CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 12 février 2019, n° 18/14291
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
The Regents Of The University Of Colorado (Sté), Allergan Inc (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Peyron
Conseillers :
Mme Douillet, M. Thomas
Vu le recours formé le 18 septembre 2015 par THE REGENTS OF THE UNIVERSITY OF COLORADO (ci-après, l'UNIVERSITE)
et la société de droit américain (Etat du Delaware) ALLERGAN à l'encontre de la décision du directeur général de l'INPI du 30 juin 2015 qui a rejeté le recours en restauration formé par
l'UNIVERSITE dans ses droits attachés à sa demande de certificat complémentaire de protection (CCP) n° 12C0054 déposée le 19 septembre 2012, en sa qualité de titulaire du brevet de base n° EP 1 658 858, délivré le 18 novembre 2009, ayant pour titre 'utilisation de la toxine botulinique pour le traitement du dysfonctionnement récalcitrant de l'évacuation de la vessie', lesquels ont été cédés à la société ALLERGAN par acte du 27 juillet 2015 inscrit au registre national des brevets le 7 septembre 2015 ;
Vu l'arrêt rendu par cette cour, dans une autre composition (chambre 5-2), le 16 septembre 2016, qui a notamment rejeté ce recours et dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 5 avril 2018 qui a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt de la cour d'appel, aux motifs que ce recours était rejeté au visa des observations du directeur général de l'INPI déposées au greffe le 21 mars 2016 'alors qu'il résulte des productions que le greffe de la cour d'appel n'avait pas notifié ces observations aux requérants et qu'il n'est pas justifié que l'INPI avait spontanément procédé à cette diligence' et que la cour d'appel n'avait pas 'constaté que ces observations avaient été réitérées oralement à l'audience dans des conditions permettant d'en débattre de manière contradictoire' ;
Vu la saisine de cette cour, autrement composée, par l'UNIVERSITE et la société ALLERGAN, le 1er juin 2018, par déclaration écrite remise en double exemplaire au greffe de la cour (procédure enregistrée sous le n° RG 18/14291) et via le Réseau Privé Virtuel Avocat (RPVA) (procédure enregistrée sous le n° RG 18/14294) ;
Vu les courriers des 28 juin et 16 octobre 2018 du conseil des requérantes adressés à la cour aux fins de jonction des deux procédures ;
Vu la convocation à l'audience du 18 décembre 2018 adressée au directeur général de l'INPI, à l'UNIVERSITE et à la société ALLERGAN par lettres recommandées adressées le 4 juillet 2018 ;
Vu les mémoires transmis par l'UNIVERSITE et la société ALLERGAN les 2 juillet et 4 décembre 2018 ;
Vu les observations écrites du directeur général de l'INPI transmises le 16 novembre et 18 décembre 2018 ;
Vu la jonction, ordonnée par la cour lors de l'audience comme indiqué au plumitif, des deux procédures RG 18/14291 et RG 18/14294 ;
Vu l'absence d'observations du conseil des requérantes, des représentantes de l'INPI et du ministère public sur l'effectivité de la communication des mémoires et des pièces, comme indiqué au plumitif de l'audience ;
L'UNIVERSITE, la société ALLERGAN et la représentante de l'INPI entendues en leurs observations orales reprenant leurs écritures et le ministère public entendu en ses réquisitions ;
Considérant que l'UNIVERSITE et la société ALLERGAN demandent à la cour :
- de juger leur recours recevable et bien fondé,
- d'annuler la décision du directeur général de l'INPI du 30 juin 2015 ayant rejeté le recours de l'UNIVERSITE en restauration des droits attachés à sa demande de CCP n°12C0054 ;
Que les requérantes font valoir, pour l'essentiel :
- que la Cour de Justice a donné une première interprétation du Règlement CCP avant d'adopter une
- interpétation radicalement opposée dans l'arrêt Neurim : avant l'arrêt Neurim, la CJUE avait jugé dans ses arrêts Yissum (C-202/05) et Pharmacia Italia (C-31/03) de 2004 et 2007, que, indépendamment du fait de savoir si une substance a reçu une première AMM pour une utilisation chez l'animal ou chez l'homme, seule la première de ces autorisations pouvait être utilisée pour
- une demande de CCP, dans l'arrêt Neurim, la CJUE, en réponse à deux questions préjudicielles, a décidé que que la demande de CCP basée sur un brevet couvrant une nouvelle application thérapeutique ne doit pas se référer à la première AMM du principe actif, mais à la première AMM de ce principe actif pour l'application thérapeutique nouvellement brevetée, de sorte qu'il
- s'agit d'un revirement de jurisprudence, que l'état de la jurisprudence de la CJUE avant l'arrêt Neurim rendait impossible, dans le cas d'espèce, l'obtention d'un CCP et cette impossibilité constitue un empêchement légitime qui n'a cessé que le jour de la
- publication de l'arrêt Neurim, soit le 19 juillet 2012, que l'INPI a d'ailleurs reconnu l'existence d'un empêchement légitime, le débat portant seulement sur la date de cessation de cet empêchement (le 27 mai 2011, date de la saisine de la Cour de justice par la question préjudicielle selon l'INPI /19 juillet 2012, date de la publication de l'arrêt Neurim selon les
- requérantes), que la décision de l'INPI se fonde sur le motif décisoire de la cessation de l'empêchement légitime, le 27 mai 2011, date à laquelle la question préjudicielle a été posée à la Cour de justice, ce qui aurait dû, selon l'INPI, conduire l'UNIVERSITE à envisager un possible revirement jurisprudentiel et à procéder au dépôt d'une
- demande de CCP à titre conservatoire, que le motif supplémentaire du défaut de volonté ne constitue pas un 'motif autonome de la décision' et ne peut donc être invoqué par l'INPI devant la cour pour
- justifier sa décision, qu'en tout état de cause, ce motif supplémentaire a été intégré à la décision à la suite d'une procédure irrégulière dès lors que le projet de décision qui a été soumis à l'UNIVERSITE ne mentionnait pas ce motif et qu'elle n'a pu présenter d'observations sur ce point ;
Que pour demander le rejet du recours, le directeur général de l'INPI fait valoir, pour l'essentiel :
- qu'en raison de la transmission de propriété inscrite au registre national des brevets avant le dépôt de la déclaration de recours, la société ALLERGAN, cessionnaire du brevet et de la demande de CCP,
- apparaît seule recevable à former le présent recours, que la procédure est régulière au regard de l'article R.
- 613-52 du code de la propriété intellectuelle, que les conditions de l'excuse légitime ayant empêché la requérante de respecter le délai de dépôt de la demande de CCP ne sont pas réunies ; qu'il n'est en effet pas justifié d'un empêchement au sens de l'article L. 612-16 du code de la propriété intellectuel dès lors que la jurisprudence de la CJUE antérieure à l'arrêt Neurim n'empêchait nullement la requérante de déposer une demande de CCP - même si elle a pu la dissuader de le faire ou l'amener à considérer qu'une telle demande était inopportune -, l'état du droit positif ne pouvant en tant que tel être assimilé à un empêchement
- ; qu'en tout état de cause, pendant le délai de six mois qui lui était ouvert pour déposer sa demande de CCP (22/08/2011 / 22/02/2012), la requérante ne pouvait ignorer que la CJUE se trouvait saisie de la question préjudicielle présentée à la Cour et publiée au JOUE le
- 18 juin 2011, que le non-respect du délai imparti à la requérante pour déposer la demande de CCP n'est donc pas dû à un empêchement pour lequel elle bénéficierait d'une excuse légitime, mais à sa volonté de ne pas procéder au dépôt qu'elle n'a pas jugé opportun ;
Sur la recevabilité
Considérant qu'il est constant que par acte du 27 juillet 2015, inscrit au registre national des brevets le 7 septembre 2015, la demande de CCP n° 12C0554 et le brevet de base auquel elle est associée ont été cédés par l'UNIVERSITE à la société ALLERGAN ;
Que dans ces conditions, seule la société ALLERGAN est recevable à former le présent recours, l'UNIVERSITE devant être déclarée irrecevable ;
Sur le fond
Considérant qu'aux termes des alinéas 1 et 2 de l'article L. 612-16 du code de la propriété intellectuelle, 'Le demandeur qui n'a pas respecté un délai à l'égard de l'Institut national de la propriété industrielle peut présenter un recours en vue d'être restauré dans ses droits s'il justifie d'une excuse légitime et si l'inobservation de ce délai a pour conséquence directe le rejet de la demande de brevet ou d'une requête, la déchéance de la demande de brevet ou la perte de tout autre droit. Le recours doit être présenté au directeur de l'Institut national de la propriété industrielle dans un délai de deux mois à compter de la cessation de l'empêchement. L'acte non accompli doit l'être dans ce délai. Le recours n'est recevable que dans un délai d'un an à compter de l'expiration du délai non observé.' ;
Considérant qu'en l'espèce, l'excuse légitime invoquée par la société ALLERGAN réside dans l'état de la jurisprudence antérieur à l'arrêt Neurim rendu sur une question préjudicielle par la Cour de justice de l'Union européenne le 19 juillet 2012, résultant principalement d'un arrêt Pharmacia Italia (C-31/03) du 19 octobre 2004 et d'une ordonnance Yissum (C-202/05) du 17 avril 2007 et qui rendait, selon elle, impossible, dans le cas d'espèce, l'obtention d'un CCP ;
Que cependant, aux termes mêmes de l'article L. 612-16 du code de la propriété intellectuelle, l'excuse légitime doit s'entendre d'un 'empêchement' ;
Qu'en admettant que la jurisprudence de la CJUE, avant l'arrêt Neurim, ne permettait pas à l'UNIVERSITE d'espérer l'obtention d'un CCP et était donc de nature à la dissuader de procéder au dépôt d'une demande de CCP, le directeur général de l'INPI observe à juste raison que cette situation ne caractérise pas un empêchement au sens de la disposition précitée dès lors que la jurisprudence, fût-elle celle de la Cour de justice, est évolutive, que d'autres opérateurs ont, de fait, en l'état de la jurisprudence Pharmacia Italia et Yissum, déposé des demandes de CCP en lien avec des secondes applications thérapeutiques, dont l'une a abouti à une nouvelle saisine de la Cour de justice et à l'arrêt Neurim, et que l'absence de dépôt de demande de CCP par l'UNIVERSITE a relevé d'une libre appréciation de celle-ci et non d'une impossibilité objective, indépendante de sa volonté ;
Qu'en tout état de cause, en application de l'article 7 du règlement n° 469/2009 concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments, l'UNIVERSITE disposait d'un délai de six mois expirant le 22 février 2012 pour déposer sa demande de CCP ; que la question préjudicielle ayant abouti à l'arrêt Neurim a été posée à la Cour de justice de l'Union européenne le 16 mars 2011 et publiée au JOUE le 18 juin 2011 ; que dans ces conditions, comme l'observe à juste raison le directeur général de l'INPI, l'UNIVERSITE se devait d'envisager un possible revirement de jurisprudence de la Cour de justice ;
Qu'ainsi, la décision du directeur général de l'INPI n'encourt pas de critique en ce qu'elle a retenu que le non-respect du délai imparti à l'UNIVERSITE pour déposer sa demande de CCP n'était pas dû à un empêchement pour lequelle elle bénéficierait d'une excuse légitime, mais à sa volonté de ne pas procéder au dépôt qu'elle n'a pas jugé opportun, et ce, malgré la question préjudicielle posée à la Cour de justice et dûment publiée le 18 juin 2011 ;
Que la société ALLERGAN argue vainement d'une irrégularité de la procédure résultant de ce que la décision du directeur général de l'INPI repose sur le motif du défaut de volonté de l'UNIVERSITE, motif qui ne figurait pas dans le projet de décision qui lui a été soumis et sur lequel elle n'a donc pu présenter ses observations ; qu'en effet, l'INPI a communiqué à la requérante une première notification d'irrégularités, puis un projet de décision de rejet et enfin sa décision motivée conformément à l'article R. 613-52 du code de la propriété intellectuelle ; que le projet de décision se fondait sur l'irrecevabilité du recours en ce que celui-ci avait été formé postérieurement à l'expiration du délai de deux mois prescrit à l'article L. 612-16 précité, le directeur général de l'INPI considérant que l'empêchement invoqué par la requérante n'avait pas cessé la date de l'arrêt Neurim de la Cour mais antérieurement à la date de saisine de ladite cour ; que le projet de décision indiquait cependant 'au surplus, (...) l'existence d'une jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne défavorable au dépôt d'un certificat complémentaire de protection , ne constitue pas l'excuse légitime requise par les textes' ; qu'au vu des observations en réponse de la requérante présentées à la suite du projet, l'INPI a abandonné le moyen tiré de l'irrecevabilité du recours en restauration pour se fonder sur l'absence d'excuse légitime constituée par l'état de la jurisprudence de la Cour de justice défavorable au dépôt du CCP ; que cependant, ce motif étant déjà visé à titre surabondant dans le projet de décision, la requérante était en mesure d'y répondre dans ses observations, de sorte que l'irrégularité alléguée n'existe pas ; qu'en outre, l'INPI n'est pas tenu de rendre une décision conforme au projet de décision, lequel s'entend d'un acte préparatoire dépourvu d'effets juridiques et susceptible d'amendement ;
Considérant, en conséquence, que le recours sera rejeté ;
LA COUR,
Dit THE REGENTS OF THE UNIVERSITY OF COLORADO (l'UNIVERSITE) irrecevable en son recours,
Rejette le recours formé par la société ALLERGAN contre la décision du directeur général de l'INPI du 30 juin 2015 ayant rejeté le recours de THE REGENTS OF THE UNIVERSITY OF COLORADO (l'UNIVERSITE) en restauration des droits attachés à sa demande de CCP n°12C0054,
Dit que la présente décision sera notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception et par les soins du greffe à THE REGENTS OF THE UNIVERSITY OF COLORADO, à la société ALLERGAN et au directeur général de L'INPI.