Livv
Décisions

Cass. com., 27 janvier 2021, n° 18-16.418

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Darbois

Rapporteur :

Mme Lefeuvre

Avocats :

SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh

Rouen, du 26 avr. 2018

26 avril 2018

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 26 avril 2018), le 3 avril 2012, M. N..., dirigeant de la société JFG Plastic (la société JFG), holding de la société Manufactures roues élastomères (la société MRE), et M. Q... ont signé un protocole portant sur la cession, à ce dernier, avec faculté de substitution, d'un certain nombre d'actions de la société JFG.

2. Les parties ont parallèlement conclu un contrat de garantie d'actif et de passif comportant une clause limitative d'indemnisation de 550 000 euros.

3. Après qu'une partie des actions de la société JFG a fait l'objet d'un transfert de propriété avec paiement, M. Q... a informé M. N... qu'il mettait en oeuvre la garantie et qu'il refusait de payer le solde du prix de cession, en raison de la dissimulation, par celui-ci, de la pollution d'un site.

4. M. N... contestant les faits, la société MRE distribution, qui s'était substituée à M. Q..., l'a assigné, à titre principal, en annulation de la clause de la convention de garantie de passif limitant l'obligation d'indemnisation de celui-ci à la somme de 550 000 euros et en indemnisation de l'ensemble des préjudices afférents à la pollution au fur et à mesure qu'ils se révéleraient, et, à titre subsidiaire, en constatation de l'acquisition de la garantie de passif prévue au contrat, et en indemnisation des divers préjudices afférents à la pollution du site.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

5. La société MRE distribution fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement ayant rejeté ses demandes tendant à voir constater la réticence dolosive de M. N... et dire la clause de garantie de passif nulle et inopposable et à voir condamner celui-ci à réparer la totalité du préjudice qui en résulte et, en conséquence, de la condamner à payer à M. N... une certaine somme au titre du solde du prix de cession et une autre au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors « que constitue un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie ; qu'il résulte de l'arrêt attaqué que tandis qu'à l'article 22 du contrat de garantie d'actif et de passif du 3 avril 2012, le cédant, M. N..., déclarait que "la société [MRE distribution] s'est conformée aux diverses réglementations applicables en matière d'environnement", ce dernier avait reconnu, dans un courrier en date du 24 janvier 2015, qu'il s'était volontairement abstenu de communiquer au cessionnaire, M. Q..., le rapport P... dressé en novembre 2008 qui révélait l'existence d'une pollution importante du site, dont cette société était propriétaire, "due à la présence de métaux et de composés organiques dans des quantités supérieures à la normale" et, par conséquent, que M. Q... n'avait pas eu communication, avant la cession, de ce rapport ; qu'en déboutant la société MRE distribution, que M. Q... s'était substituée, de sa demande fondée sur la réticence dolosive du cédant, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le cédant ne s'était pas abstenu de communiquer le rapport P... au cessionnaire afin de lui cacher des informations dont il savait le caractère déterminant pour celui-ci, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1116, alinéa 1er, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

6. Aux termes de ce texte, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.

7. Pour rejeter la demande formée par la société MRE distribution au titre du dol, l'arrêt relève que s'il est constant que M. N... s'est abstenu de remettre à M. Q... un rapport faisant état d'une pollution importante du site, dont il avait connaissance depuis 2008, le contrat de garantie ne contenait aucune déclaration mensongère. Il retient que quand bien même M. Q... n'aurait-il pas disposé de ce rapport, il ne pouvait ignorer le caractère classé de l'installation dont il faisait l'acquisition ni, par voie de conséquence, l'existence d'une possible pollution des sols, ce d'autant que des prescriptions complémentaires avaient été imposées par l'autorité préfectorale dans un arrêté relatif à l'ouverture de cette installation, ce qui aurait dû l'amener à procéder à l'audit environnemental prévu dans le protocole de cession. Il ajoute que les éléments contenus dans cet arrêté auraient dû, à tout le moins, conduire le cessionnaire, compte tenu de la nature de l'activité exploitée, à faire un point précis avec le cédant portant spécifiquement sur la pollution du site, sans qu'il soit pour autant nécessaire de se livrer à une étude de la pollution des sols. L'arrêt en déduit qu'il ne peut être reproché à M. N... d'avoir sciemment caché les pollutions afin de ne pas faire échouer la vente.

8. En se déterminant ainsi, sans rechercher si M. N... ne s'était pas abstenu de communiquer le rapport précité à M. Q... afin de lui cacher des informations dont il savait le caractère déterminant pour celui-ci, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

9. La société MRE distribution fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 3°/ que les dommages-intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé ; qu'il en résulte que le cessionnaire de titres sociaux qui invoque la réticence dolosive du cédant quant à l'état de pollution du site dont la société cible est propriétaire est fondé à obtenir la réparation de la perte subie en raison des frais nécessaires pour dépolluer ce site ; qu'en affirmant au contraire, pour débouter le cessionnaire de sa demande fondée sur le dol, que la victime d'un dol qui fait le choix de ne pas demander l'annulation du contrat peut seulement solliciter l'allocation de dommages-intérêts correspondant à la perte d'une chance d'avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses, et non pas au montant du coût des travaux de remise en état du site exploité par la société dont le capital est l'objet de la cession, la cour d'appel a violé les articles 1149 et 1382 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

4°/ que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office le moyen tiré de ce que la victime d'un dol qui fait le choix de ne pas demander l'annulation du contrat peut seulement solliciter l'allocation de dommages-intérêts correspondant à la perte d'une chance d'avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses, et non pas au montant du coût des travaux de remise en état du site exploité par la société dont le capital est l'objet de la cession, sans inviter les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1149 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et l'article 16 du code de procédure civile :

10. En vertu du premier de ces textes, les dommages-intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé.

11. Aux termes du second, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

12. Pour rejeter la demande formée par la société MRE distribution au titre du dol, l'arrêt retient encore que la victime d'un dol, qui fait le choix de ne pas demander l'annulation du contrat, peut demander l'allocation de dommages-intérêts, le préjudice réparable correspondant alors uniquement à la perte d'une chance d'avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses, et non pas au montant du dommage résultant du coût des travaux de remise en état du site exploité par la société dont le capital, en tout ou partie, est l'objet de la cession.

13. En statuant ainsi, sans avoir, au préalable, invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen tiré de l'indemnisation d'une perte de chance, qu'elle avait relevé d'office, et alors que la société MRE distribution demandait la réparation intégrale de son préjudice pris du coût des travaux de remise en état, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

14. La société MRE distribution fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement ayant rejeté ses demandes subsidiaires tendant à la mise en oeuvre de la garantie de passif et à la condamnation de M. N... au paiement d'une certaine somme et, en conséquence, de la condamner à payer à ce dernier une certaine somme au titre du solde du prix de cession des parts sociales et une autre au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors « qu'aux termes de l'article 1er de la partie II du contrat de garantie du 3 avril 2012, le garant s'engageait à indemniser le bénéficiaire pour "tout passif, toute diminution ou insuffisances d'actif et/ou tout autre dommage affectant les "sociétés" ayant une cause ou une origine antérieure à la date de cession des "actions" et dont l'existence n'aurait pas été révélée ni dans la situation de l'exercice arrêtée le 31 décembre 2011 des sociétés JFG Plastic et MRE ni par le présent contrat ou les annexes de celui-ci" ; que l'arrêt attaqué a relevé que le bénéficiaire de la garantie, M. Q..., n'avait pas eu communication, avant la cession, du rapport P... dressé en novembre 2008 qui révélait l'existence d'une pollution importante du site due à la présence de métaux et de composés organiques dans des quantités supérieures à la normale ; qu'en affirmant que la société MRE distribution, que M. Q... s'était substituée dans le bénéfice de la garantie, ne pouvait prétendre à la mise en jeu de la garantie, au motif que le protocole de cession, comme le contrat de garantie du 3 avril 2012, ne contenait aucune déclaration mensongère de la part du garant, quand la mise en jeu de la garantie n'était pas subordonnée à la caractérisation d'une déclaration mensongère du garant, la cour d'appel a méconnu la loi du contrat et violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134, alinéa 1er, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

15. Aux termes de ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

16. Pour rejeter la demande formée par la société MRE distribution au titre de la garantie contractuelle, après avoir relevé que l'article 1er de la partie II du contrat de garantie énonce que « le garant indemnisera le bénéficiaire (...) pour : a) tout passif, toute diminution ou insuffisances d'actif et/ou tout autre dommage affectant les "sociétés" ayant une cause ou origine antérieure à la date de cession des "actions" et dont l'existence n'aurait pas été révélée ni dans la situation de l'exercice arrêté le 31 décembre 2011 des sociétés JFG Plastic et MRE ni par le présent contrat ou les annexes à celui-ci, b) tout autre dommage subi par le bénéficiaire qui n'aurait pas été indemnisé ou qui n'aurait pas complètement été indemnisé au titre du paragraphe (a) ci-dessus, résultant de toute erreur, inexactitude, non respect ou omission dans l'une quelconque des déclarations et "garanties" contenues au présent contrat et ses annexes », l'arrêt retient que s'il est constant que M. N... s'est abstenu de remettre à M. Q... un rapport faisant état d'une pollution importante du site, dont il avait connaissance depuis 2008, le contrat de garantie ne comporte aucune déclaration mensongère.

17. En statuant ainsi, alors que l'article 1er du II du contrat ne subordonnait pas la mise en oeuvre de la garantie à la caractérisation d'une déclaration mensongère du garant, la cour d'appel, qui a méconnu la loi des parties, a violé le texte susvisé.

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

18. La société MRE distribution fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'aux termes de l'article 1er de la partie II du contrat de garantie du 3 avril 2012, le garant s'engageait à indemniser le bénéficiaire pour "tout passif, toute diminution ou insuffisances d'actif et/ou tout autre dommage affectant les "sociétés" ayant une cause ou une origine antérieure à la date de cession des "actions" et dont l'existence n'aurait pas été révélée ni dans la situation de l'exercice arrêtée le 31 décembre 2011 des sociétés JFG Plastic et MRE ni par le présent contrat ou les annexes de celui-ci" ; que, par suite, le bénéfice de cette garantie n'était pas subordonné à la réalisation d'un audit environnemental par le bénéficiaire de la garantie ; qu'en affirmant néanmoins que ce dernier ne pouvait pas prétendre à la mise en jeu de la garantie, motif pris que le cessionnaire ne pouvait ignorer qu'il faisait l'acquisition d'une installation classée et que l'autorité préfectorale avait imposé des prescriptions complémentaires en septembre 2005, ce qui aurait dû l'amener à procéder à un audit environnemental, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134, alinéa 1er, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

19. Pour rejeter la demande formée par la société MRE distribution au titre de la garantie contractuelle, l'arrêt retient encore que M. Q... s'était engagé à procéder à un audit environnemental, dans le protocole de cession et que si le temps imparti pour y procéder lui paraissait insuffisant, la société MRE distribution ne démontre pas que M. Q... n'aurait pas pu obtenir du cédant un report de la date butoir.

20. En statuant ainsi, alors que le contrat de garantie ne subordonnait pas la mise en oeuvre de la garantie à la réalisation de l'audit environnemental prévu au protocole de cession, la cour d'appel, qui a méconnu la loi des parties, a violé le texte susvisé.

Et sur le moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

21. La société MRE distribution fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'il résultait de l'article 1er de la partie II du contrat de garantie du 3 avril 2012 que la garantie donnée au cessionnaire par le cédant devait s'appliquer dès lors qu'une différence était constatée entre, d'une part, la situation de l'exercice arrêtée le 31 décembre 2011 des sociétés JFG Plastic et MRE, le contrat de garantie et les annexes de celui-ci, d'autre part, la situation réelle de ces sociétés à cette date, sans qu'il y ait lieu de rapporter la preuve que le cédant avait intentionnellement caché des informations au cessionnaire ; qu'en affirmant que la société MRE distribution ne pouvait prétendre à la mise en jeu de cette garantie, motif pris qu'il ne pouvait être utilement reproché au cédant, M. N..., d'avoir sciemment caché les pollutions afin de ne pas faire échouer la vente, la cour d'appel a méconnu la loi du contrat en violation de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134, alinéa 1er, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

22. Pour rejeter la demande formée par la société MRE distribution au titre de la garantie contractuelle, l'arrêt retient enfin qu'il ne peut être utilement reproché à M. N... d'avoir sciemment caché les pollutions afin de ne pas faire échouer la vente.

23. En statuant ainsi, alors que le contrat de garantie ne subordonnait pas la mise en oeuvre de la garantie à la démonstration de manoeuvres dolosives du garant, la cour d'appel, qui a méconnu la loi des parties, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de la société MRE distribution d'annulation du jugement entrepris, l'arrêt rendu le 26 avril 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen.