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Décisions

Cass. crim., 16 janvier 1997, n° 96-80.952

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Culié

Rapporteur :

M. de Mordant de Massiac

Avocat général :

M. de Gouttes

Avocats :

Me Foussard, SCP Piwnica et Molinié

Paris, du 17 janv. 1996

17 janvier 1996

CASSATION PARTIELLE sans renvoi sur le pourvoi formé par :

- X... Eugène,

contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 9e chambre, en date du 17 janvier 1996, qui, pour fraude fiscale, l'a condamné à 2 ans d'emprisonnement dont 18 mois avec sursis et 300 000 francs d'amende, a ordonné la publication et l'affichage de la décision, et a prononcé sur les demandes de l'administration des Impôts, partie civile.

LA COUR,

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 34, 37 de la Constitution du 4 octobre 1958, 111-2 du nouveau Code pénal, 6.3 et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

" en ce que l'arrêt attaqué à déclaré le demandeur coupable de fraude fiscale pour omission volontaire de faire une déclaration dans les délais prescrits ;

" alors qu'il résulte tant des dispositions de droit interne, que de celles de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que toute infraction doit être définie en des termes clairs et précis pour exclure l'arbitraire et permettre au prévenu de connaître exactement la nature et la cause de l'accusation portée contre lui ; que les dispositions de l'article 1741 du Code général des impôts ne définissent pas la notion de "déclaration" de manière claire et précise ; qu'en particulier ces dispositions ne permettent pas au juge de déterminer avec certitude si un contribuable assujetti aux BNC dont les seuls revenus sont des revenus professionnels, qui a omis de déposer la déclaration d'ensemble de ses revenus (déclaration dite n° 2042) au centre des Impôts de son domicile, mais qui a régulièrement souscrit la déclaration n° 2035 concernant l'ensemble de ses revenus professionnels (déclaration automatiquement transmise au centre des Impôts de son domicile par la procédure, interne à l'Administration, du bulletin n° 1504) a ou non rempli ses obligations déclaratives au sens de l'article 1741 et que dès lors l'élément légal de l'infraction ne respectant pas, faute de précisions du texte, le principe fondamental susvisé, la cassation est encourue " ;

Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation de l'article 1741 du Code général des impôts et du principe de l'unicité de l'administration fiscale, des articles 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable de fraude fiscale pour omission volontaire de déposer la déclaration d'ensemble de ses revenus (imprimé n° 2042) ;

" aux motifs, repris des premiers juges, d'une part, qu'Eugène X... a régulièrement déposé ses déclarations de bénéfices non commerciaux auprès du centre des Impôts dont relève le lieu d'exercice de sa profession, mais qu'il n'a pas souscrit ses déclarations d'ensemble de revenus des années 1988 à 1990 en dépit de mises en demeure qui lui ont été adressées et que, notamment en raison de sa profession, le prévenu savait parfaitement que le fait de déclarer ses revenus professionnels dans un autre département, et ce malgré le principe d'unicité de l'Administration ;

" aux motifs propres, d'autre part, que le prévenu ne conteste pas l'absence de dépôt des déclarations dites 2042 auprès du centre des Impôts de son domicile et que le dépôt régulier des déclarations dites 2035 et la procédure du bulletin de transmission 1504 n'est pas contestée par l'Administration ;

" alors qu'en application du principe de l'unicité de l'administration fiscale, le juge correctionnel ne saurait condamner pénalement un contribuable pour la raison qu'il n'a pas déclaré 2 fois l'ensemble de ses revenus à l'administration fiscale, une fois dans le département où il exerce sa profession, une fois au centre des Impôts de son domicile et que l'omission de déposer la déclaration dite d'ensemble de ses revenus dans le cas d'un contribuable qui a pour seuls revenus des revenus professionnels (BNC) et qui a régulièrement déposé une déclaration à ce titre (imprimé 2035) en indiquant son domicile, n'est pas pénalement punissable ;

" alors que, comme l'exposait le demandeur dans ses conclusions additionnelles régulièrement déposées devant la Cour "il existe une procédure obligatoire et manuelle, d'un bulletin 1504 établi en double exemplaire qui avise du montant exact des BNC le centre des Impôts du domicile du contribuable lorsque, comme pour Eugène X..., ce domicile est différent du lieu d'exercice de la profession" et que la cour d'appel qui reconnaissait expressément que le dépôt régulier de déclaration dite 2035 et la procédure du bulletin 1504 n'étaient pas contestées par l'Administration et qui ne relevait pas que le contribuable ait eu d'autres revenus que ses revenus professionnels, ne pouvait légalement entrer en voie de condamnation pour omission volontaire de déclaration de ses revenus à l'encontre d'Eugène X... en se référant à l'idée qu'en ne déclarant pas 2 fois les mêmes revenus à l'administration fiscale, il n'avait pas rempli ses obligations déclaratives " ;

Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 111-4 du Code pénal, 1741 du Code général des impôts, 485, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de fraude fiscale par omission volontaire de faire une déclaration d'impôts sur le revenu dans les délais prescrits ;

" aux motifs propres ou repris des premiers juges qu'Eugène X... a régulièrement déposé ses déclarations de bénéfices non commerciaux auprès du centre des Impôts dont relève le lieu d'exercice de sa profession, mais qu'il n'a pas souscrit ses déclarations d'ensemble des revenus des années 1988 à 1990, en dépit de mises en demeure qui lui ont été adressées ; qu'il demande à la cour d'appel de constater qu'il n'a pas, en négligeant de déposer ses déclarations globales 2042, cherché à se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement de l'impôt dans la mesure où ses déclarations catégorielles 2035 étaient régulièrement déposées à bonne date et alors que l'Administration a émis des rôles à son encontre suite à ces dépôts ; qu'il demande en outre à la Cour de constater l'absence de toute intention frauduleuse de sa part en raison du particularisme de cette situation ; que le dépôt régulier des déclarations dites 2035 et la procédure du bulletin de transmission 1504 ne sont pas contestés par l'Administration ; qu'en raison de sa profession le prévenu savait parfaitement que le fait de déclarer ses revenus professionnels dans un département ne pouvait nullement le dispenser de déclarer ses revenus personnels dans un autre et ce malgré le principe d'unicité de l'Administration ; que la permanence de ces carences déclaratives depuis 1985, malgré des relances régulières et des taxations d'office notifiées dans le cadre de travaux de cabinet comme l'importance particulière des revenus non déclarés, contribuent à caractériser l'élément intentionnel du délit pour la constitution duquel aucune manoeuvre frauduleuse n'est exigée ;

" 1. Alors qu'il résulte des dispositions combinées des articles 1741 du Code général des impôts et 111-4 du Code pénal que l'élément matériel du délit de fraude fiscale en matière d'impôts sur le revenu par omission volontaire de déclaration suppose que les revenus du contribuable n'ont fait l'objet d'aucune déclaration et que l'arrêt qui constatait que l'ensemble des revenus du demandeur avait été déclaré dans les délais légaux au moyen de la déclaration des BNC ne pouvait sans méconnaître les textes susvisés, entrer en voie de condamnation à son encontre du chef de fraude fiscale pour la seule raison qu'il n'avait pas déposé la déclaration n° 2042 auprès du centre des impôts de son domicile ;

" 2. Alors qu'il résulte des termes de l'article 1741 du Code général des impôts que l'élément intentionnel du délit de fraude fiscale par omission de faire sa déclaration, suppose non seulement le caractère volontaire de l'omission, mais encore la volonté du contribuable de se soustraire par ce moyen à l'établissement ou au paiement de l'impôt et que l'arrêt qui s'est borné à constater le caractère volontaire de l'omission sans constater la volonté d'Eugène X... de se soustraire à l'établissement ou au paiement de l'impôt, n'a pas donné de base légale à sa décision ;

" 3. Alors que le demandeur faisait valoir dans ses conclusions régulièrement déposées que la circonstance qu'il ait déclaré ses revenus professionnels lesquels constituaient ses seuls revenus comme l'a reconnu l'administration fiscale au cours de la procédure de redressement en souscrivant la déclaration 2035 au centre du domicile de l'étude, tout en sachant en sa qualité de notaire que cette déclaration était automatiquement transmise par la procédure du bulletin 1504 au centre des Impôts de son domicile, était exclusive de toute possibilité de fraude et, partant, de toute volonté de sa part de se soustraire à l'impôt et que, dès lors, la cour d'appel qui constatait expressément que "le dépôt régulier des déclarations dites 2035 et la procédure du bulletin de transmission 1504 n'étaient pas contestées par l'Administration", ne pouvait sans se contredire ou mieux s'expliquer, estimer que le délit de fraude fiscale était établi en son élément intentionnel à l'encontre du demandeur " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme qu'Eugène X..., notaire, est poursuivi du chef de fraude fiscale, sur le fondement de l'article 1741 du Code général des impôts, pour avoir omis de faire la déclaration d'ensemble de ses revenus au titre des années 1988, 1989 et 1990 ;

Attendu que, pour écarter les conclusions du prévenu soutenant que ce défaut de déclaration procédait de la négligence mais non d'une volonté de fraude, les juges du fond relèvent que l'intéressé, très au fait de ses obligations fiscales en raison de sa profession, a régulièrement déposé ses déclarations de revenus catégoriels dans le département où il exerçait, mais qu'il s'est abstenu, malgré les multiples mises en demeure qui lui ont été adressées, de faire parallèlement la déclaration d'ensemble de ses revenus dans le département où il résidait, faisant ainsi échec à l'établissement, par les services fiscaux compétents, du rôle d'imposition correspondant, et qu'il a, par ce moyen, éludé le paiement de 7 736 831 francs ;

Attendu qu'en prononçant ainsi, et dès lors que l'incrimination visée aux poursuites définit en des termes clairs et précis les obligations fiscales pesant sur le prévenu et les sanctions qui y sont attachées, la cour d'appel a, sans encourir les griefs allégués, justifié sa décision ;

Qu'en effet il résulte des dispositions des articles 4 A, 10, 170, 173, 1658 du Code général des impôts et des articles 42 à 45 de l'annexe III de ce code, auxquels renvoie l'article 1741 visé aux poursuites, qu'en vue de l'établissement de l'impôt sur le revenu, toute personne imposable doit, chaque année indépendamment des déclarations propres à chaque catégorie de revenus professionnels souscrire et faire parvenir au service des Impôts du lieu de sa résidence une déclaration détaillée de l'ensemble de ses revenus et bénéfices, ainsi que de ses charges de famille, au vu de laquelle un rôle d'imposition est émis avec l'indication des sommes à acquitter ;

D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;

Mais sur le quatrième moyen de cassation pris de la violation des articles 111-3 du Code pénal et 1741 du Code général des impôts, excès de pouvoir :

" en ce que la cour d'appel a déclaré le prévenu coupable de s'être frauduleusement soustrait à l'établissement ou au paiement total ou partiel de l'impôt sur le revenu en ayant volontairement omis en 1989, 1990 et 1991 de faire sa déclaration dans les délais prescrits et l'a condamné à 2 ans d'emprisonnement dont 18 mois avec sursis et à une amende de 300 000 francs ;

" alors que les juges ne peuvent, sans excéder leurs pouvoirs, prononcer d'autre peine que celles prévues par la loi et que l'article 1741 du Code général des impôts, fondement de la condamnation intervenue, prévoyant pour les faits poursuivis une amende maximum de 250 000 francs, la peine prononcée par la cour d'appel méconnaît le principe susvisé en sorte que la cassation est encourue " ;

Vu lesdits articles ;

Attendu que les juges ne peuvent prononcer d'autres peines que celles prévues par la loi ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, qu'après l'avoir déclaré coupable des faits visés à la prévention et énoncé qu'en raison de l'ampleur de la fraude il devait être fait une application ferme de la loi pénale, les juges du second degré ont infligé à Eugène X..., outre une peine d'emprisonnement entrant dans les prévisions de la loi, une amende de 300 000 francs ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que le maximum de l'amende prévue par l'article 1741 du Code général des impôts ne peut, en l'absence des circonstances aggravantes envisagées par ce texte, excéder 250 000 francs, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 17 janvier 1996, mais en ses seules dispositions ayant condamné Eugène X... au paiement d'une amende de 300 000 francs, toutes autres dispositions étant expressément maintenues :

Et attendu que la Cour de Cassation est en mesure de faire application de la règle de droit appropriée ;

Vu l'article L. 131-5 du Code de l'organisation judiciaire ;

FIXE le montant de l'amende au maximum prévu par la loi, soit la somme de 250 000 francs ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.