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Décisions

CE, 5e et 4e sous sect. réunies, 25 juillet 2013, n° 347456

CONSEIL D'ÉTAT

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bégranger

Rapporteur :

M. Polge

Avocat :

SCP Lyon-Caen, Thiriez

CE n° 347456

24 juillet 2013

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 14 mars et 14 juin 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme F...E..., demeurant... ; Mme E...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement n° 0813147-0816945 du 21 décembre 2010 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant, d'une part, à l'annulation des décisions des 4 juin et 20 août 2008 du préfet de police refusant, respectivement, de lui prêter le concours de la force publique pour l'exécution de l'arrêt du 5 juillet 2006 de la cour d'appel de Paris ordonnant l'expulsion de M. A...de l'immeuble dont elle est propriétaire et de lui verser la somme de 240 000 euros en réparation de ses préjudices résultant de ce refus et, d'autre part, à la condamnation de l'Etat à lui verser cette indemnité ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses demandes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 ;

Vu le décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Gérald Bégranger, Maître des Requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de Mme F...E..., de Mme D...G..., de M. C...G...et de M. B...G... ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par contrat du 6 septembre 1977, Mme E...a donné à bail à M. A...un immeuble à usage d'hôtel meublé situé 72 bis rue Jean-Pierre Timbaud à Paris ; que, par un arrêt du 5 juillet 2006, la cour d'appel de Paris a, d'une part, confirmé le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 18 novembre 2004 prononçant la résiliation de ce bail et, d'autre part, ordonné à M. A... de quitter les lieux dans un délai déterminé ; que, par acte d'huissier de justice du 25 janvier 2005, Mme E...a saisi le préfet de police d'une demande de concours de la force publique pour l'exécution de cet arrêt ; que, ce concours ne lui ayant pas été accordé, elle a renouvelé sa demande par acte d'huissier de justice du 12 mars 2007 ; que, par lettre du 4 juin 2008, le préfet de police a informé Mme E...qu'il lui refusait le concours de la force publique en vue de procéder à l'expulsion des occupants du chef de M. A...au motif que l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 5 juillet 2006 ne prévoyait pas leur expulsion ; que Mme E...se pourvoit en cassation contre le jugement du 21 décembre 2010 par lequel le tribunal administratif de Paris a refusé d'annuler cette décision et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 240 000 euros en réparation de ses préjudices résultant des deux décisions de refus du préfet ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur :

2. Considérant que si Mme E...a produit, à l'appui du pourvoi qu'elle a formé contre le jugement attaqué du 21 décembre 2010, la copie d'un autre jugement rendu le même jour par le même tribunal, elle a ensuite produit une copie du jugement contre lequel elle se pourvoit en cassation ; que par suite, la fin de non-recevoir du ministre de l'intérieur tirée de l'absence de production du jugement attaqué ne peut qu'être écartée ;

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat résultant du refus de concours de la force publique opposé à la demande du 25 janvier 2005 :

3. Considérant qu'aux termes de l'article 62 de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, alors en vigueur : " Si l'expulsion porte sur un local affecté à l'habitation principale de la personne expulsée ou de tout occupant de son chef, elle ne peut avoir lieu, sans préjudice des dispositions des articles L. 613-1 à L. 613-5 du code de la construction et de l'habitation, qu'à l'expiration d'un délai de deux mois qui suit le commandement. (...) Dès le commandement d'avoir à libérer les locaux à peine de suspension du délai avant l'expiration duquel l'expulsion ne peut avoir lieu, l'huissier de justice chargé de l'exécution de la mesure d'expulsion doit en informer le représentant de l'Etat dans le département en vue de la prise en compte de la demande de relogement de l'occupant dans le cadre du plan départemental (...) " ; qu'aux termes de l'article 50 du décret du 31 juillet 1992 instituant de nouvelles règles relatives aux procédures civiles d'exécution, et relatif en particulier à la réquisition de la force publique : " La réquisition contient une copie du dispositif du titre exécutoire (...). Toute décision de refus de l'autorité compétente doit être motivée. Le défaut de réponse dans un délai de deux mois équivaut à un refus (...) ; qu'aux termes de l'article 197 du même décret : " L'huissier de justice envoie au préfet (...) par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception copie du commandement d'avoir à quitter les locaux " ;

4. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le concours de la force publique ne peut être légalement accordé avant l'expiration du délai de deux mois qui suit la notification au préfet du commandement d'avoir à quitter les lieux antérieurement signifié à l'occupant, le préfet devant mettre à profit ce délai pour tenter de trouver une solution de relogement de l'occupant ; que, lorsqu'il est saisi d'une demande de concours de la force publique qui n'a pas été précédée de la notification du commandement de quitter les lieux adressé à l'occupant, le préfet est par suite légalement fondé à la rejeter ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en jugeant qu'en l'absence de notification au préfet du commandement de quitter les lieux signifié le 17 janvier 2005 à M. A..., le préfet de police n'avait pas été régulièrement saisi d'une demande de concours de la force publique par l'acte d'huissier de justice du 25 janvier 2005, le tribunal administratif n'a pas commis d'erreur de droit ;

En ce qui concerne la légalité de la décision préfectorale du 4 juin 2008 et la responsabilité de l'Etat résultant du refus du préfet de police opposé à la demande de concours de la force publique de Mme E...du 12 mars 2007 :

6. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la loi du 9 juillet 1991 : " L'Etat est tenu de prêter son concours à l'exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l'Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation " ;

7. Considérant que l'obligation d'apporter le concours de la force publique pour assurer l'exécution d'une décision de justice ordonnant une expulsion de lieux occupés vaut à l'égard non seulement de la personne visée par la décision de justice mais aussi de tous les occupants de son chef ; qu'il suit de là qu'en jugeant que le préfet pouvait légalement refuser le concours de la force publique à Mme E...aux fins d'expulsion des occupants de son immeuble au motif que le dispositif de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 5 juillet 2006 prévoyait seulement l'expulsion de M.A..., et non celle des occupants de son chef, le tribunal administratif a entaché son jugement d'une erreur de droit ; que par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, le jugement doit être annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de Mme E...tendant à l'annulation de la décision du préfet de police du 4 juin 2008 et à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité au titre de sa responsabilité résultant du refus que le préfet de police a opposé à sa demande de concours de la force publique du 12 mars 2007 ;

Sur les conclusions de Mme E...présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser aux consorts G... venant aux droits de Mme E..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 21 décembre 2010 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de Mme E...tendant à l'annulation de la décision du préfet de police du 4 juin 2008 et à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité au titre de sa responsabilité résultant du refus que le préfet de police a opposé à sa demande de concours de la force publique du 12 mars 2007.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, au tribunal administratif de Paris.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros aux consorts G...venant aux droits de Mme E...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. C...G..., à M. B... G..., à Mme D...G...et au ministre de l'intérieur.