Cass. 3e civ., 3 décembre 2020, n° 19-17.868
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° P 19-20.259 et Q 19-17.868 sont joints.
Désistements partiels
2. Il est donné acte à M. et Mme OI... , M. et Mme Y..., M. X..., M. et Mme N..., M. F..., M. R..., M. A..., M. et Mme RE... et Mme KW... du désistement de leur pourvoi.
3. Il est donné acte à la SCP d'avocats U..., Borgia, U..., Morlon et associés, prise en la personne de M. U..., ès qualités,(la SCP) et à la société Mutuelles du Mans assurances (la MMA) du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est formé contre l'ordre des avocats du barreau de Bordeaux. Faits et procédure
4. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 25 avril 2019), le 9 décembre 2003, les copropriétaires d'un immeuble ont constitué une association foncière urbaine libre (AFUL) en vue de la réalisation d'une opération de restauration immobilière éligible à un dispositif de défiscalisation.
5. Le 12 janvier 2004, l'AFUL a confié la maîtrise d'oeuvre complète à la société Arch'Imhotep, assurée par les sociétés Mutuelle des architectes français (la MAF) et Axa IARD, la réalisation des travaux tous corps d'état à la société Archi Sud bâtiment, assurée par la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (la SMABTP), et la mission de coordination en matière de sécurité et protection de la santé à M. AI....
6. Le 20 janvier 2004, l'AFUL a conclu un contrat d'assistance à la maîtrise d'ouvrage avec M. MX..., syndic de copropriété, qui, le 21 janvier 2004, a sous-traité à la SCP, assurée par la MMA et la société Allianz, les missions de conseil et de gestion administrative et comptable.
7. Le permis de construire été délivré le 20 août 2004 et la déclaration d'ouverture du chantier établie le 11 avril 2005.
8. Au mois de juillet 2006, le chantier a été abandonné et l'immeuble muré.
9. Les sociétés Archi sud bâtiment et Arch'Imhotep et M. MX... ont été mis en redressement, puis en liquidation judiciaires.
10. L'AFUL et les copropriétaires ont, après expertise, assigné la SCP, M. MX..., M. AI... et les sociétés Archi Sud bâtiment et Arch'Imhotep, ainsi que leurs assureurs, en indemnisation de leurs préjudices.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi n° Q 19-17.868
Enoncé du moyen
11. La SCP et la MMA font grief à l'arrêt de les condamner in solidum à indemniser les copropriétaires, alors « qu'une faute ne peut être retenue comme la cause d'un dommage que s'il est établi que sans elle, il ne se serait pas produit ; qu'en retenant, pour condamner la SCP U... à indemniser les copropriétaires de leurs préjudices résultant de l'inachèvement des travaux, que l'avocat aurait dû mettre en garde les membres de l'AFUL contre le risque lié au versement de 80 % du montant des travaux avant l'ouverture du chantier et de la possibilité de bénéficier de l'avantage fiscal escompté en versant les fonds directement à l'AFUL au lieu de l'entrepreneur de l'ouvrage, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si sans la faute imputée à l'avocat, l'AFUL aurait pu échapper à son engagement de payer 80 % du montant des travaux avant l'ouverture du chantier qu'elle avait souscrit avant l'intervention de ce conseil ou obtenir des constructeurs l'achèvement des travaux de rénovation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
12. La cour d'appel a relevé qu'il n'était pas établi que la SCP avait une mission d'assistance juridique à l'égard des membres de l'AFUL au moment de la constitution de celle-ci, lors de l'assemblée générale du 19 décembre 2003 ayant décidé de confier les travaux de rénovation de l'immeuble aux sociétés Arch'Imhotep et Archi Sud bâtiment ou encore lors de la signature, le 12 janvier 2004, du cahier des clauses administratives particulières (le CCAP) qui stipulait le paiement de 50 % du coût des travaux à la signature du marché, de 30 % à l'ouverture du chantier et de 20 % à la pose des menuiseries extérieures, ce qui exposait l'AFUL à des risques très forts induits pas ces modalités particulières d'échelonnement des paiements.
13. Toutefois, elle a retenu que, si les intervenants étaient déjà choisis et le CCAP rédigé, cette situation ne dispensait pas la SCP, en sa qualité d'assistant juridique de l'AFUL à tous les stades de l'opération de rénovation immobilière, d'analyser les contrats déjà conclus, de mettre en garde les membres de l'AFUL sur la disproportion qui existait entre le montant des paiements à l'entreprise générale par rapport au stade d'avancement des travaux, de les informer que la réception des fonds par l'AFUL et non leur versement direct à l'entreprise leur permettait de bénéficier des avantages fiscaux et d'alerter l'AFUL sur la collusion d'intérêts qui existait entre les sociétés Arch'Imohtep et Archi Sud bâtiment, dont le capital était détenu par M. AI..., et sur le danger que présentait le CCAP.
14. Elle a relevé que le versement immédiat, avant tous travaux, de 80 % du montant du marché de l'entreprise générale avait privé les membres de l'AFUL de la possibilité de mener à bien une opération en leur laissant la charge d'un bâtiment en ruines qui avait dû être muré, ce qui entraînait une dépréciation du capital immobilier qu'ils avaient acquis et la perte de tous revenus locatifs.
15. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu déduire, procédant à la recherche prétendument omise, que le préjudice financier subi par les copropriétaires, s'il provenait directement du stratagème mis en place par M. AI... au travers de l'action concertée des sociétés Arch'Imhotep et Archi Sud bâtiment, résultait aussi de l'absence de tout conseil efficient de la part de la société d'avocats.
16. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.
Sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi n° Q 19-17.868, réunis
Enoncé du moyen
17. Par leur deuxième moyen, a SCP et la MMA font grief à l'arrêt de dire que les garanties de la SMABTP et de la MAF n'étaient pas mobilisables et de rejeter les demandes des copropriétaires formées à leur encontre, alors :
« 1°/ que la garantie déclenchée par la réclamation couvre l'assuré contre les conséquences pécuniaires d'un sinistre, dès lors que le fait dommageable est antérieur à la date de résiliation ou d'expiration de la garantie, et que la première réclamation relative au sinistre est adressée à l'assuré ou à son assureur entre la prise d'effet initiale de la garantie et l'expiration d'un délai subséquent à sa date de résiliation ; qu'en retenant, pour écarter la garantie de la SMABTP, que la réclamation de l'Aful ne pouvait profiter aux copropriétaires qui avaient formé une réclamation au-delà du délai subséquent, quand ces deux réclamations portaient sur le même sinistre, de sorte que la réclamation formée par l'Aful suffisait à mettre en oeuvre la garantie de l'assureur, la cour d'appel a violé les articles L. 124-5 et L. 124-1-1 du code des assurances ;
2°/ qu'en retenant, pour écarter la garantie de la SMABTP, qu'il ressort de la clause 5.6 des conditions générales du contrat conclu avec la société Archi Sud Bâtiment que sont exclues de la garantie les conséquences pécuniaires de toute nature causées par un retard dans la réalisation des travaux, de sorte que les préjudices des copropriétaires qui relevaient de cette catégorie n'étaient pas couverts par l'assurance, quand il n'était pas imputé à la société Archi Sud Bâtiment un simple retard dans les travaux mais leur inachèvement, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales. »
18. Par leur troisième moyen, la SCP et la MMA font grief à l'arrêt de dire que la garantie de la MAF n'était pas mobilisable et de rejeter les demandes des copropriétaires formées à son encontre, alors que « la police d'assurance souscrite par la société Arch'Imhotep auprès de la Mutuelle des architectes garantit l'architecte contre les conséquences pécuniaires des responsabilités qu'il encourt dans l'exercice de sa profession telle qu'elle est définie par la législation et la réglementation en vigueur ; qu'en retenant, pour écarter la garantie de la MAF, que l'architecte, qui s'était trouvé dans une situation de conflit d'intérêts, n'avait pas exercé la fonction d'architecte telle qu'elle est définie par la législation et la réglementation en vigueur, quand cette faute ne suffisait pas établir que l'architecte avait exercé une activité interdite aux architectes, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil. »
Réponse de la Cour
19. La recevabilité du deuxième moyen est contestée en défense.
20. Conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, avis a été donné aux parties que la Cour était susceptible de relever d'office l'irrecevabilité du troisième moyen.
21. La SCP et la MMA n'ayant pas qualité pour critiquer le rejet des demandes formées par les copropriétaires contre la SMABTP et la MAF, le moyen est irrecevable.
Mais sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche, du pourvoi n° P 19-20.259
Enoncé du moyen
22. L'AFUL fait grief à l'arrêt de dire qu'elle n'a pas qualité à agir, alors « que le délai de forclusion est interrompu par la demande en justice jusqu'à ce qu'il ait été statué sur celle-ci, même si l'acte de saisine de la juridiction est entaché d'un vice de procédure, quel qu'il soit ; qu'en retenant que « l'irrégularité de fond qui entache l'acte d'appel pour défaut de capacité ne peut être couverte après l'expiration du délai d'appel » alors que demeurait possible la régularisation de l'acte d'appel qui, même entaché d'un vice de procédure, avait interrompu le délai d'appel, la cour d'appel a violé les articles 2241 et 2242 du code civil et l'article 121 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
23. La SCP, la MAF et la société Allianz contestent la recevabilité du moyen. Elles soutiennent que le moyen, pris en sa deuxième branche, est nouveau et mélangé de fait et, partant, irrecevable.
24. Toutefois, le moyen est de pur droit dès lors qu'il ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond.
25. Il est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles 2241, alinéa 2, du code civil et 121 du code de procédure civile :
26. Il résulte du premier de ces textes que l'acte de saisine de la juridiction, même entaché d'un vice de procédure, interrompt les délais de prescription comme de forclusion.
27. Par arrêt du 1er juin 2017 (2e Civ., 1er juin 2017, pourvoi n° 16-14.300), la deuxième chambre civile a jugé que demeure possible la régularisation de la déclaration d'appel qui, même entachée d'un vice de procédure, a interrompu le délai d'appel.
28. Pour dire que l'AFUL n'a pas qualité à agir, l'arrêt retient que, si elle justifie avoir procédé à la mise en conformité de ses statuts et avoir accompli les 23 février et 3 mars 2018 les formalités de déclaration et de publication prévues par l'article 8 de l'ordonnance du 1er juillet 2004, l'irrégularité de fond qui entache l'acte d'appel du 5 octobre 2016 pour défaut de capacité d'ester en justice ne peut pas être couverte après l'expiration du délai d'appel, de sorte que, si l'AFUL a recouvré sa capacité à agir en justice à partir du 3 mars 2018, elle restait dépourvue de toute capacité à agir au moment où elle a interjeté appel.
29. En statuant ainsi, alors que demeurait possible, jusqu'à ce que le juge statue, la régularisation de la déclaration d'appel qui, même entachée d'un vice de procédure, avait interrompu le délai d'appel, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Demandes de mise hors de cause
30. Il n'y a pas lieu de mettre hors de cause, sur leur demande, la MAF et les sociétés Axa France IARD et Allianz, dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen unique du pourvoi n° P 19-20.259, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que l'AFUL n'a pas qualité à agir, l'arrêt rendu le 25 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause la société Mutuelle des architectes français et les sociétés Axa France IARD et Allianz ;
Condamne M. AI..., la société Archi sud bâtiment, la société Ekip, ès qualités de liquidateur de la société Arch'Imhotep, M. OU..., ès qualités de liquidateur de M. MX..., la SCP U..., Borgia, U..., Morlon et associés, prise en la personne de M. U... ès qualités et la société Mutuelles du Mans assurances aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois décembre deux mille vingt.