CJUE, gr. ch., 22 décembre 2022, n° C-148/21
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Christian Louboutin
Défendeur :
Amazon Europe Core Sàrl, Amazon EU Sàrl, Amazon Services Europe Sàrl, Amazon.com Inc., Amazon Services LLC
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lenaerts
Vice-président :
M. Bay Larsen
Président de chambre :
Mme Prechal
Juges :
M. Ilešič (rapporteur), M. Biltgen, Mme Ziemele, M. Passer
Avocat général :
M. Szpunar
Avocats :
Me Decker, Me Decker, Me van Innis, Me Ampatziadis, Me Bälz, Me Conrad, Me Seip, Me Taelman, Me Depypere, Me Dupont, Me Heremans
LA COUR (grande chambre),
1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 9, paragraphe 2, sous a), du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).
2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant M. Christian Louboutin, dans l’affaire C 148/21, à Amazon Europe Core Sàrl, Amazon EU Sàrl ainsi qu’Amazon Services Europe Sàrl et, dans l’affaire C 184/21, à Amazon.com Inc. ainsi qu’Amazon Services LLC (ci-après, ensemble et indifféremment dans chacune de ces deux affaires, « Amazon ») au sujet de l’usage prétendu, par Amazon, de signes identiques à la marque de l’Union européenne dont M. Louboutin est titulaire et sans le consentement de ce dernier, pour des produits identiques à ceux pour lesquels cette marque est enregistrée.
Le cadre juridique
Le règlement 2017/1001
3 L’article 9 du règlement 2017/1001, intitulé « Droit conféré par la marque de l’Union européenne », figurant sous la section 2, elle-même intitulée « Effets de la marque de l’Union européenne », du chapitre II de celui–ci, prévoit, à ses paragraphes 1 à 3 :
« 1. L’enregistrement d’une marque de l’Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif.
2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d’une marque de l’Union européenne, le titulaire de cette marque de l’Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe pour des produits ou services lorsque :
a) ce signe est identique à la marque de l’Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée ;
[...]
3. Il peut notamment être interdit, en vertu du paragraphe 2 :
[...]
b) d’offrir les produits, de les mettre sur le marché ou de les détenir à ces fins sous le signe, ou d’offrir ou de fournir des services sous le signe ;
[...]
e) d’utiliser le signe dans les papiers d’affaires et la publicité ;
f) de faire usage du signe dans des publicités comparatives d’une manière contraire à la directive 2006/114/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative (JO 2006, L 376, p. 21)]. »
La directive 2004/48/CE
4 L’article 11 de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO 2004, L 157, p. 45, et rectificatif JO 2004, L 195, p. 16), intitulé « Injonctions », prévoit :
« Les États membres veillent à ce que, lorsqu’une décision judiciaire a été prise constatant une atteinte à un droit de propriété intellectuelle, les autorités judiciaires compétentes puissent rendre à l’encontre du contrevenant une injonction visant à interdire la poursuite de cette atteinte. Lorsque la législation nationale le prévoit, le non-respect d’une injonction est, le cas échéant, passible d’une astreinte, destinée à en assurer l’exécution. Les États membres veillent également à ce que les titulaires de droits puissent demander une injonction à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle, sans préjudice de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO 2001, L 167, p. 10)]. »
La directive 2000/31/CE
5 L’article 14 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique ») (JO 2000, L 178, p. 1), intitulé « Hébergement », dispose, à son paragraphe 1 :
« Les États membres veillent à ce que, en cas de fourniture d’un service de la société de l’information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service, le prestataire ne soit pas responsable des informations stockées à la demande d’un destinataire du service à condition que :
a) le prestataire n’ait pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicites et, en ce qui concerne une demande en dommages et intérêts, n’ait pas connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicite est apparente
ou
b) le prestataire, dès le moment où il a de telles connaissances, agisse promptement pour retirer les informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible. »
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
6 M. Louboutin est un créateur français de chaussures et de sacs à main de luxe dont les produits les plus connus sont des chaussures pour femme à talons hauts. Depuis le milieu des années 1990, il a ajouté à ses chaussures à talons hauts une semelle extérieure d’une couleur rouge correspondant au code 18–1663TP du nuancier Pantone.
7 Cette couleur, appliquée sur la semelle d’une chaussure à talon haut, est enregistrée en tant que marque Benelux au titre de la convention Benelux en matière de propriété intellectuelle (marques et dessins ou modèles), du 25 février 2005, signée à La Haye par le Royaume de Belgique, le Grand-Duché de Luxembourg et le Royaume des Pays-Bas. La même marque est enregistrée depuis le 10 mai 2016 en tant que marque de l’Union européenne (ci-après la « marque en cause »).
8 Amazon exploite des sites Internet de vente en ligne de produits variés qu’elle propose tant directement, en son nom et pour son propre compte, qu’indirectement, en fournissant également une place de marché en ligne à des vendeurs tiers. L’expédition des produits mis en vente par ces vendeurs tiers sur cette place de marché en ligne peut être prise en charge soit par ces derniers, soit par Amazon, qui stocke alors ces produits dans ses centres de distribution et les expédie aux acquéreurs depuis ses propres entrepôts.
9 Sur ces sites Internet paraissent régulièrement des annonces de vente relatives à des chaussures à semelles rouges qui, selon M. Louboutin, concernent des produits dont la mise en circulation n’a pas fait l’objet de son consentement.
L’affaire C 148/21
10 Le 19 septembre 2019, M. Louboutin, invoquant une atteinte aux droits exclusifs conférés par la marque en cause, a introduit une action en contrefaçon de cette marque à l’encontre d’Amazon devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg (Luxembourg), la juridiction de renvoi dans l’affaire C 148/21. M. Louboutin demande qu’Amazon soit déclarée responsable de l’atteinte portée à la marque en cause, qu’elle cesse de faire usage, dans la vie des affaires, des signes identiques à cette marque pour l’ensemble du territoire de l’Union européenne, hormis le territoire du Benelux, sous peine d’une astreinte, et qu’elle soit condamnée au paiement de dommages et intérêts pour le préjudice prétendument causé par ces usages.
11 L’action de M. Louboutin est fondée sur l’article 9, paragraphe 2, sous a), du règlement 2017/1001. Celui-ci soutient qu’Amazon a fait usage, sans son consentement, d’un signe identique à la marque en cause pour des produits identiques à ceux pour lesquels cette marque est enregistrée, du fait, notamment, de l’affichage, sur les sites Internet de vente en ligne de cette société, d’annonces relatives à des produits portant un tel signe identique, mais également du fait de la détention, de l’expédition et de la livraison de tels produits. Selon M. Louboutin, un tel usage est imputable à Amazon, dans la mesure où cette société a joué un rôle actif dans l’usage du signe en question et dans la mesure où les annonces relatives aux produits contrefaisants faisaient partie de sa propre communication commerciale. Amazon ne saurait, dès lors, être considérée comme un simple hébergeur de sites Internet ou un intermédiaire neutre, étant donné qu’elle prêterait assistance aux vendeurs tiers, notamment pour l’optimisation de la présentation de leurs offres.
12 Amazon conteste que l’usage d’un signe identique à la marque en cause puisse lui être imputé. Elle invoque plusieurs arrêts de la Cour rendus dans des affaires mettant en cause des exploitants de place de marché en ligne, tels que la société eBay, pour faire valoir qu’elle aussi, en tant qu’exploitant d’une telle place de marché, ne saurait être tenue responsable du fait de l’usage d’un signe identique à la marque en cause par les vendeurs tiers ayant recours à sa place de marché en ligne. Amazon soutient que le mode de fonctionnement des places de marché intégrées dans ses sites Internet de vente en ligne ne diffère pas notablement de celui des autres places de marché et que l’inclusion de son logo dans les annonces des vendeurs tiers n’implique pas qu’elle s’approprie ces annonces. De plus, selon Amazon, les services accessoires qu’elle propose aux vendeurs tiers ne sauraient permettre de justifier que leurs offres soient considérées comme faisant partie de sa propre communication commerciale. Le fait, pour un prestataire, de créer les conditions techniques nécessaires pour l’usage d’un signe identique à une marque protégée et d’être rémunéré pour ce service ne signifierait pas que ce prestataire fasse lui-même un usage du signe en question.
13 Selon la juridiction de renvoi dans l’affaire C 148/21, le mode de fonctionnement des sites Internet de vente en ligne exploités par Amazon consiste à regrouper, pour une même catégorie de produits, des annonces émanant tant de cette société elle-même que de vendeurs tiers actifs sur la place de marché en ligne que comprennent ces sites Internet. En cela il diffère de celui d’autres sociétés, telles qu’eBay ou Rakuten, qui se bornent à exploiter une place de marché en ligne et qui, partant, publient uniquement des annonces émanant de vendeurs tiers, sans exercer elles-mêmes aucune activité de vente de produits. Amazon ne serait cependant pas la seule à avoir adopté ce modèle commercial de type « hybride ». Des opérateurs comme la société Cdiscount accueillent également des produits de vendeurs tiers à côté de leur propre gamme de produits.
14 Partant, il conviendrait de déterminer, au regard de la jurisprudence de la Cour et, notamment, de l’arrêt du 12 juillet 2011, L’Oréal e.a. (C 324/09, EU:C:2011:474), si ce mode de fonctionnement des sites Internet de vente en ligne d’Amazon est susceptible d’induire l’usage, par l’exploitant de ces sites, d’un signe identique à la marque en cause en raison de l’intégration d’annonces de vendeurs tiers affichant un tel signe dans sa propre communication commerciale.
15 Cette juridiction s’interroge encore sur le point de savoir si, s’agissant du rôle plus ou moins actif joué par l’exploitant des sites Internet de vente en ligne intégrant une place de marché en ligne dans la publication des annonces, la perception du public peut avoir une importance.
16 Enfin, ladite juridiction se demande si un tel exploitant doit être considéré comme faisant usage d’un signe identique à une marque protégée lorsqu’il prend en charge l’expédition de produits portant ce signe. Dans l’arrêt du 2 avril 2020, Coty Germany (C 567/18, EU:C:2020:267), la Cour ne se serait pas prononcée sur ce point, puisque, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, l’expédition était assurée par un prestataire externe.
17 Dans ces conditions, le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 9, paragraphe 2, du [règlement 2017/1001] doit-il être interprété en ce sens que l’usage d’un signe identique à une marque dans une publicité affichée sur un site [Internet] est imputable à son exploitant ou à des entités économiquement liées en raison du mélange sur ce site des offres propres à l’exploitant ou à des entités économiquement liées et de celles de vendeurs tiers, par l’intégration de ces publicités dans la propre communication commerciale de l’exploitant ou des entités économiquement liées ?
Une telle intégration est-elle renforcée par le fait que :
– les publicités sont présentées de manière uniforme sur le site ?
– les publicités propres à l’exploitant et à des entités économiquement liées et de vendeurs tiers sont affichées indistinctement quant à leur origine, mais en affichant clairement le logo de l’exploitant ou d’entités économiquement liées, dans les rubriques publicitaires de sites Internet tiers sous forme de “pop-up” ?
– l’exploitant ou des entités économiquement liées offre un service intégral aux vendeurs tiers, incluant une assistance à l’élaboration des publicités et à la fixation des prix de vente, le stockage des produits et l’expédition de ceux-ci ?
– le site de l’exploitant et des entités économiquement liées soit conçu de manière à se présenter sous forme de boutiques et de labels tels que “les meilleures ventes”, “les plus demandés” ou “les plus offerts”, sans distinction apparente à première vue entre produits propres de l’exploitant et des entités économiquement liées et produits de vendeurs tiers ?
2) L’article 9, paragraphe 2, du [règlement 2017/1001] doit-il être interprété en ce sens que l’usage d’un signe identique à une marque dans une publicité affichée sur un site de vente en ligne est, en principe, imputable à son exploitant ou à des entités économiquement liées si, dans la perception d’un internaute normalement informé et raisonnablement attentif, cet exploitant ou une entité économiquement liée a joué un rôle actif dans l’élaboration de cette publicité ou que cette dernière est perçue comme faisant partie de la propre communication commerciale de cet exploitant ?
Une telle perception sera-t-elle influencée :
– par la circonstance que cet exploitant et/ou des entités économiquement liées est un distributeur renommé de produits les plus variés, dont des produits de la catégorie de ceux vantés dans la publicité ;
– ou par la circonstance que la publicité ainsi affichée présente un en-tête dans lequel est reproduite la marque de service de cet exploitant ou des entités économiquement liées, cette marque étant renommée comme marque de distributeur ;
– ou encore par la circonstance que cet exploitant ou des entités économiquement liées offrent concomitamment à cet affichage des services traditionnellement offerts par les distributeurs de produits de la même catégorie que celle dont relève le produit vanté par la publicité ?
3) L’article 9, paragraphe 2, du [règlement 2017/1001] doit-il être interprété en ce sens que l’expédition, dans la vie des affaires et sans le consentement du titulaire d’une marque, au consommateur final d’un produit pourvu d’un signe identique à la marque, n’est constitutive d’un usage imputable à l’expéditeur que si ce dernier a une connaissance effective de l’apposition de ce signe sur le produit ?
Un tel expéditeur est-il l’usager du signe concerné si lui-même ou une entité liée économiquement a annoncé au consommateur final se charger de cette expédition après avoir lui-même ou une entité liée économiquement stocké le produit à cette fin ?
Un tel expéditeur est-il l’usager du signe concerné si lui-même ou une entité liée économiquement a préalablement contribué activement à l’affichage, dans la vie des affaires, d’une publicité pour le produit pourvu de ce signe ou a enregistré la commande du consommateur final au vu de cette publicité ? »
L’affaire C 184/21
18 Le 4 octobre 2019, M. Louboutin, invoquant une atteinte aux droits exclusifs conférés par la marque en cause, a saisi le tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles (Belgique), la juridiction de renvoi dans l’affaire C 184/21, d’une action en contrefaçon de cette marque contre Amazon visant la cessation, par celle-ci, des usages de ladite marque et la réparation du préjudice causé par ces usages, en faisant valoir, en substance, les mêmes arguments que ceux formulés à l’appui de la demande qu’il a portée devant la juridiction de renvoi dans l’affaire C 148/21.
19 Selon Amazon, en revanche, le fait, d’une part, qu’elle publie, sur les places de marché en ligne intégrées dans ses sites Internet de vente en ligne, les offres de vendeurs tiers de chaussures prétendument contrefaisantes et, d’autre part, qu’elle prend en charge l’expédition de ces chaussures, ne constitue pas un usage de la marque en cause par cette société.
20 La juridiction de renvoi dans l’affaire C 184/21 considère que, aux fins de la résolution du litige qui lui est soumis, il convient de savoir, premièrement, dans quelles circonstances l’usage d’un signe contrefaisant dans une offre de vente émanant d’un vendeur tiers peut être imputé à l’exploitant d’un site Internet de vente en ligne intégrant une place de marché en ligne, deuxièmement, si, et dans quelles circonstances, la perception du public par rapport à cette offre doit être prise en compte pour conclure à l’imputabilité d’un tel usage et, troisièmement, si et, le cas échéant, dans quelles circonstances le fait, pour Amazon, de prendre en charge l’expédition d’un produit pourvu d’un signe identique à une marque constitue, en soi, un acte d’usage de celle-ci, pouvant être imputé à cette société, au titre de l’article 9, paragraphe 2, sous a), du règlement 2017/1001.
21 Dans ces conditions, le tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 9, paragraphe 2, du [règlement 2017/1001] doit-il être interprété en ce sens que l’usage d’un signe identique à une marque dans une publicité affichée sur un site [Internet] est, en principe, imputable à son exploitant si, dans la perception d’un internaute normalement informé et raisonnablement attentif, cet exploitant a joué un rôle actif dans l’élaboration de cette publicité ou que cette dernière peut être perçue par un tel internaute comme faisant partie de la propre communication commerciale de cet exploitant ?
Une telle perception sera-t-elle influencée :
– par la circonstance que cet exploitant est un distributeur renommé de produits les plus variés, dont des produits de la catégorie de ceux vantés dans la publicité ;
– ou par la circonstance que la publicité ainsi affichée présente un en-tête dans lequel est reproduite la marque de service de cet exploitant, cette marque étant renommée comme marque de distributeur ;
– ou encore, par la circonstance que cet exploitant offre concomitamment à cet affichage des services traditionnellement offerts par les distributeurs de produits de la même catégorie que celle dont relève le produit vanté par la publicité ?
2) L’article 9, paragraphe 2, du [règlement 2017/1001] doit-il être interprété en ce sens que l’expédition, dans la vie des affaires et sans le consentement du titulaire d’une marque, au consommateur final d’un produit pourvu d’un signe identique à la marque, n’est constitutive d’un usage imputable à l’expéditeur que si ce dernier a une connaissance effective de l’apposition de ce signe sur ce produit ?
Un tel expéditeur est-il l’usager du signe concerné si lui-même ou une entité liée économiquement a annoncé au consommateur final se charger de cette expédition après avoir lui-même ou une entité liée économiquement stocké le produit à cette fin ?
Un tel expéditeur est-il l’usager du signe concerné si lui-même ou une entité liée économiquement a préalablement contribué activement à l’affichage, dans la vie des affaires, d’une publicité pour le produit pourvu de ce signe ou a enregistré la commande du consommateur final au vu de cette publicité ? »
22 Par décision du président de la Cour du 16 avril 2021, les affaires C 148/21 et C 184/21 ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l’arrêt.
Sur les questions préjudicielles
23 Par leurs questions, qu’il convient d’examiner ensemble, les juridictions de renvoi demandent, en substance, si l’article 9, paragraphe 2, sous a), du règlement 2017/1001 doit être interprété en ce sens que l’exploitant d’un site Internet de vente en ligne intégrant, outre les propres offres à la vente de celui-ci, une place de marché en ligne est susceptible d’être considéré comme faisant lui-même usage d’un signe identique à une marque de l’Union européenne d’autrui pour des produits identiques à ceux pour lesquels cette marque est enregistrée, lorsque des vendeurs tiers proposent à la vente, sur cette place de marché, sans le consentement du titulaire de ladite marque, de tels produits revêtus de ce signe. Elles se demandent, en particulier, si sont pertinents à cet égard les faits que cet exploitant recourt à un mode de présentation uniforme des offres publiées sur son site Internet, affichant en même temps les annonces relatives aux produits qu’il vend en son nom et pour son propre compte et celles relatives à des produits proposés par des vendeurs tiers sur ladite place de marché, qu’il fait apparaître son propre logo de distributeur renommé sur l’ensemble de ces annonces et qu’il offre aux vendeurs tiers, dans le cadre de la commercialisation de leurs produits, des services complémentaires consistant à leur fournir un soutien dans la présentation de leurs annonces, ainsi qu’au stockage et à l’expédition des produits proposés sur la même place de marché. Dans ce contexte, les juridictions de renvoi s’interrogent également sur le point de savoir s’il convient de prendre en considération, le cas échéant, la perception des utilisateurs du site Internet en question.
24 En vertu de l’article 9, paragraphe 2, sous a), du règlement 2017/1001, l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne confère à son titulaire le droit d’interdire à tout tiers de faire usage, dans la vie des affaires, d’un signe identique à cette marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée.
25 À cet égard, il y a lieu de relever d’emblée que la notion de « faire usage », au sens de l’article 9, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, n’est pas définie par ce règlement.
26 Il découle de la jurisprudence constante de la Cour que le titulaire de la marque est habilité à interdire l’usage, sans son consentement, d’un signe identique à ladite marque par un tiers, lorsque cet usage a lieu dans la vie des affaires, est fait pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, et porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque, parmi lesquelles figure notamment la fonction essentielle de la marque qui est de garantir aux consommateurs la provenance du produit ou du service (voir, en ce sens, arrêt du 3 mars 2016, Daimler, C 179/15, EU:C:2016:134, point 26 et jurisprudence citée).
27 La Cour a également précisé que, selon son sens habituel, l’expression « faire usage » implique un comportement actif et une maîtrise, directe ou indirecte, de l’acte constituant l’usage et a relevé que l’article 9, paragraphe 3, du règlement 2017/1001, qui énumère de façon non exhaustive les types d’usage que le titulaire de la marque peut interdire, mentionne exclusivement des comportements actifs de la part du tiers (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 2020, Coty Germany, C 567/18, EU:C:2020:267, point 37 et jurisprudence citée), parmi lesquels figure, à cet article 9, paragraphe 3, sous b), le fait d’offrir les produits contrefaisants, de les mettre sur le marché ou de les détenir à ces fins.
28 Dans ce contexte, la Cour a rappelé que l’article 9 du règlement 2017/1001 a pour but de fournir au titulaire d’une marque de l’Union européenne un instrument légal lui permettant d’interdire, et ainsi de faire cesser, tout usage de cette marque qui est fait par un tiers sans son consentement. Cependant, seul un tiers qui a la maîtrise, directe ou indirecte, de l’acte constituant l’usage est effectivement en mesure de cesser cet usage et donc de se conformer à ladite interdiction (arrêt du 2 avril 2020, Coty Germany, C 567/18, EU:C:2020:267, point 38 et jurisprudence citée).
29 Par ailleurs, la Cour a itérativement jugé que l’usage d’un signe identique ou similaire à la marque du titulaire par un tiers, au sens de l’article 9, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, implique, à tout le moins, que ce dernier fasse un usage du signe dans le cadre de sa propre communication commerciale. Une personne peut ainsi permettre à ses clients de faire usage de signes identiques ou similaires à des marques, sans faire elle-même un usage desdits signes (arrêt du 2 avril 2020, Coty Germany, C 567/18, EU:C:2020:267, point 39 et jurisprudence citée).
30 C’est ainsi que la Cour a considéré, s’agissant de l’exploitant d’une place de marché en ligne, que l’usage de signes identiques ou similaires à des marques, dans des offres à la vente affichées sur cette place de marché, est fait uniquement par les clients vendeurs de cet exploitant et non pas par celui-ci, dès lors que ce dernier n’utilise pas ce signe dans le cadre de sa propre communication commerciale (voir, en ce sens, arrêts du 12 juillet 2011, L’Oréal e.a., C 324/09, EU:C:2011:474, points 102 et 103, ainsi que du 2 avril 2020, Coty Germany, C 567/18, EU:C:2020:267, point 40).
31 En effet, le simple fait de créer les conditions techniques nécessaires pour l’usage d’un signe et d’être rémunéré pour ce service ne signifie pas que celui qui rend ce service fasse lui-même usage dudit signe, même s’il agit dans son propre intérêt économique (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 2020, Coty Germany, C 567/18, EU:C:2020:267, point 43 et jurisprudence citée).
32 Dans cette même perspective, la Cour a, en substance, jugé aux points 45 et 53 de l’arrêt du 2 avril 2020, Coty Germany (C 567/18, EU:C:2020:267), que, lorsque l’exploitant d’une place de marché en ligne offre des services de stockage aux vendeurs tiers actifs sur cette place de marché, de sorte qu’il entrepose pour ces vendeurs tiers des produits portant atteinte à un droit de marque, sans toutefois avoir connaissance du caractère contrefaisant des produits en cause et sans avoir pour objectif d’offrir lui-même les biens qu’il stocke ou de les mettre lui-même sur le marché, c’est non pas l’exploitant, mais ces vendeurs seuls qui font usage des signes apposés sur les biens stockés.
33 Cependant, il importe de souligner que, si, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, était en cause l’exploitant du même site Internet de vente en ligne intégrant la place de marché en ligne, à savoir Amazon, la juridiction de renvoi dans cette affaire, seule compétente pour effectuer les constatations factuelles nécessaires, avait indiqué sans ambigüité que cet exploitant n’avait pas connaissance du fait que les produits en cause portaient atteinte à un droit de marque, qu’il n’avait pas lui-même offert les produits concernés à la vente ni ne les avait mis dans le commerce et qu’il n’avait pas non plus l’intention de le faire lui-même. Cette juridiction avait également relevé que l’expédition de ces produits était réalisée par des prestataires externes (voir arrêt du 2 avril 2020, Coty Germany, C 567/18, EU:C:2020:267, points 9, 30 et 47).
34 Par ailleurs, ni dans ladite affaire ni dans celle ayant donné lieu à l’arrêt du 12 juillet 2011, L’Oréal e.a. (C 324/09, EU:C:2011:474), invoqué par Amazon et cité au point 30 du présent arrêt, la Cour n’était interrogée par rapport à l’incidence du fait que le site Internet de vente en ligne en question intègre, outre la place de marché en ligne, des offres à la vente de l’exploitant de ce site lui-même.
35 Or, dans les présentes affaires, les juridictions de renvoi s’interrogent précisément sur cette incidence et l’importance à accorder, dans un tel contexte, à la perception des utilisateurs du site en question ainsi qu’à d’autres circonstances, telles que le fait que l’exploitant recourt à un mode de présentation uniforme des offres à la vente publiées sur son site Internet, affichant en même temps ses propres annonces et celles des vendeurs tiers et faisant apparaître son propre logo de distributeur renommé sur l’ensemble de ces annonces, ainsi que le fait qu’il offre des services supplémentaires à ces vendeurs tiers dans le cadre de la commercialisation de leurs produits, tels que le soutien dans la présentation de leurs annonces et le stockage et l’expédition de leurs produits.
36 Dans ce cadre, les juridictions de renvoi se demandent, en particulier, si, dans de telles circonstances, il peut être considéré que c’est non seulement le vendeur tiers, mais également l’exploitant du site Internet de vente en ligne intégrant une place de marché en ligne qui fait, le cas échéant, usage, dans sa propre communication commerciale, d’un signe identique à une marque d’autrui pour des produits identiques à ceux pour lesquels cette marque est enregistrée, de telle sorte qu’il pourrait être tenu pour responsable de l’atteinte aux droits du titulaire de cette marque, au sens de l’article 9, paragraphe 2, sous a), du règlement 2017/1001, lorsque ce vendeur tiers propose de tels produits revêtus de ce signe à la vente sur cette place de marché.
37 Il y a lieu de préciser, à cet égard, que cette question se pose indépendamment du fait que le rôle d’un tel exploitant, dans la mesure où celui-ci permet à un autre opérateur économique de faire un usage de la marque, peut, le cas échéant, être examiné sous l’angle d’autres règles de droit telles que l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31 ou l’article 11, première phrase, de la directive 2004/48 (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 2020, Coty Germany, C 567/18, EU:C:2020:267, point 49 et jurisprudence citée).
38 S’il appartient, au final, aux juridictions de renvoi d’apprécier si, dans chacune des affaires au principal, Amazon, en sa qualité d’exploitant d’un site Internet de vente en ligne intégrant une place de marché en ligne, fait usage d’un signe identique à la marque en cause pour des produits identiques à ceux pour lesquels cette marque est enregistrée, au sens de l’article 9, paragraphe 2, sous a), du règlement 2017/1001, la Cour peut toutefois fournir à ces juridictions les éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union qui pourraient lui être utiles à cet égard (voir, par analogie, arrêt du 7 avril 2022, Berlin Chemie A. Menarini, C 333/20, EU:C:2022:291, point 46 et jurisprudence citée).
39 À cet égard, s’agissant de la « communication commerciale » d’une entreprise, au sens de la jurisprudence rappelée au point 29 du présent arrêt, il y a lieu de relever, à l’instar de M. l’avocat général aux points 55 et 56 de ses conclusions, que celle-ci désigne généralement toute forme de communication destinée aux tiers, visant à promouvoir son activité, ses biens ou ses services, ou à indiquer l’exercice d’une telle activité. L’utilisation d’un signe dans la propre communication commerciale d’une telle entreprise suppose ainsi que ce signe apparaisse, aux yeux des tiers, comme faisant partie intégrante de celle-ci et, partant, comme relevant de l’activité de cette entreprise.
40 Dans ce contexte, il convient de rappeler que la Cour a déjà constaté que, dans une situation où le prestataire d’un service utiliseun signe identique ou similaire à une marque d’autrui pour promouvoir des produits que l’un de ses clients commercialise à l’aide de ce service, ce prestataire fait lui-même usage de ce signe lorsqu’il utilise celui-ci de telle façon qu’il s’établit un lien entre ledit signe et les services fournis par ledit prestataire (arrêts du 12 juillet 2011, L’Oréal e.a., C 324/09, EU:C:2011:474, point 92, ainsi que du 15 décembre 2011, Frisdranken Industrie Winters, C 119/10, EU:C:2011:837, point 32).
41 Ainsi, la Cour a considéré qu’un tel prestataire ne fait pas lui-même usage d’un signe identique ou similaire à une marque d’autrui lorsque le service rendu par celui-ci n’est, par sa nature, pas comparable à un service visant à promouvoir la commercialisation de produits revêtus de ce signe et n’implique pas la création d’un lien entre ce service et ledit signe, dès lors que le prestataire en question n’apparaît pas au consommateur, ce qui exclut toute association entre ses services et le signe en cause (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 2011, Frisdranken Industrie Winters, C 119/10, EU:C:2011:837, point 33).
42 En revanche, la Cour a jugé qu’un tel lien existe lorsque l’exploitant d’une place de marché en ligne fait, à l’aide d’un service de référencement sur Internet et à partir d’un mot clé identique à une marque d’autrui, de la publicité pour des produits de cette marque mis en vente par ses clients sur sa place de marché en ligne. En effet, une telle publicité crée, pour les internautes effectuant une recherche à partir de ce mot clé, une association évidente entre ces produits de marque et la possibilité de les acheter via ladite place de marché. C’est pour ce motif que le titulaire de cette marque est habilité à interdire à cet exploitant un tel usage, lorsque cette publicité porte atteinte au droit de marque en raison du fait qu’elle ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si lesdits produits proviennent du titulaire de ladite marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2011, L’Oréal e.a., C 324/09, EU:C:2011:474, points 93 et 97).
43 Il résulte de cette jurisprudence que, ainsi que l’a en substance relevé M. l’avocat général aux points 58, 59 et 72 de ses conclusions, aux fins de déterminer si l’exploitant d’un site Internet de vente en ligne intégrant une place de marché en ligne fait lui-même usage d’un signe identique à une marque d’autrui, figurant dans des annonces relatives à des produits proposés par des vendeurs tiers sur cette place de marché, il convient d’apprécier si un utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif de ce site Internet établit un lien entre les services de cet exploitant et le signe en question.
44 La pertinence d’une telle analyse n’est aucunement remise en cause par l’argument, avancé par Amazon et la Commission européenne dans leurs observations écrites, selon lequel la jurisprudence existante de la Cour n’aurait pas pris en considération la perception des utilisateurs.
45 Certes, aux points 102 et 103 de l’arrêt du 12 juillet 2011, L’Oréal e.a. (C 324/09, EU:C:2011:474), dont la teneur est rappelée au point 30 du présent arrêt, la Cour n’a pas fait mention explicite de la perception de l’utilisateur de la place de marché en ligne, destinataire de la communication commerciale en cause.
46 Pour autant, cela ne signifie pas que la Cour a exclu que la perception des utilisateurs de la place de marché en ligne soit prise en considération comme un élément pertinent pour déterminer si le signe en question est utilisé dans le cadre de la propre communication commerciale de l’exploitant de cette place de marché.
47 En effet, dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt, le site Internet en question comportait uniquement une place de marché en ligne, sans inclure également des propres offres à la vente de l’exploitant de ce site.
48 Partant, afin de déterminer si une annonce, publiée sur un site Internet de vente en ligne intégrant une place de marché en ligne par un vendeur tiers actif sur cette dernière, utilisant un signe identique à une marque d’autrui peut être considérée comme faisant partie intégrante de la communication commerciale de l’exploitant dudit site Internet, il y a lieu de vérifier si cette annonce est susceptible d’établir un lien entre les services offerts par cet exploitant et le signe en question, au motif qu’un utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif pourrait croire que c’est ledit exploitant qui commercialise, en son nom et pour son propre compte, le produit pour lequel il est fait usage du signe en question.
49 Dans le cadre de cette appréciation globale des circonstances de l’espèce, revêtent une importance particulière notamment le mode de présentation des annonces, tant individuellement que dans leur ensemble, sur le site Internet en question ainsi que la nature et l’ampleur des services fournis par l’exploitant de celui-ci.
50 S’agissant, premièrement, du mode de présentation de ces annonces, il importe de rappeler que le besoin d’un affichage transparent des annonces sur Internet est prévu dans la législation de l’Union sur le commerce électronique (arrêt du 12 juillet 2011, L’Oréal e.a., C 324/09, EU:C:2011:474, point 95). Les annonces affichées sur un site Internet de vente en ligne intégrant une place de marché en ligne doivent, dès lors, être présentées d’une façon qui permette à un utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif de distinguer aisément les offres émanant, d’une part, de l’exploitant de ce site Internet et, d’autre part, de vendeurs tiers actifs sur la place de marché en ligne qui y est intégrée (voir, par analogie, arrêt du 12 juillet 2011, L’Oréal e.a., C 324/09, EU:C:2011:474, point 94).
51 Or, la circonstance que l’exploitant d’un site Internet de vente en ligne intégrant une place de marché en ligne recourt à un mode de présentation uniforme des offres publiées sur son site Internet, affichant en même temps ses propres annonces et celles des vendeurs tiers et faisant apparaître son propre logo de distributeur renommé tant sur son site Internet que sur l’ensemble de ces annonces, y inclus celles relatives à des produits offerts par des vendeurs tiers, est susceptible de rendre difficile une telle distinction claire et ainsi de donner à l’utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif l’impression que c’est ledit exploitant qui commercialise, en son nom et pour son propre compte, également les produits offerts à la vente par ces vendeurs tiers. Partant, lorsque ces produits sont revêtus d’un signe identique à une marque d’autrui, une telle présentation uniforme est susceptible de créer un lien, aux yeux de ces utilisateurs, entre ce signe et les services fournis par ce même exploitant.
52 En particulier, lorsque l’exploitant d’un site Internet de vente en ligne associe aux différentes offres, provenant de lui-même ou d’un tiers, sans distinction en fonction de leur origine, une mention du type « les meilleurs ventes », « les plus demandés » ou « les plus offerts », aux fins notamment de promouvoir certaines de ces offres, une telle présentation est susceptible de renforcer auprès de l’utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif l’impression que les produits ainsi promus sont commercialisés par cet exploitant, en son nom et pour son propre compte.
53 Deuxièmement, la nature et l’ampleur des services fournis par l’exploitant d’un site Internet de vente en ligne intégrant une place de marché en ligne aux vendeurs tiers qui proposent des produits revêtus du signe en cause sur cette place de marché, tels que ceux consistant notamment dans le traitement des questions des utilisateurs relatives à ces produits ou au stockage, à l’expédition et à la gestion des retours desdits produits, sont susceptibles également de donner l’impression, à un utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif, que ces mêmes produits sont commercialisés par ledit exploitant, en son nom et pour son propre compte, et ainsi de créer un lien, aux yeux de ces utilisateurs, entre ses services et les signes figurant sur ces produits et dans les annonces de ces vendeurs tiers.
54 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 9, paragraphe 2, sous a), du règlement 2017/1001 doit être interprété en ce sens que l’exploitant d’un site Internet de vente en ligne intégrant, outre les propres offres à la vente de celui-ci, une place de marché en ligne est susceptible d’être considéré comme faisant lui-même usage d’un signe identique à une marque de l’Union européenne d’autrui pour des produits identiques à ceux pour lesquels cette marque est enregistrée, lorsque des vendeurs tiers proposent à la vente, sur cette place de marché, sans le consentement du titulaire de ladite marque, de tels produits revêtus de ce signe, si un utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif de ce site établit un lien entre les services de cet exploitant et le signe en question, ce qui est notamment le cas lorsque, compte tenu de l’ensemble des éléments caractérisant la situation en cause, un tel utilisateur pourrait avoir l’impression que c’est ledit exploitant qui commercialise lui-même, en son nom et pour son propre compte, les produits revêtus dudit signe. Sont pertinents à cet égard les faits que cet exploitant recourt à un mode de présentation uniforme des offres publiées sur son site Internet, affichant en même temps les annonces relatives aux produits qu’il vend en son nom et pour son propre compte et celles relatives à des produits proposés par des vendeurs tiers sur ladite place de marché, qu’il fait apparaître son propre logo de distributeur renommé sur l’ensemble de ces annonces et qu’il offre aux vendeurs tiers, dans le cadre de la commercialisation des produits revêtus du signe en cause, des services complémentaires consistant notamment dans le stockage et l’expédition de ces produits.
Sur les dépens
55 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant les juridictions de renvoi, il appartient à celles-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :
L’article 9, paragraphe 2, sous a), du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne,
Doit être interprété en ce sens que :
l’exploitant d’un site Internet de vente en ligne intégrant, outre les propres offres à la vente de celui-ci, une place de marché en ligne est susceptible d’être considéré comme faisant lui-même usage d’un signe identique à une marque de l’Union européenne d’autrui pour des produits identiques à ceux pour lesquels cette marque est enregistrée, lorsque des vendeurs tiers proposent à la vente, sur cette place de marché, sans le consentement du titulaire de ladite marque, de tels produits revêtus de ce signe, si un utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif de ce site établit un lien entre les services de cet exploitant et le signe en question, ce qui est notamment le cas lorsque, compte tenu de l’ensemble des éléments caractérisant la situation en cause, un tel utilisateur pourrait avoir l’impression que c’est ledit exploitant qui commercialise lui-même, en son nom et pour son propre compte, les produits revêtus dudit signe. Sont pertinents à cet égard les faits que cet exploitant recourt à un mode de présentation uniforme des offres publiées sur son site Internet, affichant en même temps les annonces relatives aux produits qu’il vend en son nom et pour son propre compte et celles relatives à des produits proposés par des vendeurs tiers sur ladite place de marché, qu’il fait apparaître son propre logo de distributeur renommé sur l’ensemble de ces annonces et qu’il offre aux vendeurs tiers, dans le cadre de la commercialisation des produits revêtus du signe en cause, des services complémentaires consistant notamment dans le stockage et l’expédition de ces produits.