CE, juge des référés, 20 décembre 2022, n° 469498
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Valocîme (Sté)
Défendeur :
Phoenix Tower International (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
SARL Delvolve Et Trichet , SCP Spinosi
Vu la procédure suivante : Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 et 18 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Valocîme demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de la décision du 8 septembre 2022 de l'Autorité de la concurrence agréant la société Phoenix Tower International (PTI) en tant que repreneur des actifs que la société Cellnex s'est engagée à céder lors des engagements pris dans le cadre de la décision de l'Autorité de la concurrence n° 21-DCC-197 du 25 octobre 2021 autorisant le rachat de la société Hivory par la société Cellnex ;
2°) de mettre à la charge de l'Autorité de la concurrence la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que : - sa requête est recevable dès lors qu'elle dispose d'un intérêt lui donnant qualité pour agir ; - sa requête est recevable dès lors qu'elle conserve son objet ; - la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, en premier lieu, la décision contestée, qui est susceptible de générer des effets anticoncurrentiels horizontaux et verticaux ainsi que des ententes entre les acteurs du marché des infrastructures passives d'hébergement d'équipement de téléphonie mobile de type " toits-terrasses " et " autres ", marché dit des " TowerCos ", porte atteinte de manière grave et immédiate à l'intérêt public que constitue le maintien de conditions normales de concurrence sur ce marché, en deuxième lieu, elle porte une atteinte grave et immédiate à l'intérêt public s'attachant à la couverture du territoire par le réseau de téléphonie mobile et, en dernier lieu, elle porte atteinte de manière grave et immédiate à ses intérêts en ce qu'elle la prive de toute entrée sur le marché des " TowerCos " et du développement de son activité économique ; - il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ; - la décision contestée est entachée d'irrégularité en ce qu'elle n'a pas été publiée sur le site de l'Autorité de la concurrence dans le délai imparti de cinq jours ouvrables, en méconnaissance des articles R. 430-6 et R. 430-8 du code de commerce ; - elle est entachée d'illégalité dès lors que la société repreneuse ne présente pas toutes les garanties de viabilité et d'indépendance, tant juridiques que commerciales, à l'égard de la société Cellnex et méconnaît l'exigence d'indépendance définie par les lignes directrices de l'Autorité de la concurrence ; - elle est entachée d'illégalité en ce qu'elle crée de nouveaux risques d'atteintes à la concurrence. Par un mémoire en défense, enregistré le 15 décembre 2022, l'Autorité de la concurrence conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Valocîme la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que la requête est irrecevable, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 décembre 2022, la société Cellnex conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Valocîme la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 décembre 2022, les sociétés PTI, Phoenix France Infrastructures II et PTI Alligator Bidco concluent au rejet de la requête. Elles soutiennent que la requête est irrecevable, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu : - le traité sur le fonctionnement de l'union européenne, notamment l'article 101 ; - le code de commerce ; - le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société Valocîme et d'autre part, l'Autorité de la concurrence, la société Cellnex France Groupe et les sociétés Phoenix Tower International, Phoenix France Infrastructures II et PTI Alligator Bidco ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 19 décembre 2022, à 15 heures :
- Me Trichet, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de la société Valocîme ;
- les représentants de la société Valocîme ;
- les représentants de l'Autorité de la concurrence ;
- Me Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat des sociétés Phoenix Tower International, Phoenix France Infrastructures II et PTI Alligator Bidco ; - les représentants des sociétés Phoenix Tower International, Phoenix France Infrastructures II et PTI Alligator Bidco ;
- les représentants de la société Cellnex France Groupe ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". L'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.
2. Aux termes de l'article L. 430-1 du code de commerce : " I. - Une opération de concentration est réalisée : 1° Lorsque deux ou plusieurs entreprises antérieurement indépendantes fusionnent ; / 2° Lorsqu'une ou plusieurs personnes, détenant déjà le contrôle d'une entreprise au moins ou lorsqu'une ou plusieurs entreprises acquièrent, directement ou indirectement, que ce soit par prise de participation au capital ou achat d'éléments d'actifs, contrat ou tout autre moyen, le contrôle de l'ensemble ou de parties d'une ou plusieurs autres entreprises (...) ". Il appartient à l'Autorité de la concurrence, saisie d'une opération de concentration, à partir d'une analyse prospective tenant compte de l'ensemble des données pertinentes et se fondant sur un scénario économique plausible, de caractériser les effets anticoncurrentiels de l'opération et d'apprécier si ces effets sont de nature à porter atteinte au maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés qu'elle affecte. L'Autorité de la concurrence, à laquelle une opération de concentration entrant dans le champ défini par les articles L. 430-1 et L. 430-2 du code commerce a été notifiée, peut, en vertu des dispositions de l'article L. 430-5 du même code, soit autoriser l'opération en la subordonnant éventuellement à la réalisation effective d'engagements pris par les parties, soit, si elle estime qu'il existe un doute sérieux d'atteinte à la concurrence, engager un examen approfondi au terme duquel elle prend une décision qui peut être d'autorisation, le cas échéant assortie d'engagements, de prescriptions ou d'injonctions, ou d'interdiction, dans les conditions prévues aux articles L. 430-6 et L. 430-7 du même code.
3. Par une décision du 25 octobre 2021, l'Autorité de la concurrence a autorisé la prise de contrôle exclusif de la société Hivory par la société Cellnex France Groupe, qui sont deux sociétés exploitant des infrastructures passives de télécommunication mobile, sous réserve de l'engagement de la seconde de céder 2 904 sites " toits-terrasses " et 322 sites " autres " situés en zone urbaine, afin de supprimer l'augmentation de parts de marché résultant de l'opération autorisée. Par une décision du 8 septembre 2022 dont la société Valocîme demande au juge des référés du Conseil d'Etat de suspendre l'exécution, l'Autorité de la concurrence a agréé la cession de ces sites aux sociétés Phoenix Tower International Holdco (PTI), à travers sa filiale PTI Alligator Bidco et Phoenix France Infrastructures II (PFI II).
4. Afin de démontrer l'existence d'une situation d'urgence à suspendre la décision d'agrément litigieuse, la société Valocîme fait valoir qu'elle comporterait un risque d'atteinte à la concurrence sur le marché des infrastructures passives d'hébergement d'équipements de téléphonie mobile en augmentant les parts de marché des sociétés cessionnaires qui seraient liées à la société Bouygues Télécom, ce qui aurait notamment pour conséquence de décourager les autres opérateurs de recourir à leurs infrastructures et de porter atteinte à l'objectif de couverture du territoire et qu'elle priverait la société Valocîme de la possibilité de pénétrer ce marché. Toutefois, d'une part, la circonstance, à la supposer établie malgré les garanties prises par les parties et relevées par l'Autorité de la concurrence dans sa décision, que la société Bouygues Télécom serait en mesure d'influencer certaines décisions des sociétés cessionnaires n'est pas, par elle-même, de nature à faire regarder la cession à ces sociétés de 3 226 sites d'hébergement d'équipements de téléphonie mobile comme créant un risque d'atteinte à la concurrence sur le marché de ces infrastructures ou à l'intérêt d'une bonne couverture du territoire. D'autre part, la décision litigieuse ne porte aucune atteinte immédiate à la situation financière ou aux intérêts de la société Valocîme, qui ne justifie d'aucun droit particulier à acquérir les sites cédés par la société Cellnex. Dans ces conditions, la société Valocîme n'est pas fondée à soutenir que les effets de la décision d'agrément litigieuse sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, son exécution soit suspendue.
5. Il résulte de ce qui précède que la condition d'urgence posée par les dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative n'étant pas satisfaite, la demande de la société Valocîme ne peut qu'être rejetée, sans qu'il soit besoin de se prononcer ni sur sa recevabilité ni sur l'existence d'un moyen de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Autorité de la concurrence qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. La société Valocîme versera au titre de ces dispositions une somme de 3 000 respectivement à la société Phoenix Tower International, première dénommée et à la société Cellnex France Groupe. Enfin, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de l'Autorité de la concurrence au titre de ces dispositions.
O R D O N N E : Article 1er : La requête de la société Valocîme est rejetée. Article 2 : La société Valocîme versera la somme de 3 000 euros respectivement à la société Phoenix Tower International, première dénommée et à la société Cellnex France Groupe. Article 3 : Les conclusions présentées par l'Autorité de la concurrence au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées. Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Valocîme, à l'Autorité de la concurrence, à la société Phoenix Tower International, première dénommée et à la société Cellnex France Groupe.