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Décisions

Cass. crim., 12 janvier 2022, n° 19-84.501

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

M. d'Huy

Avocat général :

Mme Zientara-Logeay

Avocats :

Me Brouchot, SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, SARL Ortscheidt, SAS Cabinet Colin - Stoclet, SCP Foussard et Froger, SCP Waquet, Farge et Hazan

Paris, du 13 juin 2019

13 juin 2019

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Par jugement du tribunal correctionnel de Paris, en date du 26 janvier 2017, M. [H] [M], Mme [I] [U], épouse [K], Mme [B] [A], Mme [D] [Y], M. [J] [X] et M. [C] [X] ont été respectivement déclarés coupables des chefs précités et condamnés à différentes peines.

3. Ils ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur les premier, deuxième et troisième moyens proposés pour Mme [A] et Mme [U], épouse [K], le premier moyen et le deuxième moyen, pris en ses première et deuxième branches proposés pour M. [M], les premier et deuxième moyens et le troisième moyen, pris en sa première branche, proposés pour Mme [Y], les premier, deuxième et troisième moyens proposés pour M. [C] [X], les premier, deuxième, quatrième, pris en ses première et troisième branches, et cinquième moyens proposés pour M. [J] [X]

4. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le quatrième moyen, pris en sa deuxième branche, proposé pour Mme [A] et Mme [U], épouse [K], et sur le troisième moyen, pris en sa deuxième branche et le moyen complémentaire proposés pour Mme [Y]

Enoncé des moyens

5. Le moyen proposé pour Mmes [A] et [U], épouse [K], critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné Mme [U], épouse [K], à la peine de dix-huit mois d'emprisonnement dont neuf mois avec sursis et Mme [A] à la peine de deux ans d'emprisonnement dont un an avec sursis et a prononcé à leur encontre une peine d'interdiction de gérer une entreprise ou une société commerciale pendant une durée de cinq ans, alors :

« 2°/ qu'en prononçant une interdiction de gérer une entreprise ou une société commerciale pendant une durée de cinq ans, quand l'infraction d'escroquerie a été commise entre le 11 décembre 2005 et le 26 avril 2006, soit avant l'entrée en vigueur de la loi du 4 août 2008 qui a institué cette peine complémentaire en modifiant les articles 313-7°, 2° et 131-27 du code pénal, la cour d'appel a violé l'article 111-3 du code pénal ».

6. Le moyen proposé pour Mme [Y] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé contre celle-ci une peine de deux ans d'emprisonnement dont un an avec sursis et une peine d'interdiction de gérer d'une durée de cinq ans, alors :

« 2°/ que toute peine correctionnelle doit être motivée au regard de la gravité des faits, de la personnalité et de la situation personnelle de leur auteur ; qu'en l'espèce, en infligeant une peine d'interdiction de gérer de cinq ans contre Mme [Y] sans motiver sa décision au regard de sa situation personnelle, matérielle, familiale et sociale, la cour d'appel a méconnu les exigences des articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, 132-1 du code pénal, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble le principe de personnalisation des peines et de la liberté d'entreprendre ».

7. Le moyen additionnel proposé pour Mme [Y] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a condamnée à cinq ans d'interdiction de gérer, alors « que nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi à la date à laquelle les faits reprochés ont été commis ; qu'en prononçant contre Mme [Y] une interdiction de gérer une entreprise ou une société commerciale pendant une durée de cinq ans, quand l'infraction d'escroquerie reprochée porte sur des faits situés entre le 11 décembre 2005 et le 26 avril 2006, soit avant l'entrée en vigueur de la loi du 4 août 2008 qui a institué cette peine complémentaire en modifiant les articles 313-7°, 2° et 131-27 du code pénal, la cour d'appel a violé l'article 111-3 du code pénal. »

Réponse de la Cour

8. Les moyens sont réunis.

Vu l'article 111-3 du code pénal :

9. Il résulte de ce texte que nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi.

10. Après avoir déclaré Mme [A], Mme [U], épouse [K], et Mme [Y] coupables d'escroquerie en bande organisée, pour des faits commis entre le 11 décembre 2005 et le 26 avril 2006, la cour d'appel les a condamnées, chacune, à cinq ans d'interdiction d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler, à un titre quelconque, directement ou indirectement, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale.

11. En prononçant ainsi, alors que les faits d'escroquerie ont été commis avant l'entrée en vigueur de la loi du 4 août 2008 qui a institué cette peine complémentaire en modifiant les articles 313-7 et 321-9 du code pénal, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

12. La cassation est, par conséquent, encourue de ce chef.

Et sur le troisième moyen proposé pour M. [M], le quatrième moyen, pris en sa deuxième branche, proposé pour M. [J] [X] et sur le moyen relevé d'office pour M. [C] [X] et mis dans le débat

Enoncé des moyens

13. Le moyen proposé pour M. [M] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [M] à cinq ans d'interdiction de gérer, alors que « nul ne peut être puni pour un crime ou un délit, d'une peine qui n'est pas prévue par la loi ; que la loi ne prévoit de peine complémentaire d'interdiction de gérer que de trois ans maximum pour les infractions de fraude fiscale et d'omission d'écriture des documents comptables prévus par les articles 1741 et 1743 du code général des impôts ; qu'en prononçant une peine d'interdiction de gérer de cinq ans la cour d'appel a méconnu les articles 111-3 du code pénal et 7 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ».

14. Le moyen proposé pour M. [J] [X] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable des faits qualifiés d'omission d'écriture dans un document comptable : fraude fiscale, de soustraction à l'établissement ou au paiement de l'impôt : omission de déclaration, fraude fiscale et d'escroquerie réalisée en bande organisée et l'a condamné en conséquence à une peine d'interdiction de gérer pendant cinq ans, alors :

« 2°/ que l'article 1750 du code général des impôts, dans sa rédaction en vigueur à la date des faits imputés, ne prévoit de peine complémentaire d'interdiction temporaire d'exercer une activité commerciale que de trois ans pour les délits de fraude fiscale et d'omission d'écriture des documents comptables ; qu'à supposer même que la peine complémentaire d'interdiction de gérer fût prononcée pour les délits de fraude fiscale et d'omission d'écriture des documents comptables, elle ne pouvait dépasser la durée de trois ans ; qu'en prononçant une peine complémentaire d'interdiction de gérer d'une durée de cinq ans, la cour d'appel a méconnu les articles 111-3 du code pénal, 1750 du code général des impôts et 593 du code de procédure pénale ».

Réponse de la Cour

15. Les moyens sont réunis.

Vu l'article 111-3, alinéa 2, du code pénal :

16. Il résulte de ce texte que nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi.

17. En condamnant M. [M], M. [J] [X] et M. [C] [X], après les avoir déclarés coupables de fraude fiscale et d'omission d'écriture dans un document comptable, à une peine d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler toute entreprise commerciale ou individuelle pendant une durée de cinq ans, la cour d'appel a prononcé une peine excédant le maximum de trois ans prévue par l'article 1750 du code général des impôts dans sa rédaction en vigueur à la date des faits, avant sa modification par la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011.

18. La cassation est, par conséquent, à nouveau encourue de ce chef.

Et sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche proposé pour M. [M], sur le quatrième moyen, pris en sa première branche proposé pour Mme [A] et Mme [U], épouse [K] et sur le troisième moyen proposé pour M. [J] [X]

 

Enoncé des moyens

19. Le moyen proposé pour M. [M] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [M] à huit mois d'emprisonnement, alors :

« 3°/ qu'en matière correctionnelle, le juge doit, lorsqu'il prononce une peine ferme inférieure ou égale à deux ans pour un primo-délinquant ou à un an pour une personne se trouvant en état de récidive légale, envisager systématiquement un aménagement de peine destiné à faciliter la réinsertion du prévenu, tel qu'un régime de semi-liberté ou un placement sous bracelet électronique, sauf à justifier d'une impossibilité matérielle caractérisée ; qu'en l'espèce, pour condamner M. [M] à la peine ferme de huit mois d'emprisonnement, la cour d'appel n'a pas envisagé l'aménagement ab initio de la peine qu'elle venait de prononcer ou ne s'est pas expliquée sur l'impossibilité matérielle d'un tel aménagement ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les articles 132-19, 132-24, 132-25, 132-26 et suivants du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ».

20. Le moyen proposé pour Mme [A] et Mme [U], épouse [K], critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné, la première, à deux ans d'emprisonnement dont un an avec sursis, la seconde, à dix-huit mois d'emprisonnement dont neuf mois avec sursis et a prononcé à leur encontre une peine d'interdiction de gérer une entreprise ou une société commerciale pendant une durée de cinq ans, alors :

« 1°/ qu'en prononçant une peine d'emprisonnement pour partie ferme à l'encontre des prévenues, motif pris que la peine principale constituait une juste application de la loi pénale et tient compte de la nature et de la gravité des faits commis en bande organisée, toute autre peine étant inadéquate, sans se prononcer sur l'aménagement de la peine d'emprisonnement au regard de la situation matérielle, familiale et sociale de chaque prévenue, et sans constater l'impossibilité matérielle d'un tel aménagement, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision eu égard de l'article 132-19 du code pénal. »

21. Le moyen proposé pour M. [J] [X] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable des faits qualifiés d'omission d'écriture dans un document comptable, de soustraction à l'établissement ou au paiement de l'impôt, omission de déclaration, fraude fiscale et d'escroquerie réalisée en bande organisée et l'a condamné en conséquence à une peine de deux ans d'emprisonnement, dont un avec sursis, alors « qu'en matière correctionnelle, une peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; qu'il appartient alors au juge de motiver spécialement sa décision, au regard des faits de l'espèce et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale ; qu'en prononçant une peine d'emprisonnement pour partie ferme à l'encontre de M. [J] [X], au seul constat de la gravité des faits commis, sans se prononcer sur l'aménagement de la peine d'emprisonnement au regard de la situation matérielle, familiale et sociale du prévenu et sans constater l'impossibilité matérielle d'un tel aménagement, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 132-19 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ».

Réponse de la Cour

22. Les moyens sont réunis.

Vu l'article 132-19 du code pénal, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur, le 24 mars 2020, de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 :

23. Il résulte de ce texte que le juge qui prononce une peine d'emprisonnement sans sursis doit en justifier la nécessité au regard de la gravité de l'infraction, de la personnalité de son auteur et du caractère inadéquat de toute autre sanction. Qu'en outre, si la peine prononcée n'est pas supérieure à deux ans ou à un an pour une personne en état de récidive légale, le juge qui décide de ne pas l'aménager doit, soit constater une impossibilité matérielle de le faire, soit motiver spécialement sa décision au regard des faits de l'espèce et de la situation matérielle, familiale et sociale du prévenu.

24. Pour condamner M. [M] à huit mois d'emprisonnement, Mme [A] à deux ans d'emprisonnement dont un an avec sursis, Mme [U], épouse [K], à dix-huit mois d'emprisonnement dont neuf mois avec sursis, Mme [Y] à deux ans d'emprisonnement dont un an avec sursis et M. [J] [X] à deux ans d'emprisonnement dont un an avec sursis, après avoir exposé les éléments relatifs à la situation actuelle et personnelle de chacun des prévenus, l'arrêt attaqué énonce que les faits sont établis et les infractions caractérisées en tous leurs éléments, que le jugement déféré sera donc confirmé, tant sur la déclaration de culpabilité que sur les peines d'emprisonnement et les peines complémentaires d'interdiction de gérer prononcées à l'encontre de Mme [U], épouse [K], M. [J] [X], Mme [Y], Mme [A] et M. [M], qui constituent une juste application de la loi pénale et tiennent compte de la nature et de la gravité des faits commis en bande organisée, toute autre peine étant inadéquate.

25. L'arrêt ajoute que les agissements des prévenus ont gravement porté atteinte, tant à l'ordre économique, social, par la concurrence déloyale au préjudice des autres entreprises du secteur, que fiscal, par la rupture d'égalité des agents économiques devant l'impôt, et ont nécessairement contribué à alimenter des circuits financiers clandestins, et relève par ailleurs qu'à la date des faits, le casier judiciaire de M. [M] portait trace d'une condamnation.

26. L'arrêt conclut que, pour mieux prendre en compte la situation personnelle actuelle de certains des appelants, le jugement entrepris sera réformé en ce qu'il prononce à l'encontre de M. [J] [X] une peine d'amende d'un montant de 2.000 euros.

27. En se déterminant par de tels motifs, sans se prononcer sur la possibilité d'un aménagement des peines d'emprisonnement prononcées, au regard de la situation matérielle, familiale et sociale des prévenus, ni auparavant s'expliquer sur le caractère inadéquat de toute autre sanction qu'une peine d'emprisonnement, la cour d'appel, a méconnu le texte susvisé.

28. La cassation est par conséquent une nouvelle fois encourue.

Portée et conséquences de la cassation

29. La cassation portera :

- d'une part, sur toutes les peines prononcées à l'encontre de M. [M], Mme [A], Mme [U], épouse [K], et M. [J] [X]. L'affaire sera renvoyée devant une cour d'appel pour qu'il soit à nouveau statué dans les limites de la cassation ainsi prononcée, conformément à la loi, et, le cas échéant, aux dispositions des articles 132-19 et 132-25 du code pénal et 464-2 du code de procédure pénale, dans leur rédaction issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, applicables à partir du 24 mars 2020,

- d'autre part, sur la peine d'interdiction de gérer prononcée à l'encontre de M. [C] [X], la cassation se fera sans renvoi, la Cour de cassation étant sur ce point en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire,

- enfin, sur la peine d'interdiction de gérer prononcée à l'encontre de Mme [Y], la cassation se fera par voie de retranchement.

30. Toutes les autres dispositions sont expressément maintenues.

Sur les demandes présentées au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale

31. Les dispositions de ce texte sont applicables en cas de rejet du pourvoi, qu'il soit total ou partiel ; les déclarations de culpabilité des demandeurs au pourvoi, étant devenue définitives, par suite de la non-admission de leurs moyens de cassation, seuls contestés par le défendeur au pourvoi, il y a lieu de faire droit aux demandes.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 13 juin 2019 :

- avec renvoi, en ses dispositions relatives aux peines prononcées à l'encontre de M. [M], Mme [A], Mme [U], épouse [K], et M. [J] [X] ;

- sans renvoi, en ses dispositions relatives à la durée de la peine d'interdiction de gérer prononcée à l'égard de M. [C] [X] et dit que cette peine sera de trois ans ;

- par voie de retranchement, en ses dispositions ayant prononcé à l'égard de Mme [Y] une peine d'interdiction de gérer ;

toutes autres dispositions étant expressément maintenues.

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites du surplus de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désigné par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

FIXE à 2 500 euros la somme globale que Mme [A] et Mme [U], épouse [K], devront payer à la direction générale des finances publiques en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

FIXE à 2 500 euros la somme que Mme [Y] devra payer à la direction générale des finances publiques en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

FIXE à 2 500 euros la somme que M. [M] devra payer à la direction générale des finances publiques en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

FIXE à 2 500 euros la somme que M. [C] [X] devra payer à la direction générale des finances publiques en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

FIXE à 2 500 euros la somme que M. [J] [X] devra payer à la direction générale des finances publiques en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.