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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 28 juin 2011, n° 10/22840

PARIS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Maestracci

Conseillers :

Mme Moracchini, Mme Delbes

Avoués :

SCP Duboscq et Pellerin, SCP Petit Lesenechal

Avocats :

Me Distel, Me Petreschi

T. com. Paris, du 23 nov. 2010, n° 09/02…

23 novembre 2010

La, SOCIÉTÉ D'EXPLOITATION DE MAISONS CHIRURGICALES ET DE SANTÉ (SEMCS), exploite la CLINIQUE D'ALLERAY LABROUSTE et possède 100% du capital de la CLINIQUE DU PARC DE VANVES.

En 2002, Monsieur Guy P. et Madame Yvette W. épouse P. possédaient 98% du capital de la société SEMCS et Monsieur Guy P., médecin, était président de la société et directeur médical des deux établissements.

Par convention du 10 septembre 2002, Monsieur et Madame P. se sont engagés, sous condition suspensive de la réalisation d'un audit, à céder 51% des actions de la SEMCS, au prix d'un €, à Monsieur E. avec faculté de substitution et sans garantie d'actif et de passif de la part du vendeur. La même convention prévoyait qu'un pacte d'actionnaires devait être conclu entre les parties aux termes duquel Monsieur E. s'engageait à acquérir les actions restantes dans un délai de 5 ans, à un prix, qui, à défaut d'accord, devait être fixé conformément aux dispositions de l'article 1843-4 du code civil.

Monsieur E. a renoncé le même jour à la condition suspensive et s'est partiellement substitué Messieurs André et Roger S., leur transférant 7.140 actions chacun et conservant 14.289 actions.

La cession a été autorisée par le conseil d'administration réuni le même jour et Monsieur E., Messieurs Roger et André S. ont été nommés administrateurs et Monsieur E., directeur général délégué.

Le 10 octobre 2002, Monsieur E., les époux P., Messieurs André et Roger S. ont conclu le pacte d'actionnaires prévu par la convention sus visée..

Par la suite, les relations entre les époux P. et Messieurs E., André et Roger S. se sont dégradées et, par acte du 30 mars 2009, les époux P. ont assigné Monsieur E. et Messieurs André et Roger S. aux fins d'obtenir la nullité de la convention du 10 septembre 2002 pour vileté du prix, la restitution aux époux P. des 28.560 actions représentant 51% du capital et la désignation d'un mandataire de justice afin de convoquer une assemblée générale des actionnaires.

Par le jugement déféré, prononcé le 23 novembre 2010, le tribunal de commerce de Paris a débouté Monsieur Guy P. et Madame Yvette W. épouse P. de toutes leurs demandes et les a condamnés à payer à Monsieur Gabriel E. et à Messieurs Roger et André S. la somme de 6.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal, après avoir déclaré recevable la demande en nullité, a essentiellement retenu que le prix de 1 € , accepté par les parties, était effectivement très faible mais ne pouvait être considéré comme vil eu égard à la situation financière de la SEMC à la date de la cession , et à l'achat sans garantie d'actif et de passif desdites actions.

Par déclaration du 25 novembre 2010, Monsieur G. Pioger et Madame Yvette W. épouse P. ont interjeté appel de cette décision.

Par conclusions signifiées le 10 mai 2011, les appelants demandent à la cour d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris, de déclarer nulle la convention conclue le 10 octobre 2002 ayant pour objet la cession des actions de la SEMCS à concurrence de 51% de son capital, d'ordonner à Monsieur E. et à Messieurs André et Roger S. de présenter dans les 8 jours suivant la signification de la décision des ordres de mouvement indiquant que 28.560 des actions représentant 51% du capital devront leur être transférées sous astreinte de 1.000 € par jour de retard, de dire qu'à défaut, le jugement à intervenir vaudra ordre de mouvement, de dire en conséquence que Monsieur E. et Messieurs André et Roger S. ne possèdent plus aucune action et sont réputés démissionnaires de leur poste d'administrateur et pour Monsieur E. de son poste de président, de désigner un mandataire de justice avec mission de convoquer une assemblée générale des actionnaires, de condamner in solidum Monsieur Gabriel E., Monsieur André S. et Monsieur Roger S. à leur payer un € à titre de dommages et intérêt, pour le préjudice moral subi, et 15.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Ils font valoir :

- qu'aux termes de l'article 1591 du code civil, le prix de cession doit être déterminé et désigné par les parties', que la vente à un prix symbolique n'est valide que si le bien remis est sans valeur ou si l'acquéreur consent des contreparties justifiant l'absence de prix, que tel n'est pas le cas en l'espèce puisque les fonds de commerce présentent une valeur économique certaine et qu'aucune contrepartie n'a été fournie par ailleurs,

- que selon la méthode de valorisation de Monsieur P., expert choisi par les intimés dans le cadre de l'évaluation des actions restant la propriété des époux P., la valeur de la société était de plus de 4 M € en 2002, que les pertes d'exploitation ont été prises en compte et n'affectent pas cette valorisation, que c'est d'ailleurs parce qu'elle n'avait aucune inquiétude sur la situation de la société que la BNP PARIBAS a consenti, le 23 octobre 2002, un prêt de 800.000 € sans exiger d'autre garantie que le nantissement du fonds de commerce, que l'existence de difficultés de trésorerie à la date de la signature de la convention n'est pas démontrée; que d'ailleurs, aucun audit de la situation de la société n'a été effectué avant la cession, que l'attestation des membres du comité d'entreprise relatant des difficultés financières fournie par les intimés ne répond pas aux exigences de l'article 202 du code de procédure civile et ne pourra pas être retenue, que les bénéfices pour les années 2003, 2004, 2005, 2006, 2007 et 2008 sont élevés, à savoir respectivement 426.886 € , 260.760 € , 427.163 € , 598.940 € , 1.854.466 € et 581.815 € , alors qu'aucun apport en fonds propres ou en compte courant n'a été effectué, que les faibles disponibilités de trésorerie résultent d'une abstention délibérée de mobiliser les comptes client et créditeurs divers et de la collusion de la directrice avec les intimés, que les difficultés financières ont été considérablement exagérées pour permettre aux intimés de prendre le contrôle de la SEMCS avec la complicité de Madame D., directrice administrative, qu'à la date de la cession, Monsieur P. avait déjà engagé une restructuration de l'établissement et une réorientation qui commençait à porter ses fruits puisque le résultat d'exploitation qui était négatif en 2000 et 2001 est redevenu positif en 2002,

- que les époux P. n'ont reçu aucune contrepartie, directe ou indirecte, à la cession de leurs actions, que contrairement à ce que retient le tribunal, l'absence de garantie d'actif et de passif ne peut constituer une telle contrepartie, dés lors surtout que les époux P. n'avait en tout état de cause aucune obligation de prendre en charge personnellement le passif, que le loyer payé par la clinique du Parc de Vanves à la SCI propriétaire des bâtiments dont les appelants possèdent des parts, est la contrepartie de l'occupation de ces locaux par cette clinique et ne constitue donc pas une contrepartie de la vente, qu'il en va de même pour le salaire payé au Docteur P., qui exerçait depuis 30 ans une activité de Directeur médical des cliniques et dont l'emploi n'était nullement fictif, que le prix éventuellement payé pour les actions conservées par les époux P. et que les intimés s'étaient engagés à acquérir en vertu du pacte d'actionnaires ne peuvent pas davantage constituer une contrepartie, qu'en effet, lorsque les appelants ont tenté d'obtenir le rachat des actions et mis en oeuvre la procédure prévue par ce pacte, les intimés ont fait valoir qu'il s'agissait d'opérations complètement distinctes,

- que la nullité de la cession a pour conséquence le fait que les intimés ne possèdent plus une seule action, qu'ils ne peuvent donc exercer des fonctions d'administrateur, qu'il convient en conséquence de désigner un administrateur judiciaire pour réunir l'assemblée générale des actionnaires.

Par conclusions signifiées le 09 mai 2011, les intimés demandent à la cour de confirmer le jugement entrepris et de condamner Monsieur Guy P. et Madame Yvette W. épouse P. à leur payer 15.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Ils font valoir :

- que le prix n'est pas vil compte tenu de la valeur de la société, qu'au mois d'août 2002, la situation financière de celle-ci était catastrophique; que le loyer du 3ème trimestre n'était pas payé, que les salaires des personnels et des médecins étaient versés avec retard, que les honoraires revenant aux médecins étaient utilisés pour la trésorerie de la société, que celle-ci avait été convoquée par le juge chargé de la prévention des difficultés des entreprises, que la société était en état de cessation des paiements, ainsi que le confirme le rapport de l'expert-comptable, la société FIDUGERE, réalisé le 28 avril 2011, que les comptes arrêtés au 30 septembre 2002 font apparaître une situation nette négative, que la situation nette au 30 juin 2002 produite en mai 2011 par les appelants apparaît en contradiction avec les autres pièces comptables versées aux débats, de sorte que cette pièce est sujette à caution, que c'est pour éviter de déclarer la cessation des paiements de la société que Monsieur P. a recherché de nouveaux partenaires, et que c'est grâce à l'action des intimés que l'entreprise a retrouvé une capacité bénéficiaire importante,

- qu'il existe en outre des contreparties, qu'il faut en effet tenir compte de la totalité de l'opération conçue par les parties dans la convention litigieuse, qu'en faisant le choix de contracter avec les intimés, les appelants ont fait un pari gagnant qui leur a permis de vendre les 49% de titres qu'ils avaient conservés, à un prix conséquent, que c'est grâce à leur engagement que la société a pu obtenir le concours des banques et notamment de la BNP PARIBAS pour 800.000 € , que la cession des titres est intervenue sans garantie d'actif et de passif de la part du vendeur, ce qui est pourtant usuel dans ce domaine, que les appelants ont continué à percevoir les loyers dus à la SCI qu'ils contrôlent et que Monsieur P. a continué à percevoir son salaire en qualité de directeur médical des deux cliniques, ainsi que cela était prévu par l'article 5 de la convention litigieuse.

SUR CE

Les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. En application de l'article 1591 du code civil, le prix de vente doit être déterminé et désigné par les parties. La vente pour le prix symbolique d'un euro n'est pas nulle dès lors qu'elle est assortie de contreparties suffisantes à la charge de l'acquéreur ou qu'elle est intégrée dans une opération globale formant un tout indivisible et procurant au vendeur un avantage réel.

La convention signée entre les parties, le 10 septembre 2002, prévoit que, sous la condition suspensive de réalisation d'un audit, GP (Guy P.) s oblige en engageant ses héritiers, à céder à GE (Gabriel E.) qui accepte un nombre d'actions de la SEMCS représentant 51% du capital de cette société moyennant le prix de un euro. Cette cession interviendra au plus tard dans les huit jours de la levée de la condition suspensive ci-dessus, ou de la renonciation par GE à cette condition. La cession aura lieu sans aucune garantie d'actif ou de passif de la part de GP. GE pourra se substituer même partiellement toute personne physique ou morale de son choix pour l'acquisition des titres.

Il est également prévu à l'article 5 que Monsieur P. continuera à exercer les fonctions de directeur médical des deux établissements et que le loyer payé par la CLINIQUE DE LA PARC DE VANVES sera maintenu dans le cadre de la prolongation ou du renouvellement du bail de celle-ci', étant observé que ce loyer est versé à une SCI détenue par les époux P..

Il n'est pas contesté que Monsieur E. a renoncé le jour même de la signature de l'acte de cession, soit le 10 septembre 2002, à la condition suspensive prévue et a acquis, avec Messieurs André et Roger S., 51% du capital, soit 28560 actions au prix d'un euro.

Le pacte d'actionnaires signé le 10 octobre 2002 prévoyait un engagement de Monsieur E. d'acquérir les actions restant la propriété de Monsieur P. dans le délai de 5 ans, et moyennant un prix fixé, à défaut d'accord amiable, conformément aux dispositions de l'article1843-4 du code civil. En juillet 2007, ces actions représentant 49% du capital, ont été valorisées, dans ce cadre, à 15M € .

Il résulte des pièces produites qu'à la date à laquelle la convention du 10 septembre 2002 a été conclue, la société SEMC était dans une situation financière particulièrement difficile et que l'intention des vendeurs était d'assurer la pérennité de l'entreprise et de trouver des solutions qui permettent de préserver l'avenir. Il est ainsi indiqué en introduction de cet acte que' la SEMCS qui est créancière de sa filiale la CLPV (CLINIQUE DU PARC DE VANVES) de sommes importantes correspondant à des apports en compte courant destinés à financer des travaux de rénovation et de restructuration non encore terminés et qui a dû mettre en place les dispositions relatives à l'accord RTT, génère des pertes d'exploitation et connaît d'importantes difficultés de trésorerie estimées à 500.000 € d'ici le 31 décembre 2002, cette situation ayant amené son actionnaire principal à se rapprocher de GE lequel assure directement ou indirectement la gestion de divers établissements de soin et maisons de retraite, notamment dans la périphérie sud de Paris.

De même, le procès-verbal de réunion du comité d'entreprise du 5 septembre 2002 précise: le commissaire aux comptes informe le CE du bilan 2001, sérieusement déficitaire. Cette situation difficile des comptes de la clinique, due aux dépenses en personnel intérimaires essentiellement et à l'augmentation de la consommation de produits pharmaceutiques requiert des solutions, aussi Monsieur P. informe les membres du CE de la cession de 51% des parts de la société SEMCS et lors de la réunion du conseil d'administration du 10 septembre 2011, qui a autorisé la transaction, Monsieur P. déclare que compte tenu des difficultés de trésorerie de la société, il s’est rapproché de Messieurs E. et S.'.

Les appelants ne peuvent en conséquence sérieusement soutenir qu'à la date de conclusion de la convention, les difficultés de trésorerie n'étaient pas démontrées.

Les pièces comptables produites, la note établie par Monsieur N., expert-comptable, le 6 septembre 2002 ainsi que la note de la société FIDUGERE en date du 28 avril 2011 et le rapport de Monsieur P., expert désigné par les intimés dans le cadre de l'expertise diligentée pour déterminer la valeur des actions dont les époux P. restaient propriétaires, établissent de manière concordante, qu'en octobre 2002, la situation nette de la société était négative et que les résultats dégagés au cours de la période 2000-2001-2002 étaient gravement déficitaires, étant observé que ceux-ci étaient pourtant artificiellement améliorés par les facturations établies à sa filiale, la CLINIQUE DU PARC DE VANVES, alors que cette dernière ne pouvait manifestement pas les honorer. Il est également établi par les pièces versées au dossier qu'à cette date, le loyer du troisième trimestre n'était pas payé, que le bailleur avait fait pratiquer une saisie conservatoire, que la sécurité sociale avait inscrit un privilège pour des cotisations impayées, que les honoraires destinés aux médecins étaient utilisés à des fins de trésorerie et versés avec retard, et que des travaux devaient être effectuées avant le 31 décembre 2002, pour répondre aux exigences de la DDASS, sous peine de fermeture. Il s'ensuit que la société était à cette date dans une situation particulièrement compromise dont il ne peut être soutenue qu'elle était purement conjoncturelle. Les appelants ne sont pas davantage fondés à prétendre que le prêt d'un montant de 800.000 € consenti par la BNP PARIBAS, en contrepartie du seul nantissement du fonds de commerce, démontre le contraire dès lors que celui ci n'est intervenu qu'après la prise de participation de la société par les intimés.

Les intimés qui soutiennent que Monsieur P. avait amorcé une politique de restructuration dès 1997 qui commençait à porter ses fruits, ne le démontrent pas. Il ressort au contraire des pièces versées aux débats qui ne sont pas sérieusement contestées que les nouveaux actionnaires ont conduit un programme de remise à niveau des établissements, et une politique d'investissement soutenue qui a permis de rétablir la confiance des tiers et la rentabilité des établissements dès 2002.

Il résulte de ce qui précède qu'en signant l'acte du 10 septembre 2002, les époux P. ont fait le choix de céder la majorité du capital de la société pour sauvegarder leur entreprise, sans risque puisqu'aucune convention de garantie d'actif et de passif n'était signée, tout en conservant une part non négligeable de cette société et en se réservant la possibilité de la vendre à un moment plus favorable, stratégie qui s'est révélée en l'espèce gagnante puisque la valorisation des actions restant la propriété des époux P. s'est établie à un prix significatif.

L'examen de l'économie globale de la transaction décidée le 10 septembre 2002 ne permet pas en conséquence de conclure que la cession est intervenue à vil prix de sorte que le jugement sera confirmé dans toutes ses dispositions.

Compte tenu de la solution donnée au litige, Monsieur et Madame P. seront déboutés de leur demande de dommages et intérêts pour préjudice moral ainsi que de celle fondée sur l'article 700 du code de procédure civile. L'équité commande en revanche de les condamner solidairement à payer à chacun des intimés la somme de 3.000 € sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Condamne solidairement Monsieur Guy P. et Madame Yvette W. épouse P. à payer à Monsieur E., Messieurs Roger S. et André S. la somme de 3.000 € chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne solidairement Monsieur Guy P. et Madame Yvette W. épouse P. aux dépens qui pourront être recouvrés selon les modalités prévues par l'article 699 du code de procédure civile.