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Décisions

Cass. crim., 14 juin 2000, n° 99-84.054

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gomez

Rapporteur :

M. Joly

Avocat général :

M. Cotte

Avocat :

SCP Waquet, Farge et Hazan

Amiens, du 11 mai 1999

11 mai 1999

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 432-12 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Yves X... coupable de prise illégale d'intérêts et l'a condamné de ce chef ;

" aux motifs qu'Yves X..., architecte, lorsqu'il est choisi par le conseil général de l'Aisne ou l'OPHLM de l'Aisne en qualité de maître d'oeuvre, est chargé d'une mission de service public, dont la finalité est de satisfaire l'intérêt général ; que le maître d'oeuvre ne se borne pas à donner ponctuellement un simple avis technique, mais dispose de pouvoirs de préparation dans l'attribution des marchés publics, puisqu'il analyse les offres qu'il commente devant les décideurs ; qu'Yves X..., actionnaire et administrateur de la société Routière X... et à sa filiale, la société TPA ; qu'Yves X... aurait dû se démettre de sa mission, dès lors que la société Routière X... était candidate au soumissionnement ; que cette société étant très active dans le département de l'Aisne, Yves X... savait pertinemment qu'en étant choisi comme maître d'oeuvre par l'OPHLM ou le conseil général de l'Aisne, il aurait à trancher les offres de soumission des sociétés dont il était administrateur ;

" alors, d'une part, que le délit de prise illégale d'intérêts ne peut être que le fait d'une personne dépositaire de l'autorité publique, investie d'un mandat électif public ou chargée d'une mission de service public ; que n'est pas chargé d'une telle mission l'architecte choisi par un OPHLM ou un conseil général en qualité de maître d'oeuvre de marchés de travaux publics, cette fonction ne lui conférant aucune mission officielle de décision au nom de la puissance publique ; qu'en estimant qu'Yves X... était chargé d'une mission de service public au motif inopérant que la finalité de la mission dont cet architecte était chargé était la satisfaction de l'intérêt général, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

" alors, d'autre part, que le délit de prise illégale d'intérêts n'est constitué que si le prévenu a pris un intérêt dans une opération dont il avait, au moment de l'acte, la charge d'assurer la surveillance ; que ne saurait être qualifiée de mission de surveillance d'une opération d'attribution de marchés publics l'intervention d'un architecte, désigné en qualité de maître d'oeuvre de ces marchés, dès lors que, même s'il analyse les offres et donne un avis technique sur leur conformité, il ne dispose d'aucun pouvoir de délibération lui permettant de participer à la décision d'attribution des lots de travaux ni d'aucun pouvoir de préparation de la décision ; qu'en affirmant, néanmoins, qu'Yves X... était chargé de la surveillance de l'opération d'attribution des marchés publics, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

" alors, de troisième part, que le délit de prise illégale d'intérêts suppose un acte d'ingérence ; qu'en se bornant, pour déclarer Yves X... coupable de ce délit, à énoncer que cet architecte avait un intérêt direct à l'attribution des marchés à deux sociétés dont il est l'administrateur, au lieu de caractériser à son encontre une prise d'intérêts, c'est-à-dire un acte d'intervention personnelle à son profit, dans les décisions d'attribution de ces marchés prises par la commission d'attribution des travaux, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

" alors, enfin, que l'élément moral du délit de prise illégale d'intérêts suppose que le prévenu ait pris sciemment, de façon illégale, un intérêt dans une affaire soumise à sa surveillance, et s'apprécie au moment de l'acte ; qu'en énonçant qu'Yves X... savait pertinemment que, en étant choisi comme maître d'oeuvre de marchés publics, il aurait à trancher (sic) les offres de soumission des sociétés dont il était administrateur, au lieu de rechercher si, au moment des décisions d'attribution des marchés, Yves X... avait conscience d'intervenir, de façon illégale, dans son intérêt personnel, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'élément intentionnel de l'infraction " ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, courant 1995, 1996 et 1997, Yves X..., architecte à Laon, a été chargé, par l'office public d'habitations à loyer modéré du département de l'Aisne et par le conseil général du même département, d'assurer la maîtrise d'oeuvre d'opérations de construction de logements sociaux et de réhabilitation de collèges ; qu'il a procédé à l'analyse des soumissions, notamment, de deux entreprises, les sociétés Routière X... et Travaux publics de l'Aisne, dans lesquelles il avait des intérêts et qui ont obtenu des marchés ;

Attendu que, pour déclarer Yves X... coupable de prise illégale d'intérêts, les juges retiennent que " lorsque le conseil général de l'Aisne ou l'office public d'HLM de ce département choisit Yves X..., architecte, en qualité de maître d'oeuvre, il le charge d'une mission de service public dont la finalité est de satisfaire l'intérêt général " ; qu'ils énoncent que " le maître d'oeuvre n'est pas un intervenant extérieur chargé de donner un simple avis technique, mais dispose de pouvoirs de préparation importante dans l'attribution des marchés publics puisqu'il analyse les offres qu'il commente devant les décideurs et qu'il doit réaliser la synthèse architecturale des objectifs et contraintes du programme en s'assurant du respect, lors de l'exécution de l'ouvrage, des études qu'il a effectuées " ; qu'ils ajoutent que le prévenu avait un intérêt direct à l'attribution des marchés à la société Routière X... ou à sa filiale, toutes deux présidées par son frère Patrick X..., et dont, pour la première, il était administrateur et détenteur d'environ 1/3 des actions ; que, pour caractériser l'élément moral du délit, l'arrêt relève qu'Yves X... " aurait dû se démettre de sa mission dès lors que la société Routière X... était candidate au soumissionnement " et que, compte tenu de l'importance de l'activité de ces deux entreprises dans le département, le prévenu " savait pertinemment qu'en étant choisi comme maître d'oeuvre par l'office public d'HLM de l'Aisne ou le conseil général, inévitablement il aurait à trancher sur les offres de soumission des sociétés dont il était administrateur " ;

Attendu qu'en cet état, la cour d'appel a fait l'exacte application de l'article 432-12 du Code pénal ;

Qu'en effet, un architecte investi d'une mission de maîtrise d'oeuvre par, et pour le compte d'une collectivité ou un organisme publics, doit être regardé comme une personne chargée d'une mission de service public au sens de l'article 432-12 du Code pénal, qui n'exige pas que cette personne dispose d'un pouvoir de décision au nom de la puissance publique ;

Que, par ailleurs, le délit est consommé dès que le prévenu a pris, reçu ou conservé, directement ou indirectement, un intérêt dans une affaire dont il avait l'administration ou la surveillance, celles-ci se réduiraient-elles à de simples pouvoirs de préparation ou de proposition de décisions prises par d'autres ;

Qu'enfin, le délit reproché se consomme par le seul abus de la fonction, indépendamment de la recherche d'un gain ou d'un avantage personnel ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.