CJCE, gr. ch., 12 septembre 2006, n° C-479/04
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Laserdisken ApS
Défendeur :
Kulturministeriet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas et J. Malenovský, présidents de chambre, MM. J. P. Puissochet et R. Schintgen, Mme N. Colneric, MM. S. von Bahr, G. Arestis (rapporteur), J. Klučka, U. Lõhmus et A. Ó Caoimh, juges, avocat général: Mme E. Sharpston,
ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
«Directive 2001/29/CE – Harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information – Article 4 – Droit de distribution – Règle d’épuisement – Base juridique – Accords internationaux – Politique de la concurrence – Principe de proportionnalité – Liberté d’expression – Principe d’égalité – Articles 151 CE et 153 CE»
Dans l’affaire C-479/04,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par l’Østre Landsret (Danemark), par décision du 16 novembre 2004, parvenue à la Cour le 19 novembre 2004, dans la procédure
Laserdisken ApS
contre
Kulturministeriet,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas et J. Malenovský, présidents de chambre, MM. J.‑P. Puissochet et R. Schintgen, Mme N. Colneric, MM. S. von Bahr, G. Arestis (rapporteur), J. Klučka, U. Lõhmus et A. Ó Caoimh, juges,
avocat général: Mme E. Sharpston,
greffier: Mme K. Sztranc, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 février 2006,
considérant les observations présentées:
– pour Laserdisken ApS, par M. H. K. Pedersen, en qualité d’associé,
– pour le gouvernement polonais, par M. T. Nowakowski, en qualité d’agent,
– pour le Parlement européen, par M. K. Bradley et Mme L. G. Knudsen, en qualité d’agents,
– pour le Conseil de l’Union européenne, par MM. H. Vilstrup, F. Florindo Gijón et Mme R. Liudvinaviciute, en qualité d’agents,
– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. W. Wils et N. B. Rasmussen, en qualité d’agents, ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 4 mai 2006, rend le présent
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation et la validité de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO L 167, p. 10, ci-après la «directive» ou la «directive 2001/29»).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Laserdisken ApS (ci-après «Laserdisken») au Kulturministeriet (ministère de la Culture) au sujet de l’applicabilité de l’article 19 de la loi danoise sur le droit d’auteur (ophavsretslov), telle que modifiée par la loi n° 1051 (lov nr. 1051, om ændring af ophavsretsloven), du 17 décembre 2002, à l’importation et à la vente, au Danemark, de DVD légalement commercialisés à l’extérieur de l’Espace économique européen (EEE).
Le cadre juridique
3 La directive 2001/29 a été adoptée sur la base des articles 47, paragraphe 2, CE, 55 CE et 95 CE. Son article 1er, intitulé « Champ d’application», prévoit, à son paragraphe 1er, que «[cette] directive porte sur la protection juridique du droit d’auteur et des droits voisins dans le cadre du marché intérieur, avec une importance particulière accordée à la société de l’information».
4 Sous le titre « Droits et exceptions», le chapitre II de la directive regroupe les articles 2 à 5. L’article 2 traite du droit de reproduction, l’article 3, du droit de communication d’œuvres au public ainsi que du droit de mettre à la disposition du public d’autres objets protégés, l’article 4, du droit de distribution et l’article 5, des exceptions et des limitations aux règles posées par les trois articles précédents.
5 L’article 4 de la directive est libellé comme suit :
«1. Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute forme de distribution au public, par la vente ou autrement, de l’original de leurs œuvres ou de copies de celles-ci.
2. Le droit de distribution dans la Communauté relatif à l’original ou à des copies d’une œuvre n’est épuisé qu’en cas de première vente ou premier autre transfert de propriété dans la Communauté de cet objet par le titulaire du droit ou avec son consentement. »
6 L’article 5, paragraphe 2, de la directive dispose que les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou des limitations au droit de reproduction régi par l’article 2 dans un certain nombre de cas. Selon le paragraphe 3 dudit article 5, les États membres ont également la faculté de prévoir des exceptions ou des limitations aux droits régis par les articles 2 et 3 dans les cas énumérés à ce paragraphe.
7 Aux termes de l’article 5, paragraphe 4, de la directive, «[l]orsque les États membres ont la faculté de prévoir une exception ou une limitation au droit de reproduction en vertu des paragraphes 2 et 3, ils peuvent également prévoir une exception ou limitation au droit de distribution visé à l’article 4, dans la mesure où celle-ci est justifiée par le but de la reproduction autorisée».
8 Avant la transposition de la directive 2001/29, la loi danoise sur le droit d’auteur disposait en son article 19 que, «[l]orsqu’une reproduction d’une œuvre est vendue ou transférée d’une autre manière à des tiers avec le consentement de l’auteur, sa distribution peut se poursuivre».
9 À la suite de la modification de cette loi par la loi n° 1051, du 17 décembre 2002, visant à transposer la directive 2001/29, le paragraphe 1 dudit article 19 est désormais libellé comme suit:
«Lorsqu’une reproduction d’une œuvre est vendue ou transférée d’une autre manière à des tiers avec le consentement de l’auteur à l’intérieur de l’Espace économique européen, sa distribution peut se poursuivre. Lorsqu’il s’agit d’une distribution sous forme de prêt ou de location, les dispositions du point 1 s’appliquent également à la vente ou à toute autre forme de transfert à des tiers à l’extérieur de l’Espace économique européen.»
10 Conformément à l’article 65, paragraphe 2, de l’accord sur l’Espace économique européen du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’«accord EEE»), les dispositions et les modalités particulières applicables à la propriété intellectuelle, industrielle et commerciale figurent dans le protocole 28 et à l’annexe XVII dudit accord. Par décision du comité mixte de l’EEE n° 110/2004, du 9 juillet 2004, modifiant l’annexe XVII (Propriété intellectuelle) de l’accord EEE (JO L 376, p. 45), la directive 2001/29 a été intégrée audit accord.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
11 Laserdisken est une société commerciale qui vend notamment des copies d’œuvres cinématographiques à des acheteurs individuels dans ses points de vente au Danemark.
12 Jusqu’à la fin de l’année 2002, ces copies étaient, pour l’essentiel, importées par cette société des États membres de l’Union européenne, mais également d’États tiers. Il s’agissait notamment d’éditions spéciales, telles que des versions américaines originales ou des éditions enregistrées selon une technique particulière. Une autre partie importante des produits proposés à la vente était constituée d’œuvres cinématographiques qui n’étaient pas et ne seraient pas éditées en Europe.
13 Ayant constaté une baisse significative des ses activités à la suite de la modification législative susvisée, Laserdisken a introduit, le 19 février 2003, une action en justice devant l’Østre Landsret (cour régionale de l’Est) contre le Kulturministeriet, en concluant à l’inapplicabilité de l’article 19 de la loi sur le droit d’auteur telle que modifiée dans le cadre de la transposition de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29. Selon Laserdisken, les nouvelles dispositions dudit article 19 affectent sensiblement ses importations et ventes de DVD légalement commercialisés à l’extérieur de l’EEE.
14 À l’appui de cette action, Laserdisken a invoqué l’invalidité de la directive 2001/29, au motif que les articles 47, paragraphe 2, CE, 55 CE et 95 CE ne constitueraient pas la base juridique appropriée à son adoption.
15 En outre, Laserdisken a fait valoir que l’article 4, paragraphe 2, de ladite directive, viole les accords internationaux liant la Communauté dans le domaine du droit d’auteur et des droits voisins, les règles du traité CE concernant la mise en place d’une politique de concurrence, le principe de proportionnalité dans le cadre de la lutte contre la piraterie et, de manière plus générale, dans celui de la réalisation du marché intérieur, la liberté d’expression, le principe d’égalité ainsi que les dispositions du traité concernant la politique culturelle et la politique de l’éducation des États membres, à savoir les articles 151 CE et 153 CE.
16 Les moyens susmentionnés ayant été contestés dans leur ensemble par le Kulturministeriet, l’Østre Landsret a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les deux questions préjudicielles suivantes:
«1) L’article 4, paragraphe 2, de la directive [200l/29] est-il invalide?
2) L’article 4, paragraphe 2, de la directive [2001/29] fait-il obstacle à ce qu’un État membre conserve l’épuisement international dans sa législation?»
Sur les questions préjudicielles
Sur la seconde question
17 Par sa seconde question, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande si l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29 exclut des règles nationales prévoyant que le droit de distribution relatif à l’original ou à des copies d’une œuvre est épuisé en cas de première vente ou de premier autre transfert de propriété par le titulaire dudit droit ou avec le consentement de celui-ci en dehors de la Communauté.
18 Laserdisken et le gouvernement polonais soutiennent que l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29 ne s’oppose pas à ce qu’un État membre conserve dans sa législation une telle règle d’épuisement. La Commission des Communautés européennes défend la position inverse.
19 L’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29 consacre le droit exclusif de l’auteur d’autoriser ou d’interdire toute forme de distribution au public, par la vente ou autrement, de l’original de son œuvre ou de copies de celle-ci.
20 Le paragraphe 2 du même article contient la règle relative à l’épuisement de ce droit. Selon cette disposition, le droit de distribution relatif à l’original ou à des copies d’une œuvre n’est épuisé qu’en cas de première vente ou de premier autre transfert de propriété dans la Communauté de cet objet par le titulaire du droit ou avec son contentement.
21 Il s’ensuit que l’épuisement du droit en cause est subordonné à une double condition, à savoir, d’une part, que l’original d’une œuvre ou les copies de celle-ci aient été mis dans le commerce par le titulaire du droit ou avec son consentement et, d’autre part, que cette commercialisation ait eu lieu dans la Communauté.
22 À cet égard, Laserdisken et le gouvernement polonais soutiennent, en substance, que l’article 4, paragraphe 2, de la directive laisserait aux États membres la faculté d’édicter ou de maintenir, dans leur droit national respectif, une règle d’épuisement pour les œuvres mises dans le commerce non seulement dans la Communauté, mais également dans des États tiers.
23 Une telle interprétation ne saurait être accueillie. En effet, selon le vingt-huitième considérant de la directive 2001/29, la protection du droit d’auteur en application de cette directive inclut le droit exclusif de contrôler la distribution d’une œuvre incorporée à un bien matériel. La première vente dans la Communauté de l’original d’une œuvre ou des copies de celle-ci par le titulaire du droit ou avec son consentement épuise le droit de contrôler la revente de cet objet dans la Communauté. Selon le même considérant, ce droit ne doit pas être épuisé par la vente de l’original de l’œuvre ou de copies de celle-ci hors de la Communauté par le titulaire du droit ou avec son consentement.
24 Il résulte des termes clairs de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29, lus en combinaison avec le vingt-huitième considérant de cette directive, que ladite disposition ne laisse pas aux États membres la faculté de prévoir une règle d’épuisement autre que celle de l’épuisement dans la Communauté.
25 Cette conclusion est corroborée par l’article 5 de la directive 2001/29, qui autorise les États membres à prévoir des exceptions ou des limitations au droit de reproduction, au droit de communication d’œuvres au public, au droit de mettre à la disposition du public d’autres objets protégés et au droit de distribution. En effet, il ne résulte d’aucune disposition de cet article que les exceptions ou les limitations autorisées pourraient concerner la règle de l’épuisement inscrite à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29 et, partant, permettre aux États membres de déroger à cette règle.
26 L’interprétation qui précède est, en outre, la seule qui soit pleinement conforme à la finalité de la directive 2001/29, qui est, selon son premier considérant, d’assurer le fonctionnement du marché intérieur. À cet égard, il importe de relever que des entraves inéluctables à la libre circulation des marchandises et à la libre prestation des services résulteront d’une situation dans laquelle certains États membres pourront prévoir l’épuisement international du droit de distribution tandis que d’autres ne prévoiront que l’épuisement communautaire de celui-ci.
27 Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des règles nationales prévoyant l’épuisement du droit de distribution relatif à l’original ou à des copies d’une œuvre mis dans le commerce hors de la Communauté par le titulaire ou avec le consentement de celui-ci.
Sur la première question
28 Laserdisken et le gouvernement polonais proposent de répondre que la directive 2001/29, et notamment son article 4, paragraphe 2, sont contraires au droit communautaire. En revanche, le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission soutiennent qu’aucun des motifs d’invalidité invoqués ne saurait être accueilli.
Sur la base juridique de la directive 2001/29
29 Laserdisken soutient que la directive 2001/29 a été erronément adoptée sur la base des articles 47, paragraphe 2, CE, 55 CE et 95 CE, car ceux-ci ne sauraient justifier la règle d’épuisement communautaire inscrite à l’article 4, paragraphe 2, de cette directive.
30 Selon une jurisprudence constante, dans le cadre du système de compétences de la Communauté, le choix de la base juridique d’un acte doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel. Parmi ces éléments figurent, notamment, le but et le contenu de l’acte (arrêt du 6 décembre 2005, ABNA e.a., C‑453/03, C‑11/04, C‑12/04 et C‑194/04, Rec. p. I-10423, point 54 et jurisprudence citée).
31 À cet égard, il y a lieu d’indiquer que les dispositions des articles 47, paragraphe 2, CE, 55 CE et 95 CE, en vertu desquelles a été adoptée la directive 2001/29, permettent de prendre des mesures nécessaires au bon fonctionnement du marché intérieur en ce qui concerne la liberté d’établissement et la libre prestation des services au moyen d’une harmonisation des législations nationales relatives au contenu et à l’exercice du droit d’auteur et des droits voisins.
32 La directive 2001/29 poursuit manifestement les objectifs visés par les dispositions du traité susmentionnées.
33 En effet, selon le premier considérant de cette directive, le traité prévoit l’établissement d’un marché intérieur et l’instauration d’un système propre à empêcher les distorsions de concurrence dans le marché intérieur, et l’harmonisation des dispositions législatives des États membres sur le droit d’auteur et les droits voisins contribue à la réalisation de ces objectifs.
34 Sur ce point, le troisième considérant de la directive 2001/29 précise que l’harmonisation envisagée contribuera à l’application des quatre libertés du marché intérieur. En revanche, selon le sixième considérant de la même directive, en l’absence d’harmonisation à l’échelle communautaire, les processus législatifs au niveau national pourraient entraîner des disparités sensibles en matière de protection et, partant, des restrictions à la libre circulation des services et des marchandises qui comportent des éléments relevant de la propriété intellectuelle ou se fondant sur de tels éléments.
35 Il résulte de ce qui précède que les objections soulevées en l’espèce par Laserdisken, en ce qui concerne la base juridique de la directive, ne sont pas fondées.
Sur l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29
– Sur la violation des accords internationaux conclus par la Communauté dans le domaine du droit d’auteur et des droits voisins
36 La juridiction de renvoi n’indique pas quels sont les accords qui lient la Communauté et dont les dispositions pourraient être violées par la règle de l’épuisement communautaire du droit de distribution inscrite à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29.
37 Dans le cadre de ses observations, Laserdisken fait valoir, sans toutefois apporter davantage de précisions, que le droit de distribution et la règle d’épuisement inscrite à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29 seraient contraires aux dispositions des articles 1er, sous c), et 2, sous a), de la convention relative à l’Organisation de coopération et de développement économiques, signée à Paris le 14 décembre 1960 (OCDE). Ces dispositions prévoient respectivement que l’OCDE «a pour objectif de promouvoir des politiques […] visant à contribuer à l’expansion du commerce mondial sur une base multilatérale et non discriminatoire […]» et que, en vue d’atteindre notamment cet objectif, «les [États membres] conviennent […] d’assurer l’utilisation efficace de leurs ressources économiques».
38 Outre le fait que cet argument manque de précision, il suffit de constater que les dispositions invoquées par Laserdisken, à supposer qu’elles lient la Communauté, n’ont pas pour objet de réglementer la question de l’épuisement du droit de distribution.
39 Par ailleurs, conformément au quinzième considérant de la directive 2001/29, celle-ci met en œuvre les obligations internationales résultant de l’adoption, à Genève, le 20 décembre 1996, sous l’égide de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), à savoir, d’une part, le traité de l’OMPI sur le droit d’auteur et, d’autre part, le traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes, traités approuvés au nom de la Communauté par la décision 2000/278/CE du Conseil, du 16 mars 2000 (JO L 89, p. 6).
40 À propos du droit de distribution, ni l’article 6, paragraphe 2, du traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, ni les articles 8, paragraphe 2, et 12, paragraphe 2, du traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes n’imposent une obligation à la Communauté, en tant que partie contractante, de prévoir une règle spécifique concernant l’épuisement de ce droit.
41 En effet, il découle de la finalité desdits traités, telle qu’elle est formulée notamment à leurs premiers considérants, qu’ils tendent à une harmonisation des règles du droit d’auteur et des droits voisins.
42 Plus particulièrement, s’agissant du droit de distribution, le traité de l’OMPI sur le droit d’auteur satisfait à son objectif d’harmonisation en énonçant le droit exclusif des auteurs d’autoriser la mise à la disposition du public de l’original de leurs oeuvres ou de copies de celles-ci par la vente ou tout autre transfert de propriété. En revanche, concernant l’épuisement de ce droit exclusif, ledit traité ne porte pas atteinte à la faculté dont disposent les parties contractantes de déterminer les conditions éventuelles dans lesquelles ledit épuisement a lieu après la première vente. Ainsi, il permet à la Communauté d’approfondir l’harmonisation des législations nationales également en ce qui concerne la règle d’épuisement. Les dispositions du traité de l’OMPI sur le droit d’auteur susmentionnées et celles de la directive 2001/29 sont donc complémentaires au regard de l’objectif d’harmonisation poursuivi.
43 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la thèse de la violation, par l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29, des accords internationaux conclus par la Communauté dans le domaine du droit d’auteur et des droits voisins ne saurait prospérer.
– Sur les règles du traité relatives à la mise en place d’une politique de concurrence
44 Laserdisken fait valoir que la règle d’épuisement inscrite à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29 renforce le contrôle des canaux de distribution par les fournisseurs, portant ainsi atteinte au jeu de la libre concurrence. Le cœur de l’argumentation de la requérante au principal repose sur le fait que la concurrence serait neutralisée d’une manière générale par cette règle d’épuisement combinée avec le système de codage régional des DVD. En effet, certaines œuvres commercialisées en dehors de la Communauté ne sauraient, compte tenu de ladite règle, être accessibles dans la Communauté.
45 Le gouvernement polonais ajoute que cette règle d’épuisement empêcherait la promotion d’une plus grande compétitivité et accorderait aux titulaires de droits d’auteurs et de droits voisins une protection de leurs intérêts, allant au-delà de l’objet de tels droits.
46 Par l’ensemble de leurs allégations, la requérante au principal et le gouvernement polonais soutiennent, en substance, que la règle d’épuisement inscrite à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29 empêche le jeu de la libre concurrence au niveau mondial.
47 Il y a lieu de rappeler que, selon l’article 3, paragraphe 1, sous g), CE, l’action de la Communauté comporte, dans les conditions et selon les rythmes prévus par le traité, un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur. Dans ce cadre, le titre VI du traité contient un chapitre 1er dans lequel figurent les articles 81 CE à 89 CE consacrés aux règles de la concurrence.
48 En l’espèce, selon le premier considérant de la directive 2001/29, l’harmonisation des dispositions législatives des États membres sur le droit d’auteur et les droits voisins contribue à l’établissement du marché intérieur et à l’instauration d’un système propre à empêcher les distorsions de concurrence dans ce dernier.
49 Il s’ensuit que l’harmonisation réalisée par ladite directive vise également à assurer une concurrence non faussée dans le marché intérieur, conformément à l’article 3, paragraphe 1, sous g), CE.
50 La thèse avancée par Laserdisken et le gouvernement polonais impliquerait que le législateur communautaire soit obligé, en adoptant la directive 2001/29, de tenir compte d’un principe de la libre concurrence au niveau mondial, obligation qui ne découle cependant ni de l’article 3, paragraphe 1, sous g), CE ni des autres dispositions du traité.
51 Il résulte de ce qui précède que le motif d’invalidité tiré de la violation des règles du traité relatives à la mise en place d’une politique de concurrence doit être écarté.
– Sur la violation du principe de proportionnalité
52 Selon Laserdisken et le gouvernement polonais, la règle d’épuisement inscrite à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29 n’est pas nécessaire pour atteindre l’objectif d’un marché intérieur sans entrave et impose aux citoyens de l’Union européenne des charges qui excèdent ce qui est nécessaire. En outre, cette disposition s’avérerait inefficace pour empêcher la distribution des œuvres mises en circulation dans la Communauté sans le consentement des titulaires des droits d’auteur et des droits voisins.
53 Il résulte d’une jurisprudence constante que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit communautaire, exige que les moyens mis en œuvre par une disposition communautaire soient aptes à réaliser l’objectif visé et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre [arrêt du 10 décembre 2002, British American Tobacco (Investments) et Imperial Tobacco, C‑491/01, Rec. p. I-11453, point 122].
54 La requérante au principal critique, en substance, le choix opéré par les institutions communautaires en faveur de la règle de l’épuisement du droit de distribution dans la Communauté.
55 Il convient dès lors d’examiner si l’adoption de cette règle constitue une mesure disproportionnée par rapport aux objectifs visés par lesdites institutions.
56 À cet égard, il y a lieu de rappeler que la divergence des législations nationales en matière d’épuisement du droit de distribution est susceptible d’affecter directement le bon fonctionnement du marché intérieur. Dès lors, l’harmonisation en cette matière a pour objectif de lever les entraves à la libre circulation.
57 Par ailleurs, selon le neuvième considérant de la directive 2001/29, la protection du droit d’auteur et des droits voisins contribue au maintien et au développement de la créativité dans l’intérêt, notamment, des auteurs, des interprètes ou exécutants, des producteurs et des consommateurs. Il résulte du dixième considérant de la même directive qu’une protection juridique des droits de propriété intellectuelle est nécessaire pour garantir une rémunération appropriée pour l’utilisation des œuvres et permettre un rendement satisfaisant des investissements. En ce sens également, le onzième considérant énonce qu’un système efficace et rigoureux de protection permet de garantir à la création et à la production culturelles européennes l’obtention des ressources nécessaires et de préserver l’autonomie ainsi que la dignité des créateurs et des interprètes.
58 Eu égard aux objectifs susvisés, il apparaît que le choix opéré par le législateur communautaire à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29 en faveur de la règle d’épuisement dans la Communauté ne constitue pas une mesure disproportionnée pouvant affecter la validité de cette disposition.
59 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la thèse de la violation du principe de proportionnalité n’est pas fondée.
– Sur la violation de la liberté d’expression
60 Selon Laserdisken, l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29 a pour effet de priver les citoyens de l’Union de leur droit de recevoir des informations, en violation de l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH»). Laserdisken invoque en outre une méconnaissance de la liberté des titulaires de droits d’auteur de communiquer leurs idées.
61 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect et que, à cet effet, cette dernière s’inspire des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré. La CEDH revêt dans ce contexte une signification particulière (arrêt du 12 juin 2003, Schmidberger, C‑112/00, Rec. p. I‑5659, point 71 et jurisprudence citée).
62 La liberté d’expression, consacrée par l’article 10 de la CEDH, constitue un droit fondamental dont le juge communautaire assure le respect (arrêt du 18 juin 1991, ERT, C‑260/89, Rec. p. I-2925, point 44). Il en va de même du droit de propriété qui est garanti par l’article 1er du protocole additionnel à la CEDH (voir, en ce sens, arrêts du 12 mai 2005, Regione autonoma Friuli-Venezia Giulia et ERSA, C‑347/03, Rec. p. I‑3785, point 119, et du 12 juillet 2005, Alliance for Natural Health e.a., C‑154/04 et C‑155/04, Rec. p. I‑6451, point 126).
63 En premier lieu, la thèse d’une violation de la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la CEDH résultant du fait que le titulaire du droit d’auteur serait empêché de communiquer ses idées doit être écartée. En effet, le droit de distribution est épuisé, selon l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29, à condition que le titulaire du droit d’auteur ait donné son consentement à la première vente ou au premier autre transfert de propriété. Ce titulaire est donc à même d’exercer son contrôle sur la première commercialisation de l’objet couvert par ledit droit. Dans ce contexte, la liberté d’expression ne saurait d’évidence être invoquée pour invalider la règle de l’épuisement.
64 En ce qui concerne, en second lieu, la liberté de recevoir des informations, à supposer que la règle d’épuisement inscrite à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29 soit susceptible de restreindre cette liberté, il résulte toutefois du paragraphe 2 de l’article 10 de la CEDH que les libertés garanties par le paragraphe 1er de cet article peuvent faire l’objet de certaines limitations justifiées par des objectifs d’intérêt général, pour autant que ces dérogations sont prévues par la loi, inspirées par un ou plusieurs buts légitimes au regard de ladite disposition et nécessaires dans une société démocratique, c’est-à-dire justifiées par un besoin social impérieux et, notamment, proportionnées au but légitime poursuivi (voir, en ce sens, arrêt du 25 mars 2004, Karner, C‑71/02, Rec. p. I‑3025, point 50).
65 Or, en l’espèce, la restriction alléguée de la liberté de recevoir des informations est justifiée au regard de la nécessité de protéger les droits de propriété intellectuelle, tels que le droit d’auteur, qui font partie du droit de propriété.
66 Il s’ensuit que la thèse d’une violation de la liberté d’expression doit être écartée.
– Sur la violation du principe d’égalité
67 Laserdisken soutient que la règle d’épuisement inscrite à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29 est susceptible de violer le principe d’égalité. À cet égard, elle avance, à titre d’exemple, que le producteur et le titulaire d’une licence établis dans un État tiers ne se trouvent pas dans une situation d’égalité par rapport au producteur et au titulaire d’une licence établis dans la Communauté.
68 Selon une jurisprudence constante, le principe d’égalité de traitement exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt ABNA e.a., précité, point 63 et jurisprudence citée).
69 À supposer que la thèse soutenue par la requérante au principal puisse l’être utilement dans le présent contexte, celle-ci ne démontre pas que l’application de l’article 4, paragraphe 2, de la directive aboutit à traiter deux situations comparables de manière différente. En effet, il ne fait aucun doute que le producteur et le titulaire d’une licence établis dans un État tiers ne se trouvent pas dans une situation identique ou comparable à celle du producteur et du titulaire d’une licence établis dans la Communauté. En réalité, Laserdisken allègue, en substance, que des situations manifestement non comparables doivent être traitées de manière égale.
70 Il s’ensuit que la thèse d’une violation du principe d’égalité doit être écartée.
– Sur la violation des articles 151 CE et 153 CE
71 Selon l’article 151, paragraphe 1, CE, la Communauté contribue à l’épanouissement des cultures des États membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l’héritage culturel commun.
72 L’article 153, paragraphe 1, CE prévoit notamment que, afin de promouvoir les intérêts des consommateurs et d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs, la Communauté contribue à la promotion de leur droit à l’information et à l’éducation.
73 Laserdisken, soutenue par le gouvernement polonais, fait valoir que, par l’adoption de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29, la Communauté a méconnu les dispositions susmentionnées.
74 Il convient de constater, en premier lieu, que lesdites dispositions sont visées soit expressément, soit dans leur substance, par plusieurs considérants de ladite directive.
75 Ainsi qu’il résulte des neuvième et onzième considérants de la directive 2001/29, toute harmonisation du droit d’auteur et des droits voisins doit se fonder sur un niveau de protection élevé, car ces droits sont essentiels à la création intellectuelle et un système efficace et rigoureux assurant leur protection est l’un des principaux instruments permettant de garantir à la création et à la production culturelles européennes l’obtention des ressources nécessaires et de préserver l’autonomie ainsi que la dignité des créateurs et interprètes.
76 À cet égard, selon le douzième considérant de la directive 2001/29, il est également très important, d’un point de vue culturel, d’accorder une protection suffisante aux oeuvres protégées par le droit d’auteur ainsi qu’aux objets relevant des droits voisins et l’article 151 CE fait obligation à la Communauté de tenir compte des aspects culturels dans son action.
77 Enfin, aux termes du quatorzième considérant de la directive 2001/29, celle-ci doit promouvoir la diffusion du savoir et de la culture par la protection des œuvres et autres objets protégés, tout en prévoyant des exceptions ou des limitations dans l’intérêt du public à des fins d’éducation et d’enseignement.
78 Il y a lieu d’indiquer, en second lieu, que la directive 2001/29 prévoit, à son article 5, un régime d’exceptions et de limitations aux différents droits consacrés par les articles 2 à 4 dans le but de permettre aux États membres d’exercer leurs compétences, notamment dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement.
79 Par ailleurs, ce régime est circonscrit de manière stricte par le paragraphe 5 dudit article 5 qui dispose que les exceptions et limitations prévues ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit.
80 Il résulte de ce qui précède que les aspects culturels propres aux États membres, auxquels la requérante au principal se réfère en substance, ainsi que le droit à l’éducation, dont le législateur communautaire doit tenir compte dans le cadre de son action, ont été pleinement pris en considération par les institutions communautaires lors de l’élaboration et de l’adoption de la directive 2001/29.
81 Il s’ensuit que les arguments tirés de la violation alléguée des articles 151 CE et 153 CE doivent être rejetés.
82 Il y a lieu, dès lors, de répondre à la juridiction de renvoi que l’examen de la première question n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29.
Sur les dépens
83 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:
1) L’examen de la première question n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.
2) L’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des règles nationales prévoyant l’épuisement du droit de distribution relatif à l’original ou à des copies d’une œuvre mis dans le commerce hors de la Communauté européenne par le titulaire ou avec le consentement de celui-ci.