Cass. crim., 10 décembre 1990, n° 90-80.222
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tacchella
Rapporteur :
M. Bayet
Avocat général :
M. Rabut
Avocat :
Me Ryziger
Vu la connexité, joignant les pourvois ;
I. Sur le pourvoi de Pierre X..., prévenu :
Vu le mémoire personnel régulièrement produit ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation de l'article 8 du Code de procédure pénale et de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Attendu que si l'exception de prescription est d'ordre public et peut à ce titre être invoquée pour la première fois devant la Cour de Cassation, c'est à la condition que cette Cour trouve dans les constatations des juges du fond les éléments nécessaires pour en apprécier la valeur ; qu'à défaut de ces constatations qui manquent en l'espèce et qu'il appartenait au prévenu, demandeur au pourvoi, de provoquer, le moyen en ce qu'il invoque cette exception, ainsi que celle tirée d'un prétendu non-respect du délai raisonnable visé à l'article 6-1 de la Convention précitée, est mélangé de fait et de droit et comme tel est irrecevable ;
Sur les quatrième et cinquième moyens réunis et pris de la violation des articles 6 et 188 du Code de procédure pénale au regard des délits d'abus de biens sociaux poursuivis ;
Attendu que le demandeur étant sans intérêt à critiquer les dispositions de l'arrêt attaqué portant relaxe des divers abus de biens sociaux à lui reprochés, les moyens ne sauraient être admis ;
Sur les sixième, septième, huitième, neuvième et dixième moyens réunis et pris de la violation des articles 485 et 593 du Code de procédure pénale, insuffisance de motifs et défaut de réponse à conclusions ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué et celles non contraires du jugement auxquelles il se réfère mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que les juges du fond ont, sans insuffisance et en répondant comme ils l'ont fait aux conclusions déposées, caractérisé en tous leurs éléments constitutifs les délits de faux et usage de faux en écriture de commerce et de banque, de présentation de bilans inexacts, de distribution de dividendes fictifs et de défaut de réunion de l'assemblée des associés dans le délai légal, ensemble d'infractions retenues à la d charge du prévenu en sa qualité successive de gérant de droit et de fait de la SARL " Malterie Louis X... et Cie " ;
Que les moyens qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, ne sauraient être accueillis ;
Sur les deuxième et troisième moyens de cassation réunis et pris de la violation de l'article 46 du décret du 23 mars 1967 et de l'article 1382 du Code civil et insuffisance de motifs, et manque de base légale ;
Attendu que statuant sur les conséquences dommageables des délits dont Louis X... a été reconnu coupable, les juges du fond retiennent qu'Henri X..., partie civile, est recevable à exercer l'action civile en sa qualité d'associé de la SARL " Malterie Louis X... et Cie " et qu'il y a lieu de faire droit à sa demande, bien fondée en son principe, en réparation de son préjudice moral personnel résultant des contraintes morales et des atteintes à sa réputation et à son honneur subies du fait des agissements délictueux du prévenu ;
Attendu qu'en accueillant ainsi qu'elle l'a fait, et abstraction faite d'une impropriété de termes, non l'action sociale " ut singuli ", mais l'action en réparation du préjudice subi personnellement par l'un des associés de la SARL précitée, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir aucun des griefs des moyens lesquels ne peuvent qu'être écartés ;
II. Sur le pourvoi d'Henri X..., partie civile ;
Vu le mémoire ampliatif produit ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 150 et 151 du Code pénal, 1382 du Code civil, 3 du Code de procédure pénale et 485 du même Code ;
" en ce que la décision attaquée, qui a notamment déclaré Pierre X... coupable de faux et usage de faux, n'a pas recherché si ce délai avait ou non causé un préjudice au demandeur et s'est contentée d'examiner le préjudice que le demandeur avait subi du d fait de la distribution de dividendes fictifs de la présentation de faux bilans ;
" alors que le demandeur, s'étant constitué partie civile du chef de l'ensemble des délits reprochés à Pierre X..., la cour d'appel devait, impérativement, rechercher si chacun des délits dont Pierre X... avait été reconnu coupable, était susceptible d'avoir causé un préjudice à la partie civile ; qu'en ne recherchant pas si le demandeur avait subi un préjudice du fait de faux et usage de faux dont Pierre X... était reconnu coupable, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen " ;
Sur le second moyen de cassation pris de la violation de l'article 425-3° de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 ;
" en ce que la décision attaquée a confirmé le jugement du tribunal correctionnel en ce qu'il avait rejeté la demande de la partie civile quant à son préjudice matériel ;
" aux motifs que X... ne peut, au titre de son préjudice financier, réclamer tout à la fois le paiement des bénéfices déclarés par la société, non distribués, et le montant des redressements fiscaux supportés par lui ensuite de la non-déclaration de ceux-ci dans ses propres revenus, dès lors que, précisément, selon les termes de la prévention retenue contre Pierre X..., il s'est agi pour les trois exercices 1968/ 1969/ 1970 de distribution de dividendes fictifs ; mais, surtout que la partie civile, pour justifier des sommes importantes qu'elle réclame, et notamment de celle de 4 000 000 francs non explicitée, au titre de la suppression de son patrimoine depuis 1968 annonçant ces écritures des documents joints alors qu'elle n'en fournit aucune ; il n'y a pas lieu, dès lors, pour la Cour, statuant sur l'action civile, de pallier la carence de Henri X... dans l'administration qui lui incombe de la réalité et de l'importance des préjudices prétendus ;
" alors d'une part qu'il résulte des constatations des juges du fond qu'une répartition des bénéfices a été opérée entre les divers associés à l'exception de la succession par imputation au crédit des comptes courants de chacun d'eux, et que c'est ainsi qu'une somme de 900 000 francs a été distribuée, cependant qu'au seul plan des chiffres, la somme ne pouvait être que de 630 955 francs... ; que, par d ailleurs, Henri X... était un des ayants droit de la succession ; que dès lors, la décision de répartition de bénéfices fictifs aux associés autres que la succession lui a nécessairement causé un préjudice, en tant qu'héritier, dans la limite de ses droits dans la succession ; qu'en décidant que la preuve d'un préjudice matériel n'était pas rapportée, la Cour a donc violé les textes visés au moyen ;
" alors d'autre part qu'il résulte des constatations de la décision attaquée que les distributions de dividences déclarés fictifs ont été faites à partir de comptes apparaissant dans des bilans où figuraient des écritures fictives concernant la société en commandite ; qu'il résulte par ailleurs des constatations des juges du fond que Henri X... n'était pas membre de la société en commandite ; que, dès lors, la cour d'appel ne pouvait décider que le demandeur n'avait pas subi de préjudice, sans s'expliquer en quoi les écritures fictives concernant la société en commandite, avaient ou non influé sur la répartition des dividendes ; que la décision attaquée est pour le moins insuffisamment motivée sur ce point ;
" alors de troisième part que le délit de distribution de dividendes fictifs s'entend du fait par des gérants d'une SARL de distribuer aux associés, en l'absence d'inventaire ou au moyen d'inventaire frauduleux, des dividendes fictifs, c'est-à-dire des dividendes qui ne correspondent pas à la réalité ; que la décision attaquée ne pouvait donc considérer que le demandeur n'avait pas subi de préjudice du fait du délit de distribution de dividendes retenu à l'encontre de Pierre X... par le motif qu'il se serait agi d'une répartition de dividendes fictifs, sans rechercher si cette répartition de dividendes fictifs n'avait pas été la source d'une création d'inégalité entre les associés et si elle n'avait pas diminué la valeur des parts du demandeur ; que la décision attaquée est donc dépourvue de base légale ;
" alors de quatrième part que, dans la mesure où des bénéfices fictifs ont été déclarés, sans que le demandeur puisse en disposer, et où ces bénéfices ont fait l'objet de taxation, il n'y avait aucun illogisme de la part du demandeur à réclamer à la fois la compensation de fait qu'il n'avait pas pu jouir des bénéfices fictifs réputés distribués et en même temps le paiement de redressements fiscaux supportés par lui du fait qu'il n'avait pas déclaré des bénéfices dont il n'avait pas eu la jouissance ; qu'à supposer que le d demandeur n'ait pu réclamer à la fois le paiement des bénéfices et le montant des redressements fiscaux supportés par lui, il incombait à la Cour de décider laquelle des deux sommes il pouvait réclamer à titre de dommages et intérêts ; qu'en ne s'expliquant pas sur ce point, la cour d'appel a insuffisamment motivé sa décision ;
" alors enfin que dès lors qu'il résulte des constatations des juges du fond que le demandeur avait nécessairement subi un préjudice, la décision attaquée ne pouvait le débouter de ses demandes, pour le motif qu'il ne lui aurait incombé de pallier la carence de Henri X... dans l'administration qui lui incombe de la réalité et de l'importance des préjudices subis ; que la Cour a le devoir dans ce cas, soit d'ordonner une expertise, soit d'évaluer " aequo et bono ", les dommages intérêts à allouer au demandeur, qu'elle ne pouvait lui refuser toute allocation de dommages-intérêts pour préjudice matériel, dès lors que ce préjudice résultait nécessairement de ses constatations " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que pour faire droit au chef des conclusions de Henri X..., partie civile, tendant à la réparation de son préjudice moral et le débouter pour le surplus de ses demandes, les juges du fond, d'une part, retiennent que la partie civile a subi un préjudice moral du fait des agissements délictueux du prévenu et, d'autre part, relèvent que Henri X..., qui réclame des sommes élevées au titre de son préjudice financier, notamment la somme de 4 000 000 francs représentant " la suppression de son patrimoine depuis le 1er janvier 1968 ", ne fournit aucune justification de la réalité et de l'importance des préjudices prétendus alors que la charge d'une telle preuve lui incombe ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, exemptes d'insuffisance, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs des moyens ;
D'où il suit que les moyens réunis ne peuvent qu'être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.