CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 19 décembre 2014, n° 14/11935
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Le Nouvel Observateur du Monde (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Aimar
Conseillers :
Mme Nerot, Mme Renard
Reprochant à la société Le Nouvel Observateur du Monde, notamment éditeur de presse en ligne, d'avoir, sans leur autorisation, le 14 août 2012, illustré un article consacré au journaliste Yann F. alors décédé sur le site <teleobs.nouvelobs com> en présentant une photographie de celui-ci constituée par une capture d'écran extraite d'un entretien vidéo qu'ils avaient réalisé et publié sur leur site <www unimaginfo.com> le 25 mars 2012, Monsieur Eric F. et Madame Gaëlle L. ont fait procéder à une mesure de constat sur internet le 06 septembre 2012, puis adressé par leur conseil une lettre de mise en demeure essentiellement destinée à dédommager « le site Uni Mag Info », à la contraindre à ajouter un lien redirigeant vers ce site et à préciser par l'ajout d'un bandeau l'origine de cette photographie et efin, selon exploit du 05 novembre 2012, assigné cette société en contrefaçon de droits d'auteur en se prévalant de leurs préjudices « matériel » et moral.
Par jugement contradictoire rendu le 27 mars 2014 , le tribunal de grande instance de Paris a, en substance, rejeté leur demande au titre de la protection du droit d'auteur en les condamnant à verser à la société défenderesse une somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.
Par dernières conclusions notifiées le 27 octobre 2014, Madame Gaëlle L. et Monsieur Eric F., appelants, demandent pour l'essentiel à la cour, au visa des articles L. 111-1, L. 112-2, L. 122-5-3, L. 121-1, L. 131-3, L. 335-2 du code de la propriété intellectuelle, 1382 et 1383 du code civil, d'infirmer le jugement et :
au double constat de la violation des droits attachés à leur oeuvre par la société Le Nouvel Observateur du Monde qui exploite la capture d'écran précitée sans leur autorisation et qui, ne mentionnant pas le nom du site <unimaginfo> par eux créé, porte une atteinte au droit moral attaché à leur oeuvre qui se trouve aggravée par l'inscription de la mention « DR », d'ordonner sous astreinte la suppression sur son site ou sur tout autre support de cette capture d'écran et de condamner la société Le Nouvel Observateur du Monde à leur verser les sommes de 20.000 euros et de 15.000 euros, respectivement au titre de leurs préjudices patrimonial et moral, « sachant que la moitié de ces sommes sera reversée à la famille de Monsieur F. »,
de la débouter de sa demande au titre de ses frais non répétibles en la condamnant à leur verser la somme de 6.000 euros sur ce fondement et à supporter les entiers dépens, sollicitant, de plus, « d'accorder au jugement à venir le bénéfice de l'exécution provisoire ».
Par dernières conclusions notifiées le 30 septembre 2014, la société anonyme Le Nouvel Observateur du Monde prie, en substance, la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, de débouter les appelants de l'intégralité de leurs prétentions en les condamnant « solidairement » à lui verser la somme de 6.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter tous les dépens.
Sur la protection conférée par le droit d'auteur
Considérant que pour voir infirmer le jugement qui, visant les articles L. 111-1 et L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle a énoncé qu'un reportage, au même titre qu'une photographie, doit être original pour donner prise au droit d'auteur et qu'il n'était pas démontré, en l'espèce, que « les images tirées du reportage révèlent l'expression de leur personnalité et seraient originales », les appelants soutiennent que l'originalité de la capture d'écran n'a pas à être démontrée en soi puisqu'elle découle logiquement de l'originalité de la vidéo, « oeuvre principale » d'1 minute et 40 secondes composée de 25 images à la seconde dont la capture d'écran choisie par l'intimée constitue, selon eux, une « oeuvre accessoire » issue de leur création ;
Qu'ils font valoir que l'oeuvre vidéographique qu'ils ont créée à partir de l'interview dont s'agit est susceptible de recevoir la protection conférée par le droit d'auteur et mettent en avant les différents éléments permettant de considérer qu'elle porte l'empreinte de leur personnalité, tirant incidemment argument d'un jugement rendu par une autre formation du tribunal qui a considéré que cette même oeuvre audiovisuelle était originale ou encore de la circonstance que la société Le Nouvel Observateur du Monde ne la conteste qu'en termes généraux sans remise en cause expresse ;
Qu'ils soutiennent que l'exploitation non autorisée de cette capture d'écran est constitutive de contrefaçon et que les conditions requises et strictement interprétées pour bénéficier de l'exception de courte citation que leur oppose l'intimée ne sont pas remplies, s'agissant de ses fins « didactiques », de sa brièveté et du nécessaire respect du droit moral ;
Considérant que la société Le Nouvel Observateur du Monde, relevant que les appelants ne caractérisent en rien l'originalité de l'illustration litigieuse en se contentant de s'en référer au caractère original de l'interview vidéo, se prévalent du caractère licite de cette illustration sur le fondement autonome du droit du public à l'information, à valeur constitutionnelle et supra-législative, dans la mesure où la finalité de sa publication n'était pas d'accroître l'attractivité de leur site à des fins commerciales mais bien, dans l'un des articles de fond qui y sont quotidiennement publiés, d'informer le public ; qu'elle fait valoir, par ailleurs, que l'exception de courte citation prévue à l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle a, en l'espèce, vocation à trouver application en raison de la brièveté de la citation, de la finalité informative de l'oeuvre citante et de l'absence de dénaturation de l'oeuvre citée ;
Considérant, ceci exposé, qu'il ressort du procès-verbal de constat dressé le 06 septembre 2012 à la requête des demandeurs à l'action (pièce 6) que la vidéo portant le titre « entretien Yann F. et Arnaud L. de « Ligne Directe »-France 3 », d'une durée d'une minute et quarante secondes et « réalisée par F.A.E.G. », a été diffusée le 25 mars 2012 et que l'image litigieuse correspond à une capture de cet enregistrement réalisée à la vingt-neuvième seconde de son déroulement (et non point à une minute et quinze secondes comme précisé dans l'assignation ' pièce 8 de l'intimée, page 10) ;
Que cette image représentait en son entier les visages de Messieurs F. et L. faisant face à la caméra ;
Que sa partie gauche, occupée par le seul visage de Monsieur F., a été reprise par la rédaction de TéléObs.com dans un article du 14 août 2012 intitulé « Yann F., rédacteur en chef du 19 /20 de France 3, est décédé » ainsi rédigé :
« France Télévision a annoncé aujourd'hui le décès de Yann F. 39 ans rédacteur en chef adjoint du 19 /20 de France 3.
Le journaliste qui était passé par l'Institut de Journalisme de Bordeaux (1997) avait débuté sur France 2 comme joker des journaux de « Télématin » (2000). Journaliste pour « Envoyé Spécial », grand reporter à la rédaction de France 2 pour « Complément d'enquête » (2001), Yann F. était depuis 2010 rédacteur en chef adjoint du 19 /20 de France 3. En 2012, il était devenu rédacteur en chef du magazine d'informations « Ligne directe » pour France 3. »,
étant ajouté que sur la partie gauche de la photographie et à hauteur du sommet de la tête de Monsieur F. figure, en lettres majuscules lisibles, la mention « UNIMAGINFO » et qu'il est, en outre, mentionné, sous cette photographie :
« Yann F. était aussi rédacteur en chef du magazine d'informations « Ligne directe » sur France 3. DR » ;
Que l'intimée, qui ne conteste pas que les appelants sont les auteurs de cette image en faisant justement valoir que le litige porte sur l'extraction de ce seul visuel du fait qu'il ne lui est pas reproché d'avoir reproduit sans autorisation l'ensemble de la vidéo et ne conteste pas davantage les faits d'extraction reprochés, se place dans la simple hypothèse où l'oeuvre donnerait prise au droit d'auteur puisqu'elle approuve la décision du tribunal qui en a dénié l'originalité ;
Qu'elle ne peut être suivie lorsqu'elle invoque, d'une manière générale, le droit du public à l'information notamment garanti par l'article 10.1 de la Convention européenne des droits de l'Homme dès lors que le monopole légal de l'auteur sur son oeuvre est une propriété incorporelle, garantie au titre du droit de toute personne au respect de ses biens à laquelle le législateur apporte des limites proportionnées, notamment par les exceptions au droit exclusif de l'auteur prévues à l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle qui, pour partie d'entre elles, répondent au besoin d'information du public ;
Qu'aux termes de cet article L. 122-5 :
« Lorsque l'oeuvre a été divulguée, l'auteur ne peut interdire (') 3 ° Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l'auteur et la source : a ) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'oeuvre à laquelle elles sont incorporées (')
Les exceptions énumérées par le présent article ne peuvent porter atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur» ;
Qu'en l'espèce, force est de constater la brièveté de l'emprunt litigieux qui illustre sans démesure, contrairement à ce que prétendent les appelants, l'article publié par la rédaction de TéléObs.com constituant l'oeuvre citante, laquelle brièveté ne saurait non plus être contestée en regard de la durée de l'oeuvre première ; que cet emprunt peut donc être tenu pour une courte citation, au sens de ce texte, ne dispensant pas le public de se référer à cette oeuvre première et ne perturbant pas, partant, son exploitation ;
Que c'est, par ailleurs, en vain que les appelants contestent la finalité informative de l'oeuvre citante que revendique l'intimée et qui permet de justifier l'atteinte au monopole des auteurs en soutenant cumulativement que l'information du décès de ce journaliste n'entrait nullement dans la ligne éditoriale du site TéléObs qui consiste principalement à diffuser des programmes télévisés, que d'autres sites ont relayé l'information en utilisant, moyennant rémunération, d'autres images disponibles de Yann F. ou encore que l'annonce de ce décès qui n'a été officialisé que le lendemain ne revêtait aucun caractère d'urgence ;
Qu'en effet, le texte précité exige seulement que l'emprunt soit justifié par « le caractère (') d'information de l'oeuvre à laquelle (il est) incorporé » ; qu'à cet égard, la société intimée qui rapporte la preuve de sa spécialisation dans l'actualité audiovisuelle (pièce 9) pouvait légitimement, comme elle le soutient, relayer l'information relative au décès d'un journaliste auprès du public dès son annonce et, ce faisant, incorporer au texte écrit une photographie propre à éviter toute méprise sur la personne concernée (ce qui conduisait à exclure de l'image le visage de Monsieur Arnaud L., occupant sa partie droite, comme elle l'a fait sans dénaturation de l'image incorporée) afin de parfaire l'information véhiculée par son écrit ;
Que l'article L. 122-5-3° exige enfin que « soient indiqués clairement le nom de l'auteur et sa source » ; qu'il est constant, en l'espèce, que ne figurent pas sur l'illustration de l'article présenté sur le site <TéléObs.com> les noms de Madame L. et de Monsieur F. mais uniquement, incrustée par ses créateurs, en haut à gauche de l'image et nettement visible, contrairement à ce qu'ils prétendent, la mention du site « UNIMAGINFO » qui avait divulgué l'oeuvre incorporée ;
Qu'il y a lieu de considérer que ce positionnement sur l'image elle-même, permettant au public de comprendre que l'illustration n'est pas l'oeuvre de l'éditeur du site <TéléObs.com> mais constitue un emprunt, et la mention précise du site duquel elle est extraite, qui en constitue la source, satisfont aux exigences de ce texte ;
Que, sur ce point, il peut être relevé, à l'examen de la pièce n° 2 des appelants, que le site <Unimagino.com> ne mentionne pas leurs entiers patronymes mais évoque un « entretien (') réalisé par F.L.E.G. » et qu'en présentation de ce site, à la question « qui ' » il est mentionné : « Des inconnus mais un nom : UNIMAGINFO » ; qu'en outre, dans la lettre de mise en demeure du 17 septembre 2012 (pièce n° 5) le « défaut de crédit » reproché à l'intimée portait sur le seul terme « Uni Mag Info » à l'exclusion de toute mention de patronymes ;
Que les appelants ne peuvent, non plus, déduire de la présence de la mention « DR », figurant comme il a été dit après l'indication de la qualité de réacteur en chef du magazine « Ligne Direct » de France 3 qui était celle du journaliste décédé, la volonté d'appropriation de l'illustration de laquelle cette mention se détache nettement ou celle de « brouiller les pistes » alors qu'ils en soulignaient eux-même l'ambiguïté dans leur lettre de mise en demeure ; qu'en contemplation de cette image incrustée d'une mention conforme aux usages en la matière, le public comprendra clairement qu'elle est empruntée au site « Unimaginfo » avec faculté de se reporter à l'oeuvre qui y est exploitée ;
Qu'il résulte de tout ce qui précède que quand bien même l'image tirée de l'oeuvre vidéographique revendiquée donnerait prise au droit d'auteur, elle bénéficie de l'exception au monopole de l'auteur prévue et régie par l'article L 122-5, 3° sous a) du code de la propriété intellectuelle ;
Que par motifs substitués, le jugement qui a débouté Madame Gaëlle L. et Monsieur Eric F. de leurs entières prétentions doit être confirmé ;
Considérant que l'équité conduit à allouer à l'intimée la somme complémentaire de 3.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Que les appelants qui succombent supporteront les dépens d'appel ;
Confirme le jugement en toutes ses dispositions et, y ajoutant ;
Condamne in solidum Monsieur Eric F. et Madame Gaëlle L. à verser à la société Le Nouvel Observateur du Monde la somme complémentaire de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens, avec faculté de recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.