TUE, 3e ch. élargie, 13 juillet 2022, n° T-227/21
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Arrêt
Annulation
PARTIES
Demandeur :
Illumina, Inc., Grail LLC
Défendeur :
Commission européenne, République hellénique, République française, Royaume des Pays-Bas, Autorité de surveillance AELE
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. De Baere
Juges :
M. Kreuschitz (rapporteur), M. Öberg, M. Mastroianni, Mme Steinfatt
Avocats :
M. Beard, Me Chappatte, M. Little, Me Ruiz Calzado, Me Jiménez-Laiglesia Oñate, Me Giraud
LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie),
1 L’article 1er du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (« le règlement CE sur les concentrations ») (JO 2004, L 24, p. 1), intitulé « Champ d’application », prévoit :
« 1. Sans préjudice de l’article 4, paragraphe 5, et de l’article 22, le présent règlement s’applique à toutes les concentrations de dimension [européenne] telles qu’elles sont définies au présent article.
2. Une concentration est de dimension [européenne] lorsque :
a) le chiffre d’affaires total réalisé sur le plan mondial par l’ensemble des entreprises concernées représente un montant supérieur à 5 milliards d’euros, et
b) le chiffre d’affaires total réalisé individuellement dans [l’Union européenne] par au moins deux des entreprises concernées représente un montant supérieur à 250 millions d’euros,
à moins que chacune des entreprises concernées réalise plus des deux tiers de son chiffre d’affaires total dans [l’Union] à l’intérieur d’un seul et même État membre.
3. Une concentration qui n’atteint pas les seuils fixés au paragraphe 2 est de dimension [européenne] lorsque :
a) le chiffre d’affaires total réalisé sur le plan mondial par l’ensemble des entreprises concernées représente un montant supérieur à 2,5 milliards d’euros ;
b) dans chacun d’au moins trois États membres, le chiffre d’affaires total réalisé par toutes les entreprises concernées est supérieur à 100 millions d’euros ;
c) dans chacun d’au moins trois États membres inclus aux fins du [sous] b), le chiffre d’affaires total réalisé individuellement par au moins deux des entreprises concernées est supérieur à 25 millions d’euros, et
d) le chiffre d’affaires total réalisé individuellement dans [l’Union] par au moins deux des entreprises concernées représente un montant supérieur à 100 millions d’euros,
à moins que chacune des entreprises concernées réalise plus des deux tiers de son chiffre d’affaires total dans [l’Union] à l’intérieur d’un seul et même État membre.
[…] »
2 Conformément à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, une concentration est réputée réalisée lorsqu’un changement durable du contrôle résulte :
« a) de la fusion de deux ou de plusieurs entreprises ou parties de telles entreprises, ou
b) de l’acquisition, par une ou plusieurs personnes détenant déjà le contrôle d’une entreprise au moins ou par une ou plusieurs entreprises, du contrôle direct ou indirect de l’ensemble ou de parties d’une ou de plusieurs autres entreprises, que ce soit par prise de participations au capital ou achat d’éléments d’actifs, contrat ou tout autre moyen. »
3 L’article 4 du règlement no 139/2004 dispose :
« 1. Les concentrations de dimension [européenne] visées par le présent règlement doivent être notifiées à la Commission avant leur réalisation et après la conclusion de l’accord, la publication de l’offre publique d’achat ou d’échange ou l’acquisition d’une participation de contrôle […]
2. Les concentrations qui consistent en une fusion au sens de l’article 3, paragraphe 1, [sous] a), ou dans l’établissement d’un contrôle en commun au sens de l’article 3, paragraphe 1, [sous] b), doivent être notifiées conjointement par les parties à la fusion ou à l’établissement du contrôle en commun. Dans les autres cas, la notification doit être présentée par la personne ou l’entreprise qui acquiert le contrôle de l’ensemble ou de parties d’une ou de plusieurs entreprises.
[…]
4. Avant la notification d’une concentration au sens du paragraphe 1, les personnes ou entreprises visées au paragraphe 2 peuvent informer la Commission, au moyen d’un mémoire motivé, que la concentration risque d’affecter de manière significative la concurrence sur un marché à l’intérieur d’un État membre qui présente toutes les caractéristiques d’un marché distinct et qu’elle doit par conséquent être examinée, en tout ou en partie, par cet État membre.
La Commission transmet sans délai ce mémoire à tous les États membres. L’État membre visé dans le mémoire motivé doit, dans un délai de quinze jours ouvrables suivant la réception du mémoire, exprimer son accord ou son désaccord sur la demande de renvoi de l’affaire. Lorsque cet État membre ne prend pas de décision dans ce délai, il est réputé être d’accord.
Sauf si cet État membre exprime son désaccord, la Commission, lorsqu’elle considère qu’un tel marché distinct existe et que la concurrence sur ce marché risque d’être affectée de manière significative par la concentration, peut décider de renvoyer tout ou partie de l’affaire aux autorités compétentes de cet État membre en vue de l’application du droit national de la concurrence de cet État.
La décision de renvoyer ou de ne pas renvoyer l’affaire en application du troisième alinéa doit être prise dans un délai de vingt-cinq jours ouvrables à compter de la réception du mémoire motivé par la Commission. La Commission informe de sa décision les autres États membres et les personnes ou les entreprises concernées. Si elle ne prend pas de décision dans ce délai, elle est réputée avoir adopté une décision de renvoi de l’affaire conformément au mémoire présenté par les personnes ou entreprises concernées.
Si la Commission décide ou est réputée avoir décidé, conformément aux troisièmes et quatrièmes alinéas, de renvoyer l’ensemble de l’affaire, il n’y a pas lieu de procéder à une notification conformément au paragraphe 1 et le droit national de la concurrence s’applique. L’article 9, paragraphes 6 à 9, est applicable mutatis mutandis.
5. Dans le cas d’une concentration telle que définie à l’article 3, qui n’est pas de dimension [européenne] au sens de l’article 1er et qui est susceptible d’être examinée en vertu du droit national de la concurrence d’au moins trois États membres, les personnes ou entreprises visées au paragraphe 2 peuvent, avant toute notification aux autorités compétentes, informer la Commission, au moyen d’un mémoire motivé, que la concentration doit être examinée par elle.
La Commission transmet sans délai ce mémoire à tous les États membres.
Tout État membre compétent pour examiner la concentration en vertu de son droit national de la concurrence peut, dans un délai de quinze jours ouvrables suivant la réception du mémoire motivé, exprimer son désaccord sur la demande de renvoi.
Lorsque au moins un État membre a exprimé son désaccord conformément au troisième alinéa dans le délai de quinze jours ouvrables, l’affaire n’est pas renvoyée. La Commission informe alors sans délai tous les États membres et les personnes ou entreprises concernées du désaccord exprimé.
Lorsque aucun État membre n’a exprimé son désaccord conformément au troisième alinéa dans le délai de quinze jours ouvrables, la concentration est réputée avoir une dimension [européenne] et doit être notifiée à la Commission conformément aux paragraphes 1 et 2. Dans ce cas, aucun État membre n’applique son droit national de la concurrence à cette concentration. »
4 L’article 9 du règlement no 139/2004 se lit comme suit :
« 1. La Commission peut, par voie de décision qu’elle notifie sans délai aux entreprises concernées et dont elle informe les autorités compétentes des autres États membres, renvoyer aux autorités compétentes de l’État membre concerné un cas de concentration notifiée, dans les conditions suivantes.
2. Dans le délai de quinze jours ouvrables à compter de la réception de la copie de la notification, un État membre peut, de sa propre initiative ou sur invitation de la Commission, faire savoir à la Commission, qui en informe les entreprises concernées, que :
a) une concentration menace d’affecter de manière significative la concurrence dans un marché à l’intérieur de cet État membre qui présente toutes les caractéristiques d’un marché distinct, ou
b) une concentration affecte la concurrence dans un marché à l’intérieur de cet État membre qui présente toutes les caractéristiques d’un marché distinct et qui ne constitue pas une partie substantielle du marché commun.
3. Si la Commission considère que, compte tenu du marché des produits ou services en cause et du marché géographique de référence au sens du paragraphe 7, un tel marché distinct et une telle menace existent :
a) soit elle traite elle-même le cas conformément au présent règlement ;
b) soit elle renvoie tout ou partie du cas aux autorités compétentes de l’État membre concerné en vue de l’application du droit national de la concurrence dudit État.
Si, au contraire, la Commission considère qu’un tel marché distinct ou une telle menace n’existent pas, elle prend une décision à cet effet qu’elle adresse à l’État membre concerné et traite elle-même le cas conformément au présent règlement.
Dans les cas où un État membre informe la Commission, conformément au paragraphe 2, [sous] b), qu’une concentration affecte un marché distinct à l’intérieur de son territoire, qui n’est pas une partie substantielle du marché [intérieur], la Commission renvoie tout ou partie du cas afférent à ce marché distinct, si elle considère qu’un tel marché distinct est affecté.
[…] »
5 L’article 22 du règlement no 139/2004, intitulé « Renvoi à la Commission », est libellé comme suit :
« 1. Un ou plusieurs États membres peuvent demander à la Commission d’examiner toute concentration, telle que définie à l’article 3, qui n’est pas de dimension [européenne] au sens de l’article 1er, mais qui affecte le commerce entre États membres et menace d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des États membres qui formulent cette demande.
Une telle demande doit être présentée au plus tard dans un délai de quinze jours ouvrables à compter de la date de notification de la concentration ou, si aucune notification n’est requise, de sa communication à l’État membre intéressé.
2. La Commission informe sans délai les autorités compétentes des États membres et les entreprises concernées de toute demande reçue conformément au paragraphe 1.
Tout autre État membre a le droit de se joindre à la demande initiale dans un délai de quinze jours ouvrables à compter de la date à laquelle la Commission l’a informé de la demande initiale.
Tous les délais nationaux relatifs à la concentration sont suspendus jusqu’à ce que, conformément à la procédure prévue au présent article, le lieu d’examen de la concentration ait été fixé. Dès qu’un État membre informe la Commission et les entreprises concernées qu’il ne souhaite pas se joindre à la demande, la suspension de ses délais nationaux prend fin.
3. La Commission peut, dans un délai de dix jours ouvrables suivant l’expiration du délai fixé au paragraphe 2, décider d’examiner la concentration si elle estime que celle-ci affecte le commerce entre États membres et menace d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des États membres qui formulent la demande. Si la Commission ne prend pas de décision dans ce délai, elle est réputée avoir adopté une décision d’examen de la concentration conformément à la demande.
La Commission informe tous les États membres et les entreprises concernées de sa décision. Elle peut demander qu’une notification lui soit faite conformément à l’article 4.
Le ou les États membres ayant formulé la demande n’appliquent plus leur droit national de la concurrence à la concentration concernée.
4. L’article 2, l’article 4, paragraphes 2 et 3, les articles 5 et 6 ainsi que les articles 8 à 21 sont applicables lorsque la Commission examine une concentration conformément au paragraphe 3. L’article 7 est applicable pour autant que la concentration n’ait pas été réalisée à la date à laquelle la Commission informe les entreprises concernées qu’une demande a été déposée.
Lorsqu’une notification au sens de l’article 4 n’est pas requise, le délai fixé à l’article 10, paragraphe 1, pendant lequel la procédure peut être ouverte court à compter du jour ouvrable suivant celui où la Commission informe les entreprises concernées qu’elle a décidé d’examiner la concentration en vertu du paragraphe 3.
5. La Commission peut informer un ou plusieurs États membres qu’elle considère qu’une concentration répond aux critères énoncés au paragraphe 1. Dans ce cas, elle peut inviter ce ou ces États membres à présenter une demande sur la base du paragraphe 1. »
Antécédents du litige
Sur les entreprises concernées et la concentration en cause
6 La requérante, Illumina, Inc., offre des solutions en matière d’analyse génétique et génomique par séquençage et par puces.
7 Le 20 septembre 2020, Illumina a conclu un accord et un plan de fusion visant à l’acquisition du contrôle exclusif de Grail LLC (anciennement Grail, Inc.), qui développe des tests sanguins de dépistage précoce des cancers, dont elle détenait déjà 14,5 % du capital (ci-après la « concentration en cause »).
8 Le 21 septembre 2020, Illumina et Grail (ci-après les « entreprises concernées) ont publié un communiqué de presse annonçant cette concentration.
Sur l’absence de notification
9 Le chiffre d’affaires des entreprises concernées ne dépassant pas les seuils pertinents, notamment compte tenu du fait que Grail ne générait des recettes dans aucun État membre de l’Union européenne ou ailleurs dans le monde, la concentration en cause ne présentait pas de dimension européenne, au sens de l’article 1er du règlement no 139/2004, et n’a donc pas été notifiée à la Commission européenne conformément à l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement.
10 La concentration en cause n’a pas non plus été notifiée dans les États membres de l’Union ou dans des États parties à l’accord sur l’Espace économique européen (JO 1994, L 1, p. 3), dès lors qu’elle ne relevait pas du champ d’application de leur réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations.
Sur la demande de renvoi à la Commission
11 Le 7 décembre 2020, la Commission a reçu une plainte visant la concentration en cause. Le 17 décembre 2020 s’est tenue une réunion par vidéoconférence entre la Commission et le plaignant à l’occasion de laquelle ce dernier a décrit ses préoccupations à l’égard de cette concentration. À la suite de cette réunion, la Commission a eu des échanges supplémentaires avec le plaignant et, afin de clarifier leur compétence éventuelle pour l’examen de ladite concentration, avec les autorités de la concurrence allemande, autrichienne, slovène et suédoise. Elle était aussi en contact avec la Competition and Markets Authority (CMA, autorité de la concurrence et des marchés, Royaume-Uni), qui avait également été saisie de la plainte. La Commission est parvenue à la conclusion préliminaire selon laquelle la concentration en cause pouvait faire l’objet d’un renvoi au titre de l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, notamment compte tenu du fait que l’importance de Grail pour la concurrence n’était pas reflétée dans son chiffre d’affaires.
12 Le 19 février 2021, la Commission a informé les États membres de la concentration en cause, d’une part, en la présentant aux autorités nationales de la concurrence dans le cadre du groupe de travail sur les concentrations du réseau européen de la concurrence et, d’autre part, en leur envoyant une lettre conformément à l’article 22, paragraphe 5, du règlement no 139/2004 (ci-après la « lettre d’invitation »). Dans cette lettre, la Commission a expliqué les raisons pour lesquelles elle considérait, à première vue, que la concentration apparaissait remplir les conditions prévues à l’article 22, paragraphe 1, de ce règlement et elle a invité les États membres à soumettre une demande de renvoi au titre de cette dernière disposition. Par suite, la Commission a eu des échanges avec certaines autorités nationales de la concurrence pour discuter de ladite lettre.
13 Par courriel du 26 février 2021, la Commission a contacté la requérante afin de lui proposer une conversation téléphonique au sujet de la concentration en cause. Dans le cadre de cette conversation, qui a eu lieu le 4 mars 2021, elle a informé le représentant légal de chacune des entreprises concernées de la lettre d’invitation et de la possibilité d’une demande de renvoi au titre de l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004.
14 Le 9 mars 2021, l’autorité de la concurrence française (ci-après l’« ACF ») a demandé à la Commission, au titre de l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, d’examiner la concentration en cause (ci-après la « demande de renvoi »).
15 Le 10 mars 2021, la Commission a, conformément à l’article 22, paragraphe 2, du règlement no 139/2004, informé les autorités de la concurrence des autres États membres ainsi que l’Autorité de surveillance AELE de la demande de renvoi. Le 11 mars 2021, la Commission a également informé les entreprises concernées de la demande de renvoi en leur rappelant que la concentration en cause ne pouvait être réalisée pour autant que, et dans la mesure où, l’obligation de suspension prévue à l’article 7 du règlement no 139/2004, lu conjointement avec l’article 22, paragraphe 4, premier alinéa, seconde phrase, dudit règlement, était applicable (ci-après la « lettre d’information »).
16 Par lettres des 24, 26 et 31 mars 2021, les autorités de la concurrence belge, grecque, islandaise, néerlandaise et norvégienne ont demandé à se joindre à la demande de renvoi, conformément à l’article 22, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 (ci-après les « demandes de jonction »).
17 Les 16 et 29 mars 2021, les entreprises concernées ont présenté à la Commission des observations s’opposant à la demande de renvoi. Les 2, 7 et 12 avril 2021, la requérante a répondu aux demandes de renseignements que la Commission lui avait adressées les 26 mars et 8 avril 2021.
18 Le 31 mars 2021, la Commission a publié les orientations concernant l’application du mécanisme de renvoi établi à l’article 22 du règlement [no 139/2004] à certaines catégories d’affaires (JO 2021, C 113, p. 1, ci-après les « orientations concernant l’article 22 »).
19 Par décision du 19 avril 2021, la Commission a accueilli la demande de renvoi (ci-après la « décision attaquée »). Par décisions du même jour concernant, respectivement, la Belgique, la Grèce, l’Islande, les Pays-Bas et la Norvège, elle a également accueilli les demandes de jonction (ci-après, désignées ensemble avec la décision attaquée, les « décisions attaquées »).
Sur les décisions attaquées
Sur le respect du délai de quinze jours ouvrables
20 La Commission a considéré que la demande de renvoi du 9 mars 2021 avait été présentée dans le délai de quinze jours ouvrables prévu à l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004, dès lors que la concentration en cause avait, par le biais de la lettre d’invitation, été portée à la connaissance de la République française le 19 février 2021 (points 20 et 29 de la décision attaquée). Selon la Commission, c’est cette lettre, fondée sur une recherche approfondie, sur une analyse ciblée et sur des informations fournies par le plaignant, qui a permis à la République française de procéder à un examen préliminaire des conditions prévues à l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 (points 26 et 28 de la décision attaquée).
21 La Commission a également estimé que les demandes de jonction respectaient le délai prévu à l’article 22, paragraphe 2, second alinéa, du règlement no 139/2004, le Royaume de Belgique, la République hellénique, la République d’Islande, le Royaume des Pays-Bas et le Royaume de Norvège ayant introduit ces demandes les 24, 26 et 31 mars 2021, soit dans un délai de quinze jours ouvrables à compter de la date à laquelle elle les avait informés, par sa lettre du 10 mars 2021, de la demande de renvoi (points 21 et 22 des décisions concernant la Belgique, l’Islande, les Pays-Bas et la Norvège et points 16 et 17 de la décision concernant la Grèce).
Sur l’affectation du commerce entre États membres et sur la menace d’affectation significative de la concurrence
22 La Commission a conclu que la concentration en cause, d’une part, était susceptible d’affecter le commerce entre États membres (points 39 à 45 de la décision attaquée, points 33 à 39 des décisions concernant la Belgique, l’Islande, les Pays-Bas et la Norvège et points 28 à 34 de la décision concernant la Grèce) et, d’autre part, menaçait d’affecter de manière significative la concurrence sur les territoires français, grecs, islandais, belges, norvégiens et néerlandais comme parties de l’Espace économique européen (EEE) (points 51 et 80 de la décision attaquée, points 49 et 78 de la décision concernant la Belgique, points 41 et 70 de la décision concernant la Grèce, points 46 et 75 des décisions concernant l’Islande et la Norvège et points 50 et 79 de la décision concernant les Pays-Bas).
Sur le caractère approprié du renvoi
23 La Commission a considéré que la concentration en cause remplissait les critères d’un renvoi au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004 (point 109 de la décision attaquée, point 107 de la décision concernant la Belgique, point 99 de la décision concernant la Grèce, point 104 des décisions concernant l’Islande et la Norvège et point 108 de la décision concernant les Pays-Bas).
24 En premier lieu, la Commission a estimé que les conditions énoncées au point 45 de sa communication sur le renvoi des affaires en matière de concentrations (JO 2005, C 56, p. 2, ci-après la « communication sur le renvoi ») étaient réunies (point 85 de la décision attaquée, point 83 de la décision concernant la Belgique, point 75 de la décision concernant la Grèce, point 80 des décisions concernant l’Islande et la Norvège et point 84 de la décision concernant les Pays-Bas). En outre, les tests de séquençage de cancer par NGS seraient perçus comme une amélioration majeure dans la lutte contre le cancer, laquelle constituerait une des priorités de la Commission dans le domaine de la santé. Un traitement cohérent des efforts d’enquête déployés à cet égard au niveau de l’Union serait donc souhaitable (point 84 de la décision attaquée, point 82 de la décision concernant la Belgique, point 74 de la décision concernant la Grèce, point 79 des décisions concernant l’Islande et la Norvège et point 83 de la décision concernant les Pays-Bas).
25 En deuxième lieu, la Commission a rappelé que les orientations concernant l’article 22 clarifiaient la manière dont les critères énoncés dans la communication sur le renvoi devaient être appliqués dans les cas où les autorités nationales n’étaient pas compétentes pour examiner une concentration. Selon la Commission, la concentration en cause relève du champ d’application desdites orientations étant donné qu’elle implique l’acquisition d’une entreprise dont l’importance pour la concurrence ne se reflète pas dans son chiffre d’affaires (points 86 et 87 de la décision attaquée, points 84 et 85 de la décision concernant la Belgique, points 76 et 77 de la décision concernant la Grèce, points 81 et 82 des décisions concernant l’Islande et la Norvège et points 85 et 86 de la décision concernant les Pays-Bas).
26 En outre, la Commission a indiqué que la concentration en cause n’avait été ni mise en œuvre ni notifiée dans d’autres États membres (point 88 de la décision attaquée, point 86 de la décision concernant la Belgique, point 78 de la décision concernant la Grèce, point 83 des décisions concernant l’Islande et la Norvège et point 87 de la décision concernant les Pays-Bas).
27 En troisième lieu, la Commission a examiné les arguments des entreprises concernées relatifs au respect des principes généraux du droit de l’Union et des droits de la défense (point 89 de la décision attaquée, point 87 de la décision concernant la Belgique, point 79 de la décision concernant la Grèce, point 84 des décisions concernant l’Islande et la Norvège et point 88 de la décision concernant les Pays-Bas).
28 Premièrement, s’agissant de sa compétence, elle a estimé que l’article 22 du règlement no 139/2004 permettait aux États membres de demander de lui renvoyer une affaire de concentration « pour laquelle ils n’avaient pas de compétence », pour autant que les conditions légales énoncées dans cette disposition soient remplies. Comme cela est rappelé dans les orientations concernant l’article 22, cette conclusion découlerait d’une interprétation littérale de ladite disposition et serait confirmée par son historique législatif, par la finalité, par l’économie générale et par l’interprétation contextuelle du règlement no 139/2004 ainsi que par la pratique de la Commission.
29 En particulier, l’article 22 du règlement no 139/2004, qui énoncerait de manière exhaustive les conditions juridiques que les demandes de renvoi doivent remplir, n’exigerait pas que « l’État membre faisant une telle demande dispose de la compétence pour examiner la concentration concernée », mais reconnaîtrait tant explicitement qu’implicitement que cette demande peut émaner d’un État membre dans lequel la notification de la concentration concernée n’est pas requise. La Commission a rappelé que, depuis l’adoption du règlement (CEE) no 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO 1989, L 395, p. 1), l’objectif était de lui permettre de contrôler des concentrations susceptibles de causer un préjudice anticoncurrentiel dans le marché intérieur qui ne pouvaient pas être examinées par les autorités des États membres. Une interprétation restrictive de l’article 22 du règlement no 139/2004 pourrait avoir pour résultat d’empêcher le contrôle de telles concentrations et de leurs effets transfrontaliers. Un État membre dépourvu de régime de contrôle des concentrations aurait déjà pu demander un renvoi à la Commission en vertu du règlement no 4064/89, comme il est confirmé par l’arrêt du 15 décembre 1999, Kesko/Commission (T 22/97, EU:T:1999:327). La Commission a rappelé avoir accepté que des États membres sans régime de contrôle des concentrations se joignent à une demande de renvoi d’un autre État membre. Selon elle, si le législateur de l’Union avait voulu restreindre le champ d’application de l’article 22 du règlement no 139/2004 en excluant de tels États membres, il aurait pu utiliser le même critère de compétence que celui prévu à l’article 4, paragraphe 5, de ce règlement (point 90 de la décision attaquée, point 88 de la décision concernant la Belgique, point 80 de la décision concernant la Grèce, point 85 des décisions concernant l’Islande et la Norvège et point 89 de la décision concernant les Pays-Bas).
30 Deuxièmement, s’agissant du principe de subsidiarité, tel que visé au considérant 8 du règlement no 139/2004, la Commission a rappelé que le législateur de l’Union avait décidé qu’une affaire de concentration pouvait lui être renvoyée selon les conditions prévues à l’article 22 dudit règlement. Le principe de subsidiarité ne s’appliquerait qu’aux matières qui ne relèvent pas de la compétence exclusive de l’Union, lorsqu’il s’agit de savoir si l’action envisagée ne peut pas être réalisée de manière suffisante par les États membres. Or, en l’absence de compétence, l’examen de la concentration en cause n’aurait pas pu être réalisé par ces derniers (point 92 de la décision attaquée, point 90 de la décision concernant la Belgique, point 82 de la décision concernant la Grèce, point 87 des décisions concernant l’Islande et la Norvège et point 91 de la décision concernant les Pays-Bas).
31 Troisièmement, s’agissant de la protection de la confiance légitime des entreprises concernées, la Commission a relevé que le droit des États membres à lui renvoyer, au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004, des affaires de concentration qui ne nécessitaient pas d’être notifiées dans ces États a toujours existé. Sa pratique antérieure visant à décourager de tels États membres non compétents de présenter une demande de renvoi ne signifierait pas qu’elle ait exclu l’application de cette disposition à toute affaire future. Au contraire, dans son livre blanc du 9 juillet 2014 vers un contrôle plus efficace des concentrations dans l’[Union] (COM/2014/0449 final) (ci-après le « livre blanc de 2014 »), ce droit aurait explicitement été confirmé. La Commission a considéré n’avoir donné aucune assurance précise, inconditionnelle et concordante excluant certaines demandes de renvoi dans le futur. Dans son discours du 11 septembre 2020, la vice-présidente de la Commission n’aurait pas non plus fourni de telles assurances, mais elle aurait indiqué qu’il était utile de changer cette pratique antérieure et que cela ne se produirait pas du jour au lendemain (point 94 de la décision attaquée, point 92 de la décision concernant la Belgique, point 84 de la décision concernant la Grèce, point 89 des décisions concernant l’Islande et la Norvège et point 93 de la décision concernant les Pays-Bas).
32 Quatrièmement, s’agissant de la sécurité juridique, la Commission a estimé que le temps écoulé depuis l’annonce de la concentration en cause et les éventuels effets négatifs pour les entreprises concernées étaient contrebalancés par les effets négatifs potentiellement importants sur la concurrence de cette concentration, lesquels nécessitaient d’être examinés (point 100 de la décision attaquée, point 98 de la décision concernant la Belgique, point 90 de la décision concernant la Grèce, point 95 des décisions concernant l’Islande et la Norvège et point 99 de la décision concernant les Pays-Bas).
33 En effet, à première vue, l’impact potentiel de la concentration en cause sur la concurrence dans le marché intérieur et sur les consommateurs européens serait significatif. La Commission a relevé avoir pris connaissance de cette concentration en décembre 2020, par le biais de la plainte. Elle aurait immédiatement examiné les circonstances de l’espèce et, après avoir été informée que cette concentration ne dépassait les seuils pertinents d’aucun des États membres, elle aurait envoyé la lettre d’invitation à ces derniers. En outre, compte tenu du fait que la concentration en cause ne pouvait être mise en œuvre en raison d’une procédure en cours devant les juridictions américaines, l’impact de l’écoulement du temps sur les entreprises concernées aurait été limité (points 97 à 99 de la décision attaquée, points 95 à 97 de la décision concernant la Belgique, points 87 à 89 de la décision concernant la Grèce, points 92 à 94 des décisions concernant l’Islande et la Norvège et points 96 à 98 de la décision concernant les Pays-Bas).
34 Cinquièmement, s’agissant du principe de proportionnalité, la Commission a considéré que l’interprétation stricte suggérée par les entreprises concernées était contraire au libellé de l’article 22 du règlement no 139/2004 ainsi qu’à la finalité et à l’économie générale de cette disposition. Son appréciation aurait été conforme à ce principe en ce qu’elle tenait compte, notamment, des questions de savoir si la concentration concernée avait déjà été réalisée, si elle avait été notifiée dans un ou plusieurs États membres n’ayant pas demandé son renvoi et si elle impliquait un objectif présentant un « potentiel concurrentiel significatif » ne se reflétant pas dans son chiffre d’affaires. La Commission a précisé, en substance, que, parmi les nombreuses concentrations ne présentant pas de dimension européenne au sens de l’article 1er du règlement no 139/2004, seul un petit nombre, d’une part, remplissait les conditions prévues à l’article 22 dudit règlement et, d’autre part, pouvait être considéré comme étant approprié pour un renvoi conformément aux orientations concernant l’article 22. De telles affaires pourraient donc être considérées comme exceptionnelles (points 102 et 103 de la décision attaquée, points 100 et 101 de la décision concernant la Belgique, points 92 et 93 de la décision concernant la Grèce, points 97 et 98 des décisions concernant l’Islande et la Norvège et points 101 et 102 de la décision concernant les Pays-Bas).
35 Sixièmement, la Commission a rejeté comme non fondés les arguments des entreprises concernées selon lesquels leur droit d’être entendues et les principes d’équité et de bonne administration avaient été violés. Elle a souligné avoir informé le 26 février 2021 la requérante de l’envoi de sa lettre d’invitation, soit avant la réception de la demande de renvoi. La Commission a estimé que son approche était donc conforme au point 27 des orientations concernant l’article 22, selon lequel, si une demande de renvoi est en cours d’examen, elle en informe les parties à l’opération dès que possible. L’objectif de ce point serait d’ailleurs de signaler une éventuelle obligation de suspension de la concentration. En outre, la Commission aurait informé les entreprises concernées en temps voulu de la demande de renvoi, laquelle leur aurait été transférée rapidement après sa réception (points 104 à 108 de la décision attaquée, points 102 à 106 de la décision concernant la Belgique, points 94 à 98 de la décision concernant la Grèce, points 99 à 103 des décisions concernant l’Islande et la Norvège et points 103 à 107 de la décision concernant les Pays-Bas).
Procédure et conclusions des parties
36 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 avril 2021, la requérante a introduit le présent recours.
37 Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a demandé qu’il soit statué sur le présent recours selon une procédure accélérée, conformément aux articles 151 et 152 du règlement de procédure du Tribunal. Par décision du 3 juin 2021, le Tribunal a fait droit à cette demande.
38 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 7 juin 2021, Grail, Inc. a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la requérante. Par ordonnance du 2 juillet 2021, le président de la troisième chambre élargie du Tribunal a admis cette intervention. Par mesure d’organisation de la procédure du même jour, Grail, Inc. a été autorisée, en application de l’article 154, paragraphe 3, du règlement de procédure, lu conjointement avec l’article 145, paragraphe 1, et l’article 89, paragraphe 3, sous b), dudit règlement, à déposer un mémoire en intervention.
39 Sur proposition de la troisième chambre, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 du règlement de procédure, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.
40 Par actes déposés au greffe du Tribunal, respectivement, le 22 juin, le 6 juillet, le 21 juillet et le 29 juillet 2021, le Royaume des Pays-Bas, la République française, la République hellénique et l’Autorité de surveillance AELE ont demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission. Par décisions des 12 et 22 juillet ainsi que du 6 août 2021 et par ordonnance du 25 août 2021, le président de la troisième chambre élargie du Tribunal a admis ces interventions. Par mesures d’organisation de la procédure, respectivement, du 16 juillet, du 23 juillet, du 13 août et du 25 août 2021, le Royaume des Pays-Bas, la République française, la République hellénique et l’Autorité de surveillance AELE ont été autorisés, en application de l’article 154, paragraphe 3, du règlement de procédure, lu conjointement avec l’article 145, paragraphe 1, et l’article 89, paragraphe 3, sous b), dudit règlement, à déposer un mémoire en intervention.
41 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 13 août 2021, la Computer & Communications Industry Association a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la requérante. Par ordonnance du 6 octobre 2021, le président de la troisième chambre élargie du Tribunal a rejeté cette demande en intervention.
42 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 18 août 2021, la requérante a informé le Tribunal du fait qu’elle avait acquis, le même jour, la totalité des parts sociales de Grail, Inc., tout en ayant mis en place un arrangement relatif à la séparation des éléments d’actif.
43 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 5 octobre 2021, la requérante a déposé une demande de mesures d’organisation de la procédure. La Commission a déposé ses observations sur cette demande le 19 octobre 2021. Le 29 octobre 2021, la requérante a présenté des observations sur lesdites observations de la Commission.
44 Les intervenantes ont déposé chacune leur mémoire dans les délais impartis.
45 Le 7 octobre 2021, la Commission a demandé que Grail soit retirée en tant que partie intervenante. La requérante, la République hellénique et Grail ont présenté leurs observations sur cette demande les 3 et 4 novembre 2021.
46 Deux membres de la chambre ayant cessé leurs fonctions et un nouveau président de chambre ayant été élu, le président de la troisième chambre a, par décision du 19 octobre 2021, et en application de l’article 17, paragraphe 2, du règlement de procédure, lu conjointement avec l’article 27, paragraphe 5, dudit règlement, désigné deux autres juges pour compléter la formation de jugement.
47 Le 11 novembre 2021, le Tribunal (troisième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.
48 Le même jour, le Tribunal a, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure au titre de l’article 89, paragraphe 3, sous a) et b), du règlement de procédure, posé à la Commission des questions écrites sur certains aspects du litige. La Commission a répondu à ces questions dans le délai imparti.
49 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 6 décembre 2021, la requérante a déposé une demande de mesures d’organisation de la procédure. La Commission, l’Autorité de surveillance AELE, Grail, la République française et le Royaume des Pays-Bas ont déposé leurs observations sur cette demande les 9 et 10 décembre 2021.
50 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 16 décembre 2021.
51 La requérante, soutenue par Grail, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler les décisions attaquées et la lettre d’information ;
– condamner la Commission aux dépens.
52 La Commission, soutenue par l’Autorité de surveillance AELE, la République hellénique, la République française et le Royaume des Pays-Bas, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours comme irrecevable ;
– à titre subsidiaire, rejeter le recours comme étant en partie manifestement irrecevable et en partie non fondé ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
Sur la demande de retrait du statut de partie intervenante de Grail
53 La Commission, soutenue par la République hellénique, fait valoir, en substance, que, à la suite de la lettre de la requérante du 18 août 2021 informant le Tribunal qu’elle avait acquis, le même jour, la totalité des parts sociales de Grail, Inc. (voir point 42 ci-dessus), cette dernière était devenue Grail LLC, soit une nouvelle entité entièrement contrôlée par la requérante, de sorte que Grail avait perdu la qualité de partie intervenante qui lui avait été reconnue par l’ordonnance du 2 juillet 2021 (voir point 38 ci-dessus). Ainsi, du point de vue tant économique que juridique, l’intervention aurait perdu son objet et les intérêts de Grail LLC se confondraient désormais avec ceux de la requérante, qui les représenterait pleinement dans le cadre de la présente procédure. À défaut de l’envoi d’une nouvelle demande en intervention de la part de Grail LLC dans le délai prévu à l’article 143, paragraphe 1, du règlement de procédure, la Commission conclut que le statut de Grail en tant que partie intervenante devrait être formellement retiré.
54 La requérante et Grail contestent les arguments de la Commission, Grail LLC étant le successeur en droit de Grail, Inc., dont l’intérêt à la solution du présent litige subsisterait. Selon les propres dires de la Commission, Grail LLC serait une entité distincte, indépendante et autonome de la requérante, qui poursuit des opérations et une stratégie distinctes sous une direction indépendante.
55 D’une part, il suffit de relever que Grail LLC est une personne morale, au titre du droit des sociétés des États-Unis d’Amérique, qui est le successeur en droit de Grail, Inc. Ainsi, conformément à une jurisprudence établie (voir, en ce sens, arrêt du 21 mars 2012, Marine Harvest Norway et Alsaker Fjordbruk/Conseil, T 113/06, non publié, EU:T:2012:135, points 24 à 33), le 18 août 2021, Grail LLC a succédé à Grail, Inc. en tant que son ayant cause à titre universel.
56 À cet égard, il a déjà été jugé qu’un recours en annulation engagé par une personne morale peut être poursuivi par l’ayant cause à titre universel de celle-ci, notamment dans le cas où cette personne morale cesse d’exister alors que l’ensemble de ses droits et obligations est transféré à un nouveau titulaire, ledit ayant cause à titre universel étant nécessairement substitué de plein droit à son prédécesseur (voir, en ce sens, arrêt du 21 mars 2012, Marine Harvest Norway et Alsaker Fjordbruk/Conseil, T 113/06, non publié, EU:T:2012:135, point 28 et jurisprudence citée).
57 D’autre part, même si Grail LLC est, certes, contrôlée intégralement par la requérante, il n’en reste pas moins qu’elle constitue une entité juridique distincte ayant la capacité d’ester en justice et pouvant justifier d’un intérêt à la solution du litige conformément à l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lu conjointement avec l’article 53, premier alinéa, dudit statut. Cela est d’autant plus vrai que la requérante a mis en place un arrangement relatif à la séparation des éléments d’actif (voir point 42 ci-dessus) et que la Commission a adopté, par sa décision C(2021) 7675 final, du 29 octobre 2021 (affaire COMP/M.10493 – Illumina/Grail), des mesures provisoires en vertu de l’article 8, paragraphe 5, sous a), du règlement no 139/2004, exigeant que Grail LLC soit préservée comme une entité distincte, indépendante et autonome de la requérante, poursuivant des opérations et une stratégie distinctes sous une direction indépendante.
58 Il en résulte que, dans le cadre du présent litige, en sa qualité d’ayant cause à titre universel, Grail LLC s’est substituée à Grail, Inc. en tant que partie intervenante à laquelle le dispositif de l’ordonnance du président de la troisième chambre élargie du Tribunal du 2 juillet 2021 (voir point 38 ci-dessus) est applicable. À cet égard, il y a lieu de préciser que Grail LLC conserve, en tant que l’autre partie à la concentration en cause, son intérêt à la solution du litige au même titre que celui dont a justifié son prédécesseur en droit Grail, Inc. (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 21 mars 2012, Marine Harvest Norway et Alsaker Fjordbruk/Conseil, T 113/06, non publié, EU:T:2012:135, point 30).
59 Par conséquent, la demande de la Commission visant à retirer à Grail le statut de partie intervenante doit être rejetée.
Sur la recevabilité
60 Sans formellement soulever une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure, la Commission, soutenue par la République hellénique et la République française, fait valoir que le présent recours est irrecevable. Elle avance, premièrement, que la demande de renvoi ne constitue pas un acte de la Commission, deuxièmement, que la lettre d’information a été remplacée par la décision attaquée et, troisièmement, que les décisions attaquées constituent des actes préparatoires dont les illégalités pourraient être soulevées dans le cadre d’un recours formé contre la décision finale sur la concentration en cause.
61 La requérante, soutenue par Grail, considère que le présent recours est recevable.
62 En premier lieu, s’agissant de la demande de renvoi, il ressort de la version abrégée de la requête, notamment de l’omission du chef de conclusions visant cette demande à son point 214, que, dans le cadre de la présente procédure accélérée, elle ne fait pas l’objet du recours. Dès lors, les arguments de la Commission concernant cette même demande sont inopérants et doivent être rejetés.
63 En deuxième lieu, s’agissant des décisions attaquées, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, sont considérées comme des actes attaquables, au sens de l’article 263 TFUE, toutes dispositions adoptées par les institutions de l’Union, quelle qu’en soit la forme, qui visent à produire des effets de droit obligatoires (arrêts du 13 février 2014, Hongrie/Commission, C 31/13 P, EU:C:2014:70, point 54 ; du 25 octobre 2017, Roumanie/Commission, C 599/15 P, EU:C:2017:801, point 47, et du 22 avril 2021, thyssenkrupp Electrical Steel et thyssenkrupp Electrical Steel Ugo/Commission, C 572/18 P, EU:C:2021:317, point 46).
64 Pour déterminer si un acte attaqué produit des effets juridiques obligatoires, il y a lieu de s’attacher à sa substance. Ces effets doivent être appréciés en fonction de critères objectifs, tels que le contenu de cet acte, en tenant compte, le cas échéant, du contexte de l’adoption de ce dernier ainsi que des pouvoirs de l’institution auteur (voir, en ce sens, arrêts du 13 février 2014, Hongrie/Commission, C 31/13 P, EU:C:2014:70, point 55 ; du 25 octobre 2017, Roumanie/Commission, C 599/15 P, EU:C:2017:801, point 48, et du 22 avril 2021, thyssenkrupp Electrical Steel et thyssenkrupp Electrical Steel Ugo/Commission, C 572/18 P, EU:C:2021:317, point 48).
65 Dans le cas d’un recours en annulation formé par une personne physique ou morale, il est nécessaire que les effets juridiques obligatoires de l’acte attaqué soient de nature à affecter les intérêts de la partie requérante, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique (voir, en ce sens, arrêts du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission, C 463/10 P et C 475/10 P, EU:C:2011:656, point 37, et du 25 février 2021, VodafoneZiggo Group/Commission, C 689/19 P, EU:C:2021:142, point 48 et jurisprudence citée).
66 Ainsi, constituent, en principe, des actes attaquables les mesures qui fixent définitivement la position d’une institution au terme d’une procédure administrative et qui visent à produire des effets de droit obligatoires de nature à affecter les intérêts de la partie requérante, à l’exclusion des mesures intermédiaires, dont l’objectif est de préparer la décision finale, qui n’ont pas de tels effets. Par conséquent, des mesures intermédiaires qui expriment une évaluation de l’institution et dont l’objectif est de préparer la décision finale ne constituent pas, en principe, des actes qui peuvent faire l’objet d’un recours en annulation (voir arrêt du 6 mai 2021, ABLV Bank e.a./BCE, C 551/19 P et C 552/19 P, EU:C:2021:369, point 39 et jurisprudence citée).
67 En l’espèce, les décisions attaquées ont été adoptées conformément à l’article 22, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 139/2004. Il ressort de cette disposition que l’examen d’une concentration par la Commission au titre de cet article prend la forme d’une décision. Or, aux termes de la première phrase de l’article 288, quatrième alinéa, TFUE, une « décision est obligatoire dans tous ses éléments ». Dès lors, le législateur de l’Union a eu l’intention d’attribuer un caractère contraignant à ces décisions (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission, C 463/10 P et C 475/10 P, EU:C:2011:656, point 44).
68 Il convient également de relever que les décisions attaquées soumettent la concentration en cause au champ d’application du règlement no 139/2004, quand bien même elle ne présente pas une dimension européenne au sens de son article 1er, de sorte que ce règlement n’est pas applicable par défaut. En particulier, les décisions attaquées ont pour effet de soumettre cette concentration, conformément à l’article 22, paragraphe 4, premier alinéa, dudit règlement, à l’article 2, à l’article 4, paragraphes 2 et 3, et aux articles 5, 6 et 8 à 21 de ce même règlement, lesquels déterminent les critères d’appréciation de ladite concentration, les pouvoirs décisionnels de la Commission ainsi que la procédure et les sanctions éventuelles. De même, l’obligation de suspension, prévue à l’article 7 du règlement no 139/2004, est, conformément à l’article 22, paragraphe 4, premier alinéa, seconde phrase, de ce règlement, applicable à la concentration en cause en empêchant sa réalisation tant qu’elle n’a pas été déclarée compatible avec le marché intérieur.
69 En revanche, comme le soutient la requérante, en l’absence des décisions attaquées, la concentration en cause ne ferait pas l’objet d’un examen par la Commission dans le cadre du règlement no 139/2004 ni ne serait soumise aux contraintes et aux sanctions potentielles au titre de ce règlement, y compris à l’obligation de suspension, mais pourrait être réalisée immédiatement dans l’Union.
70 Dès lors, eu égard au fait que chaque décision qui entraîne un changement du régime juridique applicable à l’examen d’une opération de concentration est en mesure d’affecter la situation juridique des parties à l’opération concernée, les décisions attaquées produisent des effets juridiques obligatoires à l’égard de la requérante qui sont de nature à affecter ses intérêts, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique (voir, en ce sens, arrêt du 30 septembre 2003, Cableuropa e.a./Commission, T 346/02 et T 347/02, EU:T:2003:256, points 61 et 64).
71 En outre, en mettant un terme à la procédure de renvoi qui a été déclenchée par la demande de renvoi au titre de l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, et qui a permis, conformément à son paragraphe 2, la présentation des demandes de jonction, les décisions attaquées fixent définitivement la position de la Commission sur le renvoi de la concentration en cause. En effet, par ces décisions, la Commission a accepté, en prenant les observations des entreprises concernées en compte, lesdites demandes, et, par conséquent, a décidé d’examiner la concentration en cause. Conformément à la procédure prévue par l’article 22 du règlement no 139/2004, le lieu d’examen de la concentration se trouve ainsi fixé, ce qui entraîne le transfert de compétence pour cet examen à la Commission (voir points 68 à 70 ci-dessus). Le caractère définitif et irréversible desdites décisions est confirmé, d’une part, par le délai de dix jours ouvrables, prévu au paragraphe 3, premier alinéa, première phrase, dudit article, dans lequel la Commission était tenue de prendre une décision sur le renvoi, et, d’autre part, par le fait que, en l’absence de prise de position, elle aurait, conformément à cette disposition, été réputée avoir adopté une telle décision d’examen.
72 Ainsi, les décisions attaquées mettent un terme à la procédure de renvoi au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004, qui constitue une procédure spéciale distincte de celle qui permet à la Commission de statuer sur l’autorisation ou sur l’interdiction d’une opération de concentration (voir, en ce sens, arrêts du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, EU:C:1981:264, point 11, et du 22 avril 2021, thyssenkrupp Electrical Steel et thyssenkrupp Electrical Steel Ugo/Commission, C 572/18 P, EU:C:2021:317, point 49).
73 Contrairement à ce qu’estiment la Commission et la République hellénique, les décisions attaquées ne sont pas comparables à une décision d’engager la procédure formelle d’examen, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement no 139/2004. En effet, la procédure de contrôle des concentrations étant composée de deux phases, une décision adoptée sur la base de cette disposition ni ne constitue le terme ultime de la procédure de contrôle, ni ne préjuge de la décision finale au titre de l’article 8 de ce règlement. Ainsi, une décision au titre de l’article 6, paragraphe 1, sous c), dudit règlement est une mesure préparatoire ayant pour seul objet l’ouverture d’une instruction destinée à établir les éléments devant permettre à la Commission de se prononcer par la voie d’une décision finale sur la compatibilité d’une opération avec le marché intérieur (voir, en ce sens, ordonnances du 31 janvier 2006, Schneider Electric/Commission, T 48/03, EU:T:2006:34, point 79, et du 27 novembre 2017, HeidelbergCement/Commission, T 902/16, non publiée, EU:T:2017:846, points 18, 21 et 22 et jurisprudence citée). En revanche, les décisions attaquées ne s’inscrivent pas dans le contexte de l’examen de la compatibilité de la concentration en cause avec le marché intérieur, mais ont pour objet de statuer définitivement sur le renvoi de cette concentration en mettant un terme à la procédure spéciale prévue à l’article 22 du même règlement (voir points 71 et 72 ci-dessus). Par ces décisions, la Commission a, en exposant les raisons pour lesquelles elle a estimé que les conditions prévues à cet article étaient réunies, accueilli les demandes de renvoi et de jonction, ce qui a pour effet de soumettre ladite concentration au champ d’application du règlement no 139/2004 (voir point 68 ci-dessus). Lesdites décisions ne constituent donc pas des mesures intermédiaires préparant la décision sur le fond, mais fixent la position définitive de la Commission sur la demande de renvoi.
74 Par ailleurs, le présent recours n’oblige le juge de l’Union à porter une appréciation ni sur des prises de position provisoires de la Commission, ni sur des questions sur lesquelles celle-ci n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer, de sorte qu’il ne pourrait avoir pour conséquence une anticipation des débats au fond et une confusion des différentes phases des procédures administrative et judiciaire (voir, en ce sens, arrêts du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, EU:C:1981:264, point 20 ; du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission, C 463/10 P et C 475/10 P, EU:C:2011:656, point 51, et du 15 mars 2017, Stichting Woonpunt e.a./Commission, C 415/15 P, EU:C:2017:216, point 45). En particulier, ce recours n’est pas susceptible d’amener le Tribunal à se prononcer sur la question de la compatibilité de la concentration en cause avec le marché intérieur, qui fera l’objet de la procédure d’examen prévue à l’article 6 du règlement no 139/2004, mais seulement sur la légalité de l’acceptation de la demande de renvoi et de la saisine de la Commission au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004 ainsi que du changement du régime juridique applicable qu’elle entraîne (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission, C 463/10 P et C 475/10 P, EU:C:2011:656, point 52).
75 En tout état de cause, même s’il fallait considérer que les décisions attaquées sont des actes intermédiaires préalables à la décision mettant fin à la procédure d’examen engagée au titre de l’article 6 du règlement no 139/2004, il convient de rappeler qu’un acte intermédiaire qui produit des effets juridiques autonomes est susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation en ce qu’il ne peut être remédié à l’illégalité attachée à cet acte à l’occasion d’un recours dirigé contre la décision finale dont il constitue une étape d’élaboration (arrêt du 3 juin 2021, Hongrie/Parlement, C 650/18, EU:C:2021:426, point 46). Or, contrairement à ce que soutient la Commission, dans la mesure où les décisions attaquées entraînent l’application du règlement no 139/2004 à la concentration en cause et où, en particulier, l’application de l’article 7 du règlement no 139/2004, lu conjointement avec son article 22, paragraphe 4, premier alinéa, seconde phrase, emporte un effet suspensif (voir point 68 ci-dessus), un recours en annulation contre la décision mettant fin à la procédure d’examen engagée au titre de l’article 6 du règlement no 139/2004 ne permettrait pas d’effacer les conséquences du retard de la réalisation de la concentration en cause dû au respect de cette obligation de suspension. Les décisions attaquées doivent donc pouvoir faire l’objet d’un recours en annulation.
76 Partant, les décisions attaquées constituent des actes attaquables au sens de l’article 263 TFUE.
77 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argumentation que la Commission tire de l’arrêt du 15 décembre 1999, Kesko/Commission (T 22/97, EU:T:1999:327). En effet, premièrement, dans cet arrêt, le Tribunal ne s’est pas prononcé sur la question de savoir si une décision accueillant une demande de renvoi émanant d’un État membre constituait un acte attaquable. Deuxièmement, il n’était pas non plus nécessaire de tenir compte des effets juridiques obligatoires d’une telle décision, dès lors que ledit arrêt portait, comme l’admet la Commission elle-même, sur un recours dirigé contre une décision statuant sur le fond, à savoir une déclaration d’incompatibilité avec le marché intérieur sur la base de l’article 8, paragraphe 3, du règlement no 4064/89, qui empêchait la réalisation de la concentration concernée de manière permanente. Troisièmement, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 15 décembre 1999, Kesko/Commission (T 22/97, EU:T:1999:327), la violation de l’article 22 de ce règlement était invoquée aux fins de contester la compétence de la Commission pour engager une procédure en vertu de l’article 6, paragraphe 1, sous c), dudit règlement et elle avait pour objet la question de savoir si la Commission avait vérifié à suffisance de droit si la demande de renvoi émanait d’un État membre. Ce même arrêt répondait donc à une question spécifique qui n’était pas comparable à celle qui se pose en l’espèce.
78 Le présent recours est, par conséquent, recevable en ce qu’il est dirigé contre les décisions attaquées.
79 En troisième lieu, quant à la lettre d’information, il convient de rappeler qu’elle a informé les entreprises concernées de la demande de renvoi, conformément à l’article 22, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 139/2004. Certes, cette information déclenche, en vertu de l’article 22, paragraphe 4, premier alinéa, de ce règlement, l’obligation de suspension prévue à l’article 7 dudit règlement. Toutefois, ainsi que le soutient à juste titre la Commission, ladite lettre ne fixe pas pour autant sa position définitive sur l’examen de la concentration en cause et ne soumet pas de manière définitive cette dernière à ladite obligation, mais uniquement de manière provisoire, afin de sauvegarder l’effet utile d’une éventuelle décision de renvoi. En effet, cette même lettre a été suivie, en l’espèce, de l’adoption des décisions attaquées, par lesquelles la Commission a accepté le renvoi et soumis la concentration en cause de manière définitive au champ d’application de ce même règlement, y compris à l’obligation de suspension (voir points 68 et 72 ci-dessus). La lettre d’information ne constitue donc qu’une étape intermédiaire dans le cadre de la procédure de renvoi qui se termine par la prise de position définitive de la Commission sur la demande de renvoi, en vertu de l’article 22, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 139/2004.
80 Dès lors, la lettre d’information constitue une mesure intermédiaire et préparatoire des décisions attaquées, au sens de la jurisprudence citée au point 66 ci-dessus. Partant, les illégalités éventuelles viciant cette lettre peuvent, conformément à la jurisprudence, être invoquées à l’appui du recours dirigé contre ces décisions, qui constituent, quant à elles, des actes attaquables (voir, en ce sens, arrêts du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, EU:C:1981:264, point 12, et du 22 avril 2021, thyssenkrupp Electrical Steel et thyssenkrupp Electrical Steel Ugo/Commission, C 572/18 P, EU:C:2021:317, point 50).
81 Par conséquent, le présent recours est irrecevable en ce qu’il est dirigé contre la lettre d’information.
82 Au vu de tout ce qui précède, le présent recours doit être déclaré recevable en ce qu’il tend à l’annulation des décisions attaquées et irrecevable en ce qu’il est dirigé contre la lettre d’information.
Sur le fond
Résumé des moyens d’annulation
83 Dans le cadre de la présente procédure accélérée, la requérante invoque trois moyens à l’appui de son recours.
84 Par le premier moyen, la requérante fait valoir que la Commission est incompétente pour ouvrir, au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004, une enquête sur une concentration qui ne remplit pas les conditions permettant à l’État membre ayant demandé son renvoi à la Commission de l’examiner en vertu de sa réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations. Par le deuxième moyen, la requérante estime que le renvoi de la concentration en cause a été demandé de manière tardive et, à titre subsidiaire, que le retard pris par la Commission pour envoyer la lettre d’invitation porte atteinte au principe de sécurité juridique et au droit à une bonne administration. Par le troisième moyen, la requérante reproche à la Commission d’avoir violé les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, dès lors que le membre de la Commission chargé de la concurrence avait indiqué que la politique de la Commission ne changerait pas avant la mise en place des orientations concernant l’article 22.
Sur le premier moyen, tiré de l’incompétence de la Commission
85 La requérante, soutenue par Grail, fait valoir que la Commission a erronément interprété le règlement no 139/2004 en considérant, dans les décisions attaquées, pouvoir accepter une demande de renvoi au titre de l’article 22 de ce règlement dans une situation où les États membres présentant cette demande ne sont pas habilités, en vertu de leur réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations, à examiner la concentration faisant l’objet de ladite demande. En substance, la requérante estime que, dans une telle situation, l’objectif résiduel de l’article 22 dudit règlement permet uniquement à un État membre qui ne dispose pas d’un tel régime de contrôle de présenter une demande de renvoi afin d’éviter qu’une concentration qui affecte son territoire ne fasse l’objet d’aucun examen. En revanche, lorsqu’un État membre a adopté sa propre législation en matière de contrôle des concentrations, et a donc défini les circonstances dans lesquelles il contrôle des concentrations sans dimension européenne, il aurait exercé la compétence lui permettant de contrôler les concentrations et ses intérêts seraient suffisamment protégés. Pour un tel État membre, les demandes de renvoi se limiteraient aux affaires relevant de sa réglementation de contrôle, dont le législateur national a défini le champ d’application. Un pouvoir résiduel de renvoyer l’examen d’une concentration à la Commission ne lui serait pas nécessaire. En outre, la requérante et Grail considèrent que la position de la Commission est incompatible avec l’objectif de « guichet unique », fondé sur des seuils de chiffre d’affaires, et celui consistant à permettre aux autorités nationales compétentes de déléguer leur pouvoir d’examen à la Commission lorsque celle ci est mieux placée pour l’examen d’une concentration. Elles contestent l’interprétation du libellé de l’article 22 du règlement no 139/2004 par la Commission et lui reprochent de ne pas avoir tenu compte de son contexte. La position défendue par la Commission serait également contraire aux principes de sécurité juridique, de subsidiarité et de proportionnalité et nécessiterait une modification législative. L’article 22 de ce règlement disposant d’un caractère exceptionnel, il devrait être interprété restrictivement.
86 La Commission, soutenue par la République hellénique, la République française, le Royaume des Pays-Bas et l’Autorité de surveillance AELE, rétorque, en substance, que la requérante méconnaît la primauté de l’interprétation littérale et ignore le libellé clair et précis du premier membre de phrase de l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004. Étant donné qu’il s’agirait d’une disposition législative énonçant les conditions dans lesquelles elle est compétente, une modification législative ne serait pas nécessaire. Ledit article n’opérerait aucune distinction selon que l’État membre dispose ou non d’un régime national de contrôle des concentrations et l’interprétation de la requérante ne pourrait être conciliée avec le principe de l’application uniforme du droit de l’Union et de l’EEE. En demandant le renvoi d’une opération à la Commission, l’État membre exercerait une compétence ayant une base autonome en droit de l’Union. Selon la Commission et la République hellénique, une interprétation stricte n’est pas possible pour trancher la question de savoir si une compétence existe et n’implique pas d’introduire des exigences supplémentaires dans une disposition lorsqu’elles n’y sont pas prévues. Le système du guichet unique ne serait pas un objectif du règlement no 139/2004, mais un élément important de ce dernier. En outre, la République hellénique, la République française et l’Autorité de surveillance AELE soulignent que les mécanismes de renvoi fonctionnent comme des mécanismes correctifs efficaces pour permettre un contrôle effectif de toutes les concentrations en fonction de leur effet sur la structure de concurrence dans l’Union.
87 Dans le cadre du présent moyen, le Tribunal est amené à interpréter la portée de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004, en vertu duquel l’ACF a formulé sa demande de renvoi. Plus précisément, le Tribunal est amené à examiner la question de savoir si, en vertu de cette disposition, la Commission est compétente pour examiner une concentration lorsqu’elle fait l’objet d’une demande de renvoi émanant d’un État membre disposant d’un régime national de contrôle des concentrations, mais qu’elle ne relève pas du champ d’application de cette réglementation nationale.
88 À cet égard, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union requiert de tenir compte non seulement de ses termes, mais également du contexte dans lequel elle s’inscrit ainsi que des objectifs et de la finalité que poursuit l’acte dont elle fait partie. La genèse d’une disposition du droit de l’Union peut également révéler des éléments pertinents pour son interprétation [voir arrêt du 25 juin 2020, A e.a. (Éoliennes à Aalter et à Nevele), C 24/19, EU:C:2020:503, point 37 et jurisprudence citée]. Il convient donc de procéder à une interprétation littérale, contextuelle, téléologique et historique de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004.
– Sur l’interprétation littérale
89 Il convient d’observer que, en ce que l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 prévoit qu’« [u]n ou plusieurs États membres peuvent demander à la Commission d’examiner toute concentration, telle que définie à l’article 3, qui n’est pas de dimension [européenne] au sens de l’article 1er, mais qui affecte le commerce entre États membres et menace d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des États membres qui formulent cette demande », il énonce quatre conditions cumulatives pour autoriser le renvoi d’une concentration à la Commission. Premièrement, la demande de renvoi doit émaner d’un ou de plusieurs États membres, deuxièmement, l’opération faisant l’objet de cette demande doit répondre à la définition de la concentration figurant à l’article 3 de ce règlement sans atteindre les seuils de dimension européenne fixés à l’article 1er dudit règlement, troisièmement, cette concentration doit affecter le commerce entre États membres et, quatrièmement, ladite concentration doit menacer d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des États membres ayant formulé la demande de renvoi.
90 Il ne ressort donc pas du libellé de cette disposition que, pour que soit permis le renvoi d’une concentration par un État membre à la Commission, cette concentration doit relever du champ d’application de la réglementation relative au contrôle des concentrations dudit État membre, ni que ce dernier doit disposer d’un tel régime de contrôle.
91 Au contraire, l’expression « toute concentration », telle qu’employée au premier membre de phrase de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004, indique, ainsi que le soutient la Commission, qu’une concentration peut faire l’objet d’un renvoi indépendamment de l’existence ou de la portée d’une réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations, pour autant que les conditions cumulatives rappelées au point 89 ci-dessus soient remplies.
92 En revanche, la condition supplémentaire préconisée par la requérante et par Grail, à savoir que la concentration faisant l’objet d’une demande de renvoi doit relever du champ d’application de la réglementation relative au contrôle des concentrations de l’État membre ayant présenté cette demande, ne ressort pas du libellé de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004.
93 En outre, étant donné que ce libellé ne distingue pas entre les États membres selon qu’ils ont édicté ou non une législation nationale à cet effet, même un État membre ne disposant pas d’un tel régime, tel que le Grand-Duché de Luxembourg, est en droit de demander le renvoi d’une concentration à la Commission au titre de cette disposition, ce que la requérante admet.
94 Partant, sans permettre une conclusion définitive, l’interprétation littérale de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 indique qu’un État membre est en droit de renvoyer toute concentration qui remplit les conditions cumulatives qui y sont énoncées à la Commission, et ce indépendamment de l’existence ou de la portée d’une réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations.
95 Par suite, le Tribunal estime opportun de procéder à une interprétation historique, dès lors que celle-ci est susceptible d’apporter des précisions quant à l’intention du législateur de l’Union lorsqu’il a édicté l’article 22 du règlement no 139/2004, dont il convient de tenir compte dans le cadre des interprétations téléologique et contextuelle de cette disposition.
– Sur l’interprétation historique
96 En premier lieu, le premier règlement relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises, à savoir le règlement no 4064/89, prévoyait, à son article 22, un mécanisme permettant le renvoi d’une affaire de concentration à la Commission. Le paragraphe 3 de cet article se lisait comme suit :
« Si la Commission constate, à la demande d’un État membre, qu’une opération de concentration, telle que définie à l’article 3 mais sans dimension communautaire au sens de l’article 1er, crée ou renforce une position dominante ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative sur le territoire de l’État membre concerné, elle peut, dans la mesure où cette concentration affecte le commerce entre États membres, prendre les décisions prévues à l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, et paragraphes 3 et 4. »
97 Ce mécanisme de renvoi avait en particulier été conçu pour les États membres qui ne disposaient pas encore d’un régime de contrôle des concentrations [voir point 97 du livre vert de la Commission du 31 janvier 1996 concernant la révision du règlement sur les concentrations, COM(96) 19 final ; point 84 du livre vert de la Commission du 11 décembre 2001 sur la révision du règlement no 4064/89 du Conseil, COM(2001) 745 final (ci-après le « livre vert de 2001 »), et point 21 de la proposition de la Commission de règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (« le règlement CE sur les concentrations ») (JO 2003, C 20, p. 4, ci-après la « proposition de 2003 »)]. Plus précisément, il apparaît que ledit mécanisme de renvoi faisait suite au souhait du Royaume des Pays-Bas, qui ne disposait pas d’un tel régime à l’époque, de faire examiner, par la Commission, des concentrations ayant des effets négatifs sur son territoire, à condition que ces concentrations affectent également le commerce entre États membres, raison pour laquelle ledit mécanisme a été dénommé « clause néerlandaise » [voir point 133 du document de travail des services de la Commission accompagnant la communication de la Commission au Conseil – Rapport sur le fonctionnement du règlement no 139/2004 du 30 juin 2009, SEC(2009) 808 final/2].
98 Le fait que le mécanisme de renvoi, au titre de l’article 22, paragraphe 3, du règlement no 4064/89, devait principalement servir aux États membres ne disposant pas de leur propre régime de contrôle des concentrations n’excluait toutefois pas que d’autres États membres aient également recours à ce mécanisme. Cela est confirmé par l’emploi de l’expression « en particulier » au point 97 du livre vert de la Commission du 31 janvier 1996 concernant la révision du règlement sur les concentrations (voir point 97 ci-dessus), selon lequel cette disposition « est généralement considéré[e] comme un instrument utile, en particulier pour les États membres qui ne disposent pas actuellement d’un système de contrôle des concentrations ». Aucun élément dans ce règlement n’indique que le législateur de l’Union avait l’intention de réserver ledit mécanisme à ces premiers États ou de les privilégier à cet égard, notamment dans une situation comme celle qui se présente en l’espèce. Au contraire, le terme « État membre », tel qu’employé par ladite disposition, inclut tous les États membres sans pour autant opérer une distinction selon l’existence ou non d’un tel régime de contrôle. Ainsi, le considérant 29 du règlement no 4064/89 reconnaît le pouvoir de la Commission d’intervenir « à la demande d’un État membre concerné, dans les cas où une concurrence effective risque d’être entravée de manière significative sur le territoire de cet État membre ».
99 Eu égard à la mise en place successive de régimes nationaux de contrôle des concentrations dans les États membres et au fait que, déjà à la date de l’adoption du livre vert de 2001, seul le Grand-Duché de Luxembourg ne disposait pas d’un tel régime, la Commission a constaté, au point 85 du livre vert de 2001, que, « en pratique, […] le potentiel d’application de l’article 22, paragraphe 3, sous sa forme originale [étai]t très limité ». Or, la diminution de son importance pratique pour la grande majorité des États membres, grâce au fait qu’ils disposaient de tels régimes nationaux de contrôle, ne signifiait pas nécessairement, contrairement à ce que semble estimer la requérante, que leur recours à l’article 22, paragraphe 3, du règlement no 4064/89 était désormais exclu.
100 En deuxième lieu, les objectifs du mécanisme de renvoi prévu à l’article 22, paragraphe 3, du règlement no 4064/89 ont successivement été étendus au fil du temps.
101 En effet, lorsque le nombre de régimes nationaux de contrôle des concentrations a augmenté au sein de l’Union, ce mécanisme de renvoi a aussi été considéré comme un moyen de renforcer l’application du droit communautaire de la concurrence aux opérations ayant des effets transfrontaliers ainsi que d’assurer le principe de « guichet unique » et d’éviter l’examen parallèle de la même concentration par des autorités de la concurrence de plusieurs États membres. Ces objectifs se reflètent, comme il est exposé au point 86 du livre vert de 2001, dans les modifications apportées par le règlement (CE) no 1310/97 du Conseil, du 30 juin 1997, modifiant le règlement no 4064/89 (JO 1997, L 180, p. 1), qui a introduit la possibilité pour plusieurs États membres de présenter des demandes de renvoi conjointes (voir considérant 13 du règlement no 1310/97).
102 Ainsi, le mécanisme de renvoi prévu à l’article 22, paragraphe 3, du règlement no 4064/89 était destiné à permettre aux États membres de demander à la Commission d’examiner une concentration ayant un effet transfrontalier dans une situation où les seuils prévus à l’article 1er de ce règlement, lesquels délimitent, en principe, le champ d’application dudit règlement, n’étaient pas atteints. L’article 1er du règlement no 4064/89 faisait écho à ce rôle en ce qu’il prévoyait l’application de ce règlement à toutes les opérations de concentration de dimension communautaire « sans préjudice de l’article 22 ».
103 Contrairement à ce que semble estimer la requérante en faisant référence à l’objectif du règlement no 1310/97 d’éviter des notifications multiples et à celui de permettre l’examen d’une concentration par l’autorité la mieux placée, ainsi qu’il est indiqué dans le communiqué de presse accompagnant la proposition de 2003, les différents objectifs poursuivis par le mécanisme de renvoi ne s’excluent pas mutuellement, mais se complètent. En effet, selon le point 86 du livre vert de 2001, l’intention du législateur était à la fois de renforcer l’application du droit communautaire de la concurrence concernant les opérations ayant des effets transfrontaliers, d’assurer le principe de guichet unique et de résoudre le problème des notifications multiples (voir également point 101 ci-dessus). Cela est également conforté par le fait que les objectifs ont successivement été étendus au fil du temps, sans qu’il ait été renoncé aux objectifs initiaux de ce mécanisme (voir points 97 à 99 et 101 ci-dessus).
104 Dès lors, l’évolution des objectifs du mécanisme de renvoi prévu à l’article 22, paragraphe 3, du règlement no 4064/89 ne saurait être comprise comme restreignant le champ d’application de ce dernier, mais elle met en exergue l’objectif d’examiner des concentrations ayant des effets transfrontaliers.
105 En troisième lieu, cette interprétation est corroborée par les suites qui ont été données à la proposition de 2003 dans le contexte de la refonte du règlement no 4064/89 et de l’adoption du règlement no 139/2004.
106 En effet, premièrement, la version proposée en 2003 de l’article 22 distinguait entre, d’une part, à son paragraphe 1, une demande de renvoi présentée par un ou plusieurs États membres dans les conditions semblables à celles de l’actuel article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 et, d’autre part, à son paragraphe 3, les demandes de renvoi émanant d’au moins trois « États membres qui auraient compétence pour examiner une concentration en vertu de leur droit national de la concurrence », situation dans laquelle une dimension européenne fondant la compétence exclusive de la Commission était avérée.
107 Or, lors de l’adoption du règlement no 139/2004, ce paragraphe 3 n’a pas été repris dans l’article 22, mais a été intégré, dans une version modifiée, à l’article 4, paragraphe 5, dudit règlement, qui vise, dès lors, les concentrations susceptibles d’être examinées en vertu du droit national de la concurrence d’au moins trois États membres. En revanche, la partie restante de l’article 22 de la proposition de 2003, notamment son paragraphe 1, a été reprise sans modifications majeures. Or, à la différence du texte de l’article 4, paragraphe 5, du règlement no 139/2004, le législateur de l’Union n’a pas fait référence, dans l’article 22 du règlement no 139/2004, à la compétence de l’État membre en vertu de sa législation nationale. Cela indique que ledit législateur ne voulait pas restreindre le droit de cet État membre de demander le renvoi de « toute concentration » à la Commission.
108 Deuxièmement, par la proposition de 2003, la Commission n’a pas retenu l’idée d’un « système obligatoire 3+ », consistant à conférer automatiquement une dimension européenne aux concentrations notifiables dans au moins trois États membres, telle que proposée dans le livre vert de 2001 (voir notamment points 60 et 62 dudit livre vert). Elle a considéré qu’un tel système nécessitait de déterminer si la concentration atteignait les seuils de notification dans au moins trois États membres et que le fait de fonder sa compétence sur des critères ou sur des concepts nationaux divergents aux fins de l’interprétation des seuils de notification nationaux porterait atteinte à la sécurité juridique, notamment eu égard au risque d’interprétations différentes du droit national par elle-même, par les États membres et par les parties à la concentration (points 13 à 15 de la proposition de 2003).
109 La Commission a ainsi privilégié un recours accru aux mécanismes de renvoi, et notamment à celui prévu à l’article 22 du règlement no 139/2004 (point 18 de la proposition de 2003), lequel, contrairement au « système obligatoire 3+ », ne semblait donc pas nécessiter une interprétation des seuils de notification nationaux. Cela corrobore l’analyse selon laquelle un renvoi peut être effectué pour une concentration qui n’entre pas dans le champ d’application de la réglementation sur le contrôle des concentrations de l’État membre ayant demandé son renvoi. En revanche, l’interprétation préconisée par la requérante nécessiterait précisément une interprétation préalable par la Commission de la portée du droit national de l’État membre demandeur et serait susceptible de donner lieu à des interprétations divergentes par la Commission et les États membres, problématique qui est décrite au point 59 et à la note en bas de page no 11 du livre vert de 2001. Cette lecture ferait donc dépendre l’application dudit article de conditions qui ont expressément été rejetées dans le cadre de la procédure législative.
110 En outre, le Tribunal a jugé, dans l’arrêt du 15 décembre 1999, Kesko/Commission (T 22/97, EU:T:1999:327, point 84), qu’il n’appartenait pas à la Commission de statuer sur la compétence d’une autorité nationale de la concurrence pour introduire une demande de renvoi au titre de l’article 22 du règlement no 4064/89, mais qu’il lui incombait seulement de vérifier si cette demande était, à première vue, celle d’un État membre.
111 Troisièmement, au point 21 de la proposition de 2003, la Commission a rappelé qu’« une des fonctions initiales de [cet article] consistait à permettre aux États membres qui n’ont pas de droit national en matière de contrôle des concentrations de [lui] renvoyer […] les opérations qui ont des effets sur le commerce entre États membres ». En indiquant qu’uniquement le Grand-Duché de Luxembourg se trouvait encore dans une telle situation, elle a considéré qu’il « ne fa[ll]ait pas éliminer totalement la possibilité pour un seul État membre de renvoyer des affaires à la Commission ». Si cela démontre que l’article 22 du règlement no 4064/89 devait servir à l’origine principalement aux États membres qui ne disposent pas d’un régime de contrôle des concentrations propre, la référence à l’« une » des fonctions initiales confirme le constat, énoncé aux points 98 et 99 ci-dessus, selon lequel l’applicabilité de ce même article ne se limite pas à cette situation, mais s’étend à tous les États membres, y compris ceux qui en disposent.
112 Quatrièmement, au point 22 de la proposition de 2003, la Commission a relevé que le système de renvoi simplifié qu’elle proposait visait notamment à rendre le renvoi de l’article 22 applicable au stade de la prénotification, dans la mesure où « la principale lacune du système résid[ait] dans le fait que les dispositions de renvoi […] ne p[o]uv[ai]ent être appliquées qu’après la notification d’une opération [de concentration] ». Ce constat se limite à décrire la situation existant avant l’adoption du règlement no 139/2004, caractérisée, comme cela est également indiqué audit point 22, par « une grosse perte de temps et d’efficacité administrative », ainsi que par « des coûts et [par] un surcroît de travail inutiles [à charge des] entreprises parties à [une] opération », dès lors que ces parties ne disposaient pas de la possibilité de demander le renvoi d’une concentration à un stade précoce, en en informant directement la Commission, sans passer par les autorités nationales. Cette situation vise donc uniquement les concentrations notifiables sur le plan national. Or, l’adoption de l’article 4, paragraphes 4 et 5, dudit règlement a remédié à ce problème en permettant aux parties à une concentration de demander à effectuer son renvoi préalablement à la notification. L’article 22 de ce même règlement, en revanche, n’a pas vu son contenu changer de manière substantielle (voir point 107 ci-dessus). Il convient de rappeler que le législateur de l’Union a défini des conditions d’application différentes pour le renvoi, au titre de cet article 22, d’une concentration à la Commission par un État membre. En effet, en vertu dudit article, un État membre n’ayant pas de réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations peut lui aussi, ainsi qu’il ressort du point 21 de la proposition de 2003, procéder à une demande de renvoi (voir point 111 ci-dessus), ce qui exclut nécessairement toute notification préalable dans cet État.
113 Cinquièmement, le point 24 de la proposition de 2003 explique que, « en application de l’article 22, les États membres pourraient renvoyer à la Commission les opérations qui n’atteignent pas les seuils de chiffres d’affaires de l’article 1er, paragraphes 2 et 3, du règlement sur les concentrations, mais qui risquent d’avoir des effets transfrontaliers significatifs ». Ainsi, ce point confirme l’objectif de permettre à la Commission d’examiner des concentrations transfrontalières n’atteignant pas les seuils du régime de contrôle des concentrations de l’Union (voir points 102 et 104 ci-dessus).
114 Sixièmement, à l’instar de l’article 1er du règlement no 4064/89, l’article 1er du règlement no 139/2004 prévoit l’application de ce règlement à toutes les opérations de concentration de dimension européenne « sans préjudice […] de l’article 22 ». Le fait que cette formulation est restée quasiment inchangée au fil du temps et a seulement été complétée, dans le règlement no 139/2004, par l’ajout d’une référence à l’article 4, paragraphe 5, de ce règlement (voir point 121 ci-après) indique que l’article 22 du règlement no 139/2004 est destiné à permettre à la Commission d’examiner des concentrations transfrontalières n’atteignant pas les seuils dudit règlement (voir point 102 ci-dessus).
115 En quatrième lieu, quant à la position ultérieure de la Commission relative au mécanisme de renvoi au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004, telle qu’exposée dans la communication sur le renvoi, dans le rapport du 18 juin 2009 sur le fonctionnement du règlement no 139/2004 [COM(2009) 281 final], dans le livre blanc de 2014, dans le document de travail des services de la Commission relatif au résumé de l’évaluation des aspects procéduraux et juridictionnels du contrôle des concentrations de [l’Union] du 26 mars 2021 [SWD(2021) 67 final] et dans les orientations concernant l’article 22, il convient de rappeler que ces documents ont été publiés après l’adoption de ce règlement et ne pouvaient donc pas être pris en compte par le législateur de l’Union à ce stade. Dès lors, ils ne sont pas pertinents pour l’interprétation historique dudit règlement et, par conséquent, pour la solution du présent litige.
116 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, l’interprétation historique tend à confirmer que l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 permet à un État membre, indépendamment de la portée de sa réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations, de renvoyer à la Commission des concentrations qui n’atteignent pas les seuils de chiffres d’affaires de l’article 1er de ce règlement, mais qui risquent d’avoir des effets transfrontaliers significatifs.
117 Cette conclusion n’est pas remise en cause par les considérants invoqués par la requérante pour démontrer que le transfert des pouvoirs, dans le cadre d’un renvoi, n’est pas destiné à être utilisé lorsqu’un État membre n’est pas compétent pour examiner la concentration concernée selon son propre régime de contrôle des concentrations. En effet, à l’instar de ce qu’avance la Commission, le considérant 27 du règlement no 4064/89, selon lequel les États membres ne peuvent pas appliquer leur législation nationale sur la concurrence aux opérations de concentration de dimension communautaire, ne concerne que l’article 21 dudit règlement, lequel régit la répartition des compétences entre la Commission et les États membres. La référence à la protection des intérêts des États membres figurant au considérant 10 du règlement no 1310/97 souligne l’objectif de permettre à un État membre de faire examiner par la Commission les concentrations ayant des effets négatifs sur son territoire. Une référence similaire se trouve au considérant 11 du règlement no 139/2004, lequel sera examiné, conjointement avec les autres considérants pertinents dudit règlement, dans le cadre de l’interprétation téléologique (voir points 140 à 148 ci-après).
– Sur l’interprétation contextuelle
118 En premier lieu, s’agissant de la base juridique du règlement no 139/2004, il est indiqué dans son premier visa qu’il a été fondé sur les articles 83 et 308 CE [devenus articles 103 et 352 TFUE].
119 À cet égard, il importe de noter que, comme il est expliqué au considérant 7 du règlement no 139/2004, les articles 81 et 82 CE [devenus articles 101 et 102 TFUE], tout en étant applicables à certaines concentrations, « ne suffisent pas pour contrôler toutes les opérations qui risquent de se révéler incompatibles avec le régime de concurrence non faussée visé par le traité [CE] ». Par conséquent, ce règlement devait être fondé non seulement sur l’article 83 CE, mais également sur l’article 308 CE, en vertu duquel l’Union peut se doter des pouvoirs d’action additionnels nécessaires à la réalisation de ses objectifs.
120 Or, contrairement à ce que semble estimer la requérante, le fait que le règlement no 139/2004 était également fondé sur l’article 308 CE n’affecte pas l’interprétation de l’article 22 dudit règlement, mais démontre simplement que le législateur de l’Union envisageait de recourir à une base juridique suffisamment large pour le régime de contrôle des concentrations de l’Union, ce qui est en conformité avec le protocole (no 27) sur le marché intérieur et la concurrence (JO 2016, C 202, p. 308), selon lequel le marché intérieur comprend un système garantissant que la concurrence n’est pas faussée et, à cet effet, l’Union prend, si nécessaire, des mesures dans le cadre des dispositions des traités, y compris l’article 352 TFUE.
121 En deuxième lieu, l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, qui définit le champ d’application de ce règlement, fait explicitement référence à son article 22. Plus précisément, il y est prévu que, « [s]ans préjudice [de son] article 4, paragraphe 5, et [de son] article 22, [ledit] règlement s’applique à toutes les concentrations de dimension [européenne] telles qu’elles sont définies au présent article ». Une concentration a une dimension européenne lorsque les seuils des chiffres d’affaires prévus à l’article 1er, paragraphes 2 et 3, dudit règlement sont dépassés.
122 L’article 4, paragraphe 5, et l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 permettent le renvoi d’une concentration « qui n’est pas de dimension [européenne] au sens de l’article 1er [de ce règlement] » à la Commission. Ces dispositions ne se fondent donc pas sur des seuils de chiffres d’affaires, mais sur d’autres conditions qui y sont énoncées (voir point 126 ci-après).
123 Il s’ensuit que le champ d’application du règlement no 139/2004 et, par conséquent, la compétence d’examen de la Commission relative aux concentrations dépendent, à titre principal, du dépassement des seuils des chiffres d’affaires définissant la dimension européenne et, à titre subsidiaire, des mécanismes de renvoi prévus à l’article 4, paragraphe 5, et à l’article 22 de ce règlement, lesquels complètent lesdits seuils en autorisant l’examen, par la Commission, de certaines concentrations n’ayant pas une dimension européenne.
124 Partant, compte tenu de sa mention expresse à l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, l’article 22 fait partie des dispositions de ce règlement qui déterminent la compétence de la Commission en matière de contrôle des concentrations.
125 En troisième lieu, l’article 4, paragraphe 5, du règlement no 139/2004, qui permet également, à la demande des parties et avant sa notification, de renvoyer une concentration n’ayant pas une dimension européenne d’un État membre à la Commission, n’est pas susceptible de soutenir l’interprétation de l’article 22 de ce règlement défendue par la requérante et par Grail.
126 En effet, les conditions d’application respectives de ces deux dispositions se distinguent fondamentalement, dès lors que la première prévoit expressément que la concentration faisant l’objet du renvoi doit être « susceptible d’être examinée en vertu du droit national de la concurrence d’au moins trois États membres », tandis que la seconde s’applique à « toute concentration […] qui affecte le commerce entre États membres et menace d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des États membres qui formulent [la] demande [de renvoi] ». La mention, au sein de l’article 4, paragraphe 5, du règlement no 139/2004, du droit national de la concurrence ne se retrouve pas au sein de l’article 22 de ce règlement. Cette différence repose, d’une part, sur le choix du législateur de l’Union de ne pas restreindre la possibilité pour un État membre de demander le renvoi de l’examen d’une concentration à la Commission au titre de l’article 22 dudit règlement (voir point 107 ci-dessus) ainsi que, d’autre part, sur les finalités distinctes de ces dispositions. Alors que l’article 4, paragraphe 5, du règlement no 139/2004 vise, comme l’admet la requérante elle-même, à permettre aux parties à une concentration de demander, à un stade précoce, son renvoi à la Commission pour éviter des notifications multiples auprès de différentes autorités nationales compétentes (voir considérant 16 de ce règlement et point 112 ci-dessus), l’article 22 dudit règlement poursuit aussi l’objectif mentionné aux points 102, 113 et 114 ci-dessus de permettre l’examen des concentrations transfrontalières.
127 En quatrième lieu, l’article 22 du règlement no 139/2004 n’est pas non plus aligné sur les mécanismes de renvoi prévus à l’article 4, paragraphe 4, et à l’article 9 de ce règlement, qui régissent le renvoi d’une concentration de dimension européenne aux autorités compétentes d’un État membre.
128 En effet, si, conformément à l’article 4, paragraphe 4, troisième alinéa, et à l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, une telle concentration peut, respectivement, à la demande des parties ou à l’initiative de la Commission, être renvoyée « aux autorités compétentes » d’un État membre, l’article 22, paragraphe 1, ne fait pas référence à de telles autorités, mais à « [u]n ou [à] plusieurs États membres » qui « peuvent demander » qu’une concentration soit renvoyée à la Commission. En outre, à la différence de l’article 4, paragraphe 4, premier alinéa, et de l’article 9, paragraphe 1, l’article 22, paragraphe 1, ne contient pas la précision « [a]vant la notification », ni ne suppose l’existence d’une « concentration notifiée », mais est rédigé de manière plus ouverte en ce qu’il s’applique à « toute concentration ».
129 Par conséquent, l’article 22 du règlement no 139/2004 ne saurait être interprété à la lumière des mécanismes de renvoi prévus à l’article 4, paragraphe 4, et à l’article 9 dudit règlement. Cela tient notamment au fait qu’il n’exige expressément ni que l’autorité nationale de la concurrence soit compétente pour examiner la concentration faisant l’objet du renvoi, ni que cette concentration soit notifiée.
130 En cinquième lieu, en ce qui concerne l’articulation entre l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 et les autres dispositions dudit article, premièrement, il convient d’observer que l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, dudit règlement prévoit qu’une demande de renvoi « doit être présentée au plus tard dans un délai de quinze jours ouvrables à compter de la date de notification de la concentration ou, si aucune notification n’est requise, de sa communication à l’État membre intéressé ». Cette disposition régit donc, d’une part, les situations dans lesquelles les concentrations sont notifiées à l’autorité de la concurrence nationale compétente et relèvent ainsi du champ d’application du régime de contrôle des concentrations de cet État membre et, d’autre part, ainsi que le soutiennent la Commission et la République française, les situations dans lesquelles les concentrations ne sont pas notifiées, mais simplement communiquées à l’État membre intéressé, soit parce que celles-ci ne relèvent pas du champ d’application dudit régime, soit parce qu’un tel régime n’existe pas. Dès lors, il ne saurait être déduit de cet alinéa que l’article 22 du règlement no 139/2004 ne trouve à s’appliquer aux États membres disposant d’un régime national de contrôle des concentrations que lorsque les concentrations concernées relèvent dudit régime.
131 Deuxièmement, la requérante et Grail ne sauraient tirer argument du fait que l’article 22, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 139/2004 dispose que « [l]a Commission informe sans délai les autorités compétentes des États membres et les entreprises concernées de toute demande [de renvoi] reçue conformément au paragraphe 1 [de cet article] », la référence aux « autorités compétentes » ne visant qu’à assurer que les autorités nationales généralement chargées des affaires de concentration soient informées par la Commission d’une demande de renvoi. Cette information permet à ces autorités de prendre position sur la présentation éventuelle d’une demande de jonction au titre de l’article 22, paragraphe 2, deuxième alinéa, de ce règlement et constitue donc une condition préalable afin que ce droit de jonction puisse effectivement être exercé. En revanche, la référence auxdites autorités ne dit rien sur la portée précise de leurs compétences d’examen, en vertu de la législation nationale applicable, relative à la concentration faisant l’objet de la demande de renvoi que la Commission n’est pas tenue de vérifier (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 1999, Kesko/Commission, T 22/97, EU:T:1999:327, point 84).
132 Troisièmement, l’article 22, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 139/2004 prévoit que « [t]out autre État membre a le droit de se joindre à la demande initiale [de renvoi] », ce qui est en cohérence avec son paragraphe 1 et confirme que tout État membre peut présenter une demande de renvoi ou de jonction au titre de cet article, indépendamment de la portée de sa réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations.
133 Quatrièmement, le fait que, selon l’article 22, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement no 139/2004, « [t]ous les délais nationaux relatifs à la concentration sont suspendus […] » signifie uniquement, contrairement à ce que soutient Grail, que, si un tel délai national est en cours, il est suspendu. Cela est nécessaire pour éviter que le traitement d’une demande de renvoi par la Commission ne perturbe les régimes nationaux de contrôle des concentrations, dont les calendriers d’examen sont souvent très serrés. En revanche, cette disposition n’a pas d’incidence dans le cas où la concentration concernée ne relève pas du champ d’application d’un tel régime national, lorsque ce dernier existe.
134 Cinquièmement, en ce que l’article 22, paragraphe 3, troisième alinéa, du règlement no 139/2004 dispose que « [l]e ou les États membres ayant formulé la demande [de renvoi] n’appliquent plus leur droit national de la concurrence à la concentration concernée », il tend, contrairement à ce que considère la requérante, à assurer que les autorités de la concurrence de ces États membres ne s’expriment plus, à un moment ultérieur, sur le fond de cette concentration, en contredisant les décisions prises par la Commission. Ce risque pourrait notamment exister lorsque lesdites autorités ne partagent pas la conclusion finale de la Commission. Afin d’éviter toute contradiction, cette disposition ne se limite pas aux règles en matière de contrôle des concentrations, mais est rédigée de manière plus large en se référant au droit national de la concurrence dans son ensemble. En revanche, il découle de ladite disposition que les États membres qui n’ont pas effectué une demande de renvoi peuvent continuer à appliquer leur droit national de la concurrence à la concentration concernée. Dès lors, eu égard à sa rédaction et à ses objectifs, il ne saurait en être déduit que l’article 22, paragraphe 3, troisième alinéa, du règlement no 139/2004 exige que la concentration faisant l’objet du renvoi relève du champ d’application d’une réglementation de contrôle nationale.
135 Sixièmement, l’article 22, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement no 139/2004 dispose que les règles prévues à l’article 2, à l’article 4, paragraphes 2 et 3, ainsi qu’aux articles 5, 6 et 8 à 21 dudit règlement sont applicables lorsque la Commission examine une concentration qui lui a été renvoyée par un État membre.
136 En ce qui concerne l’obligation de suspension de l’article 7 du règlement no 139/2004, elle est, en vertu de l’article 22, paragraphe 4, premier alinéa, seconde phrase, de ce règlement, « applicable pour autant que la concentration n’ait pas été réalisée à la date à laquelle la Commission informe les entreprises concernées qu’une demande a été déposée ». Cette disposition tient donc compte du fait que, avant le dépôt de la demande de renvoi, une concentration n’ayant pas de dimension européenne n’entre pas dans le champ d’application du règlement no 139/2004 et que, par conséquent, ladite obligation de suspension ne fait pas obstacle à sa réalisation. Toutefois, pour que cette concentration puisse être réalisée dans l’Union, il faut également que sa suspension ne soit pas requise par une réglementation nationale relative au contrôle des concentrations d’un État membre. Il s’ensuit que l’article 22, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement no 139/2004 couvre tant les situations dans lesquelles la concentration faisant l’objet de la demande de renvoi ne relève, comme en l’espèce, du champ d’application d’aucune réglementation nationale que celles dans lesquelles une telle réglementation est applicable mais ne prévoit pas sa suspension.
137 Septièmement, conformément à l’article 22, paragraphe 5, du règlement no 139/2004, « [l]a Commission peut informer un ou plusieurs États membres qu’elle considère qu’une concentration répond aux critères énoncés au paragraphe 1 [de cet article] ». Cette formulation ne se référant qu’à ces critères, elle n’exige pas que ladite concentration entre dans le champ d’application d’une réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations.
138 Huitièmement, quant aux autres dispositions de l’article 22 du règlement no 139/2004, il convient de constater qu’elles ne contiennent aucun élément pertinent pouvant contribuer à éclairer davantage le contenu de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, dudit règlement.
139 Partant, il résulte de l’interprétation contextuelle qu’une demande de renvoi au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004 peut être présentée indépendamment de la portée d’une réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations.
– Sur l’interprétation téléologique
140 En premier lieu, il ressort des considérants 5, 6, 8, 24 et 25 du règlement no 139/2004 que l’objectif de ce règlement est de permettre un contrôle effectif de toutes les concentrations ayant des effets significatifs sur la structure de concurrence dans l’Union. En vertu du principe de « guichet unique », ces concentrations sont exclusivement examinées au niveau de l’Union.
141 Ainsi qu’il a été constaté dans le cadre de l’interprétation contextuelle (voir point 123 ci-dessus), conformément à ses considérants 9 à 11, ledit règlement vise à faire dépendre la compétence d’examen de la Commission principalement du dépassement des seuils des chiffres d’affaires définissant la dimension européenne, tout en complétant ces seuils par des règles régissant le renvoi des concentrations qui doivent constituer des « mécanisme[s] correcteur[s] efficace[s] ».
142 Dans cette optique, les mécanismes de renvoi sont un instrument visant à remédier aux lacunes dans le contrôle inhérent à un régime fondé principalement sur des seuils de chiffres d’affaires, qui, en raison de son caractère rigide, n’est pas susceptible de couvrir toutes les opérations de concentration méritant un examen au niveau européen (voir également points 102, 113 et 114 ci-dessus). Ces mécanismes créent donc, comme le souligne l’expression « mécanisme correcteur » employée au considérant 11 du règlement no 139/2004, une compétence subsidiaire de la Commission lui conférant la flexibilité nécessaire pour atteindre l’objectif de ce règlement consistant à permettre un contrôle des concentrations susceptibles d’entraver de manière significative une concurrence effective dans le marché intérieur.
143 L’article 22 du règlement no 139/2004 assure cet objectif en ce qu’il apporte la flexibilité nécessaire pour faire examiner, au niveau de l’Union, des opérations de concentration susceptibles d’entraver de manière significative une concurrence effective dans le marché intérieur qui, autrement, échapperaient, en raison de l’absence de dépassement des seuils de chiffres d’affaires, à un contrôle en vertu des régimes de contrôle des concentrations tant de l’Union que des États membres.
144 En outre, dans la mesure où, dans un cas, comme celui de l’espèce, de non-dépassement des seuils de chiffres d’affaires sur les plans européen et national, c’est uniquement la Commission qui, à la demande d’un ou de plusieurs États membres, devient compétente pour examiner cette opération de concentration, l’article 22 du règlement no 139/2004 s’intègre également dans les objectifs de protection des intérêts des États membres, de subsidiarité, de sécurité juridique, d’éviter les notifications multiples, de « guichet unique » et de saisine de l’autorité la plus appropriée, tels qu’énoncés aux considérants 11, 12 et 14 de ce règlement.
145 En second lieu, les considérants 15 et 16 du règlement no 139/2004 rappellent, en substance, les conditions d’application matérielles devant être réunies pour que, d’une part, la Commission soit autorisée à renvoyer une concentration à un État membre, en vertu de l’article 4, paragraphe 4, ou de l’article 9 de ce règlement, et que, d’autre part, inversement, une concentration puisse être renvoyée d’un État membre à la Commission, au titre de l’article 4, paragraphe 5, ou de l’article 22 dudit règlement. Ainsi, ils mettent en exergue les différences entre l’article 22 du règlement no 139/2004, d’une part, et l’article 4, paragraphes 4 et 5, ou l’article 9 dudit règlement, d’autre part, telles qu’exposées aux points 125 à 129 ci-dessus.
146 Plus précisément, tandis que le considérant 16 du règlement no 139/2004, qui concerne le renvoi d’une concentration à la Commission avant sa notification, prévu à l’article 4, paragraphe 5, dudit règlement, exige explicitement que cette concentration soit « susceptible d’être examinée en vertu du droit national de la concurrence d’au moins trois États membres », le considérant 15 dudit règlement, qui concerne toutes les autres formes de renvoi d’une concentration à la Commission, y compris celui visé par l’article 22 de ce règlement, ne contient pas une telle exigence. En effet, ce dernier considérant souligne qu’un « État membre devrait pouvoir renvoyer à la Commission une concentration qui n’a pas de dimension [européenne] mais qui a des effets sur les échanges entre États membres et menace d’affecter de manière significative la concurrence sur son territoire ». En outre, il relève que « [l]a Commission devrait avoir le pouvoir d’examiner et de traiter une opération de concentration au nom d’un ou plusieurs États membres requérants ».
147 Dès lors, les considérants 15 et 16 du règlement no 139/2004 corroborent le constat exposé aux points 126 et 129 ci-dessus selon lequel les conditions d’application de l’article 22 de ce règlement se distinguent fondamentalement de celles des autres mécanismes de renvoi.
148 Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que l’interprétation téléologique confirme qu’une demande de renvoi au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004 peut être présentée indépendamment de la portée d’une réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations.
149 Cette conclusion ne saurait être remise en question par la référence selon laquelle « [l]es autres États membres également compétents pour examiner la concentration devraient pouvoir se joindre à la demande », telle qu’employée au considérant 15 du règlement no 139/2004 et invoquée par la requérante et Grail pour soutenir leur position.
150 En effet, cette référence se limite à rappeler que d’autres États membres peuvent se joindre à une demande de renvoi, conformément à la possibilité nouvellement introduite par l’article 22, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 139/2004, qui complète la possibilité de présenter des demandes de renvoi conjointes telle qu’introduite par le règlement no 1310/97 pour éviter un examen parallèle de la même concentration par plusieurs États membres (voir point 101 ci-dessus). Dans ce contexte, eu égard au fait que le règlement no 139/2004 vise également à éviter un tel examen parallèle (voir considérants 12 et 14 de ce règlement), ladite référence décrit l’hypothèse où la concentration concernée relève du champ d’application de plusieurs régimes nationaux de contrôle des concentrations. Cette lecture est confirmée par la partie restante du considérant 15 dudit règlement qui fait référence à la suspension des délais nationaux, ce qui présuppose, ainsi que le soutient la Commission, l’applicabilité des règles d’un tel régime national. Dès lors, à l’instar de l’autorité de surveillance AELE, il convient de conclure que ce considérant doit être compris comme décrivant l’un des scénarios couverts par le champ d’application de l’article 22, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 139/2004, à savoir celui à l’origine de l’introduction de la possibilité de se joindre à une demande de renvoi.
151 En revanche, si le considérant 15 du règlement no 139/2004 devait être interprété, contrairement au libellé univoque de l’article 22, paragraphe 2, deuxième alinéa, de ce règlement (voir point 132 ci-dessus), comme exigeant que l’État membre soit compétent en vertu de sa législation nationale, un État membre ne disposant pas d’une réglementation sur le contrôle des concentrations, tel que le Grand-Duché de Luxembourg, ne pourrait jamais se joindre à une demande de renvoi, ou si, comme semble le préconiser la requérante, cette interprétation était étendue à l’article 22, paragraphe 1, dudit règlement, cet État ne pourrait jamais présenter une demande de renvoi. Or, un tel résultat, contraire à la genèse de cet article (voir point 97 ci-dessus), n’est pas même revendiqué par la requérante et par Grail.
– Sur les autres arguments de la requérante et de Grail
152 Les autres arguments de la requérante et de Grail ne sauraient remettre en cause les considérations qui précèdent.
153 En premier lieu, quant à l’affirmation de la requérante selon laquelle un État membre ayant défini les conditions dans lesquelles il contrôle des concentrations sans dimension européenne aurait « exercé sa compétence » de sorte que la possibilité de renvoyer des concentrations à la Commission ne lui serait plus ouverte, il convient de rappeler que, ainsi qu’il est indiqué à la dernière phrase du considérant 8 du règlement no 139/2004 et comme il ressort de l’article 21 de ce règlement, toutes les concentrations non couvertes par ledit règlement relèvent, en principe, de la compétence des États membres. Il s’ensuit que, conformément au principe d’attribution de compétences visé à l’article 4, paragraphe 1, TUE, lu en combinaison avec l’article 5 TUE, une concentration qui, en l’absence de dépassement des seuils de chiffres d’affaires prévus à l’article 1er du règlement no 139/2004, n’entre pas dans le champ d’application de ce règlement relève, par défaut, de la compétence des États membres. Dès lors, ces derniers sont, du point de vue du droit de l’Union, toujours compétents pour la présentation d’une demande de renvoi au titre de l’article 22 dudit règlement.
154 Dans ce contexte, il importe de préciser que le droit national ne peut s’appliquer qu’aux concentrations relevant, en principe, de la compétence des États membres. Certes, lorsqu’une telle concentration n’entre pas, notamment, en l’absence de dépassement des seuils de chiffres d’affaires nécessaires, dans le champ d’application de la réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations, les autorités nationales de la concurrence ne disposent pas de la compétence pour l’examiner. Or, ce résultat ne signifie pas pour autant que l’État membre aurait perdu ou se serait défait de sa compétence générale pour toutes les concentrations sans dimension européenne, qui lui appartient par défaut, en vertu du principe d’attribution de compétences, mais uniquement que, selon son droit interne, ses autorités ne sont pas compétentes pour agir à l’égard de cette concentration sur le plan national. Ce dernier aspect concerne l’exercice ou la répartition des compétences internes de sorte que la compétence de l’État membre pour formuler une demande de renvoi, au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004, ne saurait en dépendre.
155 Dans la mesure où cet article se réfère expressément aux « États membres », il leur confère directement le droit de demander, dans les conditions qui y sont énumérées, le renvoi d’une concentration à la Commission. Or, la thèse de la requérante selon laquelle un État membre peut perdre un droit qui lui a été conféré par le droit de l’Union en exerçant sa législation nationale, est non seulement difficilement compatible avec les exigences de l’article 4, paragraphe 1, TUE, lu en combinaison avec l’article 5 TUE (voir point 153 ci-dessus), mais ne trouve également aucun fondement dans la jurisprudence des juridictions de l’Union. En outre, elle s’oppose à l’application uniforme de l’article 22 du règlement no 139/2004 dès lors qu’elle désavantage les États membres qui ont mis en place un régime de contrôle des concentrations par rapport à ceux qui n’en disposent pas, en ce que ces derniers seraient en droit de demander le renvoi de toute concentration tandis que les premiers ne pourraient faire une telle demande que pour les concentrations relevant du champ d’application dudit régime.
156 L’absence de pertinence de la législation nationale pour l’application de l’article 22 du règlement no 139/2004 est confirmée par l’arrêt du 15 décembre 1999, Kesko/Commission (T 22/97, EU:T:1999:327). En effet, au point 84 de cet arrêt, le Tribunal a jugé que, lorsque la Commission est saisie d’une demande de renvoi au titre de l’article 22, paragraphe 3, du règlement no 4064/89, il lui appartient uniquement de vérifier si cette demande est, à première vue, celle d’un État membre, et non de statuer sur la compétence, au regard du droit national applicable, de l’autorité nationale ayant présenté ladite demande au nom et pour le compte de cet État.
157 En deuxième lieu, s’agissant de la prétendue violation du principe de subsidiarité énoncé à l’article 5, paragraphes 1 et 3, TUE et mis en œuvre par le protocole (no 2) sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité (JO 2016, C 202, p. 206 ), il convient de rappeler que, en vertu de ce principe, l’Union intervient, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu’au niveau régional et local, mais peuvent l’être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, au niveau de l’Union.
158 Ainsi, ledit principe est composé, d’une part, d’un critère négatif, selon lequel les objectifs envisagés ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres, et, d’autre part, d’un critère positif, selon lequel ces objectifs peuvent, en raison de leurs dimensions ou de leurs effets, être mieux réalisés au niveau de l’Union. Ces deux composantes du principe de subsidiarité se rapportent en définitive, sous deux angles différents, à la seule et unique question de savoir s’il y a lieu d’agir à l’échelon de l’Union ou à celui des États membres pour réaliser lesdits objectifs (conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Pillbox 38, C 477/14, EU:C:2015:854, point 165).
159 Le respect du principe de subsidiarité est contrôlé par le juge de l’Union (arrêt du 4 mai 2016, Pologne/Parlement et Conseil, C 358/14, EU:C:2016:323, point 113).
160 En l’espèce, le principe de subsidiarité est applicable dès lors que le régime de contrôle des concentrations de l’Union instauré par le règlement no 139/2004 se fonde pour partie sur l’article 308 CE [devenu article 352 TFUE] (voir point 118 ci-dessus), et ne relève donc pas d’un domaine de compétence exclusive de l’Union.
161 La requérante n’excipant pas de l’illégalité du règlement no 139/2004, elle ne conteste pas, ainsi qu’il ressort des considérants 6 et 8 dudit règlement, sa conformité avec ce principe. Le contrôle dudit principe par le Tribunal se limite donc à l’interprétation de l’article 22 du règlement no 139/2004, telle que retenue dans les décisions attaquées, selon laquelle une demande de renvoi au titre de cette disposition peut être présentée indépendamment de la portée d’une réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations.
162 À cet égard, d’une part, il y a lieu de constater que les concentrations qui affectent le commerce entre États membres peuvent être mieux contrôlées au niveau de l’Union. En particulier, en vertu du règlement no 139/2004, la Commission dispose, pour examiner la compatibilité d’une opération de concentration avec le marché intérieur, de critères d’appréciation ainsi que de compétences plus larges qu’une autorité nationale de la concurrence, dont les pouvoirs se limitent au territoire d’un seul État membre.
163 D’autre part, l’interprétation de l’article 22 du règlement no 139/2004, telle que retenue dans les décisions attaquées, permet à un État membre de faire examiner par la Commission une concentration qui, comme en l’espèce, ni ne relève du champ d’application de sa réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations, ni ne présente une dimension européenne au sens de l’article 1er dudit règlement, lorsqu’elle menace d’affecter de manière significative la concurrence sur son territoire et affecte le commerce entre États membres. Cette interprétation assure donc qu’une concentration qui ne ferait, malgré ces effets négatifs importants, l’objet d’aucun examen, ni par les autorités nationales ni par la Commission, puisse être examinée par cette dernière. Il s’agit ainsi d’une action qui ne peut pas être réalisée par les États membres. Au contraire, dans cette situation, il est indispensable d’agir au niveau de l’Union.
164 En outre, comme le soutiennent la Commission et la République française, le respect des intérêts des États membres est également assuré par le fait que, dans le cadre de l’application de l’article 22 du règlement no 139/2004, la Commission ne peut examiner une concentration que sur demande de renvoi d’un État membre. Ces intérêts se voient d’autant plus protégés par la portée territoriale limitée de l’examen de la concentration prévue par l’article 22, paragraphe 3, troisième alinéa, dudit règlement. En effet, selon cette disposition, seul l’État membre ayant formulé une telle demande de son propre gré ne peut plus appliquer son droit national de la concurrence à la concentration concernée (voir point 134 ci-dessus).
165 Dès lors, l’interprétation de l’article 22 du règlement no 139/2004, telle que retenue dans les décisions attaquées, selon laquelle une demande de renvoi au titre de cette disposition peut être présentée indépendamment de la portée d’une réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations respecte le principe de subsidiarité. En particulier, elle assure, comme il est indiqué au considérant 11 du règlement no 139/2004, que cet article constitue un mécanisme correcteur efficace à la lumière de ce principe en protégeant les intérêts des États membres. En outre, cette interprétation garantit, conformément au considérant 14 dudit règlement, qu’une affaire soit traitée par l’autorité la plus appropriée, à la lumière dudit principe (voir également point 144 ci-dessus).
166 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’affirmation de la requérante selon laquelle le principe de subsidiarité limite l’application de l’article 22 du règlement no 139/2004 pour les États membres ayant institué leur propre régime national de contrôle des concentrations, dès lors que ce principe régit, comme l’indique l’article 5, paragraphe 1, TUE, l’exercice des compétences de l’Union, mais non de celles des États membres. De même, l’arrêt du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a. (C 547/14, EU:C:2016:325, points 216 à 218), tel qu’invoqué par la requérante, est dépourvu de pertinence, étant donné qu’il ne fait que rappeler l’exercice du contrôle du principe de subsidiarité par les parlements nationaux et par le juge de l’Union.
167 En troisième lieu, s’agissant de la prétendue violation du principe de proportionnalité énoncé à l’article 5, paragraphes 1 et 4, TUE, il y a lieu de rappeler que ce principe prévoit que le contenu et la forme de l’action de l’Union ne doivent pas excéder ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités.
168 En particulier, il exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir, en ce sens, arrêts du 11 janvier 2017, Espagne/Conseil, C 128/15, EU:C:2017:3, point 71 ; du 9 décembre 2020, Groupe Canal +/Commission, C 132/19 P, EU:C:2020:1007, point 104 , et du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T 325/16, EU:T:2018:368, point 113).
169 En l’espèce, la requérante n’excipant pas de l’illégalité du règlement no 139/2004 au regard du principe de proportionnalité, le contrôle dudit principe par le Tribunal se limite à l’interprétation de l’article 22 du règlement no 139/2004, telle que retenue dans les décisions attaquées, selon laquelle une demande de renvoi au titre de cette disposition peut être présentée indépendamment de la portée d’une réglementation nationale relative au contrôle des concentrations.
170 En ce qui concerne le prétendu nombre élevé de concentrations ne présentant pas une dimension européenne et ne relevant pas d’un système national de contrôle qui seraient affectées par cette interprétation, il suffit de relever qu’il s’agit d’un argument non étayé qui ne démontre pas que ladite interprétation est disproportionnée eu égard à l’objectif d’examiner les concentrations susceptibles d’entraver de manière significative une concurrence effective dans le marché intérieur. De même, ne saurait prospérer l’affirmation selon laquelle cette même interprétation implique une procédure lourde pour les entreprises en ce qu’elle leur impose une notification « informelle », dès lors qu’une telle notification n’est ni prévue par l’article 22 du règlement no 139/2004 ni exigée par cette interprétation.
171 Par ailleurs, l’interprétation retenue dans les décisions attaquées, selon laquelle une demande de renvoi au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004 peut être présentée indépendamment de la portée d’une réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations, ne permet à la Commission d’examiner une concentration au titre de cet article que dans certains cas spécifiques et dans des conditions bien précises, à savoir si les quatre conditions cumulatives prévues par l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, dudit règlement (voir point 89 ci-dessus) sont réunies. Compte tenu de ces conditions d’application claires et précises qui restreignent sensiblement la marge de manœuvre de la Commission, cette même interprétation n’est pas inappropriée pour réaliser l’objectif d’examiner les concentrations susceptibles d’entraver de manière significative une concurrence effective dans le marché intérieur.
172 Dès lors, l’interprétation de l’article 22 du règlement no 139/2004 retenue dans les décisions attaquées respecte le principe de proportionnalité et, comme le législateur de l’Union l’a considéré au considérant 6 de ce règlement, n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de faire en sorte que la concurrence ne soit pas faussée dans le marché intérieur.
173 En quatrième lieu, s’agissant de la prétendue violation du principe de sécurité juridique, il convient de relever que ce principe, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige, d’une part, que les règles de droit soient claires et précises et, d’autre part, que leur application soit prévisible pour les justiciables. En particulier, ledit principe exige qu’une réglementation permette aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose et que ces derniers puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et leurs obligations et prendre leurs dispositions en conséquence (voir arrêt du 1er juillet 2014, Ålands Vindkraft, C 573/12, EU:C:2014:2037, points 127 et 128 et jurisprudence citée).
174 En l’espèce, l’interprétation préconisée par la requérante et par Grail, qui conditionne l’application de l’article 22 du règlement no 139/2004 aux exigences d’un régime national de contrôle des concentrations tout en prévoyant une sorte d’exception pour les États membres qui ne disposent pas d’un tel régime, entraînerait une incertitude quant aux concentrations qui entrent dans le champ d’application de ladite disposition.
175 En particulier, d’une part, cette interprétation entraînerait une insécurité juridique liée aux critères et aux concepts différents déterminant le champ d’application de la réglementation sur le contrôle des concentrations existant dans les États membres. L’application de l’article 22 du règlement no 139/2004 dépendrait donc d’éléments qui, en raison de leur caractère imprévisible, ont été rejetés par la Commission dans sa proposition de 2003 (voir point 108 ci-dessus). En outre, ladite interprétation irait à l’encontre de la jurisprudence selon laquelle il ne revient pas à la Commission de se prononcer sur la compétence des autorités nationales de la concurrence pour effectuer des demandes de renvoi (arrêt du 15 décembre 1999, Kesko/Commission, T 22/97, EU:T:1999:327, point 84). D’autre part, cette même interprétation ne serait pas apte à offrir une plus grande prévisibilité, dès lors qu’un État membre ne disposant pas d’une réglementation en matière de contrôle des concentrations pourrait toujours demander le renvoi d’une affaire de concentration à la Commission au titre de cet article. Plus précisément, la requérante et Grail n’expliquent pas en quoi le principe de sécurité juridique aurait bénéficié d’une meilleure garantie si, en l’espèce, le Grand-Duché du Luxembourg, qui ne dispose pas d’une telle réglementation, avait présenté la demande de renvoi qui fait l’objet de la décision attaquée au lieu de la République française.
176 En revanche, l’interprétation retenue dans les décisions attaquées, selon laquelle une demande de renvoi au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004 peut être présentée indépendamment de la portée d’une réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations, fait dépendre l’application de cet article uniquement de la réunion des quatre conditions cumulatives prévues audit article 22, paragraphe 1, premier alinéa, telles que rappelées au point 89 ci-dessus. Ces conditions garantissent que l’application de cette disposition s’effectue, ainsi que le soutient la Commission, de manière uniforme dans l’Union.
177 Certes, l’application du mécanisme de renvoi prévu à l’article 4, paragraphe 5, du règlement no 139/2004 dépend, quant à lui, du droit national de la concurrence des États membres (voir point 126 ci-dessus). Toutefois, cela s’explique par l’objectif d’éviter l’examen parallèle de la même concentration par plusieurs autorités nationales (voir également point 126 ci-dessus), qui justifie, comme l’admet la requérante elle-même, une « référence aux organismes compétents auprès desquels les notifications devraient autrement être effectuées ». Or, dans la mesure où l’article 22 dudit règlement poursuit aussi d’autres objectifs, notamment celui de permettre, en tant que « mécanisme correcteur », un contrôle effectif de toutes les concentrations susceptibles d’entraver de manière significative une concurrence effective dans le marché intérieur et échappant, en raison de l’absence de dépassement des seuils de chiffres d’affaires, aux réglementations en matière de contrôle des concentrations de l’Union et des États membres (voir notamment points 102, 113, 114 et 142 ci-dessus), il nécessite des conditions d’application claires et précises qui se fondent sur le droit de l’Union.
178 Partant, c’est uniquement l’interprétation retenue dans les décisions attaquées qui assure la sécurité juridique nécessaire et l’application uniforme de l’article 22 du règlement no 139/2004 dans l’Union.
179 Cette appréciation n’est pas remise en cause par les autres arguments de la requérante.
180 D’une part, en ce que la requérante fait référence au constat de la Cour, dans l’arrêt du 18 décembre 2007, Cementbouw Handel & Industrie/Commission (C 202/06 P, EU:C:2007:814, point 38), quant à la nécessité d’identifier, de manière prévisible, l’autorité compétente pour examiner une opération de concentration, il convient de relever que l’interprétation retenue dans les décisions attaquées ne modifie pas la répartition claire des compétences entre les autorités nationales et l’Union fondée sur les seuils des chiffres d’affaires prévus à l’article 1er du règlement no 139/2004. Plus précisément, en l’absence de dépassement de ces seuils, ce sont uniquement les autorités des États membres qui sont compétentes pour examiner la concentration concernée ou pour procéder à une demande de renvoi au titre de l’article 22 de ce règlement (voir point 153 ci-dessus). Les parties à une telle concentration ne sont donc pas tenues de notifier cette concentration à la Commission ni d’évaluer si les conditions prévues à l’article 22, paragraphe 1, dudit règlement sont réunies. En outre, elles ne risquent pas de se voir imposer des sanctions en cas de non-transmission active d’une « communication » au sens de l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, de ce même règlement. Dès lors, l’autorité compétente peut être identifiée de manière prévisible.
181 D’autre part, quant à l’argument selon lequel la Commission aurait la possibilité, conformément au point 21 des orientations concernant l’article 22, d’examiner une concentration longtemps après sa réalisation, il y a lieu de rappeler que l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004 dispose qu’une demande de renvoi au titre de cet article doit « être présentée au plus tard dans un délai de quinze jours ouvrables à compter de la date de notification de la concentration ou, si aucune notification n’est requise, de sa communication à l’État membre intéressé ». Comme il ressort du point 130 ci-dessus, ces délais s’appliquent également dans les cas où les seuils d’un régime de contrôle national des concentrations ne sont pas atteints à partir du moment où la concentration est communiquée à l’État membre. Dès lors, la demande de renvoi au titre de l’article 22 dudit règlement étant encadrée par des délais précis, le respect du principe de sécurité juridique est assuré. Il en va de même pour l’impératif de rapidité qui prévaut dans le cadre du contrôle des concentrations, tel qu’invoqué par la requérante en faisant référence à l’arrêt du 14 juillet 2006, Endesa/Commission (T 417/05, EU:T:2006:219, point 209), et la protection de la validité des transactions, rappelée par la dernière phrase du considérant 34 du règlement no 139/2004, sur laquelle la requérante s’appuie également dans son argumentation.
182 En cinquième lieu, s’agissant du caractère exceptionnel des renvois au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004, tel qu’invoqué par la requérante, il est préservé par l’interprétation retenue dans les décisions attaquées, en ce que la compétence d’examen de la Commission continue de dépendre principalement du dépassement des seuils des chiffres d’affaires définis à l’article 1er dudit règlement et que le mécanisme de renvoi au titre de son article 22 ne constitue qu’une compétence subsidiaire permettant, dans certains cas spécifiques et dans des conditions bien précises (voir notamment les quatre conditions d’application cumulatives exposées au point 89 ci-dessus), qu’une concentration échappant à ces seuils malgré ses effets transfrontaliers puisse également être examinée par la Commission à la demande d’un ou de plusieurs États membres, ce qui tient compte de la fonction de cet article 22 en tant que « mécanisme correcteur ». Il en va de même pour l’application, par analogie, de l’arrêt du 3 avril 2003, Royal Philips Electronics/Commission (T 119/02, EU:T:2003:101, point 354), telle qu’invoquée par la requérante, qui exige que les conditions de renvoi, prévues par l’article 9 du règlement no 139/2004, soient interprétées restrictivement. Par ailleurs, eu égard aux quatre conditions d’application cumulatives exposées au point 89 ci-dessus, il semble, ainsi que le soutient la République française, que le nombre d’opérations susceptibles d’entrer dans le champ d’application de l’article 22 dudit règlement reste limité.
183 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, notamment compte tenu des interprétations littérale, historique, contextuelle et téléologique de l’article 22 du règlement no 139/2004, il convient de conclure que les États membres peuvent, dans les conditions qui y sont énoncées, présenter une demande de renvoi au titre de cette disposition indépendamment de la portée de leur réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations.
184 Partant, c’est à bon droit que la Commission a, par les décisions attaquées, accepté la demande de renvoi et les demandes de jonction au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004. Contrairement à ce qu’estiment la requérante et Grail, ni une modification législative ni une révision des seuils de dimension européenne n’étaient donc nécessaires pour l’application de cette disposition en l’espèce.
185 Par conséquent, le premier moyen doit être rejeté.
Sur le deuxième moyen, tiré du caractère tardif de la demande de renvoi et, à titre subsidiaire, de la violation des principes de sécurité juridique et de « bonne administration »
– Sur la première branche, tirée du caractère tardif de la demande de renvoi
186 La requérante, soutenue par Grail, considère que la demande de renvoi a été présentée après l’écoulement du délai fixé par l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004. La Commission aurait commis une erreur de droit en constatant que, pour considérer qu’il y a eu communication au sens de cette disposition, l’État membre devrait se voir communiquer non seulement l’existence de la concentration, mais également les informations permettant une analyse concurrentielle préliminaire de l’opération. L’interprétation de la Commission aurait pour effet qu’une concentration devrait être notifiée de facto dans tous les États membres même si elle n’est pas soumise à une obligation de notification. La requérante et Grail rappellent que la concentration en cause faisait l’objet du communiqué de presse du 21 septembre 2020, des examens préliminaires de la CMA en novembre et décembre 2020 et de la « seconde demande » de la Federal Trade Commission (agence fédérale de la concurrence des États-Unis, ci-après la « FTC ») du 9 novembre 2020. En outre, lors d’une conférence le 23 mars 2021, un responsable de l’ACF aurait déclaré que l’ACF surveillait le marché à la recherche de concentrations éligibles pour l’application de l’article 22 du règlement no 139/2004. Compte tenu de ces éléments, la requérante estime que l’ACF a probablement eu connaissance de ladite concentration avant de recevoir la lettre d’invitation. Étant donné que cette lettre, la demande de renvoi et la lettre d’information se fondent sur des informations qui étaient connues du public dès le 21 septembre 2020, l’ACF ou toute autre autorité d’un État membre auraient pu procéder à une analyse préliminaire de la concentration en cause à cette date et, en tout état de cause, avant le 19 février 2021. Grail ajoute que la Commission a reconnu avoir, avant l’envoi de la lettre d’invitation, engagé un dialogue avec les autorités nationales afin de déterminer si l’une d’elles était compétente pour son appréciation.
187 La Commission et la République française rétorquent, en substance, qu’une « communication » au sens de l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 implique que l’État membre intéressé se voie adresser des informations spécifiques lui permettant l’évaluation préliminaire des conditions de fond de cette disposition. Elles estiment que la simple annonce publique de la concentration en cause par le communiqué de presse invoqué ne pouvait pas déclencher le délai prévu à ladite disposition et, en tout état de cause, était insuffisante pour permettre une telle évaluation préliminaire. S’il en était autrement, l’efficacité des règles régissant le renvoi des concentrations serait entravée. Les entreprises concernées auraient dû être conscientes du fait que cette concentration pouvait soulever des problèmes de concurrence et auraient, afin d’obtenir des éclaircissements sur un éventuel renvoi, pu communiquer aux autorités compétentes des États membres et à la Commission les informations qu’elles devaient fournir à la FTC et au Department of Justice (ministère de la Justice, États-Unis). La Commission soutient que la CMA s’est trouvée dans une situation différente de celle de l’ACF, dès lors qu’elle a été, d’une part, contactée par le plaignant et, d’autre part, déjà bien informée des activités de la requérante. En outre, son examen ne serait pas non plus intervenu dans un délai de quinze jours ouvrables à compter de l’annonce de la concentration en cause le 21 septembre 2020.
188 Dans le cadre de la première branche du deuxième moyen, le Tribunal est appelé à interpréter l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004, notamment l’expression « communication à l’État membre intéressé », ladite communication constituant, en vertu de cette disposition, le point de départ du délai de quinze jours ouvrables pour présenter une demande de renvoi lorsqu’aucune notification de la concentration n’est requise.
189 À cette fin, conformément à la jurisprudence citée au point 88 ci-dessus, il y a lieu de procéder à une interprétation littérale, contextuelle, téléologique et historique de l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004. Dans ce contexte, il y a lieu de tenir compte du fait que les textes de droit de l’Union sont rédigés en plusieurs langues et que toutes les versions linguistiques font foi, ce qui peut nécessiter une comparaison de ces versions (voir, en ce sens, arrêts du 26 janvier 2021, Hessischer Rundfunk, C 422/19 et C 423/19, EU:C:2021:63, point 65, et du 14 juillet 2016, Lettonie/Commission, T 661/14, EU:T:2016:412, point 39 et jurisprudence citée).
190 En premier lieu, s’agissant de l’interprétation littérale, il convient de rappeler que, selon l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004, « [u]ne [demande de renvoi] doit être présentée au plus tard dans un délai de quinze jours ouvrables à compter de la date de notification de la concentration ou, si aucune notification n’est requise, de sa communication à l’État membre intéressé ».
191 Ainsi, l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004 fait dépendre le début du délai de quinze jours ouvrables de deux conditions alternatives, à savoir, d’une part, de la date de notification de la concentration faisant l’objet de la demande de renvoi ou, d’autre part, si une telle notification n’est pas requise, de la « communication » de cette concentration à l’État membre intéressé.
192 En ce qui concerne cette seconde condition alternative, il convient de constater que le terme « communication » ne donne d’indication ni sur la question de savoir si la communication doit résulter d’une transmission active d’informations ou d’une connaissance passive de la concentration, ni sur la teneur des informations qui doivent être en possession de l’État membre pour que la communication soit considérée comme établie. Sur le premier de ces aspects, il y a lieu de relever que les différentes versions linguistiques ne coïncident pas. Alors qu’il ressort notamment des termes utilisés dans les versions allemande, anglaise, croate, espagnole, française, hongroise, italienne, néerlandaise et portugaise de l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004 que la « communication » doit consister en une « action », notamment en une « transmission », la version bulgare de cette disposition laisse à penser qu’une quelconque connaissance de la concentration concernée est suffisante.
193 Cette divergence entre les différentes versions linguistiques implique que l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004 doit être interprété en fonction du contexte et de la finalité de la réglementation dont il constitue un élément (voir, en ce sens, arrêts du 28 avril 2016, Borealis Polyolefine e.a., C 191/14, C 192/14, C 295/14, C 389/14 et C 391/14 à C 393/14, EU:C:2016:311, point 90, et du 26 janvier 2021, Hessischer Rundfunk, C 422/19 et C 423/19, EU:C:2021:63, point 65 et jurisprudence citée).
194 S’agissant du second aspect mentionné au point 192 ci-dessus, compte tenu du silence de toutes les versions linguistiques sur l’étendue et le contenu de la « communication » à l’État membre intéressé, ces éléments doivent être déterminés par d’autres méthodes d’interprétation.
195 En deuxième lieu, l’interprétation historique ne permet pas non plus d’éclaircir le libellé de l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004.
196 En effet, premièrement, le verbe « communiquer », tel qu’utilisé dans l’article 22, paragraphe 4, de la version initiale du règlement no 4064/89, correspond au substantif « communication » retenu dans l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004. Deuxièmement, l’expression « porter à la connaissance d’un État membre », telle qu’introduite par le règlement no 1310/97 dans l’article 22, paragraphe 4, du règlement no 4064/89, était, comme il est énoncé aux points 91, 92 et 98 du livre vert de 2001, aussi imprécise et ambiguë que l’expression « communication à l’État membre intéressé ». Troisièmement, malgré l’intention poursuivie par la proposition de 2003 de clarifier les règles de procédure régissant le renvoi au titre de l’article 22 du règlement no 4064/89 (voir point 27 de cette proposition), une telle clarification n’a pas été apportée par le règlement no 139/2004.
197 En outre, en ce qui concerne, d’une part, la communication sur le renvoi et les orientations concernant l’article 22, qui exigent la transmission d’informations suffisantes pour permettre de porter une appréciation préliminaire sur les critères du renvoi (voir note en bas de page no 43 de cette communication et point 18 desdites orientations), et, d’autre part, le livre blanc de 2014, qui exige une simple connaissance de la concentration (voir point 69 dudit livre blanc), il convient de rappeler que ces documents ne sont pas pertinents aux fins d’une interprétation historique dès lors qu’ils ont été adoptés après l’adoption du règlement no 139/2004 (voir point 115 ci-dessus).
198 En troisième lieu, s’agissant de l’interprétation contextuelle, premièrement, le fait que la notification et la « communication » de la concentration constituent des alternatives entraînant, en vertu de l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004, les mêmes conséquences juridiques, à savoir le déclenchement du délai de quinze jours ouvrables (voir point 191 ci-dessus), indique en soi que leur contenu doit être comparable.
199 Deuxièmement, ainsi que l’avance la République française, l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004, en ce qu’il fait, dans son premier membre de phrase, référence à la « demande [de renvoi] », doit être lu à la lumière du premier alinéa de cette disposition, qui énonce les conditions d’une demande de renvoi (voir point 89 ci-dessus). Il convient de déduire du lien entre ces deux alinéas que la « communication » d’une concentration doit, ainsi que le soutient la Commission, permettre à l’État membre intéressé d’effectuer une évaluation préliminaire de ces conditions et d’apprécier l’opportunité de présenter une demande de renvoi. S’il en était autrement, cet État membre pourrait être contraint, par précaution et aux seules fins de respecter le délai de quinze jours ouvrables, de procéder à une demande de renvoi pour des concentrations, quand bien même il ne serait pas certain que lesdites conditions fussent remplies.
200 Troisièmement, les autres mécanismes de renvoi figurant à l’article 4, paragraphes 4 et 5, ainsi qu’à l’article 9 du règlement no 139/2004 prévoient, à l’instar de l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, de ce règlement, que les États membres concernés disposent d’un délai de quinze jours ouvrables pour prendre position sur le renvoi. Le déclenchement de ce délai dépend de la transmission soit d’une copie de la notification, soit d’un mémoire motivé, qui doit, conformément à l’article 6, paragraphe 1, du règlement (CE) no 802/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 133, p. 1), tel que modifié par le règlement d’exécution (UE) no 1269/2013 de la Commission, du 5 décembre 2013 (JO 2013, L 336, p. 1), contenir un minimum d’informations équivalentes pour permettre à cet État membre d’évaluer si les conditions de renvoi sont remplies. Même si les conditions d’application de l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 se distinguent de celles des autres mécanismes de renvoi (voir points 125 à 129 ci-dessus), il apparaît cohérent, dans le cadre d’une interprétation harmonisée de ce règlement, qu’il soit considéré que le terme « communication », tel qu’employé à l’article 22, paragraphe 1, second alinéa dudit règlement, implique la transmission active d’informations permettant l’évaluation de ces conditions d’application.
201 Quatrièmement, l’article 22, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 139/2004, qui régit les demandes de jonction, prévoit également un délai de quinze jours ouvrables pour présenter de telles demandes. Ce délai commence à courir, selon cette disposition, « à compter de la date à laquelle la Commission [a] informé [les autorités compétentes des États membres] de la demande initiale ». Le point de départ dudit délai dépend donc, lui aussi, de la transmission active d’informations pertinentes.
202 Cinquièmement, les autres règles régissant le régime de contrôle des concentrations de l’Union sont également fondées sur le principe de transmission active d’informations pertinentes. Ainsi, les concentrations présentant une dimension européenne au sens de l’article 1er du règlement no 139/2004 doivent, en vertu de l’article 4 de ce règlement, être notifiées à la Commission avant leur réalisation et le délai d’examen ne court, conformément à l’article 10, paragraphe 1, dudit règlement, qu’« à partir du jour ouvrable suivant la réception de la notification ou, si les renseignements à fournir lors de la notification sont incomplets, à partir du jour ouvrable suivant celui de la réception des renseignements complets ».
203 Or, en invoquant, aux fins du déclenchement du délai prévu à l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004, le moment où la concentration en cause a été rendue publique, notamment par le biais des communiqués de presse et de la couverture médiatique, la requérante se réfère à un élément étranger au régime de contrôle des concentrations de l’Union en général et à ses mécanismes de renvoi en particulier, dans lesquels ni la Commission ni les autorités de la concurrence des États membres ne sont amenées à rechercher activement des informations portant sur des concentrations susceptibles d’être examinées en vertu de ce régime.
204 Dès lors, compte tenu du contexte exposé aux points 198 à 203 ci-dessus, il y a lieu de conclure qu’une « communication » au sens de l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004 doit, en ce qui concerne sa forme, consister en une transmission active d’informations pertinentes à l’État membre intéressé et, quant à son contenu, contenir les informations suffisantes pour permettre à cet État membre d’effectuer une évaluation préliminaire des conditions prévues au premier alinéa de ce paragraphe.
205 En quatrième lieu, cette appréciation est également confirmée par une interprétation téléologique de l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004.
206 En effet, il ressort des considérants 11 et 14 du règlement no 139/2004 que le renvoi des concentrations doit être effectué avec efficacité. Cela exclut, ainsi que le soutiennent la Commission et la République française, une interprétation de l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, dudit règlement en ce sens que les États membres seraient obligés, d’une part, de surveiller en permanence les annonces publiques concernant des concentrations pour identifier celles qui sont susceptibles de faire l’objet d’un renvoi au titre de cet article et, d’autre part, pour respecter le délai de quinze jours ouvrables, de procéder, à titre préventif, à une demande de renvoi de concentrations pour lesquelles il n’est pas certain que les conditions d’application dudit article soient réunies.
207 En outre, seule cette interprétation assure, dans l’intérêt de la sécurité juridique, que le point de départ du délai soit clairement défini et soit le même pour toutes les concentrations susceptibles d’entrer dans le champ d’application dudit article 22 dans l’hypothèse où la notification n’est pas requise. En effet, une communication par une transmission active d’informations suffisantes empêche que le point de départ du délai dépende de circonstances imprévisibles et incertaines, telles que l’ampleur de la couverture médiatique ou le degré de détail des communiqués de presse. Elle garantit aussi, dans ce même intérêt, que, à partir de ce moment, l’État membre intéressé ne dispose que de quinze jours ouvrables pour présenter une demande de renvoi.
208 En cinquième lieu, seule l’interprétation retenue au point 204 ci-dessus est compatible avec le principe de sécurité juridique, qui exige, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence énoncée au point 173 ci-dessus, que, d’une part, les règles de droit soient claires et précises et que, d’autre part, leur application soit prévisible pour les justiciables. En particulier, ce principe exige qu’une réglementation permette aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose et que ceux-ci puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et leurs obligations et prendre leurs dispositions en conséquence.
209 En effet, cette interprétation rend l’application de l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004 prévisible pour les justiciables en ce qu’elle fait dépendre le déclenchement du délai de quinze jours ouvrables d’une transmission active d’informations pertinentes permettant à l’État membre intéressé d’évaluer, de manière préliminaire, si les conditions du premier alinéa de ce paragraphe sont remplies. Ainsi, elle assure que le point de départ de ce délai et les obligations des parties à une concentration soient clairement définis (voir également point 207 ci-dessus). En particulier, ces dernières peuvent, en transmettant lesdites informations, être sûres que ledit délai a été déclenché et que le dépôt d’une demande de renvoi n’est plus possible après son expiration.
210 En revanche, la position de la requérante ne permet pas une telle prévisibilité ou une telle clarté. En effet, d’une part, la requérante semble faire dépendre le déclenchement du délai de quinze jours ouvrables d’informations portant sur la seule existence de la concentration. Or, la simple connaissance de l’existence de la concentration ne permet pas à un État membre d’effectuer une évaluation préliminaire des conditions d’application de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004. Cela aurait pour effet que l’État membre concerné devrait, lorsqu’il ne réussit pas à recueillir suffisamment d’informations pour cette évaluation, procéder à une demande de renvoi par précaution, avec pour seul objectif de respecter ce délai, sans même savoir si lesdites conditions sont réunies (voir également points 199 et 206 ci-dessus). D’autre part, la requérante se réfère au moment où l’État membre aurait pu prendre connaissance de la concentration, ce qui impliquerait, en réalité, comme le soutiennent la Commission et la République française, que les États membres soient obligés, pour ne pas laisser échapper une concentration susceptible d’entrer dans le champ d’application de l’article 22 de ce règlement, de surveiller de manière continue et diligente la presse et les annonces publiques dans le monde entier (voir également point 206 ci-dessus). Dans ce contexte, ils seraient exposés à des communiqués de presse et à une couverture médiatique dont l’ampleur, l’accessibilité, la langue, le degré de détail ou d’autres caractéristiques peuvent varier significativement (voir également point 207 ci-dessus). Dès lors, l’interprétation défendue par la requérante est trop ambiguë pour permettre aux justiciables de connaître clairement leurs droits et leurs obligations. En outre, cette interprétation priverait, par sa charge administrative considérable et par son manque d’efficacité, le mécanisme de renvoi, visé à l’article 22 dudit règlement, de son effet utile.
211 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, et eu égard, notamment, au contexte et à la finalité du règlement no 139/2004 ainsi qu’au principe de sécurité juridique, la notion de « communication à l’État membre intéressé », telle que figurant à l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, de ce règlement, doit être interprétée en ce sens qu’elle exige une transmission active d’informations pertinentes à cet État membre lui permettant d’évaluer, de manière préliminaire, si les conditions pour une demande de renvoi au titre de cet article sont réunies. Par conséquent, selon cette interprétation, le délai de quinze jours ouvrables prévu dans ladite disposition commence à courir, lorsque la notification de la concentration n’est pas requise, à compter du moment où ces informations ont été transmises.
212 En l’espèce, il est constant que les entreprises concernées n’ont jamais activement transmis de quelconques informations concernant la concentration en cause à l’ACF ou aux autorités de la concurrence des États membres ayant formulé les demandes de jonction. La requérante et Grail n’ont pas démontré que ces autorités ont obtenu, avant la réception de la lettre d’invitation, d’informations pertinentes leur permettant une évaluation préliminaire des conditions d’application de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004, par d’autres sources ou moyens, mais se sont limitées à supposer que l’ACF avait « probablement eu connaissance » de la concentration en cause avant ce moment. Or, il ressort du point 25 de la décision attaquée que l’ACF a confirmé à la Commission, dans son courriel du 29 mars 2021, que tel n’était pas le cas. La République française a également souligné, dans ses observations du 6 décembre 2021 sur la demande de mesures d’organisation de la procédure de la requérante, que l’ACF n’avait eu connaissance de cette concentration que le 19 février 2021, date à laquelle la Commission a envoyé la lettre d’invitation et a présenté ladite concentration aux autorités nationales de concurrence dans le cadre du groupe de travail sur les concentrations du réseau européen de la concurrence (voir point 12 ci-dessus). Quant aux autorités des autres États membres, il ressort de la réponse de la Commission à une question écrite du Tribunal que, avant cette date, elle n’avait eu des échanges qu’avec les autorités de la concurrence allemande, autrichienne, slovène et suédoise, afin de déterminer si elles étaient compétentes pour examiner la concentration en cause (voir également point 11 ci-dessus). Or, ces échanges sont dépourvus de pertinence pour la solution du présent litige dès lors que lesdites autorités n’ont présenté ni de demande de renvoi ni de demande de jonction au titre de l’article 22, paragraphes 1 et 2, du règlement no 139/2004.
213 En outre, en l’absence de preuve de la transmission active d’informations pertinentes, ni par les entreprises concernées ni par d’autres sources ou moyens, à l’ACF ou aux autorités de la concurrence des États membres ayant formulé les demandes de jonction, est dépourvue de pertinence la question de savoir si la lettre d’invitation, la demande de renvoi et la lettre d’information se fondaient sur des informations qui étaient connues du public au 21 septembre 2020. Il en est de même du fait que la CMA a examiné la concentration en cause en novembre et décembre 2020.
214 Partant, à l’instar de ce que relève la République française, et comme il ressort du point 20 de la décision attaquée, en l’espèce, c’est la lettre d’invitation qui a permis à ces autorités de la concurrence d’effectuer une évaluation préliminaire des conditions d’application de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004, et qui constitue donc la « communication » au sens du second alinéa de ce paragraphe. Cette lettre datant du 19 février 2021 et la demande de renvoi ayant été présentée le 9 mars 2021 (voir points 12 et 14 ci-dessus), le délai de quinze jours ouvrables prévu à cette disposition a été respecté et ladite lettre ne saurait être qualifiée de tardive.
215 Par conséquent, la première branche du deuxième moyen n’est pas fondée et doit être rejetée.
– Sur la seconde branche, tirée de la violation des principes de sécurité juridique et de « bonne administration »
216 Dans le cadre de la seconde branche du présent moyen, la requérante soutient que, même à considérer que la concentration en cause ait été « communiquée » par la lettre d’invitation aux autorités françaises ou aux autorités ayant demandé de se joindre à la demande de renvoi, le retard pris par la Commission pour envoyer ladite lettre était contraire au principe fondamental de sécurité juridique et à l’obligation d’agir dans un délai raisonnable en vertu du principe de « bonne administration ».
217 À la date à laquelle la lettre d’information a été envoyée, la Commission aurait eu connaissance de l’existence de la concentration en cause depuis des mois grâce à des éléments d’information provenant du domaine public, de la FTC et d’un tiers. La Commission et la FTC s’informeraient mutuellement des opérations de concentration, notamment avant que la FTC n’émette, comme en l’espèce, le 9 novembre 2020, une « seconde demande ». Il ressortirait de la décision attaquée que, à la suite du dépôt d’une plainte, la Commission avait eu connaissance de cette concentration et des problèmes concurrentiels potentiels qu’elle soulevait en décembre 2020 et avait mené des discussions avec une autre autorité de la concurrence non nommée, mais dont la requérante suppose qu’il s’agissait de la CMA, qui avait procédé à une appréciation préliminaire de ladite concentration en novembre et décembre 2020.
218 La requérante et Grail soutiennent, l’arrêt du 5 octobre 2004, Eagle e.a./Commission (T 144/02, EU:T:2004:290, points 57 et 58), à l’appui, que la Commission est tenue au respect d’un délai raisonnable. Le législateur de l’Union ayant imposé des délais courts pour le contrôle des concentrations, notamment dans le cadre de l’article 22 du règlement no 139/2004, le fait que la Commission ait attendu plusieurs mois avant d’envoyer la lettre d’invitation serait contraire à une bonne administration et au principe fondamental de sécurité juridique, ce qui aurait empêché les entreprises concernées de savoir, le plus tôt possible, quelles autorités de la concurrence étaient compétentes pour connaître de la concentration en cause. À cet égard, la Commission serait tenue d’agir avec la plus grande célérité pour ne pas porter atteinte au délai de quinze jours ouvrables et d’exercer ses pouvoirs avec le plus grand soin et la plus grande diligence. Grail précise, en substance, que l’arrêt du 5 octobre 2004, Eagle e.a./Commission (T 144/02, EU:T:2004:290, points 57 et 58), couvre des situations dans lesquelles les dispositions légales ne fixent pas expressément de délai, de sorte que le délai raisonnable pour envoyer une lettre d’invitation au titre de l’article 22, paragraphe 5, du règlement no 139/2004 devrait être interprété au regard de cette jurisprudence. Ce serait avec un retard excessif que la Commission aurait agi et informé les entreprises concernées de son intention d’appliquer à la concentration en cause sa nouvelle approche relative à l’article 22 du règlement no 139/2004, ce qui aurait violé le principe de sécurité juridique. Selon Grail, la Commission ne peut avoir plus de temps pour l’envoi d’une telle lettre que celui dont disposent les États membres pour déterminer si les conditions prévues à l’article 22, paragraphe 1, dudit règlement sont réunies, ce qui est aussi exigé par l’objectif que les renvois soient décidés le plus tôt possible. À l’audience, en réponse à une question orale posée par le Tribunal, la requérante et Grail ont précisé, en substance, que, ce faisant, la Commission aurait également méconnu leurs droits de la défense, notamment du fait que l’absence d’opportunité de soumettre des observations en temps utile les aurait privées de la possibilité de faire corriger des erreurs factuelles significatives, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal de l’audience.
219 La requérante et Grail estiment que la Commission connaissait ou aurait pu connaître suffisamment de faits dès septembre 2020 pour envoyer une lettre d’invitation. Les informations pertinentes auraient relevé du domaine public depuis l’annonce de la concentration en cause, ce qui serait confirmé par le fait que les éléments de preuve cités dans la lettre d’invitation dateraient au plus tard de ce mois et que la Commission mentionne, dans son mémoire en défense, un rapport du 21 septembre 2020. Même après avoir reçu la plainte, la Commission aurait attendu près de deux mois avant d’envoyer cette lettre. Grail conteste le caractère diligent de l’instruction menée par la Commission durant cette période, en ce qu’elle se serait limitée à vérifier des informations publiquement accessibles et les allégations du plaignant, sans pour autant contacter les entreprises concernées. En outre, l’argument avancé par la Commission pour justifier le temps écoulé avant l’envoi de la lettre d’invitation, à savoir l’analyse « approfondie » des conséquences potentielles de la concentration en cause, contredirait son affirmation selon laquelle ladite lettre ne contenait qu’une conclusion préliminaire.
220 La Commission, soutenue par la République hellénique, conteste les arguments de la requérante. En particulier, elle n’aurait pas été informée par la FTC de son enquête avant la réception de la plainte le 7 décembre 2020, ni par la CMA de son examen de la concentration en cause. En tout état de cause, elle aurait agi dans un délai raisonnable après avoir reçu cette plainte. Le délai de quinze jours ouvrables ne s’appliquerait qu’après la communication de la concentration à l’État membre intéressé, tandis qu’une lettre d’invitation, au titre de l’article 22, paragraphe 5, du règlement no 139/2004, pourrait être émise lorsqu’une telle communication n’avait pas eu lieu. La requérante ne remettrait pas en cause l’évolution des faits exposée aux points 5 à 7 de la décision attaquée démontrant que, après avoir été contactée par le plaignant, la Commission avait agi avec diligence et sans retard injustifié, notamment pour vérifier ses allégations et examiner, de manière approfondie, les conséquences potentielles de la concentration en cause. En outre, elle aurait engagé un dialogue avec les autorités nationales pour déterminer si l’une d’elles était compétente pour apprécier cette concentration, de sorte que la durée de son évaluation aurait été appropriée eu égard à celle de la CMA pour évaluer l’impact éventuel de la concentration en cause au Royaume-Uni. La Commission conteste également les arguments de la requérante tirés du principe de sécurité juridique. En particulier, la requérante n’expliquerait pas en quoi le retard allégué aurait affecté le contenu de la décision attaquée ou la situation juridique des entreprises concernées. À l’audience, elle a relevé que la requérante et Grail étaient restées en défaut d’avancer que leurs droits de la défense avaient été violés du fait du prétendu caractère déraisonnable du délai et du retard qu’elle aurait pris, comme cela est exigé par la jurisprudence, et de préciser les raisons pour lesquelles une telle violation aurait eu lieu.
221 L’article 22 du règlement no 139/2004 n’impose pas de délai exprès à la Commission pour informer, au titre de son paragraphe 5, les États membres d’une concentration réunissant les critères d’un renvoi.
222 En effet, l’article 22, paragraphe 5, du règlement no 139/2004 se limite à énoncer que « [l]a Commission peut informer un ou plusieurs États membres qu’elle considère qu’une concentration répond aux critères énoncés au paragraphe 1 » et que, « dans ce cas, elle peut [les] inviter […] à présenter une demande sur la base du paragraphe 1 ».
223 Cependant, l’observation d’un délai raisonnable dans la conduite des procédures administratives en matière de politique de la concurrence constitue un principe général du droit de l’Union qui est repris, comme une composante du droit à une bonne administration, par l’article 41, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dont la juridiction de l’Union assure le respect. Toutefois, la violation du principe du délai raisonnable ne peut justifier l’annulation d’une décision qu’en tant qu’elle emporterait également une violation des droits de la défense de l’entreprise concernée (voir, en ce sens, arrêts du 4 février 2009, Omya/Commission, T 145/06, EU:T:2009:27, point 84 et jurisprudence citée, et du 17 décembre 2015, SNCF/Commission, T 242/12, EU:T:2015:1003, points 392 et 393 et jurisprudence citée). En outre, l’exigence fondamentale de sécurité juridique, qui s’oppose à ce que la Commission puisse, en l’absence d’un délai fixé dans l’acte législatif applicable, retarder indéfiniment l’exercice de ses pouvoirs, conduit le juge de l’Union à examiner si le déroulement de la procédure administrative révèle l’existence d’une action excessivement tardive de la part de cette institution (voir, en ce sens, arrêts du 24 septembre 2002, Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, C 74/00 P et C 75/00 P, EU:C:2002:524, points 140 et 141, et du 22 avril 2016, Italie et Eurallumina/Commission, T 60/06 RENV II et T 62/06 RENV II, EU:T:2016:233, points 180 et 182 et jurisprudence citée).
224 Lorsque la durée d’une procédure n’est pas fixée par une disposition du droit de l’Union, le caractère raisonnable du délai pris par l’institution pour adopter l’acte en cause doit être apprécié en fonction de l’ensemble des circonstances propres à chaque affaire, telles que la complexité de celle-ci et l’enjeu de la procédure pour l’intéressé (voir, en ce sens, arrêts du 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, C 403/04 P et C 405/04 P, EU:C:2007:52, point 116 ; du 28 février 2013, Réexamen Arango Jaramillo e.a./BEI, C 334/12 RX–II, EU:C:2013:134, points 28 et 29, et du 13 juin 2013, HGA e.a./Commission, C 630/11 P à C 633/11 P, EU:C:2013:387, point 82).
225 Compte tenu de ces principes jurisprudentiels, lorsque la Commission se voit communiquer, comme en l’espèce, par une plainte, des informations lui permettant d’apprécier si une concentration remplit les conditions d’application de l’article 22 du règlement no 139/2004, elle ne peut repousser sine die la communication aux États membres de ses intentions au titre du paragraphe 5 de cette disposition. Au contraire, dans un tel cas, elle est tenue de prendre position, le cas échéant, après avoir effectué les vérifications et les analyses préliminaires nécessaires, dans un délai raisonnable sur la question de savoir si les conditions d’une demande de renvoi sont réunies et s’il convient d’en informer le ou les États membres concernés.
226 Conformément à la jurisprudence citée au point 224 ci-dessus, aux fins de l’application de l’article 22, paragraphe 5, du règlement no 139/2004 au regard du principe du délai raisonnable, il y a lieu de tenir compte des objectifs fondamentaux d’efficacité et de célérité sous-tendant ledit règlement (voir points 206 et 207 ci-dessus) ainsi que du fait, souligné à juste titre par la requérante, que le législateur de l’Union visait à définir une répartition claire des interventions des autorités nationales et de l’Union et qu’il a souhaité assurer un contrôle des opérations de concentration dans des délais compatibles à la fois avec les exigences d’une bonne administration et celles de la vie des affaires (voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2007, Cementbouw Handel & Industrie/Commission, C 202/06 P, EU:C:2007:814, point 37 et jurisprudence citée), et, partant, des enjeux de la procédure de contrôle des concentrations pour les entreprises concernées. De même, afin de garantir une sécurité juridique maximale ainsi qu’un travail administratif correct et efficace dans des délais brefs, il est nécessaire que l’autorité compétente pour examiner une concentration donnée soit désignée le plus tôt possible (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Cementbouw Handel & Industrie/Commission, C 202/06 P, EU:C:2007:255, point 44).
227 Eu égard aux principes jurisprudentiels exposés aux points 223 à 226 ci-dessus, le Tribunal estime opportun d’examiner, dans un premier temps, si, en appliquant l’article 22, paragraphe 5, du règlement no 139/2004 en l’espèce, la Commission a respecté les exigences découlant du principe du délai raisonnable et, dans un second temps, si l’éventuel non-respect de ce principe a conduit à une violation des droits de la défense de la requérante.
228 En premier lieu, s’agissant du respect du principe du délai raisonnable, il ressort des éléments d’information complémentaires fournis par la Commission en réponse à une question écrite du Tribunal que celle-ci a pris connaissance de l’existence de la concentration en cause le 7 décembre 2020 à la suite du dépôt d’une plainte (voir point 11 ci-dessus). À partir de cette date, un délai de 47 jours ouvrables s’est donc écoulé jusqu’à l’envoi de la lettre d’invitation, le 19 février 2021 (voir point 12 ci-dessus).
229 Durant cette période, ainsi qu’il ressort, notamment, des points 5 et 6 de la décision attaquée et des réponses fournies à une question écrite du Tribunal, la Commission a tenu une vidéoconférence avec le plaignant le 17 décembre 2020 au sujet de la concentration en cause, a eu des échanges supplémentaires avec lui, a procédé à des recherches du marché et était en contact avec les autorités de la concurrence potentiellement compétentes de quatre États membres ainsi qu’avec la CMA, qui avait également été saisie de la plainte (voir point 11 ci-dessus).
230 En ce qui concerne les éléments d’information sur la concentration en cause, il ressort de la lettre d’invitation que la Commission s’est notamment fondée sur des communiqués de presse, des rapports, des prospectus et des présentations qui étaient publiquement disponibles sur Internet et avaient été publiés au plus tard le 21 septembre 2020 (voir notes en bas de page nos 1 et 5 à 9 de cette lettre), date à laquelle la concentration en cause a été annoncée publiquement (voir point 8 ci-dessus). Il y est également indiqué que cette concentration faisait l’objet d’un examen de la part de la FTC, dont la « seconde demande » a été portée, selon les informations fournies à la suite de la question écrite du Tribunal, à sa connaissance lors de la vidéoconférence du 17 décembre 2020, et il y est fait référence au formulaire « S-4 » de la Securities and Exchange Commission (commission des opérations de bourse des États-Unis) du 24 novembre 2020, tel que rempli par la requérante (voir note en bas de page no 11 de ladite lettre).
231 En ce qui concerne, en particulier, l’appréciation des critères relatifs à l’affectation du commerce entre États membres et à la menace d’affectation significative de la concurrence sur leurs territoires respectifs, la Commission a, à l’exception d’un document de réunion dont la provenance n’est pas claire (voir note en bas de page no 28 de la lettre d’invitation), eu recours à des éléments d’information similaires (voir notes en bas de page nos 12 à 15, 24, 26 et 27 de cette lettre), dont les plus récents concernent l’acquisition d’un des concurrents de Grail, en janvier 2021 (voir note en bas de page no 15 de ladite lettre). Sont également mentionnés les problèmes de concurrence exposés, à l’égard de la concentration en cause, par la FTC et par la CMA sur leurs sites Internet (voir note en bas de page no 17 de cette même lettre) ainsi que le rapport de la CMA du 24 octobre 2019 concernant les conclusions provisoires relatives à un autre projet d’acquisition de la requérante, également accessible sur Internet (voir notes en bas de page nos 18, 22, 25 et 29 de la lettre en question). Or, ainsi que la Commission l’a confirmé en réponse à une question écrite du Tribunal, elle n’avait pas eu connaissance de l’instruction de la CMA avant le 7 décembre 2020.
232 Il s’ensuit que la Commission a eu recours à des éléments d’information dont la plupart étaient disponibles publiquement au moment de la réception de la plainte. Ainsi que le démontre le contenu de la lettre d’invitation, elle était donc en mesure, après la vérification de certains aspects avec le plaignant, notamment lors de la vidéoconférence du 17 décembre 2020, de procéder relativement rapidement aux contacts bilatéraux nécessaires avec les quatre autorités de la concurrence potentiellement compétentes pour l’examen de la concentration en cause et à l’instruction des caractéristiques essentielles de cette concentration pour lui permettre de porter une appréciation préliminaire sur la question de savoir si ladite concentration était susceptible de remplir les conditions d’application de l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 et s’il convenait d’en informer les États membres au titre du paragraphe 5 de ladite disposition.
233 Dans ce contexte, compte tenu des objectifs fondamentaux d’efficacité et de célérité poursuivis par le régime de contrôle des concentrations de l’Union (voir point 226 ci-dessus) et des circonstances de l’espèce, un délai de 47 jours ouvrables, écoulé entre la réception de la plainte et l’envoi de la lettre d’invitation, n’apparaît pas comme étant justifié.
234 Premièrement, il ressort de l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, lu conjointement avec l’article 6, paragraphe 1, dudit règlement, que le délai de la phase d’examen préalable d’une concentration, durant laquelle la Commission est censée prendre une décision sur la question de savoir si cette concentration soulève des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, est de 25 jours ouvrables. Compte tenu du fait que la Commission doit, le cas échéant, effectuer, durant cette phase, un examen de fond assez complet de la concentration, il peut raisonnablement être attendu qu’un examen précédant l’envoi d’une lettre d’invitation, au titre de l’article 22, paragraphe 5, du règlement no 139/2004, qui n’implique qu’une évaluation préliminaire des critères énoncés au paragraphe 1 de cet article, n’excède pas un tel délai de 25 jours ouvrables.
235 Deuxièmement, ainsi qu’il est exposé aux points 212 à 214 ci-dessus, il y a lieu de tenir compte du fait que la lettre d’invitation ne constitue qu’une « communication » au titre de l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004, qui déclenche, en l’absence d’une notification ou d’une communication antérieure, le délai de quinze jours ouvrables pour la présentation d’une demande de renvoi par le ou les États membres concernés. Lorsqu’une telle demande est présentée, tout autre État membre a le droit de s’y joindre dans un délai de quinze jours ouvrables (article 22, paragraphe 2, de ce règlement). Ce n’est qu’à l’expiration de ce dernier délai que la Commission peut, dans un délai de dix jours ouvrables, prendre la décision de se saisir de l’examen de la concentration (article 22, paragraphe 3, dudit règlement). Ainsi, l’envoi d’une lettre d’invitation au titre de l’article 22, paragraphe 5, de ce même règlement déclenche plusieurs autres délais relativement brefs qui précèdent l’adoption d’une décision par laquelle la Commission se saisit de l’examen de la concentration concernée. Ainsi, en l’espèce, un délai de 90 jours ouvrables s’est écoulé entre la réception de la plainte le 7 décembre 2020 et l’adoption des décisions attaquées le 19 avril 2021.
236 Troisièmement, il convient de rappeler qu’une concentration n’étant pas de dimension européenne au sens de l’article 1er du règlement no 139/2004 ne doit pas, conformément à l’article 4, paragraphe 1, du même règlement, être notifiée à la Commission. Cependant, les parties à une telle concentration subiraient un désavantage considérable par rapport aux parties à une concentration devant être notifiée si la période entre, d’une part, l’information de la Commission, le cas échéant par une plainte, quant à l’existence de la concentration et, d’autre part, l’adoption par la Commission de la décision portant sur l’acceptation d’une demande de renvoi, était, comme en l’occurrence, de la même durée que la phase d’examen approfondi au titre de l’article 8, paragraphes 1 à 3, du règlement no 139/2004, qui implique des évaluations économiques complexes quant à la compatibilité d’une concentration avec le marché intérieur et pour laquelle l’article 10, paragraphe 3, du même règlement prévoit, en principe, un délai de 90 jours ouvrables.
237 Quatrièmement, en l’espèce, la Commission ne saurait justifier l’écoulement d’un délai de 47 jours ouvrables entre la réception de la plainte et l’envoi de la lettre d’invitation par les vacances de fin d’année 2020, la période du 24 décembre 2020 au 1er janvier 2021 étant une période de jours fériés en vertu de l’article 1er de sa décision du 28 janvier 2019 relative aux jours fériés de l’année 2020 pour les institutions de l’Union (JO 2019, C 38, p. 4) et de l’article 1er de sa décision du 2 mars 2020 relative aux jours fériés pour l’année 2021 (JO 2020, C 69, p. 8). En outre, à la suite du dépôt de la plainte, la Commission était en mesure de contacter beaucoup plus rapidement, et de manière parallèle, les quatre autorités nationales de la concurrence potentiellement compétentes, soit les autorités allemande, autrichienne, slovène et suédoise, pour savoir si les seuils de compétence en vertu des législations nationales respectives étaient susceptibles d’être atteints, ce qu’elle n’a fait, ainsi qu’il ressort de sa réponse à une question écrite du Tribunal, qu’en janvier et février 2021.
238 Dès lors, compte tenu du caractère bref des délais prévus par le règlement no 139/2004, notamment par son article 22, le seul fait que la Commission ait fait preuve d’une activité continue dans l’instruction du dossier au cours de la période pertinente allant du 7 décembre 2020 au 19 février 2021, comme cela ressort du tableau figurant en annexe de sa réponse à une question écrite du Tribunal, ne suffit pas à considérer que cette période correspondait à un délai raisonnable.
239 Il s’ensuit que l’envoi de la lettre d’invitation a été effectué dans un délai déraisonnable.
240 En second lieu, il importe de rappeler que la violation du principe du délai raisonnable ne justifie l’annulation d’une décision prise à l’issue d’une procédure administrative en matière de concurrence qu’en tant qu’elle emporte également une violation des droits de la défense de l’entreprise concernée. En revanche, lorsqu’il n’est pas établi que l’écoulement excessif du temps a affecté la capacité des entreprises en cause à se défendre effectivement, le non-respect du principe du délai raisonnable est sans incidence sur la validité de cette procédure administrative (voir, en ce sens, arrêts du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C 105/04 P, EU:C:2006:592, points 42 et 43 ; du 8 mai 2014, Bolloré/Commission, C 414/12 P, non publié, EU:C:2014:301, points 84 et 85, et du 9 juin 2016, PROAS/Commission, C 616/13 P, EU:C:2016:415, point 74), mais doit trouver sa sanction dans un recours en indemnité porté devant le Tribunal (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2014, Bolloré/Commission, C 414/12 P, non publié, EU:C:2014:301, points 106 et 109).
241 En l’espèce, la requérante a soutenu, lors de l’audience, que le dépassement du délai raisonnable avait entraîné une violation de ses droits de la défense, au motif, notamment, que la Commission aurait dû contacter les entreprises concernées et les entendre durant la période précédant l’envoi de la lettre d’invitation pour leur permettre de soumettre des observations et de corriger certaines erreurs factuelles significatives, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal de l’audience.
242 Cependant, ces explications vagues ne sauraient suffire à établir une violation des droits de la défense de la requérante. À cet égard, la Commission a avancé, à juste titre, à l’audience que, d’une part, la lettre d’invitation ne constituait qu’un acte préparatoire dans le cadre de la procédure conduisant à l’adoption d’une décision au titre de l’article 22, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 139/2004 et que, d’autre part, les entreprises concernées étaient en mesure de faire valoir utilement leurs observations avant son adoption.
243 En effet, d’une part, des mesures intermédiaires, telles que la lettre d’invitation, dont l’objectif se limite à préparer la décision finale ne visent pas à produire des effets de droit obligatoires de nature à affecter les intérêts de la partie requérante et, partant, à lui faire grief séparément, lorsque l’illégalité alléguée est susceptible d’être invoquée à l’égard de la décision finale dont ils constituent un acte d’élaboration, raison pour laquelle, conformément à une jurisprudence constante, de telles mesures ne sont pas susceptibles de recours (voir, en ce sens, arrêt du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission, C 463/10 P et C 475/10 P, EU:C:2011:656, points 50 à 54 et jurisprudence citée).
244 En outre, la requérante n’était pas capable de préciser à suffisance les prétendues « erreurs factuelles significatives » viciant la décision attaquée qui auraient déjà entaché la lettre d’invitation, et donc pu influer de manière décisive sur le contenu de la demande de renvoi de l’ACF. Dans la mesure où elle fait valoir que cette lettre a indiqué, par erreur, à son point 26, à l’instar de la décision attaquée, que Grail avait des concurrents « réels » sur le marché, il suffit de relever que ni ladite lettre ni cette demande ne se fondent sur une telle qualification. Au contraire, la demande de renvoi justifie l’existence d’un risque significatif d’atteinte à la concurrence, notamment, par le fait que, d’une part, « [d]ans le secteur des tests de détection du cancer, G[rail] fera face à la présence de plusieurs opérateurs qui ont d’ores et déjà commercialisé leurs produits […] ou qui s’apprêtent à le faire », et que, d’autre part, « la nouvelle entité pourra disposer de la capacité de restreindre ou de renchérir l’accès à ses NGS, au détriment des concurrents potentiels de G[rail] dans le secteur des tests de dépistage du cancer », et donc par l’existence d’une concurrence potentielle entre Grail et ces opérateurs dans l’hypothèse de la mise en œuvre de la concentration en cause.
245 D’autre part, étant donné que ce sont les décisions attaquées, et non la lettre d’invitation, qui leur font grief, les entreprises concernées disposaient du droit d’être entendu, lequel fait partie des droits de la défense, leur garantissant la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, leur point de vue au cours de la procédure administrative conduisant à l’adoption de ces décisions (voir, en ce sens, arrêt du 28 octobre 2021, Vialto Consulting/Commission, C 650/19 P, EU:C:2021:879, point 121), mais non au stade antérieur à l’envoi de ladite lettre en tant que mesure intermédiaire. Or, la requérante et Grail ne contestent pas avoir été en mesure de soumettre leurs observations avant l’adoption des décisions attaquées, mais elles se limitent à se plaindre de ne s’être pas vu accorder cette possibilité beaucoup plus tôt. Il est constant que les entreprises concernées étaient informées de l’envoi de la lettre d’invitation le 4 mars 2021 (voir point 13 ci-dessus), c’est-à-dire six jours ouvrables avant l’expiration du délai prévu à l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du même règlement, dans lequel les États membres sont censés soumettre une demande de renvoi. La Commission les a également informées, par la lettre d’information du 11 mars 2021, de la demande de renvoi (voir point 15 ci-dessus) et celles-ci ont présenté leurs observations les 16 et 29 mars 2021 (voir point 17 ci-dessus). Les entreprises concernées étaient donc informées longtemps avant l’adoption des décisions attaquées, qui est intervenue le 19 avril 2021, et ont eu plusieurs occasions de faire connaître leur point de vue au cours de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de ces décisions.
246 Dans ces circonstances, l’argument tiré d’une violation des droits de la défense de la requérante doit être écarté.
247 Partant, la seconde branche du deuxième moyen doit être déclarée non fondée, de sorte qu’il convient de rejeter le deuxième moyen dans son ensemble.
248 De même, il y a lieu de rejeter les demandes des 6 octobre et 6 décembre 2021, par lesquelles la requérante a sollicité l’adoption par le Tribunal de mesures d’organisation de la procédure tendant à obtenir des renseignements concernant, d’une part, les échanges entre la Commission et l’ACF ainsi que la prise de connaissance par la Commission de la concentration en cause (première demande) et, d’autre part, la date à laquelle la Commission avait mentionné pour la première fois cette concentration à l’égard de la République française ainsi que les documents qu’elle avait fournis aux États membres faisant référence à ladite concentration (seconde demande).
249 En effet, ainsi qu’il résulte des considérations qui précèdent, le Tribunal, d’une part, a pu effectuer son contrôle à l’égard du prétendu caractère tardif de la demande de renvoi (voir points 212 à 214 ci-dessus), tel qu’invoqué dans le cadre de la première branche, et, d’autre part, a été en mesure de constater le caractère déraisonnable du délai pris pour l’envoi de la lettre d’invitation (voir points 228 à 239 ci-dessus), tel qu’invoqué dans le cadre de la seconde branche, sur la base des écritures et des documents déposés par les parties en cours d’instance, notamment en prenant en considération les réponses de la Commission à la question écrite du Tribunal du 11 novembre 2021 et les observations de la République française du 6 décembre 2021.
250 En outre, il y a lieu de rappeler que le Tribunal est seul juge de la nécessité éventuelle de compléter les éléments d’information dont il dispose sur les affaires dont il est saisi (voir arrêt du 26 janvier 2017, Mamoli Robinetteria/Commission, C 619/13 P, EU:C:2017:50, point 117 et jurisprudence citée ; arrêt du 12 novembre 2020, Fleig/SEAE, C 446/19 P, non publié, EU:C:2020:918, point 53).
Sur le troisième moyen, tiré de la violation des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique
251 La requérante, soutenue par Grail, fait valoir que les décisions attaquées violent les principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique. En substance, elle avance que, selon sa politique au moment où les entreprises concernées étaient convenues de la concentration en cause, la Commission n’acceptait pas de demandes de renvoi pour des concentrations qui n’entraient pas dans le champ d’application d’une réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations. Il ressortirait du discours de la vice-présidente de la Commission du 11 septembre 2020 que cette politique continuait de s’appliquer jusqu’à sa modification par la publication de nouvelles orientations vers le milieu de l’année 2021. Selon Grail, cela démontre que la Commission était consciente de l’importance de son changement d’approche, lequel contredirait les conclusions et les recommandations du Réseau international de la concurrence (RIC) et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). La requérante et Grail soulignent le caractère clair et inconditionnel dudit discours, notamment concernant le processus et le calendrier de la mise en œuvre de la nouvelle politique de renvoi. En outre, la requérante relève que l’adoption des orientations concernant l’article 22 a eu lieu après l’envoi de la lettre d’invitation et sans consultation publique.
252 La Commission, soutenue par la République hellénique, estime que les allégations de la requérante relatives à la violation du principe de sécurité juridique ne sont pas étayées. En ce qui concerne le principe de protection de la confiance légitime, elle n’aurait pas démontré que la Commission avait donné des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, mais se serait limitée à faire vaguement référence à une prétendue pratique décisionnelle. En particulier, la Commission aurait explicitement confirmé, dans le livre blanc de 2014, que les États membres pouvaient demander le renvoi d’une concentration ne relevant pas de leur réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations. Cette possibilité n’aurait été écartée par aucun document officiel et la Commission aurait déjà accepté le renvoi de telles concentrations. Le discours du 11 septembre 2020 de la vice-présidente de la Commission constituerait une déclaration politique à caractère général sur sa pratique future confirmant que la Commission n’a pas exclu le traitement de telles concentrations par principe. La République française rappelle, notamment, que les opérateurs économiques ne peuvent placer leur confiance légitime dans le maintien d’une situation pouvant être modifiée et que la Commission n’a accepté le renvoi de la concentration en cause qu’après la publication des orientations concernant l’article 22. La Commission ajoute que rien n’empêchait la requérante de prendre contact avec elle ou les autorités nationales de la concurrence. En outre, la requérante n’aurait pas démontré qu’elle avait agi en se fondant sur de prétendues assurances données par la Commission.
253 À titre liminaire, il y a lieu de constater que, même si la requérante se prévaut, dans le cadre du troisième moyen, tant du principe de sécurité juridique que de celui de protection de la confiance légitime, son argumentation se rapporte, ainsi que le soutient la Commission, en réalité, exclusivement à ce second principe.
254 Conformément à une jurisprudence constante, le droit de se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime suppose que des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables, ont été fournies à l’intéressé par les autorités compétentes de l’Union (voir arrêt du 8 septembre 2020, Commission et Conseil/Carreras Sequeros e.a., C 119/19 P et C 126/19 P, EU:C:2020:676, point 144 et jurisprudence citée). En effet, ce droit appartient à tout justiciable à l’égard duquel une institution, un organe ou un organisme de l’Union, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître des espérances fondées. Constituent de telles assurances, quelle que soit la forme sous laquelle ils sont communiqués, des renseignements précis, inconditionnels et concordants (voir arrêt du 13 juin 2013, HGA e.a./Commission, C 630/11 P à C 633/11 P, EU:C:2013:387, point 132 et jurisprudence citée), à condition qu’ils soient conformes aux normes applicables (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Probelte/Commission, T 67/18, EU:T:2019:873, point 109 et jurisprudence citée).
255 En l’espèce, pour démontrer la prétendue politique selon laquelle la Commission n’acceptait pas de demandes de renvoi, au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004, pour des concentrations qui n’entraient pas dans le champ d’application d’une réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations, la requérante s’appuie sur le point 5 de la lettre d’invitation, sur le point 94 de la décision attaquée, sur le point 7 de la communication sur le renvoi et sur le discours de la vice-présidente de la Commission du 11 septembre 2020. Grail se réfère également aux conclusions et aux recommandations du RIC et de l’OCDE.
256 En premier lieu, s’agissant de ces conclusions et de ces recommandations, il suffit de constater qu’elles n’émanent pas de l’administration de l’Union et ne remplissent, dès lors, pas les conditions énoncées par la jurisprudence citée au point 254 ci-dessus.
257 En deuxième lieu, s’agissant des documents invoqués par la requérante, il importe de rappeler que, par la lettre d’invitation, la Commission a, de manière préliminaire, considéré que la concentration en cause pouvait faire l’objet d’un renvoi au titre de l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 (voir point 12 ci-dessus), position qu’elle a confirmée en accueillant la demande de renvoi de l’ACF par la décision attaquée (voir points 19 et 21 à 35 ci-dessus). Eu égard à cette position de la Commission qu’elle a adoptée spécifiquement à l’égard de la concentration en cause, la requérante ne saurait se prévaloir de ces documents pour prouver que des assurances précises qu’une prétendue politique contraire serait maintenue lui avaient été fournies. Par ailleurs, étant donné que, d’une part, le point 5 de la lettre d’invitation et le point 94 de la décision attaquée contiennent une simple description de la situation antérieure et que, d’autre part, lesdits documents n’existaient pas encore au moment où l’accord et le plan de fusion ont été conclus, à savoir le 20 septembre 2020 (voir point 7 ci-dessus), les entreprises concernées ne pouvaient pas fonder des attentes légitimes sur ceux-ci.
258 En ce qui concerne le point 7 de la communication sur le renvoi, il y est exposé que « la Commission et les États membres conservent une marge d’appréciation considérable pour décider de renvoyer des opérations qui relèvent de leur “compétence initiale” ou d’accepter d’examiner celles qui n’en relèvent pas, en vertu […] de l’article 22 [du règlement no 139/2004] ».
259 Ainsi, ce point se limite à souligner, d’une part, le large pouvoir d’appréciation dont la Commission jouit dans le cadre de la politique de la concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2018, Furukawa Electric/Commission, T 444/14, non publié, EU:T:2018:454, point 222 et jurisprudence citée) et, d’autre part, la répartition des compétences entre les États membres et la Commission, telle qu’exposée au point 153 ci-dessus. En revanche, aucun de ces éléments n’étaye l’existence de la prétendue politique de la Commission sur laquelle la requérante s’appuie. Ce constat est confirmé par les points 42 à 45 de la communication sur le renvoi, qui doivent être lus, comme l’avance la République française, conjointement avec le point 7 de cette communication et qui exposent précisément les critères pertinents régissant un renvoi au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004, sans mentionner une telle prétendue pratique.
260 En troisième lieu, s’agissant du discours de la vice-présidente de la Commission, il y a lieu de rappeler que ce discours portait sur « [l]’avenir du contrôle des concentrations de [l’Union] » et a été délivré dans le cadre de la 24e conférence annuelle sur la concurrence de l’Association internationale du barreau le 11 septembre 2020. Il est constant que ce discours concernait la politique générale de la Commission en matière de concentrations et ne mentionnait pas la concentration en cause, dont l’accord et le plan de fusion avaient été conclus à un moment postérieur, à savoir le 20 septembre 2020 (voir point 7 ci-dessus). Ledit discours ne pouvait donc contenir des assurances précises, inconditionnelles et concordantes eu égard au traitement de cette concentration.
261 En ce qui concerne cette politique générale, la vice-présidente de la Commission a certes indiqué dans son discours du 11 septembre 2020 que, par le passé, « la Commission avait eu la pratique consistant à décourager les autorités nationales de renvoyer des concentrations pour l’examen desquelles elles n’étaient pas compétentes elles-mêmes ». Or, il n’en découle pas pour autant que le renvoi de telles concentrations était exclu par principe, mais, ainsi que le démontre le terme « décourager », que la Commission envisageait seulement de convaincre les États membres de ne pas présenter une demande de renvoi dans une telle situation. Ainsi que le soutient la Commission, la vice-présidente de la Commission a même souligné que « cette pratique n’a[vait] jamais eu pour but d’empêcher [la Commission] de traiter des affaires susceptibles d’affecter gravement la concurrence dans le marché unique ».
262 Même à supposer que les entreprises concernées puissent se prévaloir de ladite pratique, la Commission pouvait donc néanmoins considérer que la concentration en cause était susceptible d’affecter de manière significative la concurrence dans le marché intérieur et, pour cette raison, envoyer la lettre d’invitation et accepter la demande de renvoi et de se saisir de son examen. Par conséquent, l’annonce, dans le discours de la vice-présidente de la Commission, d’un « changement [d’]approche » dans l’avenir et d’un échéancier approximatif pour sa mise en œuvre est dépourvue de pertinence et les arguments de la requérante et de Grail relatifs au non-respect de cette annonce doivent être écartés comme inopérants. Il en va de même des arguments tirés du fait que les orientations concernant l’article 22 ont été adoptées postérieurement à l’envoi de la lettre d’invitation.
263 Dès lors, la requérante, qui ne prétend pas avoir obtenu de quelconques assurances précises, inconditionnelles et concordantes de la part de la Commission eu égard au traitement de la concentration en cause, n’a pas non plus démontré l’existence de telles assurances par rapport aux concentrations qui n’entraient pas dans le champ d’application d’une réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations sur le plan général. Au contraire, comme le font valoir la Commission et la République française, il ressort du livre blanc de 2014 que cet article trouve à s’appliquer à de telles concentrations (voir note en bas de page no 45 du livre blanc de 2014).
264 Cette appréciation est confirmée par le fait que la Commission a accueilli récemment, comme elle l’avance à juste titre, en renvoyant à ses décisions du 6 février 2018 (affaire M.8788 – Apple/Shazam), du 15 mars 2018 (affaire M.8832 – Knauf/Armstrong), du 26 septembre 2019 (affaire M.9547 – Johnson & Johnson/Tachosil), et du 2 avril 2020 (affaire M.9744 – Mastercard/Nets), plusieurs demandes de jonction au titre de l’article 22, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 139/2004 provenant d’États membres dont les autorités n’étaient pas compétentes, en vertu de leur réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations, pour examiner les concentrations faisant l’objet de ces demandes.
265 En tout état de cause, conformément à la jurisprudence rappelée au point 254 ci-dessus, la requérante ne saurait s’appuyer sur des documents ou sur des déclarations qui, s’ils étaient interprétés comme elle le réclame, viseraient à restreindre le droit des États membres à demander un renvoi au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004 dans les conditions qui y sont énoncées (voir point 155 ci-dessus). De même, dans la mesure où il ressort du premier moyen que les décisions attaquées étaient fondées sur une interprétation correcte de la portée de cet article, la requérante ne peut se prévaloir de la réorientation de la pratique décisionnelle de la Commission (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 8 juillet 2008, AC-Treuhand/Commission, T 99/04, EU:T:2008:256, point 163).
266 Partant, au vu de tout ce qui précède, le troisième moyen doit être rejeté comme non fondé.
267 Par conséquent, aucun des moyens soulevés par la requérante au soutien de son recours n’étant fondé, il convient de rejeter celui-ci dans son ensemble.
Sur les dépens
268 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.
269 L’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure prévoit que les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Le paragraphe 2 de cet article dispose que les États parties à l’accord EEE autres que les États membres ainsi que l’Autorité de surveillance AELE supportent de même leurs propres dépens lorsqu’ils sont intervenus au litige. Conformément au paragraphe 3 dudit article, le Tribunal peut décider qu’un intervenant autre que ceux mentionnés aux paragraphes 1 et 2 supportera ses propres dépens.
270 Par conséquent, la République hellénique, la République française, le Royaume des Pays-Bas, l’Autorité de surveillance AELE et Grail supporteront leurs propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Illumina, Inc. est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.
3) La République hellénique, la République française, le Royaume des Pays-Bas, l’Autorité de surveillance AELE et Grail LLC supporteront leurs propres dépens.
Table des matières
Cadre juridique
Antécédents du litige
Sur les entreprises concernées et la concentration en cause
Sur l’absence de notification
Sur la demande de renvoi à la Commission
Sur les décisions attaquées
Sur le respect du délai de quinze jours ouvrables
Sur l’affectation du commerce entre États membres et sur la menace d’affectation significative de la concurrence
Sur le caractère approprié du renvoi
Procédure et conclusions des parties
En droit
Sur la demande de retrait du statut de partie intervenante de Grail
Sur la recevabilité
Sur le fond
Résumé des moyens d’annulation
Sur le premier moyen, tiré de l’incompétence de la Commission
– Sur l’interprétation littérale
– Sur l’interprétation historique
– Sur l’interprétation contextuelle
– Sur l’interprétation téléologique
– Sur les autres arguments de la requérante et de Grail
Sur le deuxième moyen, tiré du caractère tardif de la demande de renvoi et, à titre subsidiaire, de la violation des principes de sécurité juridique et de « bonne administration »
– Sur la première branche, tirée du caractère tardif de la demande de renvoi
– Sur la seconde branche, tirée de la violation des principes de sécurité juridique et de « bonne administration »
Sur le troisième moyen, tiré de la violation des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique
Contrats conc. conso. 2022, 157, obs. BOSCO