CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 9 mai 2006, n° 05/01002
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Minoterie Albert Maury & Fils (Sté)
Défendeur :
Moulins Soufflet (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lebreuil
Conseillers :
M. Grimaud, M. Baby
Avoué :
SCP Boyer-Lescat-Merle
Avocats :
Me Sabathier, Me Petitet
Exposé des faits
Attendu que la société MINOTERIE ALBERT MAURY & FILS (la minoterie) a fait appel dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas discutées d'un jugement en date du 31 janvier 2005 par lequel le tribunal de commerce de Castres l'a condamnée à payer à la SNC MOULINS SOUFFLET PANTIN (la SNC) la somme de 4.032,85 € augmentée des intérêts au taux légal à compter du 2 décembre 2003 et celle de 1.500 € par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;
Attendu que les faits de la cause ont été exactement relatés par les premiers juges en des énonciations auxquelles la cour se réfère expressément et qu'il suffit de rappeler
- que la SNC et la minoterie ont conclu le 30 juillet 1992 un contrat de dépôt et de livraison à effet du 1er septembre 1992 ;
- que le 11 septembre 2002 la SNC a informé la minoterie de son intention de transférer la distribution du client COTTES au départ de son moulin de Clergy ; que le minotier, dépositaire, devait toutefois assurer les livraisons jusqu'à épuisement du stock déposé ;
- que les 24 décembre 2002 et 10 janvier 2003 il a transmis à la SNC un inventaire puis un état complémentaire du stock restant ; que la SNC le 27 janvier a accepté de reprendre le stock restitué le 24 décembre 2002 mais qu'elle a refusé les 214 sacs ayant fait l'objet de l'état complémentaire du10 janvier au motif que la marchandise était périmée ;
- que la SNC lui a facturé ces produits perdus pour la somme de 4.032,85 € ; que c'est cette facture qui fait litige ;
Attendu que la société MINOTERIE ALBERT MAURY & FILS, appelante, fait grief au premier juge d'être entré en voie de condamnation à son encontre alors pourtant
- qu'elle prenait en dépôt les farines de la SNC à deux titres, d'une part pour livraison au client COTTES et d'autre part pour leur enlèvement par le déposant ou par ses clients ; qu'au titre de la première obligation elle devait assurer le suivi et la gestion du stock, et par conséquent vérifier que les produits ne se périmaient pas ; qu'en revanche, au titre de la seconde le contrôle et le suivi étaient assurés par le personnel du déposant ;
- que le présent litige ne concernait pas la première obligation mais la seconde ; que le stock de marchandises relatif au client COTTES avait été remis à la SNC le 24 décembre 2002 sans qu'elle ne formule aucune protestations ou réserves à réception des marchandises et qu'il n'y avait de difficulté que pour les 214 sacs non destinés au client COTTES, la SNC ayant fait valoir que la marchandise n'était plus commercialisable et l'ayant alors facturée ;
- que la SNC recherchait sa responsabilité dans l'exécution du contrat de dépôt et du contrat de gestion mais qu'aucun manquement ne pouvait lui être reproché ;
-qu'elle avait normalement conservé les farines et qu'elle ne pouvait pas être considérée comme responsable de leur absence de livraison ; qu'encore une fois il ne s'agissait pas de farines à livrer mais uniquement de farines remises pour enlèvement dont la gestion, suivie par un salarié du déposant, était aléatoire puisqu'elle dépendait des quantités voulues par les clients de la SNC mais aussi des dates auxquelles ils s'approvisionnaient ; que dans le cas particulier le déposant n'avait fait aucun contrôle pour lister les marchandises qui devaient ou non être retournées dans ses établissements et que c'était sa défaillance dans l'inventaire des stocks, sa négligence dans l'enlèvement des farines, qui était seule à l'origine de son préjudice ;
- que de son côté elle n'avait commis aucune faute dans les mouvements de stocks ; qu'en effet après les commandes litigieuses elle n'avait sollicité auprès du déposant aucun autre approvisionnement, exception faite pour ses besoins personnels ;
que de plus les pertes subies faisaient partie des risques normaux liés aux mouvements de stocks que le déposant devait personnellement assumer ;
- qu'elle n'était tenue de rendre la chose déposée que dans l'état où elle se trouvait au moment de la restitution et qu'il ne pouvait pas lui être reproché de n'avoir pas alerté le déposant sur le non écoulement des farines avant leur péremption alors que la SNC était destinataire d'un état des mouvements de farines du dépôt tous les 15 jours et que si elle n'avait pas été négligente dans la lecture de cet état elle se serait immédiatement aperçue que son dépositaire n'arrivait plus à écouler les farines à enlever par les clients du déposant ;
Qu’elle demande en conséquence à la Cour d'infirmer la décision déférée, de débouter la SNC de toutes ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 1.525 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 1.500 € en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que la SA MOULINS SOUFFLET venant aux droits de la SNC MOULINS SOUFFLET PANTIN, intimée, conclut au contraire à la confirmation pure et simple de la décision déférée et à la condamnation de l'appelante au paiement de la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 susvisé du nouveau Code de procédure civile ;
Motifs
SUR QUOI
Attendu que le dépositaire doit apporter dans la garde de la chose déposée les mêmes soins qu'il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent et que s'il est vrai qu'il n'est tenu que d'une obligation de moyens il reste qu'il lui appartient de prouver qu'il est étranger à la détérioration de la chose qu'il a reçue en dépôt ;
#2 Or attendu, au cas particulier, que la société appelante, en sa qualité de minotier, ne pouvait pas ignorer que la conservation des farines qu'elle avait reçues en dépôt nécessitait la surveillance constante des dates de péremption et qu'elle se devait soit d'alerter le déposant soit de gérer le stock de façon à éviter toute péremption ;
Que, pour tenter de démontrer que le dommage ne lui est pas imputable, elle fait plaider que s'agissant d'un simple entreposage pour enlèvement c'était au déposant d'assurer le suivi des stocks et de prendre l'initiative de retirer la marchandise en cas de difficulté ;
Mais attendu d'une part qu'il reste à démontrer que le stock périmé avait été reçu pour enlèvement par les clients du déposant et non pas pour livraison ;
#3 Et attendu d'autre part que le contrat de dépôt
1°) ne précise à aucun moment que l'enlèvement sera fait par le déposant et qu'il est en réalité constant que cette hypothèse d’enlèvement concernait le minotier lui-même auquel il arrivait fréquemment de prélever des produits pour elle-même ;
2°) ne fait aucune distinction, quant à la nature et quant à l'étendue des obligations du dépositaire, entre les deux types de remise ; que même si elle avait comme elle le prétend reçu la marchandise en litige pour enlèvement la minoterie ne pouvait sans réagir conserver des farines périmées ;
Attendu que la société appelante a de surcroît manqué à ses obligations de gestionnaire ;
Qu’elle devait passer ses commandes à la SNC au vu et en prévision des commandes des clients du déposant et qu'il lui appartenait de surveiller les mouvements de farines en adressant tous les 15 jours à sa cocontractante un état du stock ;
Que les états qu'elle produit ne renseignaient pas l'intimée sur le risque de péremption et que si comme elle le prétend le suivi des stocks incombait au déposant elle aurait dû à tout le moins l'alerter sur ce risque ;
Qu’une gestion rationnelle des stocks aurait dû la conduire à limiter les approvisionnements et à écouler la marchandise la plus ancienne avant de passer d'autres commandes, étant ici rappelé que toutes les commandes passaient par elle et qu'il lui appartenait de gérer le stock en tenant compte des ordres passés par les clients de la SNC et des prélèvements effectués pour ses besoins personnels ;
#4 que force est en outre de constater qu'elle a aggravé la situation en ne restituant qu'en janvier 2003 des marchandises qui, restituées trois mois plus tôt, à réception du courrier du 11 septembre 2002, auraient pu encore être commercialisées ;
Qu’elle ne peut pas sérieusement soutenir que les pertes étaient minimes et qu'elles font partie des risques que le déposant doit assumer ou encore que, selon l'article 1933 du Code civil elle n'était tenue de rendre la chose déposée que dans l'état où elle se trouvait au moment de la restitution alors en réalité que le déposant ne saurait assumer les pertes, quelle que soit leur ampleur, qui relèvent de la responsabilité exclusive du dépositaire et que l'article 1933 du Code civil n'a pas pour objet de dispenser le dépositaire de veiller à la conservation de la chose qu'il a reçue en dépôt ;
#5 Attendu qu'il convient en conséquence de confirmer la décision déférée en toutes ses dispositions ;
Attendu que la société appelante qui succombe en toutes ses prétentions doit être condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à l'intimée la somme supplémentaire de 1.500 € par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions
Et y ajoutant,
Condamne la société MINOTERIE ALBERT MAURY & FILS aux dépens d'appel et autorise la SCP SOREL/DESSART, avoués associés, à recouvrer directement contre elle ceux des dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision suffisante ;
La condamne en outre à payer à la SA MOULINS SOUFFLET la somme supplémentaire de 1.500 € par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.