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Décisions

Cass. soc., 17 décembre 1996, n° 92-44.203

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gélineau-Larrivet

Rapporteur :

M. Desjardins

Avocat général :

M. Lyon-Caen

Caen, 3e ch. soc., du 9 juill. 1992

9 juillet 1992

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 9 juillet 1992), que M. X..., exposant avoir, dans l'un des ateliers de la Maison d'arrêt de Caen où il se trouvait détenu, travaillé pendant trois semaines, au mois de septembre 1990, pour le compte d'une entreprise concessionnaire, qui avait cessé ensuite de lui fournir du travail, et n'avoir perçu pendant cette période qu'une somme de 200,88 francs, a engagé contre la maison d'arrêt une instance prud'homale pour obtenir paiement d'un rappel de salaire, d'heures supplémentaires, d'une indemnité de préavis et de dommages-intérêts pour licenciement abusif;

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré la juridiction prud'homale incompétente, alors, selon le moyen, d'une part, que, selon la Constitution, tous les citoyens sont égaux devant la loi et ont les mêmes droits en matière de travail, même lorsqu'ils sont incarcérés et que les établissements publics ne sont pas au-dessus des lois; que l'article D. 103 du Code de procédure pénale, auquel la cour d'appel s'est référée, tend à établir une différence entre les citoyens et se trouve donc contraire tout à la fois à la Constitution et à de nombreux textes du Code du travail, en particulier à l'article L. 412-1 régissant la liberté syndicale, puisqu'il interdit aux travailleurs détenus de discuter de leurs conditions de travail et de leur salaire; alors, d'autre part, que les bulletins de paie délivrés mensuellement par l'administration pénitentiaire constituent la preuve matérielle de l'existence d'un contrat de travail; que le travail étant effectué, non pas pour le compte de la maison d'arrêt, mais pour celui d'entreprises concessionnaires, qui, au demeurant, exploitent des travailleurs privés de défense syndicale, s'abstiennent de régler les cotisations patronales et fiscales et privent ainsi les intéressés de toute protection sociale, se rendant, dès lors, coupables de travail illicite, les bulletins de paie devraient être établis, non pas par l'administration pénitentiaire, mais par les concessionnaires, et comporter toutes les mentions prévues par l'article R. 143-2 du Code du travail, à l'exclusion de toute indication propre à révéler ultérieurement le lieu où le salarié se trouvait à l'époque considérée, afin d'éviter qu'un employeur ne puisse en avoir connaissance, lors d'une embauche ultérieure; alors, encore, que la rémunération doit, selon un principe général du droit consacré par le Conseil d'Etat, n'être, en aucun cas, inférieure au SMIC; alors, en outre, que le régime du travail dans les locaux pénitentiaires, qui permet d'exploiter les détenus pour le seul bénéfice de l'administration pénitentiaire et de ses fonctionnaires, qui s'attribuent la majeure partie du salaire versé, s'apparente à une forme d'esclavage, prohibé par l'article 4 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et contrevient également aux articles 1 à 5, 10 et 12 de la Charte sociale européenne, convention internationale ratifiée par le gouvernement français et dont l'autorité est supérieure à celle de la loi interne; et alors, enfin, que la longueur même de la procédure, marquée par de nombreux renvois et par les interventions des magistrats du Parquet, contraires à la nécessaire indépendance des juges, démontre que n'ont pas été respectées les dispositions de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, selon lesquelles toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial ;

Mais attendu, d'abord, qu'il résulte de l'article 720 du Code de procédure pénale, disposition législative, dont il n'appartient pas aux tribunaux judiciaires de contrôler la conformité à la Constitution, et dont l'article D. 103, inclus dans la partie réglementaire du même Code, n'est que l'application, que les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l'objet d'un contrat de travail; qu'en conséquence, c'est à juste titre que la cour d'appel a retenu l'incompétence de la juridiction prud'homale, celle-ci ne pouvant, aux termes de l'article L. 511-1 du Code du travail, connaître que des différends pouvant s'élever à l'occasion d'un contrat de travail ;

Et attendu, ensuite, que la règle de compétence dont la cour d'appel a fait application n'est contraire, ni à l'article 4 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ni à aucune disposition de toute autre convention internationale signée par le gouvernement français et ayant en France un effet direct ;

D'où il suit que le moyen, dont les autres griefs sont inopérants, n'est pas fondé;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.