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Décisions

Cass. com., 15 janvier 2013, n° 11-12.495

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Avocats :

SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin, SCP Piwnica et Molinié

Paris, du 16 déc. 2010

16 décembre 2010

Joint le pourvoi n° J 11-12. 495 formé par M. X..., M. Y... et la société Recherche gestion développement financement, le pourvoi n° F 11-13. 274, formé par MM. Arturo et Marc F..., et le pourvoi E 11-13250, formé par Mme F..., qui attaquent le même arrêt ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par jugement du 5 juin 2007 un tribunal de commerce a arrêté le plan de redressement, par voie de continuation, de la société Recherche gestion développement financement (la société RGDF) qui avait pour actionnaires M. Arturo F... et ses enfants, M. A... et Mme Carole F..., ainsi que des sociétés contrôlées par la société RGDF ; que par acte du 19 juillet 2007, MM. Arturo et Marc F... et Mme F... (ensemble, les consorts F...) ont cédé à M. X...et à M. Y... 39 792 actions, représentant 51 % du capital de la société RGDF, pour le prix d'un euro ; que les parties à cet acte avaient conclu, le 28 février 2007, un " protocole d'accord " prévoyant, notamment, que MM. X...et Y... rétrocéderaient aux consorts F... 2 % du capital de la société RGDF dans un certain délai suivant l'acquisition de 51 % de celui-ci ; que les consorts F... ayant fait assigner MM. X...et Y... aux fins d'annulation de la cession du 19 juillet 2007, ces derniers ont demandé que l'acte du 28 février 2007 soit déclaré nul ;

Sur le premier moyen du pourvoi de MM. Arturo et Marc F... :

Attendu que MM. Arturo et Marc F... font grief à l'arrêt d'accueillir cette demande, alors, selon le moyen :

1°/ que les juges ne peuvent méconnaître les termes clairs et précis d'une convention ; qu'au cas présent, les parties avaient stipulé dans la convention du 28 février 2007 qu'elles s'engageaient à saisir les organes de la procédure afin de se voir autorisées à rétrocéder les parts sociales ; qu'en refusant, par motifs adoptés, de tenir compte de cette stipulation, au motif que cette stipulation contiendrait une " restriction informulée " car les parties " savaient que le tribunal n'accepterait pas cette rétrocession " (jugement, p. 11, § 7), la cour d'appel, qui a écarté une stipulation claire et précise au profit d'une stipulation " informulée ", a dénaturé la convention du 28 février 2007, en violation de l'article 1134 du code civil ;

2°/ que le protocole du 28 février 2007 prenait en considération les différentes issues possibles de la procédure collective visant la société RGDF ; qu'en particulier, il prévoyait l'obligation de subordonner la rétrocession des parts à l'autorisation des organes de la procédure en cas de prononcé d'une incessibilité ; qu'en jugeant que le protocole d'accord était nul au motif qu'il aurait eu pour objet de contourner la procédure collective, la cour d'appel a méconnu la loi des parties, en violation de l'article 1134 du code civil ;

3°/ que l'engagement, pour une société, de ne pas intenter d'action civile à l'encontre d'une personne n'est pas, par principe, nul pour contrariété à l'intérêt social ; qu'au cas présent, en décidant que, de manière générale, l'engagement pris par MM. X...et Y... de ne pas faire assigner Carole F... par la société RGDF était contraire à l'intérêt social de cette dernière, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1131 du code civil ;

4°/ que la nullité d'une stipulation contractuelle n'entraîne la nullité de l'ensemble du contrat qui la contient que si la stipulation apparaît comme une condition déterminante du consentement des parties ; qu'au cas présent, les consorts F... faisaient valoir qu'à supposer que la stipulation de non poursuite à l'encontre de Carole F... soit nulle, cette nullité ne pouvait pas rejaillir sur l'ensemble du contrat (conclusions d'appel, p. 22) ; qu'en prononçant, par motifs adoptés des premiers juges, l'annulation de l'ensemble du protocole, sans rechercher, alors qu'elle y était expressément invitée (ibid.), si cette stipulation était, ou non, déterminante du consentement des parties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1172 du code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, que les troisième et quatrième branches, qui critiquent des motifs surabondants, sont inopérantes ;

Et attendu, en second lieu, qu'après avoir relevé que l'acte du 28 février 2007 contenait, outre l'engagement des consorts F... de céder 51 % du capital de la société RGDF à MM. X...et Y... dès que le jugement arrêtant le plan de continuation serait définitif, " l'engagement irrévocable " de ces derniers de céder des actions de la société RGDF à la famille F... " de telle sorte que MM. X...et Y... ou leurs ayants droit soient porteurs de 49 % du capital ", dans un délai de deux ans à compter de ce jugement, l'arrêt retient que les consorts F... n'ignoraient pas, à la date de l'acte, que le plan de continuation ne pourrait être arrêté par le tribunal qu'avec l'entrée de nouveaux investisseurs détenant la majorité du capital, cette exigence ayant été manifestée dès le 15 novembre 2006 par les organes de la procédure collective ; qu'il ajoute que la convention du 28 février 2007 a eu pour objet de tromper, à la fois, ces derniers qui, dans leur ignorance de celle-ci, ne se sont pas opposés au plan de continuation proposé, et le tribunal, qui ne savait pas davantage que les consorts F... entendaient reprendre au plus vite la direction d'un groupe dont tous s'entendaient pour qu'ils en soient écartés pendant la durée du plan, sauf décision du tribunal de la procédure collective ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations souveraines, faisant ressortir que la cause de l'acte du 28 février 2007 était illicite, c'est sans méconnaître les dispositions de l'article 1134 du code civil que la cour d'appel, qui n'a pas dénaturé cet acte, en a prononcé la nullité ;

D'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en ses deux dernières branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le second moyen du même pourvoi et le moyen unique du pourvoi de Mme F..., réunis :

Attendu que les consorts F... font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable leur demande tendant à obtenir la restitution par MM. X...et Y... de 39 792 actions de la société RGDF, alors, selon le moyen :

1°/ qu'une vente faite à vil prix est nulle de nullité absolue ; qu'au cas présent, la cour d'appel a souverainement observé que le prix de la cession du 19 juillet 2007 était vil mais a refusé d'annuler la vente de sorte qu'en statuant ainsi cependant que le constat de vileté du prix imposait l'annulation de la cession, la cour d'appel a violé l'article 1591 du code civil ;

2°/ que la cause de la cession du 19 juillet 2007, s'agissant d'une cession amiable, résidait, non dans le jugement de continuation du 5 juin 2007, lequel n'avait fait que constater l'accord des parties, mais dans cet accord lui-même, lequel s'était exprimé dans le protocole d'accord du 28 février 2007 ; que l'annulation du protocole du 28 février 2007 privait par conséquent de cause la cession du 19 juillet 2007 ; qu'en refusant d'annuler la cession du 28 février 2007 pour absence de cause au motif que celle-ci résiderait, non dans le protocole d'accord du 5 juin 2007, mais dans le jugement du 5 juin 2007, la cour d'appel a violé l'article 1131 du code civil ;

3°/ que les restitutions consécutives à une annulation ne relèvent pas de la répétition de l'indu mais seulement des règles de la nullité ; que l'annulation d'une vente entraîne pour chaque partie, non pas l'obligation de conclure une cession en sens inverse de celle qui est annulée, mais la seule restitution des prestations qu'elle a reçues en exécution de cette vente ; qu'en visant, pour refuser d'ordonner la restitution des prestations fournies en exécution de la cession du 19 juillet 2007 dont elle constate la nullité pour défaut de prix, et, plus particulièrement, celle des 39 792 actions cédées à MM. Didier X...et Yves Y..., le chef du jugement du 5 juin 2007 qui dispose que " les actions qui restent détenues à hauteur de 49 % par la famille F... et les actions détenues à hauteur de 51 % par MM. X...et Y... seront incessibles pendant toute la durée du plan sauf sur décision de ce tribunal après requête du commissaire à l'exécution du plan ", la cour d'appel, qui confond les notions de restitution et de cession, a violé l'article 1304 du code civil, ensemble les règles qui régissent les effets de l'annulation d'un contrat ;

4°/ que la convention qui est la suite, la conséquence, l'application ou l'exécution d'une autre convention se trouve, par rapport à elle, dans un lien d'indivisibilité ; qu'en énonçant que la cession du 19 juillet 2007 n'est pas la suite, la conséquence, l'application ou l'exécution du protocole annulé du 28 février 2007, mais la suite, la conséquence, l'application ou l'exécution du jugement du 5 juin 2007 qui arrête le plan de redressement de la société RGDF, quand, d'une part, ce jugement n'ordonne pas que la cession du 19 juillet 2007 ait lieu, et quand, d'autre part, elle constate elle-même que la stipulation, dans la cession du 19 juillet 2007, d'un prix symbolique trouve sa son explication dans l'économie du protocole du 28 février 2007, la cour d'appel, qui ne tire pas la conséquence légale de ses constatations, a violé l'article 1218 du code civil ;

Mais attendu que l'arrêt retient que les demandes des consorts F... tendant à obtenir la restitution des actions cédées le 19 juillet 2007 sont irrecevables, eu égard aux dispositions du jugement ayant arrêté le plan de continuation de la société RGDF ; que la cour d'appel a, en conséquence, opposé à ces demandes la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée, sans procéder à leur examen au fond ; qu'il s'ensuit que les griefs fondés sur la prétendue méconnaissance des conséquences légalement attachées au constat de l'absence de sérieux du prix d'un contrat de vente et des règles relatives à la cause et à l'indivisibilité des obligations sont inopérants ; que le moyen ne peut être accueilli ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi de MM. X...et Y... et de la société RGDF, pris en sa première branche :

Vu l'article 1591 du code civil ;

Attendu que pour dire que la vente des 39 792 actions de la société RGDF intervenue le 19 juillet 2007 a été faite à vil prix et condamner, in solidum, MM. X...et Y... à payer aux consorts F... la somme de 500 000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt, après avoir rappelé que cette cession a été faite pour un euro symbolique, relève que ce prix aurait pu se concevoir s'il était aussi celui à payer par les consorts F... pour se retrouver à la tête du groupe avec la rétrocession deux ans plus tard de 2 % du capital social et retient qu'il n'a plus de sens, eu égard à ce qui précède, et doit être qualifié de vil ; qu'il ajoute que, dès lors que la vente ne peut être annulée et à défaut de restitution, les consorts F... sont fondés à obtenir des dommages-intérêts ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le prix stipulé ne devait pas être tenu pour sérieux compte tenu de l'engagement souscrit par les acheteurs d'apporter en compte courant, non rémunéré, pendant toute la durée du plan, la somme de 500 000 euros et de se porter cautions de la bonne exécution du plan, à concurrence de la même somme, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du même moyen :

Rejette les pourvois n° F 11-13. 274 et E 11-13. 250 ;

Et sur le pourvoi n° J 11-12. 495 :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit que la vente des 39 792 actions de la société RGDF du 19 juillet 2007 a été faite à vil prix et condamné, in solidum, MM. X...et Y... à payer à MM. Arturo et Marc F... et à Mme F... la somme de 500 000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu, entre les parties, le 16 décembre 2010, par la cour d'appel de Paris ; remet en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.