Cass. crim., 4 septembre 1996, n° 95-83.718
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guerder
Rapporteur :
M. Martin
Avocat général :
M. Amiel
Avocats :
SCP Peignot et Garreau, SCP Waquet, Farge et Hazan
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'ont été constituées, en janvier 1988 la SCI de Paiolive, dont l'objet était la création d'un hôtel-restaurant, en mai 1988 la SARL Hôtel de l'Espère en vue d'exploiter cet établissement, et en 1990 la SCI Place du Marché ; que les 2 associés principaux étaient Jean X... et Serge Y... ; que ces 3 sociétés étaient gérées par Jean X..., Serge Y... succédant toutefois à ce dernier dans la gérance de la SARL en octobre 1988 ;
Que, suite à la plainte avec constitution de partie civile déposée courant 1992 par Serge Y..., Jean X... a été renvoyé devant la juridiction correctionnelle pour abus de confiance au préjudice des 2 SCI, abus de biens sociaux et emploi de travailleurs clandestins ;
En cet état,
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 4, 406, 408 ancien, 314-1 nouveau du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean X... coupable d'abus de confiance au préjudice des SCI de Paiolive et Place du Marché, en répression, l'a condamné à la peine de 2 ans d'emprisonnement avec sursis, a prononcé à son encontre l'interdiction des droits de vote et d'éligibilité pendant 5 ans et sur l'action civile, a condamné Jean X... à payer à la SCI de Paiolive la somme de 1 374 000 francs à titre de dommages-intérêts ;
" aux motifs qu'ont été relevés entre novembre 1988 et juin 1989 différents prélèvements et retraits au préjudice de la SCI de Paiolive et au préjudice de la SCI Place du Marché ; que ces sommes concernent des salariés (sic) que s'est octroyé Jean X... en qualité de gérant sans les déclarer ; que les autres (sic) ont été versés sur le compte personnel du prévenu ou ont fait l'objet de retraits en espèces ; qu'il est certain qu'un gérant ne peut avoir mandat d'effectuer de telles opérations dépourvues de toute régularité comptable, même si, comme il n'est pas douteux, une grande partie des prélèvements a été utilisée pour régler le passif de la SCI ; qu'il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu l'abus de confiance par application de l'article 314-1 du Code pénal ;
" 1° Alors qu'une loi nouvelle aggravant les incriminations et les peines prévues par la loi antérieure n'est applicable qu'à des faits accomplis après son entrée en vigueur ; que les faits reprochés à Jean X... ayant été accomplis avant l'entrée en vigueur, le 1er mars 1994, de la loi dont est issu l'article 314-1 nouveau du Code pénal relatif à l'abus de confiance, plus sévère au regard des incriminations et des peines que l'article 408 ancien du même Code, la cour d'appel, en faisant application de la loi nouvelle à l'encontre du prévenu, a violé les textes visés au moyen ;
" 2° Alors que le délit d'abus de confiance implique nécessairement la constatation du détournement ou de la dissipation frauduleuse de la chose remise, le seul usage ou le défaut de restitution de celle-ci ne pouvant suffire à caractériser ce détournement ou cette dissipation ; qu'en se bornant à relever que Jean X... aurait effectué un certain nombre de prélèvements et de retraits, en énonçant au demeurant que ceux-ci auraient pour leur plus grande part été utilisés pour régler le passif de la partie civile, la cour d'appel n'a pas caractérisé de détournement ou de dissipation frauduleuse commise par le prévenu et a ainsi privé sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen ;
" 3° Alors que le délit d'abus de confiance n'existe que si le prévenu a eu l'intention frauduleuse de s'approprier la chose d'autrui ; que la cour d'appel ayant constaté elle-même que les retraits et prélèvements reprochés à Jean X... avaient été pour l'essentiel affectés au règlement du passif de la SCI de Paiolive, partie civile, n'a pas caractérisé la volonté frauduleuse de Jean X... de s'approprier, par détournement ou dissipation, les sommes litigieuses, et n'a pas ainsi légalement justifié sa décision au regard des textes visés au moyen ;
" 4° Alors que, en toute hypothèse, le délit d'abus de confiance suppose qu'il a été susceptible de causer un préjudice au propriétaire, possesseur ou détenteur de la chose ; que la Cour ayant constaté que les sommes prélevées sur les comptes de la SCI de Paiolive, partie civile avaient été utilisées pour régler le passif de celle-ci, le détournement imputé au prévenu n'était pas susceptible de causer un préjudice au propriétaire de la chose, de sorte qu'en déclarant cependant Jean X... coupable d'abus de confiance, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes visés au moyen " ;
Attendu que, pour déclarer Jean X... coupable d'abus de confiance, l'arrêt attaqué énonce qu'il a prélevé, en espèces ou par versements sur son compte bancaire personnel, la somme de 1 374 000 francs au préjudice de la SCI de Paiolive et celle de 51 000 francs au préjudice de la seconde SCI, qu'il a utilisé ces fonds à d'autres objets que ceux pour lesquels ils devaient servir et qu'il n'avait pas mandat d'effectuer de telles opérations, dépourvues de toute régularité comptable ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, relevant du pouvoir souverain d'appréciation, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, caractérisant par ailleurs le délit reproché en tous ses éléments constitutifs, et dès lors que les juges ont fait application des articles 408 et 406 du Code pénal alors applicables visés par l'ordonnance de renvoi, ainsi qu'il résulte des mentions finales du jugement, confirmé sur la déclaration de culpabilité, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation de l'article 425 de la loi du 24 juillet 1966 et de l'article 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean X... coupable d'abus de biens sociaux au préjudice de la SARL Hôtel de l'Espère, en répression, l'a condamné à la peine de 2 ans d'emprisonnement avec sursis, a prononcé à son encontre l'interdiction de vote et d'éligibilité pendant 5 ans et, sur l'action civile, a condamné Jean X... à payer à la SARL Hôtel de l'Espère la somme de 482 862 francs à titre de dommages-intérêts ;
" aux motifs que de juin à septembre 1988, période pendant laquelle il était gérant de la SARL Hôtel de l'Espère, Jean X... a opéré divers retraits au profit de son compte personnel, au préjudice de cette dernière société ; que ces prélèvements étaient sans rapport avec l'objet social, puisqu'ils ont été utilisés pour combler les dettes de la SCI de Paiolive ; que les procédés utilisés parfaitement irréguliers du seul point de vue comptable font en toute hypothèse obstacle à ce que soit invoquée la notion de groupe au demeurant non adaptée aux faits ;
" 1° Alors que le délit d'abus de biens sociaux n'est pas caractérisé en présence de concours financiers apportés par le dirigeant d'une société à une autre société complémentaire de la précédente, liée à cette dernière par des intérêts économiques communs, lesquels rendent les 2 sociétés interdépendantes et constitutives d'un groupe ;
" que la SARL Hôtel de l'Espère ayant été créée pour exploiter un hôtel-restaurant dans les locaux propriété de la SCI de Paiolive, et, par le paiement de loyers au bénéfice de la SCI, pour renforcer les capacités financières de cette dernière, la cour d'appel ne pouvait se borner, pour écarter l'existence d'un groupe entre ces deux sociétés interdépendantes et liées entre elles par des intérêts économiques et financiers communs, à relever la caractère prétendument irrégulier des procédés utilisés pour les prélèvements de fonds reprochés, et a ainsi statué par des motifs inopérants, privant ainsi sa décision de toute base légale au regard des textes visés au moyen ;
" 2° Alors que le délit d'abus de biens sociaux n'est pas constitué en l'absence de mauvaise foi du prévenu, laquelle doit être expressément constatée ; qu'en omettant de constater que Jean X... aurait commis de mauvaise foi les faits reprochés, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen " ;
Attendu que, pour déclarer Jean X... coupable d'abus de biens sociaux au préjudice de la société Hôtel de l'Espère, les juges du second degré relèvent que l'intéressé a opéré, alors qu'il en était le gérant, des retraits, s'élevant à 482 862 francs, sur la trésorerie sociale, aux fins d'apurer partie du passif de la SCI de Paiolive qu'il gérait et dans laquelle il était associé ; qu'ils ajoutent que l'emploi des fonds était contraire à l'intérêt social de la SARL et que les procédés utilisés, irréguliers du point de vue comptable, font en toute hypothèse obstacle à ce que soit invoquée la notion de groupe, " non adaptée aux faits " ;
Attendu qu'en cet état, la cour d'appel, qui a caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit reproché, a justifié sa décision ;
Qu'en effet, le concours financier apporté par le dirigeant d'une société à une autre entreprise dans laquelle il est intéressé, n'échappe aux prévisions des textes incriminant le délit d'abus de biens sociaux que si, d'une part, l'existence d'un groupe de sociétés est établie, et si, d'autre part, ce concours est dicté par les intérêts de ce groupe appréciés au regard d'une politique commune, n'est pas dépourvu de contrepartie ou ne rompt pas l'équilibre entre les engagements respectifs des diverses sociétés, et n'excède pas les possibilités financières de celle qui en supporte la charge ; que tel n'est pas le cas en l'espèce ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.