Cass. crim., 7 décembre 2022, n° 22-80.147
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonnal
Rapporteur :
Mme Fouquet
Avocat général :
M. Bougy
Avocat :
SCP Foussard et Froger
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [C] [P], négociant en pots catalytiques, qui exerce son activité en nom propre sous l'appellation commerciale JSP, a fait l'objet d'une vérification de compatibilité, à l'issue de laquelle une plainte a été déposée par l'administration fiscale auprès du procureur de la République.
3. Le 7 octobre 2016, l'administration fiscale, sur avis conforme de la commission des infractions fiscales, a déposé plainte auprès du procureur de la République exposant que la vérification de comptabilité de l'activité de M. [P] avait révélé le dépôt de déclarations de bénéfices industriels et commerciaux minorés au titre des exercices clos les 31 décembre 2012 et 2013, le dépôt de déclarations d'ensemble des revenus minorées au titre des années 2012 et 2013 et la passation d'écritures inexactes ou fictives dans les documents comptables obligatoires au titre des exercices clos les 31 décembre 2012 et 2013.
4. A l'issue de l'enquête préliminaire, M. [P] a été convoqué devant le tribunal correctionnel des chefs de passation d'écriture inexacte ou fictive dans un document comptable et soustraction frauduleuse à l'établissement ou au paiement de l'impôt, faits commis du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014.
5. M. [P] ayant dans le même temps saisi le juge de l'impôt, la cour administrative d'appel a prononcé, par arrêt du 6 août 2020 devenu définitif, la décharge de toutes les impositions supplémentaires, ainsi que des intérêts de retard et des majorations correspondantes mis à sa charge.
6. Le tribunal correctionnel a rejeté les exceptions de nullité soulevées par le prévenu, déclaré M. [P] coupable des faits qui lui étaient reprochés, l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis, 20 000 euros d'amende dont 10 000 euros avec sursis, a ordonné la confiscation de la somme saisie sur le compte bancaire détenu par la SCI LT (la SCI) à la Banque populaire, soit 112 972 euros et prononcé des mesures d'affichage et de publication de la décision.
7. Le prévenu et le procureur de la République ont interjeté appel de cette décision.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première, deuxième, quatrième et huitième branches
8. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le moyen, pris en ses troisième, cinquième, sixième et septième branches
Enoncé du moyen
9. Le moyen, en ses troisième, cinquième, sixième et septième branches, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré le prévenu coupable d'écritures comptables fictives ou inexactes, de fraude fiscale et l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis, 20 000 euros d'amende dont 10 000 euros avec sursis, a ordonné une mesure de confiscation, une mesure d'affichage et de publication et a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile, alors :
« 3°/ que la cour d'appel, qui a tenu compte du montant cumulé des droits éludés pour considérer que la gravité des faits justifiait une condamnation pénale, alors que le délit de fraude fiscale est un délit instantané, a méconnu l'article 1741 du code général des impôts ;
5°/ que la cour d'appel, qui n'a pas expliqué en quoi les sommes saisies sur le compte courant d'associé de M. [P] pouvait être regardé comme le produit du délit de fraude fiscale, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 131-21 du code pénal ;
6°/ que la cour d'appel, qui a retenu que la somme saisie sur le compte bancaire de la SCI LT correspondait à la part de M. [P] à la suite de la vente de l'immeuble à usage mixte dont cette SCI était propriétaire, alors qu'il ne résulte d'aucune pièce du dossier que la somme litigieuse lui appartenait ou devait lui revenir, n'a pas justifié sa décision, en violation de l'article 593 du code de procédure pénale ;
7°/ que la cour d'appel, qui n'a pas établi que le prévenu avait la libre disposition des sommes figurant au crédit du compte de la SCI, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 131-21 du code pénal. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen pris en sa troisième branche
10. En matière de fraude fiscale, la réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel dans ses décisions n° 2016-545 et n° 2016-546 QPC du 24 juin 2016, au paragraphe 21, et n° 2016-556 du 22 juillet 2016 qui dispose que le texte pénal ne peut s'appliquer qu'aux cas les plus graves de dissimilation frauduleuse de sommes soumises à l'impôt, porte sur l'application combinée des articles 1729 et 1741 du code général des impôts.
11. En conséquence, le juge pénal, après avoir caractérisé les éléments constitutifs de cette infraction au regard de l'article 1741 du code général des impôts, est tenu de vérifier, préalablement au prononcé de sanctions pénales, que les faits retenus présentent le degré de gravité de nature à justifier la répression pénale complémentaire, uniquement lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale pour les mêmes faits (Crim., 11 septembre 2019, pourvois n° 18-81.040, n° 18-81.067 et n° 18-84.144, publiés au Bulletin).
12. Par une décision n° 445035 du 19 juillet 2021, le Conseil d'État, statuant au contentieux a refusé d'admettre le pourvoi formé par le ministre de l'économie, des finances et de la relance contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 6 août 2020 prononçant, pour un motif d'irrégularité de la procédure d'imposition, la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles M. [P] a été assujetti au titre des années 2012 et 2013 et des majorations dont ces cotisations avaient été assorties sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts. M. [P] n'est donc plus susceptible de faire l'objet, à ce titre, d'un cumul de sanctions administratives et pénales.
13. Il s'ensuit que le grief, inopérant, doit être écarté.
Mais sur le moyen pris en ses cinquième, sixième et septième branches
Vu les articles 131-21 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :
14. Selon le premier de ces textes, la peine complémentaire de confiscation est encourue dans les cas prévus par la loi ou le règlement. Elle porte sur les biens qui ont servi à commettre l'infraction, ou qui étaient destinés à la commettre, et sur ceux qui sont l'objet ou le produit, direct ou indirect, de l'infraction et ne peuvent être restitués. Elle peut être prononcée en nature ou en valeur. Si la loi qui réprime le crime ou le délit le prévoit, la confiscation peut porter sur tout ou partie des biens appartenant au condamné. Il incombe au juge qui décide de confisquer un bien, après s'être assuré de son caractère confiscable en application des conditions légales, de préciser la nature et l'origine de ce bien ainsi que le fondement de la mesure.
15. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
16. Pour ordonner la confiscation de la somme de 112 472,09 euros saisie sur le compte bancaire de la SCI en tant qu'équivalent en valeur du produit de l'infraction, l'arrêt attaqué énonce qu'elle correspond à la part du prévenu suite à la vente de l'immeuble à usage mixte dont cette SCI était propriétaire et que l'immeuble, vendu pour le prix de 420 000 euros en 2017, constituait le domicile de la famille mais était également utilisé par le prévenu dans le cadre de son activité professionnelle.
17. Il relève que cet immeuble, acquis pour 300 000 euros en 2011 et revendu en 2017, a été payé en partie avec le produit de la fraude fiscale.
18. Les juges ajoutent que sur le fond, il ressort du contrôle effectué par l'administration fiscale et des pièces justificatives figurant au dossier que les droits éludés par ce contribuable et visés par les poursuites pénales s'élèvent à 133 281 euros et que par ailleurs M. [P] a déclaré en 2020 des revenus de l'ordre de 6 500 euros par mois.
19. La cour d'appel en conclut qu'au regard de ces éléments la confiscation ordonnée par le premier juge, qui apparaît justifiée et proportionnée, mérite confirmation.
20. En statuant ainsi, sans établir soit que la somme confisquée constituait le produit indirect de l'infraction soit, dans l'hypothèse d'une confiscation en valeur, que le prévenu en avait la libre disposition, la cour d'appel, qui, en ne s'expliquant pas suffisamment sur la nature et l'origine du bien confisqué et en ne précisant pas le fondement de la mesure, n'a pas mis la Cour de cassation en état d'apprécier l'étendue de l'exigence de motivation de la confiscation ordonnée, n'a pas justifié sa décision.
21. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
22. La cassation sera limitée aux peines, dès lors que la déclaration de culpabilité n'encourt pas la censure.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Dijon, en date du 15 décembre 2021, mais en ses seules dispositions relatives aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Besançon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.