CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 18 mars 2021, n° 16/10850
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Foncière de l'Etoile (SCI), Compagnie Immobilière Parisienne (SCI), Revad (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Picard
Conseillers :
Mme Rohart-Messager, Mme Coricon
Avocat :
Selarl Lexavoue Paris-Versailles
La Sci Foncière de l'Etoile a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 4 décembre 2000, son capital était alors de 10.000 euros, détenu à hauteur de 10 % par monsieur Bernard S., madame Marie-Françoise S., monsieur François S., madame Marie-Catherine S. et madame Marie-Stéphanie S., ci-après dénommés les consorts S., ainsi associés minoritaires de la société. La Sci Cip et la Sci Revad, elles-mêmes contrôlées par monsieur David N. et monsieur Marc N., en étaient les associés majoritaires. Monsieur David N. et monsieur Marc N. étaient les co-gérants de la Sci Foncière de l'Etoile. Une augmentation de 300.000 euros du capital social a été adoptée au cours de l'assemblée générale extraordinaire du 8 octobre 2010, faisant passer de 10 % à 0.32 % la participation des consorts S. au capital social de la Sci Foncière de l'Etoile. Puis au cours de l'assemblée générale ordinaire du 26 juillet 2011, la majorité des associés a voté la distribution des dividendes à hauteur de 280.000 euros.
Les consorts S. ont saisi le tribunal de grande instance afin de voir annuler les résolutions adoptées par les assemblées générales 8 octobre 2010 et du 26 juillet 2011
Par jugement du 24 mars 2016, le tribunal de grande instance de Bobigny a déclaré les consorts S. recevables mais mal fondés en leurs prétentions et les en a déboutés, les a condamnés à verser à chaque défendeur la somme d'un euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et a laissé les entiers dépens à la charge des consorts S..
Le tribunal a relevé que les consorts S. avaient délibérément refusé de participer aux assemblées générales litigieuses et qu'ils ne pouvaient donc les critiquer.
Les consorts S. ont relevé appel de ce jugement selon déclaration du 12 mai 2016.
Par ordonnance du 23 février 2017 une médiation a été ordonnée avec l'accord des parties. Puis une ordonnance nommant deux experts a été rendue à la demande des parties. Un accord est intervenu sur des litiges étrangers au présent litige. Sur ce dernier aucun accord n'a pu être trouvé et l'affaire a été fixée pour être plaidée le 10 février 2021.
Les parties n'ont pas conclu à nouveau.
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Dans leurs dernières conclusions auxquelles il est expressément référé, notifiées par voie électronique le 4 août 2016, les consorts S. demandent à la cour d'appel, au visa des articles 1832 et 1833 et 1844-10 alinéa 3 du code civil, de :
- réformer le jugement déféré,
- juger recevable l'appel interjeté par les consorts S.,
- rejeter l'intégralité des demandes des appelants, (sic)
- annuler la résolution adoptée lors de l'assemblée générale du 8 octobre 2010 et autorisant l'augmentation de 300.000 euros du capital de la Sci Foncière de l'Etoile,
- annuler par voie de conséquence les apports en numéraire réalisés par la Sci Revad à concurrence de 150.000 euros et par la Sci Cip à hauteur de 150.000 euros,
- annuler la résolution adoptée lors de l'assemblée générale du 26 juillet 2011 et autorisant le partage de dividendes à hauteur de 280.000 euros,
- condamner in solidum les parties appelantes à payer aux demandeurs la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner les appelants aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile. (Sic).
Dans leurs dernières conclusions auxquelles il est expressément référé, notifiées par voie électronique le 28 septembre 2016, la Sci Foncière de l'Etoile, monsieur David N., monsieur Marc N., la Sci Cip et la Sci Revad demandent à la cour d'appel de :
- confirmer le jugement rendu le 24 mars 2016 par le Tribunal de grande instance de Bobigny,
En conséquence,
- rejeter les prétentions de Marie-Françoise B. épouse S., de Bernard S., de Marie-Catherine, Marie-Stéphanie S. et François S.,
Et au visa de l'article 1382 du Code civil et de l'article 32-1 du Code de procédure civile,
- condamner mesdames Marie-Françoise B., épouse S., Marie-Catherine et Marie-Stéphanie S. et messieurs B. et François S. à payer à la société Sci Foncière de l'Etoile, à monsieur David N., à monsieur Marc N., à la Sci Cip et à la Sci Revad, chacun, la somme d'un euro en réparation du préjudice moral subi,
Et y ajoutant, au visa des articles 696, 699, 700 et 772 du Code de procédure civile,
- condamner in solidum Marie-Françoise B. épouse S., Bernard S., Marie-Catherine, Marie-Stéphanie S. et François S. à payer la somme de 6.000 euros aux sci Foncière de l'Etoile, Cip et Revad et à Messieurs Marc et David N. - chacun - ainsi qu'aux entiers dépens qui pourront être recouvrés directement par Selarl Lexavoué Paris Versailles, agissant par Maître Matthieu B.-G., Avocat au Barreau de Paris.
SUR CE
Sur le rejet des pièces des consorts S.
Les consorts N., intimés, font valoir que les pièces communiquées en appel par les consorts S. ne correspondent pas aux pièces mentionnées dans le bordereau, certaines étant sans tampon de pièces et sans numérotation ou avec une numérotation différente de celle annoncée sur le bordereau. Ils soutiennent que cette violation du principe du contradictoire et cette non-communication "simultanée" de ces pièces aux conclusions notifiées le 4 août 2016 leur cause nécessairement un grief. Ils expliquent qu'ils doivent conclure dans le court délai de deux mois courant après les conclusions notifiées le 4 août 2016 par les consorts S., et ce alors qu'ils n'ont pas reçu la communication des pièces intégrales demandées par voie officielle le 30 août 2016 et ne peuvent donc ainsi pas conclure en temps utile, en pleine connaissance des pièces avancées par les consorts S..
Les consorts S. ne répondent pas sur ce point.
La cour relève que les pièces communiquées par les consorts S. et figurant au dossier de plaidoirie sont toutes numérotées et qu'elles figurent dans le bordereau de communication de pièces transmis par voie électronique le même jour que les conclusions, le 4 août 2016. Ce bordereau n'a pas été contesté et n'a pas fait l'objet d'un incident devant conseiller de la mise en état.
Les intimés n'établissant pas que les pièces communiquées ne correspondaient pas au bordereau, leur demande sera rejetée.
Sur la nullité de l'augmentation de capital et de la distribution de dividendes pour fraude à la loi
Les consorts S. soutiennent de manière confuse que l'augmentation du capital consécutive à l'assemblée du 8 octobre 2010 constitue une fraude qui avait uniquement pour but de diluer leur participation dans le capital social de la Sci Foncière de l'Etoile. Ils demandent l'annulation de l'augmentation de capital et de la distribution de dividendes sur le fondement de la fraude à la loi. Ils soutiennent que les consorts N. ont prétexté l'achat de deux boutiques pour solliciter l'augmentation de capital. Or la Sci Foncière de l'Etoile n'a finalement pas acquis les biens envisagés. Ils exposent qu'ils n'avaient pas les moyens financiers de participer à l'augmentation de capital, les comptes de monsieur S. étant bloqués à la demande des consorts N., et monsieur et madame S. ayant dû vendre leur bien immobilier pour faire face à des condamnations. De plus il y a eu une distribution de dividendes peu après l'augmentation de capital de sorte que les consorts N. ont récupéré par ce moyen les sommes qu'ils avaient investi dans l'augmentation de capital. C'est la seule distribution de dividendes qu'i a eu lieu avant ou après l'augmentation de capital.
Les consorts N. opposent que les consorts S. avaient tout à fait les moyens de participer à l'augmentation de capital s'ils le souhaitaient. Ils font état du compte bancaire personnel de madame Marie-Françoise S., créditeur en juillet 2010 de 237.681,58 euros, ajoutent que le 20 septembre 2010, les consorts S. ont bénéficié d'une somme de 60.000 euros au titre d'un acompte sur la vente d'un de leurs nombreux biens immobiliers et que le 15 décembre 2010, les consorts S. ont perçu 1.200.000 euros au titre de la vente d'un de leurs nombreux biens immobiliers. Ils soutiennent que pendant les neuf mois séparant l'assemblée générale d'octobre 2010, où l'augmentation de capital est votée, de celle de juillet 2011, où la quasi-totalité de cette augmentation est redistribuée sous forme de dividendes, ils ont mené de vaines démarches afin de procéder à des acquisitions immobilières. Ils produisent des lettres de deux banques de mars et avril 2011. Ils concluent que les acquisitions immobilières n'étant pas réalisables, la distribution de dividendes n'avait rien de frauduleux. Ils soulignent que cette distribution de dividendes avait été demandée avec insistance par les consorts S., comme cela ressort du rapport de la gérance à l'assemblée générale ordinaire.
La cour, comme les premiers juges, rappelle que la fraude suppose un acte intentionnel et que la charge de la preuve repose sur celui qui la soulève. En l'espèce les consorts S. déduise la fraude du fait que l'augmentation de capital n'était pas nécessaire puisque la société et ses associés disposaient de suffisamment de fonds pour acquérir les immeubles et que ces immeubles n'ont pas été acquis finalement. En outre cette augmentation de capital a eu pour effet de diluer leur participation et de faire bénéficier les intimés de la presque totalité des dividendes qui ont été par la suite distribués. Aucune pièce n'est produite à l'appui de leurs affirmations.
La cour relève que les consorts S. étaient déjà minoritaires dans la société, qu'ils n'ont pas souhaité participer à l'augmentation de capital et surtout qu'ils ont délibérément refusé de se rendre à l'assemblée générale extraordinaire convoquée pour le 8 octobre 2010 qui devait statuer sur l'augmentation de capital. Ce refus est clairement exprimé dans un courrier adressé le 29 septembre 2010 à la société Financière Etoile et à monsieur N. par les consorts S..
Il résulte des pièces produites que les consorts S., étant redevables de l'ISF en 2008 et 2009, qu'outre les revenus qu'ils tiraient de leur profession ils disposaient d'autres revenus conséquents et ainsi qu'ils auraient pu financièrement participer à l'augmentation de capital et éviter ainsi la dilution de leur participation.
Les consorts N. produisent par ailleurs plusieurs courriers émanant de banques refusant de leur prêter les fonds nécessaires pour acquérir les immeubles ces refus justifiant l'augmentation de capital si besoin est.
Il ressort de ces pièces que les consorts S. n'établissent pas la fraude et l'intention de nuire des consorts N..
Le jugement sera en conséquence confirmé.
Sur la nullité au titre de l'article 1844-10 alinéa 3 du code civil pour violation de l'affectio societatis et distribution de dividendes fictifs
Les consorts S. soutiennent encore qu'en raison de la violation des dispositions impératives des articles 1832 et 1833 du code civil relatifs à l'affectio societatis, la délibération doit être annulée. Ils expliquent, toujours de manière confuse, qu'il y a eu rupture d'égalité dans la mesure où ils n'ont pas été en mesure de souscrire à l'augmentation de capital et en déduisent que l'affectio societatis a été atteint. Ils soutiennent qu'aucun dividende ne peut être réparti entre les associés si les comptes ne font apparaître aucun bénéfice distribuable, à défaut ce dividende serait prélevé sur le capital social au détriment des droits des créanciers. Ils font valoir qu'un tel partage constituerait une distribution de dividendes fictifs.
Ils déclarent qu'aucune distribution n'est intervenue depuis 2001, et que ce n'est que le 26 juillet 2011 que l'assemblée générale ordinaire décidait de répartir les dividendes, s'agissant des bénéfices intervenus pour l'année 2010 qui s'élevaient à la somme de 286.119 euros. Ils font valoir qu'aux termes du procès-verbal, il est indiqué que cette distribution intervient «'compte tenu de la bonne trésorerie de notre société qui est due essentiellement à l'apport de fonds de certains associés'».Les consorts S. soutiennent que monsieur Bernard S. n'a pu prendre connaissance des comptes et déclarations fiscales 2072 pour l'année 2010, et estiment qu'il conviendrait que les consorts N. produisent des éléments comptables permettant de justifier que la distribution ne concerne pas une partie de dividendes fictifs, car initialement incorporés au capital social.
Ils ajoutent que ce n'est pas l'augmentation de capital qui est sujette à reproche mais l'absence de cause réelle à cette mesure autre que celle de les évincer.
Les consorts N. font valoir que l'intégralité des informations relatives à la Sci Foncière de l'Etoile était connue des consorts S. par le biais de la société Sabci ' détenue à parts égales entre monsieur S. et madame N. ' qui assurait la gestion de la Sci Foncière de l'Etoile et établissait ses déclarations fiscales. Ils expliquent que le 7 juillet 2011, la Sci Foncière de l'Etoile a indiqué aux consorts S. que les documents relatifs notamment à la distribution d'un dividende "sont tenues au siège de la société à la disposition des associés qui peuvent en prendre connaissance". Ils font également valoir que par une ordonnance, devenue définitive, du 29 avril 2011, le président du tribunal de grande instance de Bobigny a jugé que 'que les consorts S. connaissaient parfaitement la situation économique et financière de la Sci Foncière de l'Etoile' et 'que les consorts S. avaient accès à toutes les informations sur le fonctionnement et la gestion de la Sci Foncière de l'Etoile à travers la société Sabci'. Le jugement déféré a retenu que les consorts S. avaient connaissance de la situation de la Sci Foncière de l'Etoile.
Les consorts N. soutiennent qu'aux termes de la jurisprudence, l'associé qui a décidé de ne pas participer aux décisions collectives ne peut demander l'annulation des assemblées et faire état d'irrégularités alléguées. Ils font valoir qu'une convocation a été adressée aux consorts S. et que monsieur S. a écrit qu'il l'avait reçue.
La cour rappelle que ce sont les consorts S. eux-mêmes qui ont décidé de ne pas participer à l'augmentation de capital alors qu'ils avaient les moyens financiers de le faire. Ils ont également décidé de ne pas participer à l'assemblée générale qui a décidé de l'augmentation de capital.
Les consorts S. avaient connaissance de la situation financière de la société ne serait-ce que par le fait que la gestion de la société était assurée par la société Sabci qui avait pour co-gérants madame N. et monsieur S..
Pour ce qui est de la distribution de dividendes la cour relève que le rapport de gérance de l'assemblée générale du 26 juillet 2011 mentionne que suite aux 'demandes insistantes de la famille S.' et 'compte tenu de la bonne trésorerie de notre société qui est due essentiellement à l'apport de fonds de certains associés' une distribution aura lieu en fonction de la trésorerie disponible. Le résultat de l'année 2010 démontre que les charges et recettes de l'année 2010 sont du même ordre de grandeur que celles des années précédentes. Dès lors les dividendes distribués ne sont pas des dividendes fictifs.
La cour considère au regard de ces éléments que le consorts S. n'établissent pas de violation de l'affectio societatis ni qu'il y ait eu distribution de dividendes fictifs.
Le jugement sera en conséquence confirmé.
Sur la demande reconventionnelle des consorts N.
Les consorts N. font valoir qu'aux termes de l'article 32-1 du Code de procédure civile : "Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 3 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés."
Ils font valoir que la jurisprudence sanctionne sur ce fondement les associés minoritaires qui n'agissent que près de trois ans après la tenue d'une assemblée pour remettre en cause une opération qu'ils n'auraient pas pu empêcher s'ils avaient été présents compte tendu la très faible proportion du capital social détenu par eux, l'action en nullité étant ainsi engagée dans le dessein de nuire à la société.
Ils rappellent que les consorts S. se sont volontairement abstenus de participer à l'assemblée générale, que leur détention minoritaire ne leur aurait pas permis de s'opposer à la décision, qu'ils avaient accès à toutes les informations économiques et financières de la sci Foncière de l'Etoile et déduisent de ces éléments l'intention de nuire des consorts S. faisant dégénérer en abus leur droit d'agir en justice. Ils sollicitent la confirmation du jugement de première instance et, en conséquence,
la condamnation des consorts S. à leur payer, chacun, la somme d'un euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral ainsi subi.
La cour rappelle que le droit d'agir en justice ou d'exercer une voie de recours n'est pas absolu, qu'il dégénère en abus pouvant donner lieu à des dommages-intérêts lorsque les circonstances traduisent une intention de nuire, une légèreté blâmable ou une témérité dans l'introduction de l'action en justice ou l'exercice du droit d'appel ;
En l'espèce et alors que les consorts S. ont décidé de ne pas participer à l'assemblée générale du 8 octobre 2010 et qu'ils ont décidé de ne pas souscrire à l'augmentation de capital ils persistent cependant à demander l'annulation de cette assemblée et des résolutions qui y ont été adoptées.
La cour confirmera en conséquence le jugement sur ce point également.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
Il serait inéquitable de laisser à la charge des consorts N. les frais qu'ils ont exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens. Il leur sera alloué à ce titre la somme de 3.000 euros chacun.
PAR CES MOTIFS,
Déboute la Sci Foncière de l'Etoile, monsieur David N., monsieur Marc N., la Sci Cip et la Sci Revad de leur demande visant à voir écartées les pièces communiquées par les appelants,
Confirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Bobigny le 24 mars 2016,
Y ajoutant,
Condamne in solidum monsieur Bernard S., madame Marie-Françoise S., monsieur François S., madame Marie-Catherine S. et madame Marie-Stéphanie S. à payer à la Sci Foncière de l'Etoile, la Sci CIP et la Sci Revad et à messieurs D. et Marc N., chacun la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamne in solidum monsieur Bernard S., madame Marie-Françoise S., monsieur François S., madame Marie-Catherine S. et madame Marie-Stéphanie S. aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.