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Décisions

CA Aix-en-Provence, 1re ch. a, 30 octobre 2018, n° 17/10097

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Vidal

Conseillers :

Mme Dampfhoffer, Mme Demont

Avocats :

Me Thiollier, Me Sroussi

TGI d’Aix En Provence, du 18 mai 2017, n…

18 mai 2017

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :

Mme Jeanne Agnès F. a entreposé ses meubles dans un local mis à sa disposition par M. et Mme R. à compter de décembre 2002, à la suite de son divorce et de son départ des lieux pris à bail. Les ayant récupérés en octobre 2013, elle a constaté que plusieurs meubles étaient détériorés ou avaient disparu et elle a alors mis en cause la responsabilité de M. et Mme R. en qualité de dépositaires.

Suivant acte d'huissier du 20 juillet 2015, Mme Jeanne Agnès F. a fait assigner M. et Mme R. devant le tribunal de grande instance d'Aix en Provence aux fins de les voir déclarer responsables des pertes et détériorations de son mobilier et d'obtenir leur condamnation à lui payer une somme de 15 400 euros à titre de dommages et intérêts, outre une somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement en date du 18 mai 2017, le tribunal de grande instance d'Aix en Provence a débouté Mme Jeanne Agnès F. de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer à M. et Mme R. la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à M. et Mme R., outre les dépens.

Il a retenu que la preuve du dépôt au-delà de 1 500 euros devait se faire par écrit, à défaut de quoi celui qui est attaqué comme dépositaire est cru en sa déclaration, soit pour le fait même du dépôt, soit pour la chose qui en faisait l'objet ou pour le fait de sa restitution ; qu'à défaut d'écrit en l'espèce, il convient de retenir les déclarations de M. et Mme R. qui indiquent n'avoir jamais été dépositaires des biens de Mme Jeanne Agnès F. mais lui avoir seulement permis d'entreposer ceux-ci dans leur local, sans en assurer la garde et sans en devoir la restitution ; que Mme Jeanne Agnès F. n'apporte pas d'élément justifiant de la réalité et de la consistance du mobilier entreposé en 2002, le constat qu'elle produit étant du 12 janvier 2000 et celle-ci ayant déjà procédé à la vente d'une partie de son mobilier en 2001.

Exposé des faits

Mme Jeanne Agnès F. a interjeté appel de cette décision suivant déclaration en date du 26 mai 2017.

Mme Jeanne Agnès F., aux termes de ses conclusions signifiées le 24 août 2017, demande à la cour de :

- la déclarer recevable et bien fondée en son appel,

- réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

- dire que M. et Mme R. sont solidairement responsables des pertes et détériorations affectant le mobilier déposé dans leur dépendance par Mme Jeanne Agnès F.,

- les condamner solidairement à l'indemniser par le paiement d'une somme de 15 400 euros à titre de dommages et intérêts,

- débouter M. et Mme R. de toutes prétentions contraires,

- condamner M. et Mme R. à lui payer la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

Elle fait valoir les moyens et arguments suivants :

- sur la preuve du contrat de dépôt : M. et Mme R. ont attesté par écrit le 2 décembre 2013 de la réalité du dépôt d'une grosse quantité de meubles chez eux, ce qui permet de démontrer l'existence et la consistance (en grosse quantité) des meubles ; cette attestation produite en justice dans le cadre du divorce de Mme Jeanne Agnès F. constitue un aveu judiciaire établissant l'existence du contrat de dépôt ;

- contrairement à ce que prétend son ex-époux, elle n'a pas vendu une partie de ses meubles, une telle déclaration étant en contradiction avec ses réclamations dans le cadre du divorce et avec celles de M. et Mme R. ;

- la réalité des détériorations est attestée par les témoins de la reprise des meubles le 5 octobre 2013 et, s'agissant des meubles disparus (armoire en noyer Louis XV, deux tables en noyer Louis P., six chaises, deux téléviseurs, un soufflet à cheminée, une fourche ancienne en bois, une broche pour cheminée et un valet), M. et Mme R. ont eux-mêmes prétendu qu'ils avaient été volés ; or, il appartient au dépositaire de prouver qu'il est étranger à la perte ou à la détérioration ;

- le mobilier en question avait une grande valeur et il avait en outre une valeur sentimentale irremplaçable ce qui justifie l'évaluation des dommages et intérêts à la somme de 15 400 euros.

M. et Mme R., en l'état de leurs écritures signifiées le 18 octobre 2017, demandent à la cour de :

A titre principal,

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions, au visa des articles 1915 et suivants anciens du code civil,

A titre subsidiaire, si la cour devait considérer qu'il existe un contrat de dépôt,

- dire que M. et Mme R. devront être crus dans leurs déclarations en ce qu'ils affirment que jamais ils n'ont su ce qui était entreposé dans le local, que jamais ils n'ont eu la preuve de la remise des biens litigieux et que jamais ils n'ont connu la valeur des biens litigieux,

- dire que Mme Jeanne Agnès F. n'apporte pas la preuve, dans les conditions fixées par l'aricle 1341 du code civil, de la remis effective des biens litigieux et de la valeur vénale des biens litigieux,

- en conséquence, débouter Mme Jeanne Agnès F. de toutes ses demandes, fins et conclusions,

A titre infiniment subsidiaire, si la cour considérait qu'il existe un contrat de dépôt entre les parties,

- dire que la valeur des meubles soit disant perdus ne saurait excéder la somme de 2 000 euros soit 1/10ème de la valeur totale des meubles fixée par la cour d'appel,

En tout état de cause,

- condamner Mme Jeanne Agnès F. à payer à M. et Mme R. la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en appel et aux entiers dépens,

- dire que, dans l'hypothèse où, à défaut de règlement spontané, l'exécution forcée devrait être réalisée par l'office d'un huissier, le montant des sommes retenues par l'huissier en application de l'aricle 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du décret du 12 décembre 1996 (tarif des huissiers) devra être supporté par le débiteur en sus des frais irrépétibles prévus par l'article 700 du code de procédure civile.

Ils contestent l'existence du contrat de dépôt au regard des dispositions de l'article 1924 ancien du code civil et de l'absence d'écrit, la preuve du dépôt devant se faire conformément aux règles de l'article 1341 et les intimés déclarant qu'ils n'ont jamais été dépositaires des meubles qu'ils ne se sont jamais engagés à conserver puis à restituer. Ils contestent également l'aveu judiciaire qui ne peut être fait que par la partie à l'instance et qui ne peut donc ressortir d'une attestation fournie dans une instance à laquelle ils étaient étrangers.

Ils ajoutent que les biens de Mme Jeanne Agnès F. ne leur ont jamais été remis mais qu'elle a entreposé ses meubles dans un local mis à sa disposition dont elle savait qu'elle n'était pas seule à disposer de la clé, détenue par les autres locataires des concluants ; qu'il n'y a eu que simple tolérance de leur part et si un contrat devait être retenu ce serait celui de location.

Ils font ensuite valoir que Mme Jeanne Agnès F. ne rapporte pas la preuve de la valeur des biens en l'état du procès-verbal de constat du 12 janvier 2000, deux ans avant l'entreposage des meubles et alors qu'elle avait déjà vendu une partie de ceux-ci ainsi qu'en atteste le jugement du juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Aix en Provence ; au demeurant, si M. C. avait évalué l'ensemble du mobilier conjugal à 154 000 euros, la cour d'appel a décidé de fixer la valeur du mobilier emporté par Mme Jeanne Agnès F. à la somme de 20 000 euros ; si on retient la proportion d'un dixième proposée par Mme Jeanne Agnès F. dans son assignation, son préjudice ne serait que de 2 000 euros ; enfin, il est attesté par M. C. que Mme Jeanne Agnès F. avait elle-même détérioré certains meubles lors de son expulsion.

La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 3 juillet 2018.

MOTIFS DE LA DECISION :

Attendu que Mme Jeanne Agnès F. fonde son action sur les dispositions des articles 1917 et suivants du code civil relatives au dépôt volontaire et entend obtenir des dommages et intérêts de M. et Mme R., désignés comme dépositaires, à raison de la disparition et de la détérioration de certains des meubles qu'elle avait mis en dépôt dans une dépendance de leur maison en 2002 ;

Attendu que le dépôt se forme par la remise de la chose au dépositaire ; que l'obligation de garde acceptée par le dépositaire est l'élément caractéristique du contrat de dépôt ; que le contrat de dépôt suppose donc que le dépositaire accepte d'assurer une obligation de garde et de restitution ; que le dépôt ne peut être retenu en dehors de cet engagement et que la simple mise à disposition d'un local de type garage ou remise pour entreposer les meubles, à titre de tolérance, ne peut être qualifiée de contrat de dépôt ;

Qu'en application de l'article 1924 du code civil, la preuve du contrat de dépôt doit être faite par écrit dans les conditions posées par les articles 1341 et suivants du code civil lorsqu'il porte sur des meubles ayant une valeur supérieure à 1 500 euros ; qu'il est prévu expressément, à défaut de preuve par écrit, que celui qui est attaqué comme dépositaire est cru sur sa déclaration, soit pour le fait même du dépôt, soit pour la chose qui en faisait l'objet, soit pour le fait de sa restitution ;

Attendu qu'en l'espèce, s'il est constant que Mme Jeanne Agnès F. a remisé des mobiliers dans un local appartenant à M. et Mme R. et gracieusement mis à sa disposition, force est de constater qu'elle ne produit aucun écrit établissant l'existence du contrat de dépôt allégué et notamment l'engagement souscrit par M. et Mme R. d'assurer la garde de ces meubles et d'en garantir la restitution ;

Que M. et Mme R. doivent en conséquence être crus sur leur déclaration, conformément à l'article 1924, et qu'ils déclarent ici n'avoir jamais accepté d'être dépositaires des mobiliers entreposés par Mme Jeanne Agnès F., n'ayant d'ailleurs jamais eu aucune connaissance de leur importance et de leur valeur ;

Motifs

Que c'est en vain que Mme Jeanne Agnès F. oppose un prétendu aveu de M. et Mme R. sur l'existence du dépôt en se prévalant d'une attestation du 2 décembre 2013 versée dans le dossier de la procédure de divorce l'ayant opposée à son époux, M. C. ; qu'en effet, il doit être relevé :

1 - que l'aveu judiciaire ne peut résulter que de la reconnaissance d'un fait par une partie à l'instance au cours de laquelle il est fait, alors que l'attestation en cause a été produite dans une instance où M. et Mme R. n'étaient pas partie,

- que dans l'attestation en cause M. et Mme R. indiquent que Mme Jeanne Agnès F. 'a entreposé une très grosse quantité de meubles dans une dépendance de notre domicile, en décembre 2002", une telle déclaration confirmant bien la mise à la disposition de Mme Jeanne Agnès F. d'un local leur appartenant pour lui permettre d'entreposer son mobilier, mais ne signifiant aucunement qu'il y aurait quelque engagement de leur part d'en assurer la garde et la restitution ;

Que dès lors, et sans qu'il soit besoin d'aller plus loin dans l'examen des moyens et arguments développés par Mme Jeanne Agnès F. au soutien de ses demandes, il y a lieu de constater que la preuve du contrat de dépôt et de la qualité de dépositaires de M. et Mme R. n'est pas rapportée ;

Que le jugement déféré doit être confirmé en toutes ses dispositions ;

Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Vu l'article 696 du code de procédure civile,

Par ces motifs,

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement du tribunal de grande instance d'Aix en Provence déféré dans toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne Mme Jeanne Agnès F. à payer à M. et Mme R. ensemble une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

La condamne aux dépens d'appel qui seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Dit que, dans l'hypothèse où, à défaut de règlement spontané, l'exécution forcée devrait être réalisée par l'office d'un huissier, le montant des sommes retenues par l'huissier en application de l'article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du décret du 12 décembre 1996 (tarif des huissiers) devra être supporté par le débiteur en sus des frais irrépétibles prévus par l'article 700 du code de procédure civile.