Cass. com., 15 mars 2017, n° 15-14.419
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Avocats :
Me Blondel, SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP de Chaisemartin et Courjon
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 9 décembre 2014), rendu sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, financière et économique, 12 mars 2013, pourvoi n° J12-11.970), que le 21 juillet 2000, M. [Z], directeur général de la société Eden studio, s'est rendu acquéreur, au prix de 762 245 euros, d'une partie des actions détenues par M. [P] représentant 10 % du capital de cette société ; que le 28 juillet 2000, M. [Z] a cédé à la société Infogrames interactive les actions qu'il détenait dans la société Eden studio à concurrence de 10 % pour le prix de 1 736 918 euros et, le même jour, M. [N], président-directeur général de la société Eden studio, a cédé 9,8 % de ses actions à la société Infogrames interactive ; que soutenant que MM. [N] et [Z] avaient manqué à leur obligation de loyauté en ne l'informant pas du prix de ces cessions au profit de la société Infogrames interactive, M. [P] les a assignés en paiement de dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. [P] fait grief à l'arrêt de condamner MM. [N] et [Z] à lui payer la seule somme de 48 891,05 euros alors, selon le moyen :
1°/ que la perte d'une chance ne peut résulter que d'un événement futur et incertain ; qu'en jugeant que le préjudice subi par M. [P] « ne peut s'analyser en la perte financière directe qu'il invoque, calculée par la différence entre la valeur des actions au prix obtenu par M. [N] et M. [Z], et la valeur au prix qu'il lui a été accordé », tout en relevant qu'avant la cession consentie par M. [P], par protocole du 6 juin 2000, la société Infogrames interactive s'était engagée à acquérir 19,80 % du capital de la société Eden Studio, que « l'acquisition des 1.300 actions par M. [Z] auprès de M. [P] permettait de donner à la répartition du capital la configuration exigée par la société Infogrames interactive » et que la société Infogrames interactive « n'entendait pas travailler » avec M. [P], ce dont il résultait que la cession de ses actions était impérative pour que M. [P] ne dispose pas d'un nombre de parts supérieur à celui de la société Infogrames interactive et que l'investissement se réalise, et ce qui excluait tout aléa quant au rachat des actions de M. [P], le prix offert par la société Infogrames interactive étant par ailleurs d'ores et déjà définitivement convenu, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1382 du code civil ;
2°/ que pour établir que le préjudice qu'il avait subi était de n'avoir pas perçu le prix de cession par action négocié avec la société Infogrames interactive, M. [P] exposait qu' « au jour de la réalisation du préjudice, soit au 21 juillet 2000, date de la conclusion de la cession entre M. [P] et M. [Z], la cession des actions négociées entre infogrames et MM. [Z] et [N] était réalisée et le prix de celles-ci était en conséquence déterminé de manière certaine », de telle sorte « qu'aucun aléa sur la réalisation de cette vente ne peut donc justifier en l'espèce l'indemnisation de la seule perte de chance », et rappelait par ailleurs que compte tenu de la volonté de la société Infogrames interactive de s'assurer de la collaboration effective et pérenne de MM. [N] et [Z] et de faire de M. [P] un associé minoritaire, l'opération d'investissement ne pouvait avoir lieu sans un rachat des parts de ce dernier ; qu'en jugeant que le préjudice subi par M. [P] « ne peut s'analyser en la perte financière directe qu'il invoque, calculée par la différence entre la valeur des actions au prix obtenu par M. [N] et M. [Z], et la valeur au prix qu'il lui a été accordé », sans répondre aux conclusions de M. [P] démontrant que le rachat de ses actions au prix convenu avec la société Infogrames interactive n'était affecté d'aucun aléa, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que M. [P] exposait, dans ses conclusions d'appel, que l'assertion de MM. [Z] et [N] selon laquelle la société Infogrames interactive aurait refusé de négocier sa participation directement avec lui « sur la base de faux prétextes concurrentiels » participait de « prétextes aussi fallacieux que parfaitement mensongers » ayant permis la dissimulation du prix de cession des actions, et qu'en réalité « la découverte du protocole d'accord dans l'ancien bureau de M. [N] démontre que MM. [Z] et [N] n'ont, en fait, qu'eu l'intention de tromper purement et simplement leur associé et encaisser, sans aucun frais ni risque, de très substantiels profits à son préjudice » ; qu'en jugeant que la perte de chance subie par M. [P] serait « extrêmement réduite » et devrait être évaluée à seulement 5 % de la différence entre la valeur des actions au prix obtenu par MM. [N] et [Z] et le prix obtenu par M. [P], compte tenu du fait que « cette société ne souhaitait pas acheter les actions de M. [P] car elle n'entendait pas travailler avec lui », sans vérifier si cette affirmation ne participait pas des manoeuvres ayant accompagné la déloyauté de MM. [Z] et [N] qu'elle constatait par ailleurs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
4°/ que si la société Infogrames interactive n'entendait pas travailler avec M. [P], elle devait obligatoirement lui racheter ses actions pour que celui-ci ne détienne pas une participation supérieure à la sienne dans le capital social ; qu'en jugeant, pour considérer que la perte de chance subie par M. [P] « apparaît extrêmement réduite », que « cette société ne souhaitait pas acheter les actions de M. [P] car elle n'entendait pas travailler avec lui », la cour d'appel a statué par des motifs contradictoires, violant ainsi l'article 455 du code de procédure civile ;
5°/ qu'en jugeant, pour considérer que la perte de chance subie par M. [P] « apparaît extrêmement réduite » et devrait être évaluée à seulement 5 % de la différence entre la valeur des actions au prix obtenu par MM. [N] et [Z] et le prix obtenu par M. [P], que la société Infogrames interactive « ne souhaitait pas acheter les actions de M. [P] », tout en relevant que la société Infogrames interactive « ne voulait pas travailler avec M. [P] », ce qui impliquait qu'il ne détienne plus 20 % du capital social, que la société Infogrames interactive s'était engagée dès le 6 juin 2000 à acquérir 19,80 % du capital de la société Eden Studio et que « l'acquisition des 1.300 actions par M. [Z] auprès de M. [P] permettait de donner à la répartition du capital la configuration exigée par la société Infogrames interactive », ce dont il résultait que la cession des titres de M. [P] était inéluctable, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1382 du code civil ;
6°/ que M. [P] exposait, dans ses écritures d'appel, que compte tenu de la volonté de la société Infogrames interactive de s'assurer de la collaboration effective et pérenne de MM. [N] et [Z] tout en faisant de M. [P] un associé minoritaire, l'opération d'investissement ne pouvait avoir lieu sans que les parts de M. [P] ne soient rachetées ; qu'en jugeant que la perte de chance subie par M. [P] serait « extrêmement réduite » compte tenu du fait que « cette société ne souhaitait pas acheter les actions de M. [P] car elle n'entendait pas travailler avec lui », sans vérifier si l'acquisition des actions de M. [P] ne conditionnait pas la réalisation même de l'opération d'investissement de la société Infogrames interactive, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la société Infogrames interactive ne souhaitait pas acheter les actions de M. [P], qui n'avait pas été destinataire d'une offre émanant d'un tiers, et retenu que le préjudice subi par M. [P] en raison du manquement de MM. [N] et [Z] à leur obligation de loyauté consistait en la perte d'une chance de pouvoir négocier ses actions à un meilleur prix, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre aux conclusions invoquées à la deuxième et à la troisième branches, ni d'effectuer les recherches visées à la sixième branche que ses constatations rendaient inopérantes, a souverainement estimé, sans se contredire, que cette perte de chance était très limitée et l'a évaluée comme elle l'a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen :
Attendu que M. [P] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral alors, selon le moyen :
1°/ que la perte de chance de ne pas pouvoir vendre ses actions à un meilleur prix subie par M. [P] n'est pas constitutive d'un préjudice moral ; qu'en déboutant M. [P] de sa demande au titre du préjudice moral au motif que « M. [P] ne justifie pas d'un préjudice moral distinct de la perte de chance qu'il a subie », et en confondant ainsi le préjudice moral allégué par M. [P] avec son préjudice patrimonial, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
2°/ qu'en déboutant M. [P] de sa demande au titre d'un préjudice moral au motif que « M. [P] ne justifie pas d'un préjudice moral distinct de la perte de chance qu'il a subie », sans répondre aux conclusions de M. [P] invoquant le préjudice moral né de la découverte des manoeuvres de MM. [Z] et [N] sept ans après la cession, dix ans après s'être associé avec ces derniers et avoir créé ensemble une société au sein de laquelle les trois ingénieurs ont développé des liens professionnels mais également personnels étroits, et sa découverte consécutive que la confiance absolue qu'il plaçait en ses deux associés, qui l'avaient spolié, avait été trahie, ce tandis que durant toutes ces années M. [P] continuait de se dévouer à son employeur à qui il a fait gagner des sommes d'argent très importantes grâce à son talent et à son travail, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ qu'un comportement déloyal cause nécessairement un préjudice moral ; que la cour d'appel, en jugeant que M. [P] ne justifiait pas d'un préjudice moral, après avoir constaté que MM. [Z] et [N] avait manqué à leur obligation de loyauté à son égard, a violé l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties, a estimé, sans confondre les chefs de préjudice allégués en raison du manquement de MM. [N] et [Z] à leur obligation de loyauté, que M. [P] ne justifiait pas d'un préjudice moral ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.