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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 15 décembre 2022, n° 21/00881

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Astier de Villatte (SAS)

Défendeur :

Meubles Ikea France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Thomas

Conseillers :

Mme Meurant, M. Dusausoy

Avocats :

Me Dupuis, Me de La Roche, Me Gourion, Me Rémy, Me Moya Fernandez

TJ Nanterre, 1re ch., du 10 déc. 2020, n…

10 décembre 2020

EXPOSE DU LITIGE

La société Astier de Villate, spécialisée dans la conception et la fabrication de céramiques et créations parfumées, (ci-après la société Vilatte) se présente comme titulaire des droits de propriété intellectuelle sur le modèle d'assiette français qu'elle a déposé le 28 décembre 2015 (dépôt INPI enregistré sous le n° 2015 6308 avec la description suivante : « Repr.4-1: un chromo est appliqué sur l'ensemble de l'assiette plate, représentant un cadran  de montre » et enregistré en classe 07-01 de la classification de Locarno (ci-après le "Modèle" ou l'Assiette), le déposant étant la société Villate. Ce Modèle a fait l'objet d'une publication et d'un certificat d'identité le 29 juillet 2016 au Bulletin Officiel de la Propriété Industrielle sous le n° 16/15.

La société Meubles Ikéa France (ci-après la société Ikéa) est spécialisée dans le commerce de détail de meubles sur le territoire français.

En octobre 2018, la société Astier de Villate a découvert la commercialisation par cette dernière d'une assiette à dessert référencée « Vinter 2018 », reproduisant les caractéristiques de son modèle.

Par courrier du 5 novembre 2018, la société Astier de Villate a mis en demeure la société Meubles Ikéa France de cesser la commercialisation de son produit en France et à l'étranger, de communiquer les informations comptables sur les ventes et les stocks dans le monde ainsi que sur la campagne publicitaire lancée pour sa commercialisation, de détruire tous les articles référencés « Vinter 2018 » et de convenir d'un communiqué commun.

Par courriel du 12 décembre 2018, la société Meubles Ikéa France a contesté toute contrefaçon et a opposé la nullité du modèle.

La société Astier de Villate a été autorisée, par ordonnance rendue par le délégataire du président du tribunal de grande instance de Nanterre le 5 décembre 2018, à faire pratiquer une mesure de saisie-contrefaçon dans le magasin Ikéa situé au [Adresse 2]. Les opérations de saisie-contrefaçon se sont déroulées le 18 décembre 2018.

Par acte du 15 janvier 2019, la société Astier de Villate a assigné la société Meubles Ikéa France devant le tribunal de grande instance de Nanterre en contrefaçon ainsi qu'en concurrence déloyale et parasitaire.

Par jugement du 10 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Nanterre a :

- Déclaré irrecevables les demandes de la société Astier de Villate au titre de la contrefaçon pour défaut de qualité et d'intérêt à agir ;

- Rejeté les fins de non-recevoir opposées par la société Meubles Ikéa France aux demandes au titre de la concurrence déloyale et parasitaire ;

- Prononcé la nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 18 décembre 2018 ;

- Requalifié les demandes en nullité des procès-verbaux de constat des 2 et 5 novembre 2018 en moyen de défense au fond tendant à leur dénier toute force probante ;

- Rejeté les demandes de la société Astier de Villate au titre de la concurrence déloyale et parasitaire ;

- Rejeté la demande indemnitaire reconventionnelle de la société Astier de Villate (sic) au titre de la saisie abusive ;

- Rejeté la demande de la société Astier de Villate au titre des frais irrépétibles ;

- Condamné la société Astier de Villate à payer à la société Meubles Ikéa France la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la société Astier de Villate à supporter les entiers dépens de l'instance qui seront recouvrés directement par Me Natalia Moya Fernandez conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;

- Dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire du jugement.

Par déclaration du 11 février 2021, la société Astier de Villatte a interjeté appel du jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 23 août 2022, la société Astier de Villatte demande à la cour de :

Déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté par la société Astier de Villatte ;

Y faisant droit,

- Infirmer le jugement du 10 décembre 2020 du tribunal judiciaire de Nanterre en ce qu'il a :

- Déclaré irrecevables les demandes de l'appelante au titre de la contrefaçon pour défaut de qualité et d'intérêt (sic) ;

- Prononcé la nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 18 décembre 2018 ;

- Requalifié les demandes en nullité des procès-verbaux de constat des 2 et 5 novembre 2018 en moyen de défense au fond tendant à leur dénier toute force probante ;

- Rejeté les demandes de la société Astier de Villatte au titre de la concurrence déloyale et parasitaire ;

- Rejeté la demande de la société Astier de Villatte au titre des frais irrépétibles ;

- Condamné la société Astier de Villatte à payer à la société Meubles Ikéa France la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

- Déclarer la société Astier de Villatte recevable en son intérêt et sa qualité à agir en tant que titulaire et déposant du modèle n° 2015 6308-004 ;

- Constater la validité du modèle n° 2015 6308-004 déposé le 28 décembre 2015 à l'Institut National de Propriété Industrielle ;

- Prononcer la validité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 18 décembre 2018 ;

- Prononcer la recevabilité et le caractère probant des photographies prises le 27 octobre 2018 reprises dans la lettre de mise en demeure adressée à la société Meubles Ikéa France et dans l'exposé des faits qui précède le procès-verbal de constat sur Internet dressé par Me [G] le 2 novembre 2018 ;

- Constater que le modèle d'assiette Vinter 2018 Ikéa reprend l'impression d'ensemble caractéristique et propre au modèle 2015 6308-004 de la société Astier de Villatte ;

A titre principal,

- Juger que l'assiette Vinter 2018 Ikéa (réf. 104.031.24) commercialisée par la société Meubles Ikéa France dans les magasins Ikéa et ayant servi à la publicité des magasins Ikéa en France constitue la contrefaçon du modèle déposé le 28 décembre 2015 sous le numéro 2015 6308-004 par la société Astier de Villatte incorporé à l'assiette à dessert Montre [R] (réf ASPJHN9) ;

- Condamner la société Meubles Ikéa France pour contrefaçon au titre de la vente des assiettes Vinter 2018 Ikéa reproduisant l'impression d'ensemble du modèle 2015 6308-004 de la société Astier de Villatte ;

- Condamner la société Meubles Ikéa France à payer au titre des actes de contrefaçon par diffusion d'articles contrefaisants et de publicité réalisée autour des produits contrefaisants à la société Astier de Villatte une indemnité à parfaire de 207.200 euros au titre des faits de contrefaçon qui se sont déroulés en France correspondant à :

- 166 594 euros au titre du manque à gagner et à la perte subis par la partie lésée ;

- 25.000 euros au titre du préjudice moral à raison de la campagne publicitaire, sauf à parfaire avec le coût de la campagne qui serait communiqué par la société Meubles Ikéa France ;

- 15.606 euros au titre des bénéfices réalisés par la société Meubles Ikéa France indépendamment de toutes considérations relatives aux économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci (sic) a retirées de la contrefaçon ;

A titre subsidiaire et dans l'hypothèse où la Cour ne reconnaîtrait pas des actes de contrefaçon,

- Condamner la société Meubles Ikéa France à payer à la société Astier de Villatte la somme de 50.000 euros au titre des actes autonomes et distincts de concurrence déloyale ;

En tout état de cause,

- Déclarer mal fondé l'appel incident de la société Meubles Ikéa France et l'en débouter ;

- Interdire à la société Meubles Ikéa France de commercialiser les assiettes Vinter 2018 Ikéa (réf. 104.031.24) sous astreinte de 50 euros par infraction constatée ;

- Condamner la société Meubles Ikéa France à supporter les entiers dépens en ce compris les frais de saisie contrefaçon ;

- Condamner la société Meubles Ikéa France à payer la somme de 10.000 euros à la société Astier de Villatte au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouter la société Meubles Ikéa France de l'intégralité de ses demandes.

Par dernières conclusions notifiées le 4 juillet 2022, la société Meubles Ikéa France demande à la cour de :

- Déclarer recevable mais mal fondée la société Astier de Villatte en son appel principal ;

- L’en débouter ;

 - Déclarer recevable et fondée la société Meubles Ikéa France en son appel incident ;

Y faisant droit,

- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Rejeté les fins de non-recevoir opposées par la société Meubles Ikéa France aux demandes au titre de la concurrence déloyale et parasitaire ;

- Requalifié les demandes en nullité des procès-verbaux de constat des 2 et 5 novembre 2018 en moyen de défense au fond tendant à leur dénier toute force probante ;

- Rejeté la demande indemnitaire reconventionnelle de la société Astier de Villatte (alors qu'il y a une erreur matérielle sur ce point dans le dispositif du jugement, la demande ayant été formée au nom de la société Meubles Ikéa France) au titre de la saisie abusive ;

Statuant à nouveau,

- Prononcer la nullité, ou en tout cas l'irrecevabilité comme preuve, des deux procès-verbaux de constat des 2 et 5 novembre 2018, dressés par Me [L] [G], huissier de justice ;

- Ecarter des débats les pièces 5, 17 et 18 produites par la société Astier de Villatte ;

- Prononcer la nullité du dessin et modèle français n° 20156308 du 28.12.2015, sollicitée à titre reconventionnel par la société Meubles Ikéa France ;

- Ordonner la transmission de l'arrêt à intervenir à l'INPI pour son inscription sur le registre des dessins et modèles ;

- Condamner la société Astier de Villatte à verser à la société Meubles Ikéa France la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

- Confirmer le jugement entrepris pour le surplus ; En tout état de cause,

- Débouter la société Astier de Villatte de l'ensemble de ses fins, demandes et conclusions ;

- Condamner la société Astier de Villatte aux entiers frais et dépens d'appel, ainsi qu'à payer la somme de 40.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de Ia procédure d'appel à la société Meubles Ikéa France ;

- Dire que les dépens d'appel pourront être directement recouvrés par Me Julie Gourion, avocat au barreau de Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée à l'audience du 6 septembre 2022 à 10h30.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la recevabilité des demandes de l'appelante au titre de la contrefaçon.

Les premiers juges ont déclaré irrecevables les demandes de la société Villate au titre de la contrefaçon pour défaut de qualité et d'intérêt à agir au motif que cette dernière n'avait produit qu'une notice tirée de la base dessins et modèles du site internet de l'INPI, document délivré à titre purement indicatif et qui ne peut être pris en compte ainsi qu'un certificat d'identité du Modèle auquel n'était toutefois pas joint l'état des inscriptions au sens des articles R. 512-13 et 15 du code de la propriété intellectuelle. Ils en ont déduit qu'un tel document, qui livre des informations sur le dépôt et la portée du modèle mais non sur sa titularité contemporaine de l'assignation ou des faits susceptibles de caractériser une contrefaçon, était insuffisant pour prouver la réalité des droits de la société Vilatte sur le Modèle qui a pu être cédé avant l'introduction de l'instance et la commission des faits allégués.

La société Villate fait valoir que l'état des inscriptions a produit pas ses soins en cause d'appel de sorte qu'elle est recevable à agir en contrefaçon.

La société Ikéa se contente de relever l'irrecevabilité retenue par les premiers juges sans s'expliquer davantage.

*

Selon l'article L. 511-9 du code de la propriété intellectuelle, la protection du dessin ou modèle conférée par les dispositions du cinquième livre de ce code s'acquiert par l'enregistrement. Elle est accordée au créateur ou à son ayant cause.

L'auteur de la demande d'enregistrement est, sauf preuve contraire, regardé comme le bénéficiaire de cette protection.

L'article 126 du code de procédure civile prévoit, notamment, que dans le cas où la situation donnant lieu afin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée, l'irrecevabilité est écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue.

*

La cour constate que l'état des inscriptions au registre national des dessins et modèles relatif au Modèle, absent des débats de première instance, communiqué en cause d'appel (pièce 2.ter - Vilatte), a été établi le 30 décembre 2019, postérieurement à la date de l'assignation (15 janvier 2019), avec mention que le titre (n° 2015 6308) n'a fait l'objet d'aucune inscription à cette date. Il s'en déduit qu'au jour de l'introduction de l'instance, la société Vilatte était titulaire du Modèle et qu'elle avait qualité et intérêt à agir en contrefaçon de celui-ci. La société Vilatte régularise ainsi sa situation au regard de l'irrecevabilité retenue par le tribunal, la société Ikéa ne soutenant pas qu'une disposition contraire serait susceptible de s'opposer à cette régularisation.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur la validité du Modèle,

- sur l'action en nullité

En première instance, les premiers juges n'ont pas examiné les moyens développés par la société Ikéa à l'appui de sa demande de nullité du Modèle, les déclarant sans objet dans la mesure où cette demande n'était soulevée que par voie d'exception et non à titre de demande reconventionnelle.

La société Ikéa fait valoir qu'en cause d'appel elle a formé une demande reconventionnelle de sorte que les moyens qu'elle invoque à l'appui de sa demande de nullité doivent être examinés par la cour.

La société Villate ne s'explique pas spécialement sur ce point.

La cour constate qu'au dispositif de ses dernières écritures, la société Ikéa a formé appel incident et sollicite, à titre reconventionnel, que soit prononcée la nullité du Modèle de sorte que ses moyens à l'appui de cette demande seront examinés.

- sur la nullité,

Au visa de l'article L. 511-2 du code de la propriété intellectuelle, la société Ikéa fait valoir l'absence de nouveauté et de caractère propre du Modèle de sorte que sa nullité doit être prononcée par la cour.

Elle ajoute, au visa de l'article L. 511-6 du même code, que pour être protégeable, un dessin ou modèle ne doit pas être identique à une création divulguée antérieurement et qu'un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué s'il a été rendu accessible au public par une publication, un usage ou tout autre moyen, qu'il n'est pas nécessaire que le public ait effectivement eu connaissance de l'antériorité ; il faut - et il suffit - que le public ait été en mesure d'en prendre connaissance. Elle rappelle que les antériorités ne sont pas limitées territorialement.

Elle fait également valoir, au visa de l'article L. 511-4 du code de la propriété intellectuelle, que le modèle doit posséder un caractère propre, c'est-à-dire qu'il ne doit pas susciter une impression de "déjà vu" dans son ensemble, par rapport à d'autres modèles divulgués avant la date de dépôt et qu'en l'espèce, les caractéristiques du Modèle se trouvent sur bon nombre de modèles d'assiettes qui ont été divulgués au public bien avant son dépôt, le 28 décembre 2015.

La société Vilatte fait valoir que l'opposabilité d'une antériorité s'apprécie en fonction de l'étendue revendiquée du dépôt effectué et du contenu des antériorités opposées et enfin de la connaissance raisonnable des dites antériorités par des observateurs avertis dans l'Union Européenne.

Elle soutient, au visa des articles L. 511-3 et 511- 4 du code de la propriété intellectuelle, qu'un dessin ou un modèle est nouveau (i) s'il n'a pas été divulgué antérieurement à son dépôt (à l'exception d'un délai de 12 mois si la divulgation a été réalisée par l'auteur de la création enregistrée ou par son déposant), (II) s'il en émane une impression visuelle d'ensemble chez un observateur averti qui diffère de l'existant au jour de son dépôt.

*

L'article L. 511- 1 du code de la propriété intellectuelle dispose que : « Peut être protégée à titre de dessin ou modèle l'apparence d'un produit, ou d'une partie de produit, caractérisée en particulier par ses lignes, ses contours, ses couleurs, sa forme, sa texture ou ses matériaux. Ces caractéristiques peuvent être celles du produit lui-même ou de son ornementation.

Est regardé comme un produit tout objet industriel ou artisanal, notamment les pièces conçues pour être assemblées en un produit complexe, les emballages, les présentations, les symboles graphiques et les caractères typographiques, à l'exclusion toutefois des programmes d'ordinateur ».

L'article L. 511-2 du même code prévoit que : « Seul peut être protégé le dessin ou modèle qui est nouveau et présente un caractère propre ».

L'article L. 511-3 de ce code stipule que : « Un dessin ou modèle est regardé comme nouveau si, à la date de dépôt de la demande d'enregistrement ou à la date de la priorité revendiquée, aucun dessin ou modèle identique n'a été divulgué. Des dessins ou modèles sont considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne diffèrent que par des détails insignifiants ».

L'article L. 511-4 de ce même code précise que : « Un dessin ou modèle a un caractère propre lorsque l'impression visuelle d'ensemble qu'il suscite chez l'observateur averti diffère de celle produite par tout dessin ou modèle divulgué avant la date de dépôt de la demande d'enregistrement ou avant la date de priorité revendiquée.

Pour l'appréciation du caractère propre, il est tenu compte de la liberté laissée au créateur dans la réalisation du dessin ou modèle ».

*

Sur l'antériorité,

L'article L. 511-6 du code de la propriété intellectuelle énonce en son premier paragraphe qu'un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué s'il a été rendu accessible au public par une publication, un usage ou tout autre moyen. Il n'y a pas divulgation lorsque le dessin ou modèle n'a pu être raisonnablement connu, selon la pratique courante des affaires dans le secteur intéressé, par des professionnels agissant dans la Communauté européenne, avant la date du dépôt de la demande d'enregistrement ou avant la date de priorité revendiquée.

*

La nouveauté existe si, à la date du dépôt de la demande d'enregistrement, aucun dessin ou modèle identique n'a été divulgué. La nouveauté s'apprécie par rapport à l'état de l'art antérieur à la date de dépôt.

La nouveauté est détruite uniquement si une antériorité de toutes pièces existe, une combinaison de dessins et modèles déjà divulgués n'étant pas suffisante à cet égard.

En l'espèce, le Modèle se présente ainsi :

La société Ikéa oppose à la société Vilatte l'antériorité d'un modèle divulgué depuis 2012, figurant sur le site marchand de la société [N] [R] Company lors de la collection d'automne 2012 (pièce 10 - Ikéa), ainsi reproduit selon l'extrait du procès-verbal de constat du 14 avril 2020 (pièce n° 7 - Ikéa) :

La société Ikéa expose que ce modèle a été, depuis 2013, exposé au « Gift Show » (foire du cadeau) qui se tient annuellement à New-York (pièce 9 - Ikéa). La photographie associée cette pièce ne permet cependant pas de distinguer clairement l'assiette litigieuse.

La société Ikéa fait également valoir que la presse s'est faite l'écho d'un accord passé en 2012 entre M. [N] [R] et la société Vilatte dont cette dernière a fait état (pièce 21 - Vilatte) ce dont il se déduirait que la société Vilatte aurait, à cette occasion, divulgué ce modèle. Ce n'est toutefois que le 17 juin 2021, postérieurement au dépôt du Modèle (27 décembre 2015) que la presse a évoqué cet accord.

Ces éléments ne peuvent justifier une antériorité.

En revanche, l'extrait du site marchand de la société [N] [R], reproduisant presque à l'identique le Modèle, porte la   mention : « Fall 2012 [automne 2012] ' [N] [R] Company Inc » susceptible d'établir une antériorité (automne 2012), la demande d'enregistrement du Modèle ayant été effectuée le 28 décembre 2015.

Pour échapper au risque d'antériorité, la société Vilatte prétend que le monopole dont elle se prévaut pour le Modèle se limiterait à certains supports, selon la classification de Locarno (0701), c'est à dire aux « tasse, assiette plate, assiette à dessert, plat, soucoupe, théière, coupe sur pied, assiette, assiette creuse". Elle précise que le Modèle s'appliquerait à une assiette à dessert en céramique (au diamètre de 20,5 cm) et qu'il n'empiète pas sur le domaine d'activité de son partenaire la société [N] [R] Company », laquelle réalise des 'panneaux muraux, des presse-papiers en demi-sphère boule et des assiettes vide-poche ou "à monnaie" visés par la classe 19-02 de la classification de Locarno. Elle fait valoir, en particulier, que l'effet visuel du presse-papiers semi-sphérique et l'assiette "à monnaie" se distingue du Modèle par « une teinte de couleur différente (évocatrice d'un dessin ancien), une surbrillance-iridescence liée à la propriété réflective des articles verriers, un cadran sans débord perceptible du cerclage, un verre régulier industriel à l'inverse de l'aspect d'une faïence rustique ». Ainsi, l'observateur averti perçoit les différences distinguant le Modèle, une assiette en faïence selon elle, des articles en verre décoratif produit par la société [N] [R] Company.

En suivant cette argumentation, la société Vilatte s'attache à distinguer les mérites propres des modèles litigieux plutôt qu'à démontrer l'absence d'antériorité.

Par ailleurs, selon l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), la classification de Locarno n'a « qu'un caractère administratif » et ne lie pas les pays contractants « quant à la nature et à l'étendue de la protection du dessin ou modèle dans ces pays » (article 2.1 de l'arrangement de Locarno) de sorte que la référence à cette classification est inopérante au regard de l'antériorité.

Il est admis, en outre, que la nouveauté du modèle s'apprécie non pas en fonction de l'usage que peut en faire le consommateur mais au vu de ce qui est représenté sur le dépôt de sorte qu'il importe peu, au regard de l'antériorité, que le Modèle soit destiné à un usage décoratif (assiette murale) ou fonctionnel ("vide-poche", presse- papier) ou encore utilisé sur un support de verre ou de faïence.

Il sera rappelé, enfin, que le Modèle a été déposé avec la seule description : « un chromo est appliqué sur l’ensemble de l'assiette plate, représentant un cadran de montre' sans autre précision de formes, de couleurs ou d'aspect ».

Un simple examen comparatif visuel conduit à considérer comme identiques ces modèles (le Modèle et l'assiette figurant au catalogue automne 2012 [N] [R]). L'absence sur le modèle [R] de ce qui peut être considéré comme un socle de remontoir (à 12 heures du dessin) d'une montre à gousset et de ce qui apparaît comme une charnière de fermoir (à 9 heures du dessin) figurant sur le Modèle relève du détail insignifiant en l'espèce au regard de l'emploi sur chacun des modèles d'une triple couronne identique dont deux hachurées en sens contraire pour imiter le contour d'un cadran horaire d'une montre, du marquage identique des heures et des minutes sous forme d'une quatrième couronne composée de points de taille et de forme similaires, de l'utilisation de chiffres romains de même typographie, d'épaisseur et de taille identiques pour marquer identiquement les heures et de l'heure semblable qui y figure (10h08) marquée par des aiguilles de même forme et de même dimension.

La société Vilatte oppose cependant l'absence de date certaine du document produit par la société Ikéa à l'appui de sa revendication d'antériorité. Toutefois, le procès-verbal du 14 avril 2020 (pièce 7 - Ikéa) établit que la photographie du modèle d'assiette litigieux figure dans la collection d'automne 2012 du site marchand de la société [N] [R] Company.

La société Vilatte allègue d'un "montage" sans pourtant le démontrer, alors que le procès-verbal querellé a été dressé par un huissier de justice.

La cour observe, par ailleurs, que dans la liste des articles donnant lieu à redevances dues par la société Vilatte à la société [N] [R] au 2ème semestre 2014 (pièce 21ter-1.b - Vilatte) soit avant le dépôt du Modèle, sont mentionnées notamment une "Assiette creuse [N] coccinelle" et une "Assiette creuse [N] libellule" lesquelles assiettes figurent également au catalogue [N] [R] automne 2012 au côté du dessin litigieux "time pièce" (pièce 7 - Ikéa) ce qui conforte une diffusion effective de ce dessin "time pièce" en 2012 et en tous cas avant décembre 2015 auprès de professionnels du secteur.

La cour relève, en outre, la concomitance entre l'année de parution du catalogue où figure le modèle d'assiette[N] [R] (automne 2012) et la conclusion d'un accord de licence le 29 juin 2012 entre la société Vilatte et la société [N][R] Company. Aux termes de ce "Gentlemen Agreement" (pièce 21 - Vilatte), la société Vilatte bénéficie d'une licence donnée par son partenaire lui permettant de fabriquer et commercialiser des produits à partir d'images du fond d'archives '[N] [R]' constitué de réimpression en couleur d'images des 18ème et 19ème siècles. Le Modèle s'inscrit dans cet esprit "ancien temps".

Enfin, un extrait d'un compte Instagram (pièce 8 - Ikéa), daté du 19 août 2015, soit avant le dépôt du Modèle, laisse apparaître le modèle d'assiette [N] [R] avec un commentaire se référant à la "johnderiancompany".

La société Vilatte, se fondant sur les dispositions de l'article L. 511-6 du code de la propriété intellectuelle, fait également valoir qu'il n'y a pas de divulgation lorsque le dessin ou le modèle n'a pu être raisonnablement connu, selon la pratique courante des affaires dans le secteur intéressé, par des professionnels agissant dans la Communauté européenne avant la date du dépôt de la demande d'enregistrement.... Elle expose que la société Ikéa ne produit pas d'extrait de journaux ou de sites internet qui révéleraient l'intérêt de consommateurs et de professionnels français ou européens.

Il est admis qu'il appartient au titulaire du droit dont la validité est contestée d'établir que l'antériorité qui lui est opposée n'a pu être raisonnablement connue des professionnels.

L'existence d'un accord précédemment mentionné du 29 juin 2012 entre la société Vilatte implantée en France et son partenaire américain démontre l'intérêt de professionnels (en l'occurrence la société Vilatte) agissant au sein de la Communauté européenne pour le "design" issu de créateurs nord-américains.

La société Vilatte succombe à rapporter la preuve que l'antériorité qui lui est opposée n'a pu être raisonnablement connue des professionnels agissant au sein de la "Communauté européenne".

De ce qui précède, il se déduit que le Modèle a fait l'objet d'une divulgation dès 2012 par internet, constatée par huissier (pièce 7- Ikéa), rendant accessible le modèle [N] [R] avant la date de dépôt d'enregistrement du dit Modèle en 2015.

Il y a donc lieu de prononcer la nullité du Modèle pour défaut de nouveauté sans qu'il soit nécessaire de vérifier le caractère propre de celui-ci.

La nullité du dépôt INPI du 28 décembre 2015 enregistré sous le n°20156308 sera prononcée dans la limite de la seule description suivante : "Repr.4-1: un chromo est appliqué sur l'ensemble de l'assiette plate, représentant un cadran de montre' ainsi qu'à l'image correspondante identifiée sous le N° 4-1 983 977".

La cour ordonnera la transmission de la présente décision pour inscription sur le registre des dessins et modèles tenu par l'Institut national de la propriété industrielle (INPI).

Sur la contrefaçon,

Le Modèle déclaré nul ne peut donner lieu à une action en contrefaçon de sorte qu'il y a lieu de déclarer irrecevable l'action en contrefaçon de la société Vilatte.

Sur la concurrence déloyale et parasitaire

Il résulte des article 1240 et 1241 du code civil que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, même commis par négligence ou imprudence, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, la concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce qui implique qu'un signe qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce.

L'appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté d'usage, l'originalité et la notoriété de la prestation copiée.

Le parasitisme, qui s'apprécie dans le même cadre que la concurrence déloyale dont il est une déclinaison mais dont la constitution est toutefois indifférente au risque de confusion, consiste dans le fait pour une personne physique ou morale de profiter volontairement et déloyalement sans bourse délier des investissements, d'un savoir-faire ou d'un travail intellectuel d'autrui produisant une valeur économique individualisée et générant un avantage concurrentiel.

- Sur la recevabilité de l'action en concurrence déloyale et parasitaire

La recevabilité de l'action en concurrence déloyale est indépendante de la recevabilité de l'action en contrefaçon.

L'action en concurrence déloyale et l'action en contrefaçon procèdent de causes différentes et ne tendent pas aux mêmes fins ; la seconde n'est pas l'accessoire, la conséquence ou le complément de la première.

En l'espèce, l'action en concurrence déloyale et parasitaire est invoquée par la société Vilatte non plus à titre complémentaire de son action en contrefaçon, comme en première instance, mais à titre subsidiaire devant la cour de sorte que celle-ci peut invoquer les mêmes faits que ceux allégués au titre de l'action en contrefaçon dont elle a été déboutée.

La fin de non-recevoir des demandes formées par la société Vilatte opposée par la société Ikéa au motif que la société Vilatte ne pourrait invoquer les mêmes faits que ceux présentés au titre de la contrefaçon doit être écartée.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

- Sur les actes de concurrence déloyale et parasitaire

Il appartient à la société Vilatte d'établir les faits commis par la société Ikéa caractérisant une concurrence déloyale et parasitaire.

Au préalable, il convient d'examiner les demandes de nullité d'actes ou de rejets de pièces produits par la société Vilatte, opposées par la société Ikéa. A cet égard, la cour relève, comme les premiers juges, que s'agissant du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 18 décembre 2018, la société Ikéa ne conteste pas son utilisation par la société Vilatte dans le cadre de l'action en concurrence déloyale initiée par la société Vilatte.

Sur la validité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 18 décembre 2018.

La société Vilatte critique le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la nullité du procès-verbal de saisie- contrefaçon du 18 décembre 2018 au motif essentiel que le représentant de la société Ikéa n'aurait pas bénéficié d'un temps suffisant pour prendre connaissance de la requête et de l'ordonnance avant le début des opérations de saisie-contrefaçon alors que la chronologie des actes suffit à démontrer que ce représentant, en l'occurrence le directeur juridique de la société Ikéa, a bénéficié de 10mn pour examiner ces documents ce qui était amplement suffisant, la société Ikéa ne démontrant pas l'existence d'un grief.

La société Ikéa sollicite la confirmation de la nullité. Elle fait valoir que le procès-verbal ne fait pas mention de ce que l'huissier était porteur de la minute de l'ordonnance. Elle soutient l'absence de délai entre la signification de l'ordonnance et le début des opérations de saisie. Elle fait valoir que l'huissier a outrepassé ses pouvoirs en posant des questions au représentant de la société Ikéa visant à obtenir des aveux. Enfin, l'huissier n'aurait pas remis au saisi copie du procès-verbal de saisie-contrefaçon.

*

L'article 495 du code de procédure civile prévoit que : « L'ordonnance sur requête est motivée. Elle est exécutoire au seul vu de la minute. Copie de la requête et de l'ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée. »

L'article 649 du code de procédure civile dispose que la nullité des actes d'huissiers est régie par les dispositions qui gouvernent la nullité des actes de procédure.

L'article R. 521-3 du code de la propriété intellectuelle dispose que « Lorsque le juge a subordonné la saisie à la constitution de garanties par le demandeur, celles-ci doivent être constituées avant qu'il soit procédé à la saisie.

A peine de nullité et de dommages-intérêts contre l'huissier, celui-ci doit, avant de procéder à la saisie, donner copie aux détenteurs des objets saisis ou décrits de l'ordonnance et, le cas échéant, de l'acte constatant la constitution de garanties. Copie doit être laissée aux mêmes détenteurs du procès-verbal de saisie ».

*

Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

Il est admis que le saisi doit disposer d'un délai raisonnable pour appréhender l'étendue des pouvoirs conférés à l'huissier instrumentaire. La portée des droits de ce dernier ne peut être déterminée que si celui-ci inscrit au procès-verbal l'heure de la signification de l'ordonnance et de la requête et celle du début des opérations de saisie

En l'espèce, la preuve est rapportée que la copie de la requête et de l'ordonnance, du 5 décembre 2018,autorisant les opérations de saisie-contrefaçon, a été remise à la société Ikéa le 18 décembre 2018 à 14h30 entre les mains de M. [C] [T], directeur juridique de la société Ikéa France (pièce 16bis - Vilatte, recto "signification d'une ordonnance rendue sur requête" et verso "signification de l'acte à personne morale").

Le procès-verbal de saisie-contrefaçon dénommé "constat sur ordonnance" du 18 décembre 2018 (pièce 16 - Vilatte) précise que les opérations de saisie ont débuté à 14h40 et ont été clôturées à 15h35. Il y est indiqué que la requête et l'ordonnance ont été signifiées préalablement (14h30), avec la mention de ce que lecture de ceux-ci a été faite par l'huissier.

Si cet acte ne précise pas le temps mis à disposition de M. [T] pour prendre connaissance lui-même de la requête et de l'ordonnance, la lecture de ceux-ci par l'huissier, lui aurait permis de disposer d'un temps suffisant pour en connaître, en l'espèce 10 mn, s'agissant d'une requête de 6 pages et d'une ordonnance de 2 pages, le tout dactylographié.

Toutefois, il existe une incohérence chronologique que la cour relève comme les premiers juges. En effet, le procès- verbal de constat sur ordonnance mentionne que les opérations de saisie ont débuté à 14h40 alors que ce même procès-verbal mentionne en page 2 que l'huissier instrumentaire a rencontré M. [T] à 14h30 avec les précisions suivantes : « Arrivé sur place, je rencontre Mr [C] [T], Directeur Juridique, à 14heures 30 Minutes (sic)...J'AI PROCÉDÉ AUX OPÉRATIONS DÉCRITES CI-APRES : Mr [T] [C] me conduit dans les bureaux. Il m'a été communiqué le nom du fournisseur de l'assiette... » ce dont il se déduit que les opérations de saisie ont débuté immédiatement dès 14h30 et non à 14h40, ne laissant aucun répit à M. [T] pour prendre connaissance de la requête et de l'ordonnance de son propre chef ou par lecture de l'huissier.

Il en résulte une incertitude sur le temps dont a disposé effectivement M. [T] pour prendre connaissance de la requête et de l'ordonnance (par lecture ou par lui-même), préalablement aux opérations de saisie.

Relevant cette incohérence chronologique, les premiers juges ont prononcé la nullité du procès-verbal de saisie- contrefaçon en se fondant notamment sur les dispositions de l'article R. 521-3 du code de la propriété intellectuelle qui prévoient à peine de nullité et de dommages et intérêts que l'huissier, avant de procéder à la saisie, doit donner copie de l'ordonnance ainsi que copie du procès-verbal de saisie-contrefaçon "aux détenteurs des objets saisis". Toutefois ces dispositions ne trouvent à s'appliquer que lorsque le juge a subordonné la saisie à la constitution de garanties par le demandeur ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

L'impossible vérification du délai laissé à M. [T] pour examiner la requête et l'ordonnance à cause d'une contradiction horaire au procès-verbal de saisie-contrefaçon constitue une irrégularité de fond au sens de l'article 117 du code de procédure civile affectant la validité de l'acte, puisqu'elle conduit à constater une atteinte au respect des droits de la défense.

Il apparaît, en outre, que le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 18 décembre 2018 ne précise pas quel huissier était porteur de la minute de l'ordonnance alors que celle-ci est exécutoire au seul vu de la minute, copie de la requête et de l'ordonnance étant laissée à la personne à laquelle elle est opposée ainsi qu'en dispose l'article 495 du code de procédure civile. Si la société Vilatte justifie que l'huissier instrumentaire a effectivement remis copie de la requête et de l'ordonnance à la société Ikéa, il n'est pas établi qu'il était porteur de l'original de l'ordonnance au saisi. Il en résulte, également, une irrégularité de fond entachant la validité de l'acte sans qu'il soit nécessaire que la société Ikéa démontre l'existence d'un grief ce, en application des dispositions de l'article 119 du code de procédure civile, et qu'une régularisation de l'acte s'avère impossible.

Le jugement sera confirmé, par substitution de motifs, en ce qu'il a prononcé la nullité du procès-verbal de saisie- contrefaçon du 18 décembre 2018.

Sur la validité des procès-verbaux des 2 et 5 novembre 2018.

En première instance, la société Ikéa avait sollicité la nullité ou en tout cas l'irrecevabilité comme preuve des procès-verbaux de constat "internet" effectués par Me [G] à l'initiative de la société Vilatte les 2 et 5 novembre 2018. Le tribunal avait requalifié cette prétention en moyen de défense au fond tendant à dénier leur caractère probatoire, la société Ikéa ne soutenant pas l'existence d'un vice de forme ou de fond.

Dans sa motivation, le tribunal avait retenu que ces deux procès-verbaux établissaient que l'assiette "Vinter 2018" avait été proposée à la vente par la société Ikea en France au prix de 2,99 €.

En appel, la société Ikéa sollicite de la cour qu'elle prononce la nullité ou en tout cas l'irrecevabilité comme preuve de ces deux procès-verbaux. La société Ikéa ne soutient aucun moyen au titre de la nullité dans sa motivation à l'appui de sa prétention, de sorte que la cour écartera cette demande en application des dispositions de l'article 954 alinéa 2 du code de procédure civile, la cour ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examinant les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.

La société Ikéa se limite, en réalité, à contester la force probante des deux procès-verbaux au motif que l'huissier n'aurait pas respecté toutes les diligences techniques nécessaires à l'établissement d'un constat en ne procédant pas à la suppression de l'ensemble des fichiers temporaires stockés sur l'ordinateur. Elle reproche également aux constats litigieux de mentionner l'adresse IP du site www. Ikéa.com alors qu'il s'agit d'une donnée personnelle de la société Ikéa protégée par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 et le Règlement européen du 25 mai 2018.

La société Ikéa n'explique pas en quoi la révélation d'une donnée personnelle affecterait la force probatoire des constats. La société Ikéa n'explique pas davantage en quoi l'absence de la seule indication de la suppression des fichiers temporaires affecterait la force probatoire des constats, alors que l'huissier instrumentaire indique avoir procédé à des 'opérations de purge' de son équipement informatique, et notamment à la 'purge complète de l'historique de navigation et paramétrage' de son navigateur en utilisant un logiciel (Ccleaner Free) dont la spécificité consiste précisément à détecter et nettoyer des fichiers temporaires (pièce 22 - Vilatte).

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Ikéa de sa demande de nullité ou d'irrecevabilité comme preuve des procès-verbaux des 2 et 5 novembre 2018.

Sur les pièces 5, 17 et 18 produites par la société Vilatte

La société Ikéa sollicite, dans son dispositif, d'écarter les pièces 5, 17 et 18 produites par la société Vilatte au seul motif que celles-ci ne présenteraient pas de caractère probant.

La pièce 5 se compose de deux photographies d'une affiche publicitaire dont l'annonceur est Ikéa, reproduisant une assiette avec un dessin d'horloge au côté de laquelle figure la mention "Vinter 2018" et le prix de 2,99 €, prises selon l'intitulé de la pièce dans le métro parisien le 27 octobre 2018. La société Ikéa fait valoir qu'elles sont dépourvues de force probante dans la mesure où l'auteur de ces clichés est inconnu et leur date indéterminable ce qui ne suffit pas à soustraire cette pièce à la libre appréciation de la cour.

La pièce 18 reproduit la photographie d'un ticket de caisse émis par la société Ikéa daté du 14 décembre 2018 correspondant à l'achat de deux articles dénommés "Vinter 2018" au prix de 5,98 € (2x2,99 €). La société Ikéa soutient que la société Vilatte ne rapporte pas la preuve certaine qui lui incombe que le produit concerné par ce ticket de caisse correspondrait au modèle litigieux argué de contrefaçon. L'allégation du défaut de caractère probatoire de cette pièce ne suffit pas à écarter celle-ci de l'examen de la cour, laquelle considère que ce ticket de caisse correspond à l'achat de deux assiettes "Vinter 2018" commercialisées par la société Ikéa et arguées de contrefaçon...

La pièce 17 est constituée de 4 pages, sur papier libre, légendées "Assiette à dessert Vinter 2018", sur lesquelles figurent des photographies recto et verso de cette assiette ainsi que des détails de celle-ci. La société Ikéa reprend la motivation du tribunal relevant que cette pièce ne comporte aucune référence correspondant au ticket de caisse (pièce 18 - Vilatte). Cet argument ne suffit pas à écarter cette pièce du contrôle de la cour.

Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de rejet des pièces 5, 17 et 18 versées par la société Vilatte.

Le jugement qui n'a pas rejeté dans son dispositif la pièce 17 sera confirmé.

- Sur la caractérisation de la concurrence déloyale et parasitaire.

La société Vilatte fait valoir que la commercialisation, continue depuis 2016, du modèle d'assiette 2015 6308-004 (commercialisée sous la référence ASPJHN9) déposé par ses soins à l'INPI, exclut qu'un professionnel au fait des tendances dans le domaine des arts de la table en ignore l'existence. Elle prétend qu'en sa qualité d''acteur professionnel reconnu', elle bénéficie d'une renommée certaine, ses créations recevant un accueil favorable des prescripteurs de tendance. Elle affirme que la société Ikéa a délibérément choisi comme support destiné à porter sa campagne publicitaire précédant les fêtes de fin d'année, une assiette à dessert, adaptée du modèle d'assiette qu'elle a déposé, non déclinée en service afin de la commercialiser comme un produit saisonnier "one shot" impliquant un nombre très important de ventes dans un temps restreint, et générant un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, permettant ainsi au groupe Ikéa et à la société Ikéa en France de « tirer profit sans bourse délier de la valeur économique de la SAS Astier de Villatte et de se procurer, ainsi, un avantage concurrentiel injustifié, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements conséquents » alors qu'elle a consacré des sommes considérables en vue de promouvoir son image de créativité et le caractère exclusif de ses produits en maintenant, ainsi, sa renommée dans le monde entier. Elle sollicite la condamnation de la société Ikéa à la somme de 50.000 €.

La société Ikéa fait valoir que la commercialisation d'un produit qui constitue l'imitation ou la reproduction d'un autre, même servile, n'est pas en soi constitutif d'un acte de concurrence déloyale mais procède du principe de la liberté du commerce et de la libre concurrence. Elle soutient que la société Vilatte ne produit aucune preuve des actes argués de concurrence déloyale ni ne fournit la démonstration d'un risque de confusion. Elle expose que les différences majeures entre les modèles litigieux et l'absence de reprise des éléments dominants du modèle Vilatte s'opposent à toute confusion dans l'esprit du consommateur alors qu'au surplus, les circuits de distribution et les marchés sont différents. Enfin, elle indique que la société Vilatte ne justifie d'aucun préjudice, manque à gagner ou perte subie.

*

Sur le risque de confusion,

Les premiers juges ont relevé, à raison, que l'idée de décorer une assiette avec le cadran d'une montre ou d'une horloge est banale. Elle est aussi d'application ancienne et d'une grande variété dans sa mise en œuvre ainsi que les constatations effectuées par huissier le révèlent (pièce 3 - constat du10 avril 2019 - Ikéa), largement antérieure au 28 décembre 2015 (date du dépôt du Modèle annulé). Dans cette profusion d'offres d'assiette décorée d'une horloge ou d'une montre, la société Vilatte n'établit pas que le dessin reproduit sur l'assiette Vinter 2018 commercialisée par la société Ikéa s'inspire directement et nécessairement du dessin déposé de l'assiette Vilatte mise en vente pour la première fois le 10 octobre 2015 (p 17 des écritures Vilatte - factures selon pièces 31-1 à 31-3 Vilatte).

Les dessins litigieux, appréciés dans leur ensemble, sont suffisamment distincts ainsi que les premiers juges l'ont relevé.

Ainsi, l'examen comparatif des assiettes commercialisées par Vilatte et Ikéa conduit aux constations suivantes :

- la forme des traits offre l'impression d'un dessin maladroitement exécuté dont l'effet est plus prononcé sur l'assiette Ikéa que sur l'assiette Vilatte,

- le dessin de l'assiette Ikéa gravé en creux donne une sensation de contraste plus accentuée que celle produite par l'assiette de la société Vilatte,

- chacun des cadrans horaires présente un fin méplat avec un débord irrégulier. Il est décentré par rapport à son support (assiette) mais l'impression de décentrage est plus visible sur l'assiette Ikéa,

- la marque des heures et des minutes s'exprime en points pour l'assiette Vilatte et en traits et points pour l'assiette Ikéa,

- l'index des heures figure en chiffres romains sur chacune des assiettes avec une épaisseur de trait (3 mm pour l'assiette Vilatte, 2 mm pour celle d'Ikéa) et une hauteur différente (2,5 cm pour l'assiette Vilatte, 2 cm pour celle d'Ikéa),

- le dessin fantaisiste des aiguilles, plus fines que celles figurant sur l'assiette Ikéa, marquant les heures et minutes est plus ouvragé sur l'assiette Vilatte (présence d'une fleur de lys stylisée),

- les aiguilles de l'assiette Vilatte indiquent 10h08 et 11h57 pour l'assiette Ikéa,

- l'instrument de mesure du temps représenté par la société Vilatte n'est pas un cadran d'horloge mais la représentation de la face avant d'une montre à gousset ouverte, dont le remontoir et la charnière du couvercle sont partiellement dessinés alors que l'assiette Ikéa se limite au dessin d'un cadran horaire,

- le pourtour du cadran Vilatte est constitué de trois cercles d'épaisseur différente, chacun étant marqué par des hachures de sens contraire selon les cercles lui conférant une certaine lourdeur propre au style ancien revendiqué, alors que le pourtour de l'assiette Ikéa se compose de deux cercles au rendu plus léger, séparés par un espace empli de pointillés, eux-mêmes en cercle.

Ainsi que les premiers juges l'ont relevé, ces éléments permettent de différencier une montre gousset d'un simple cadran horaire, les produits litigieux, pris en leurs caractéristiques combinées et appréciés globalement, sont suffisamment distincts pour ne pas être confondus.

Ces différences majeures et l'absence de reprise d'éléments dominants sont suffisantes pour éviter qu'un consommateur sensible à l'art décoratif n'opère de confusion entre eux au point de préférer acheter l'assiette Ikéa au prix de 2,99 € au lieu de 75 € pour l'assiette Vilatte (pièce 31-1 - Vilatte).

Le risque de confusion s'éloigne d'autant plus que les circuits de distribution sont différents. Ainsi la société Vilatte déclare concevoir et fabriquer artisanalement des céramiques à pâte noire couverte d'un émail blanc laiteux selon un savoir-faire hérité de l'estampage manuel du 18ème siècle qu'elle commercialise dans ses propres boutiques, dans des magasins sélectionnés situés en centre-ville proposant des produits équivalents ou dans les espaces dédiés à ses produits (department store) dans les grands magasins (Londres, New-York,...), alors que la société Ikéa qui se déclare spécialisée dans le commerce de meubles dispose de surfaces de vente importantes à son enseigne et généralement placées à l'extérieur des centres-villes.

Par ailleurs, la seule production par la société Vilatte de photographies non datées de panneaux publicitaires ne suffit pas à démontrer l'intention prétendue de la société Ikéa de profiter du dessin de l'assiette Vilatte afin de commercialiser massivement et 'one shot' en période de Noël sa propre assiette.

La cour adoptera la motivation des premiers juges constatant qu'aucun risque de confusion n'étant prouvé et la vente d'un produit, même à supposer qu'il soit la copie de celui d'un concurrent, à un prix inférieur dont le caractère dérisoire n'est pas prouvé, n'était pas fautive, de sorte que les demandes subsidiaires de la société Villate au titre de la concurrence déloyale doivent être rejetées.

Sur le parasitisme,

 - la renommée

La société Vilatte communique des articles de presse (pièces 12 et 13 - Vilatte) à caractère promotionnel sans verser aux débats d'étude de notoriété ou de mesure de parts de marché pertinent par rapport à la société Ikéa de sorte que la cour, comme les premiers juges, ne peut apprécier objectivement la renommée dont elle se prévaut afin de vérifier si la société Ikéa a, le cas échéant, profité de celle-ci pour commercialiser son "Assiette Vinter 2018".

- les investissements

La société Vilatte ne produit aux débats aucun élément (comptable, commercial, financier) susceptibles de justifier les investissements "considérables" qu'elle prétend avoir effectués pour assurer la conception, la promotion et la commercialisation de son assiette.

La société Vilatte ne démontre pas que la société Ikéa s'est inscrite dans son sillage pour profiter "sans bourse délier" des investissements prétendument réalisés par la société Vilatte afin de commercialiser l'assiette "Vinter 2018" et profiter ainsi à peu de frais d'un avantage concurrentiel.

En conséquence, la demande subsidiaire de la société Villate au titre du parasitisme sera rejetée et le jugement confirmé sur ce point.

Sur l'interdiction de commercialiser les assiettes Vinter 2018 Ikéa

Au regard de la solution retenue par la cour il n'y pas lieu de faire droit à la demande de la société Vilatte d'interdire à la société Ikéa de commercialiser les assiettes Vinter 2018.

Sur la procédure abusive,

La société Ikéa fait valoir que la société Vilatte a agi de mauvaise foi car elle n'ignorait pas que le modèle qu'elle a déposé en 2015 avait fait l'objet dès 2012 d'une divulgation à l'occasion de la commercialisation de ce modèle par son partenaire [N] [R]. Elle s'estime fondée à solliciter la condamnation de la société Vilatte à lui verser la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

L'exercice d'une action en justice de même que la défense à une telle action constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à l'octroi de dommages-intérêts que lorsqu'est caractérisée une faute en lien de causalité directe avec un préjudice.

La société Ikéa ne démontre pas le caractère abusif de l'exercice par la société Vilatte de ses droits et des voies de recours.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.

Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

La société Vilatte sera condamnée aux dépens d'appel.

La société Vilatte sera condamnée à verser à la société Ikéa somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Nanterre du 10 décembre 2020 en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de la société SAS Astier de Villate au titre de la contrefaçon pour défaut de qualité et intérêt à agir,

Confirme le jugement en ses autres dispositions, avec la précision que cette confirmation s'applique notamment à la décision du tribunal ayant rejeté la demande indemnitaire reconventionnelle pour procédure abusive non pas de la société SAS Astier de Vilatte comme indiqué par erreur au dispositif du jugement entrepris mais de la société SAS Meubles Ikéa France,

Statuant de nouveau,

Dit que la société SAS Astier de Vilatte justifie être titulaire du modèle de dessin enregistré à l'INPI sous le n° 2015 6308,

Déclare nul le modèle de dessin enregistré le 28 décembre 2015 à l'INPI sous le n° 2015 6308, en sa reproduction4-1 accompagnée de la description suivante : « Repr.4-1: un chromo est appliqué sur l'ensemble de l'assiette plate, représentant un cadran de montre »,

Ordonne la transmission de la présente décision pour inscription sur le registre des dessins et modèles tenu par l'Institut national de la propriété industrielle (INPI),

Dit, en conséquence, irrecevables les demandes la société SAS Astier de Vilatte fondées sur une action en contrefaçon du modèle partiellement annulé,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne la société SAS Astier de Vilatte aux dépens d'appel avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne la société SAS Astier de Vilatte à verser à la société SAS Meubles Ikéa France, la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.