'apparence flatteuse en vue d'aboutir à la cession de leurs titres" ; que la lettre du 16 novembre 1989 du commissaire aux comptes qui débutait par la phrase "le contrôle de la situation de votre société arrêtée au 30 juin 1989..." vient étayer le fait que les acquéreurs pensaient légitimement que cette situation de référence avait reçu l'approbation de M. J. B..., qu'à cela s'ajoutent les termes clairs et précis du courrier du cabinet Thomas du 17 novembre 1989 et ceux du protocole de prorogation portant la même date stipulant que la situation nette avait été établie par le commissaire aux comptes ; qu'en écartant toute mise en jeu de la responsabilité du commissaire aux comptes et des cédants sans rechercher si l'erreur commise par les cessionnaires n'avait pas été induite du fait des vendeurs et du commissaire aux comptes tant par l'avenant du 17 novembre 1989 que par la lettre du cabinet Thomas transmettant la situation nette de la société X... au 30 juin 1989 comme établie par le commissaire aux comptes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

2°) que la lettre du 16 novembre 1989 du commissaire aux comptes adressée aux membres du directoire de la société de bourse X... de la Y... débutait par la phrase suivante : "le contrôle de la situation de votre société arrêtée au 30 juin 1989 appelle de ma part les remarques ci-après ..." ; qu'en considérant qu'il n'était pas démontré que le commissaire aux comptes avait participé à l'élaboration de la situation nette au 30 juin 1989, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de cette lettre en violation de l'article 1134 du Code civil ;

3°) que la situation comptable de la société X... de la Y... arrêtée au 30 juin 1989 était revêtue du cachet du commissaire aux comptes et de la mention "Vu" écrite de sa main ; qu'en considérant que le commissaire aux comptes avait refusé de certifier ladite situation comptable qui ne comportait pas sa signature, la cour d'appel a derechef dénaturé ce document en violation de l'article 1134 du Code civil ;

4°) qu'ils faisaient valoir dans leurs conclusions récapitulatives signifiées le 22 octobre 2002 que les premiers juges avaient cru devoir affirmer que le groupe Viel aurait fixé à 60 millions de francs le plafond de risque qu'il était prêt à courir bien que cette affirmation ne soit étayée par aucune preuve ni aucune stipulation contractuelle ; qu'en reprenant cette affirmation dans son arrêt p. 24, 5, in fine sans répondre à ces conclusions, la cour d'appel a méconnu les dispositions de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

5°) que la cour d'appel a entériné les conclusions des experts chiffrant à moins 58 millions de francs le montant de la situation nette au 30 juin 1989 ; qu'en excluant toute mise en jeu de la responsabilité du commissaire aux comptes, qui avait certifié les comptes de la société X... de la Y... au 31 décembre 1989 faisant apparaître un bénéfice de 494 000 francs avec une unique réserve sur les suspens, la cour d'appel n'a pas tiré de ses constatations les conséquences qui s'en évinçaient en violation de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, qu'il était avéré que le 12 novembre 1989, M. B... avait refusé de certifier les comptes de l'exercice 1988, qu'il n'était pas démontré que celui-ci avait participé à l'élaboration de la situation nette au 30 juin 1989 ni à celle du tableau intitulé "capitaux propres consolidés de X...", qu'il avait au contraire refusé de certifier cette situation et que ces documents ne comportaient d'ailleurs pas sa signature, que les conclusions du rapport des experts commis en référé n'étaient pas de nature à contredire cette appréciation, que ces experts ont ainsi relevé que les comptes de la société de bourse avaient été établis par les services internes d'une manière qui ne paraissait pas anormale, dans le cadre du respect des obligations de ces sociétés envers leurs organismes du tutelle, et selon des procédures allégées par rapport à celles nécessaires pour l'établissement des comptes de fin d'année, que les diligences du commissaire aux comptes pour ce type d'arrêté comptable avaient été limitées, que les documents établis par ce commissaire ne pouvaient être assimilés à une certification, que son courrier du 16 novembre 1989 proposant un certain nombre de rectifications intéressant la détermination du compte de résultat du premier semestre 1989 avait été établi sans qu'il ait connaissance des protocoles d'accord, que les experts avaient estimé que les cessionnaires connaissaient préalablement à l'acquisition des titres l'état de désordre de la comptabilité de la société X..., et en particulier le manque d'analyse et de justification de nombreux comptes que l'audit commandé par eux faisait ressortir nettement cette situation, que les cessionnaires avaient acquis les actions malgré l'absence de certification des comptes, sur la seule promesse de cette certification, et au regard de la certitude des garanties concédées, et que même si, de l'avis de l'expert, les cédants ont minimisé les risques "au besoin en présentant des informations incomplètes ou à tout le moins flatteuses", l'estimation qu'ils avaient eux-mêmes fournie du montant de la situation négative de la société X... au 30 juin 1989 était voisine et même quelque peu inférieure au montant du plafond des risques acceptés ou envisagés par les cessionnaires ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions prétendument délaissés et légalement justifié sa décision, a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et sur le quatrième moyen :

Attendu que les cessionnaires font grief à l'arrêt d'avoir rejeté les demandes subsidiaires des sociétés Viel et Compagnie Finance, Staft, Sifas, Sapla, devenue Quilvest Capital, et de les avoir condamnées in solidum à payer à MM. Hubert Le Z..., Nicolas X... et Jacques D... une certaine somme à titre de dommages-intérêts, à chacun d'eux, alors, selon le moyen :

1°) que les conventions de garantie prévoyaient que toute diminution de la situation nette de la société devra être révélée par le président du directoire de la société par courrier recommandé avec accusé de réception adressé le même jour aux garants et aux bénéficiaires ; que la mise en oeuvre de la garantie était subordonnée à l'envoi aux garants par les bénéficiaires d'une réclamation par lettre recommandée avec accusé de réception dans les trente jours de l'information que les garants auront reçue du président du directoire ; qu'en considérant que la procédure prévue à ces conventions exigeait pour la mise en oeuvre de la garantie l'envoi par le président du directoire aux garants et aux cessionnaires de la lettre les informant d'une diminution de la situation nette bien qu'il ne se fût agi que d'une simple modalité d'alerte des garants et des bénéficiaires à défaut d'avoir prévu une sanction contractuelle déterminée à cette obligation d'information faite au président du directoire non partie à la convention, la cour d'appel a dénaturé la clause de mise en jeu des garanties en violation de l'article 1134 du Code civil ;

2°) que les conventions de garantie prévoyaient pour la mise en jeu des garanties que "a) toute diminution de la situation nette de la société devra être révélée par le président du directoire de la société par courrier recommandé avec accusé de réception adressé le même jour aux garants et aux bénéficiaires ; b) la mise en oeuvre de la garantie est subordonnée à l'envoi aux garants par les bénéficiaires d'une réclamation par lettre recommandée avec accusé de réception dans les trente jours de l'information que les garants auront reçue du président du directoire " ; qu'en considérant que la procédure prévue à ces conventions n'avait pas été respectée, faute de l'envoi par le président du directoire aux garants et aux cessionnaires de la lettre les informant d'une diminution de la situation nette, ouvrant les délais de réponse et de mise en oeuvre de l'expertise amiable permettant de fixer l'étendue de la garantie due aux cessionnaires, la cour d'appel a refusé la mise en oeuvre de ces conventions du fait de l'attitude d'un tiers à celle-ci qui n'avait de surcroît aucun intérêt à fournir aux acquéreurs l'information requise, et a violé l'article 1134 du Code civil ;

3°) qu'en retenant d'un côté que la procédure prévue à ces conventions de garantie n'a pas été respectée, faute de l'envoi par le président du directoire aux garants et aux cessionnaires de la lettre les informant d'une diminution de la situation nette, et en constatant de l'autre qu'il n'est pas contesté que le président du directoire a informé les nouvelles actionnaires de l'existence d'un redressement fiscal, la cour d'appel s'est contredite en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, sur la mise en oeuvre des conventions de garantie, que l'arrêt retient que les premiers juges ont à juste titre relevé que la procédure prévue à ces conventions n'avait pas été respectée, faute notamment de l'envoi par le président du directoire aux garants et aux cessionnaires de la lettre les informant d'une diminution de la situation nette, ouvrant les délais de réponse et de mise en oeuvre de l'expertise amiable permettant de fixer l'étendue de la garantie due aux cessionnaires ; que l'arrêt souligne sur ce point que si M. X... n'était pas partie aux conventions de garantie la preuve de la collusion entre lui et les cédants, en vue de mettre obstacle à l'application de ces accords, n'était pas rapportée ; que l'arrêt retient encore qu'il n'apparaît pas démontré que l'intéressé, dont il n'est pas contesté qu'il a informé les nouveaux actionnaires de l'existence d'un redressement fiscal, leur aurait dissimulé d'autres informations dont il aurait eu connaissance avant son remplacement en juillet 1991 et que, comme relevé par les premiers juges, celui-ci n'a pas lui-même jugé utile d'adresser aux garants la lettre d'information précitée, au moins sur la base des chiffres indiqués dans des courriers de réclamations que les cessionnaires avaient elles-mêmes adressés aux cédants les 30 août 1990, 23 et 25 octobre 1991 ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a, sans se contredire et sans dénaturer les termes des conventions de garantie, pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.