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Décisions

Cass. crim., 11 mai 2022, n° 20-87.121

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme de la Lance

Avocat :

SCP de Nervo et Poupet

St Denis de la Réunion à Mamoudzou, du 0…

3 décembre 2020

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Par délibération du 8 juillet 2013, le conseil départemental de Mayotte a désigné la société Mayotte Channel Gateway (MCG), dont Mme [P] [N] était la présidente, délégataire de la gestion et de l'exploitation du port de [Localité 1].

3. Une enquête a été ouverte à la suite d'une plainte pour prise illégale d'intérêts déposée à l'encontre de M. [J] [M] [D] qui, ayant été vice-président du conseil départemental de Mayotte jusqu'au 2 avril 2015, a été embauché le 20 avril 2016 par la société MCG.

4. Il a par ailleurs été révélé que M. [X] [W] et Mme [F] [H], tous deux élus conseillers départementaux le 2 avril 2015, ont travaillé pour la même société pendant la durée de leur mandat.

5. A l'issue des investigations, MM. [D] et [W], et Mme [H] ont comparu devant le tribunal correctionnel sous la prévention de prise illégale d'intérêts tandis que Mme [N] a été poursuivie sous la double qualification de complicité de prise illégale d'intérêts et d'abus de biens sociaux.

6. M. [D] s'est vu reprocher d'avoir à Longoni, du 20 avril 2016 au 31 janvier 2018, ayant été chargé, dans le cadre d'une fonction exécutive locale, en l'espèce vice-président du conseil départemental de Mayotte jusqu'au 2 avril 2015 et suppléant de la commission de délégation de service public du port de [Localité 1], de formuler un avis sur les contrats de toute nature avec la société MCG, entreprise privée bénéficiaire d'une délégation de service public, en prenant une participation par le travail avant un délai de trois ans suivant la fin de ses fonctions, en l'espèce en signant un contrat de travail avec cette société le 20 avril 2016 et en percevant un salaire net d'un montant total de 87 975,13 euros.

7. Mme [N] a été prévenue d'avoir, d'une part, été complice de l'infraction de prise illégale d'intérêts reprochée à M. [D] en provoquant sa commission par promesse et en l'aidant ou en l'assistant sciemment dans sa préparation ou sa commission, et, d'autre part, étant dirigeant de droit de la société MCG, fait de mauvaise foi des biens ou du crédit de cette société un usage qu'elle savait contraire à l'intérêt de celle-ci en se rendant complice du délit de prise illégale d'intérêts.

8. Les juges du premier degré ont relaxé M. [D] et Mme [N] et déclaré coupables M. [W] et Mme [H], les condamnant chacun à six mois d'emprisonnement avec sursis, 10 000 euros d'amende et trois ans d'inéligibilité.

9. M. [W], Mme [H] et M. [C], partie civile, ainsi que le procureur de la République, ont interjeté appel de ce jugement.

Examen des moyens

Sur les troisième et quatrième moyens

10. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur les premier et deuxième moyens

Enoncé des moyens

11. Le premier moyen est pris de la violation des articles 591 du code de procédure pénale, 432-13, 432-17, 131-26-2 du code pénal.

12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé M. [D] des faits de prise illégale d'intérêts, alors :

1°/ qu'en sa qualité de deuxième vice-président du conseil général en charge du pôle social et de l'administration du 8 octobre 2012 au 2 avril 2015, bénéficiant d'une délégation de signature à ce titre, et de membre élu de la commission permanente et membre du bureau du conseil général, M. [D] faisait partie de l'exécutif du département ;

2°/ que M. [D] a participé en tant que suppléant avec voix délibérative à la commission de délégation de service public du 11 décembre 2012 et à la délibération n° 1199/2013/CG du 8 juillet 2013, qu'il s'en déduit qu'il a directement formulé des avis sur la convention de délégation de service public dont a bénéficié la société MCG, que ces avis ont contribué à la décision d'attribution de la délégation de service public à cette société ; qu'à la date de la signature de son contrat de travail, soit le 20 avril 2016, signature qui caractérise le fait constitutif de la prise d'intérêts prohibée, M. [D] avait cessé ses fonctions électives depuis le 2 avril 2015, soit depuis moins de trois ans après leur cessation, et n'a pas respecté le délai qui lui était imparti, tel que fixé à l'article 432-13 du code pénal.

13. Le deuxième moyen est pris de la violation des articles 593 du code de procédure pénale, 432-13, 432-17, 131-26-2 du code pénal, L. 242-6, 3°, L. 242-30, L. 243-1, L. 244-1, L. 244-5, L. 246-2, L. 242-6, L. 249-1 du code de commerce.

14. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé Mme [N] des chefs de complicité de prise illégale d'intérêts et d'abus de biens sociaux, alors que, dépourvu de motivation, il n'a pas pris en compte les conclusions du ministère public régulièrement visées avant les débats.

Réponse de la Cour

15. Les moyens sont réunis.

Vu les articles 432-13 du code pénal alors en vigueur et L. 3221-3 du code général des collectivités territoriales :

16. Selon le premier de ces textes, constitue une prise illégale d'intérêts le fait, par une personne ayant été chargée, en tant que titulaire d'une fonction exécutive locale, dans le cadre des fonctions qu'elle a effectivement exercées, soit d'assurer la surveillance ou le contrôle d'une entreprise privée, soit de conclure des contrats de toute nature avec une entreprise privée ou de formuler un avis sur de tels contrats, soit de proposer directement à l'autorité compétente des décisions relatives à des opérations réalisées par une entreprise privée ou de formuler un avis sur de telles décisions, de prendre ou de recevoir une participation par travail, dans l'une de ces entreprises avant l'expiration d'un délai de trois ans suivant la cessation de ces fonctions.

17. Selon le second texte, si le président du conseil départemental est seul chargé de l'administration, il peut déléguer par arrêté l'exercice d'une partie de ses fonctions aux vice-présidents qui, dès lors, se trouvent chargés d'une fonction exécutive locale.

18. Pour relaxer M. [D] des faits de prise illégale d'intérêts et Mme [N] de ceux de complicité de ce délit et d'abus de biens sociaux, l'arrêt attaqué énonce qu'un vice-président du conseil départemental ne fait pas partie de l'exécutif départemental et qu'il reçoit délégation du président, sous sa surveillance et sa responsabilité, de l'exercice d'une partie de ses fonctions.

19. Les juges retiennent que si M. [D] bénéficiait depuis le 8 octobre 2012 d'une délégation de « président délégué de la commission d'action sociale et de l'administration générale », il ne disposait à ce titre d'aucune délégation de signature de l'exécutif local dont est seul titulaire le président du conseil départemental, ni d'aucune autre délégation de pouvoir ou de signature.

20. Ils considèrent qu'en siégeant, en tant que suppléant mais avec voix délibérative, à la commission de délégation de service public ayant pour objet l'analyse et la notation des offres présentées par les candidats à l'attribution de la gestion du port de [Localité 1], en signant le procès-verbal d'analyse et de notation plaçant la société MCG en tête des candidats et prenant part à la délibération qui a octroyé la délégation de service public à cette société, M. [D] a agi en qualité de membre de l'organe délibérant en dehors de toute fonction relevant de l'exécutif local, les juges soulignant que l'avis favorable à la société MCG est le fait de la commission composée de cinq voix délibérantes et non celui de M. [D] à titre personnel.

21. Ils en déduisent que les prérogatives de M. [D] au sein du conseil départemental ne relèvent pas d'une mission de l'exécutif local et que les infractions reprochées à M. [D], et, par voie de conséquence, à Mme [N], ne sont pas caractérisées.

22. En l'état de ces énonciations, dont il résulte que M. [D] a été en sa qualité de vice-président du conseil départemental en charge d'une fonction exécutive locale dans le cadre de laquelle il a été chargé de formuler un avis sur les contrats de toute nature avec la société MCG, entreprise privée bénéficiaire d'une délégation de service public, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

23. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

24. La cassation sera limitée aux relaxes de M. [D] et de Mme [N]. Les autres dispositions seront donc maintenues.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre d'appel de Mamoudzou de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, en date du 3 décembre 2020, mais en ses seules dispositions ayant relaxé M. [D] et Mme [N], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 800-2 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre d'appel de Mamoudzou de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;