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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 29 septembre 2008, n° 07/2976

REIMS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cordam (SCI), AXA Assurances IARD (SA)

Défendeur :

Gan Eurocourtage IARD (SA), La Douine et Fils (SARL), Pavisol (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Maunand

Conseillers :

Mme Souciet, M. Mansion

Avoués :

SCP Thoma - Le Runigo - Delaveau - Gaudeaux, SCP Six Guillaume Six, SCP Delvincourt Jacquemet Caulier-Richard, Me Pierangeli

Avocats :

SCP George - Chassagnon, Me Fanchon, Me Fleuriot

TGI Troyes, du 2 mai 2007

2 mai 2007

ARRET :

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 29 Septembre 2008 et signé par Monsieur Yves MAUNAND, Président de Chambre, et Madame THOMAS, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

En 1990, la SCI Cordam, maître d'ouvrage, a fait procéder à la construction d'un bâtiment situé [...] et destiné à abriter cinq commerces.

La maîtrise d'œuvre de l'opération a été confiée à M. Daniel Regnault, architecte, et le lot 'charpente' à la Sarl Douine & Fils assurée auprès de la compagnie UAP, devenue la S.A. Axa France Iard.

La Sarl Douine & Fils a sous-traité à la S.A.S. Pavisol, assurée auprès de la S.A. Gan Eurocourtage Iard, la réalisation des notes de calcul et des plans d'exécution et la fabrication des fermettes industrialisées.

La réception a été prononcée sans réserve le 19 octobre 1990.

Le 10 avril 1992, le maître d'œuvre de l'opération a informé la Sarl Douine & Fils de problèmes affectant la charpente. Le sinistre a été déclaré par l'entreprise à son assureur qui a désigné le cabinet Saretec en qualité d'expert. Ce cabinet a organisé une expertise le 5 mai 1992 et la Sarl Douine & Fils a accepté de réaliser des travaux de confortement pour un montant de 13.500 francs hors taxes. La S.A. Axa France Iard l'a indemnisée à hauteur de 11.037 francs, compte tenu de la franchise de 2.462,50 francs.

En 1995, de nouveaux désordres sont apparus sur la charpente. La Sarl Douine & Fils en a été informée le 9 octobre 1995 et le cabinet Saretec, saisi à nouveau, a organisé une réunion d'expertise amiable le 9 novembre 1995. Ni la Sarl Douine & Fils ni son assureur ne seraient intervenus à la suite de cette seconde réclamation.

Par acte du 10 juin 2004, la SCI Cordam a fait assigner en référé la Sarl Douine & Fils, la S.A. Axa France Iard et la S.A.S. Pavisol afin de voir désigner un expert judiciaire. Elle a fait assigner le 21 décembre 2004 la S.A. Gan Eurocourtage Iard afin que lui soient étendues les opérations d'expertise.

M. Guegniaud, désigné le 23 juin 2004, a déposé son rapport le 17 août 2006 dans lequel il a constaté une mauvaise fixation des fermettes à la sablière, des contreventements manquants, une triangulation des fermes non conforme au plan original et une absence d'anti-flambage. L'expert judiciaire a chiffré à la somme de 82.908,27 euros TTC le coût des travaux de reprise et de remise en état.

Par actes des 25 et 26 octobre 2006, la SCI Cordam a fait assigner en référé la Sarl Douine & Fils et la S.A. Axa France Iard afin de les voir condamner in solidum au paiement de la somme de 82.900 euros à titre de provision. Par acte du 13 novembre 2006, la S.A. Axa France Iard a fait assigner en intervention forcée la S.A.S. Pavisol et la S.A. Gan Eurocourtage Iard.

Par ordonnance du 16 janvier 2007, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Troyes a constaté l'existence d'une contestation sérieuse et renvoyé l'affaire à l'audience civile afin qu’il soit statué au fond.

Par jugement du 2 mai 2007, le Tribunal de grande instance de Troyes a :

- déclaré prescrite l'action de la SCI Cordam ;

- débouté en conséquence cette dernière de ses prétentions ;

- débouté la Sarl Douine & Fils, la S.A. Axa France Iard et la S.A. Gan Eurocourtage Iard de leurs demandes d'indemnités de procédure ;

- condamné la SCI Cordam aux dépens comprenant ceux de la procédure de référé.

La SCI Cordam a relevé appel de ce jugement le 23 mai 2007 en intimant la Sarl Douine & Fils et la S.A. Axa France Iard.

Cette dernière a formé le 29 novembre 2007 un appel provoqué contre la S.A. Gan Eurocourtage Iard et la S.A.S. Pavisol.

Les instances ont été jointes par le magistrat chargé de la mise en état.

Par dernières conclusions notifiées le 30 juillet 2008, la SCI Cordam poursuit l'infirmation du jugement entrepris et demande à la Cour de :

- constater que la Sarl Douine & Fils a effectué des travaux confortatifs en 1992 et en 1995 sous le contrôle du cabinet Saretec missionné par son assureur ;

- dire en conséquence que la Sarl Douine & Fils et son assureur ont reconnu leur responsabilité par leurs interventions successives sur l'ouvrage litigieux interrompant le délai de prescription décennale de l'action en réparation du maître d'ouvrage ;

- dire que l'assignation du 10 juin 2004 a interrompu à nouveau le délai de prescription et que son action est recevable ;

- dire que les désordres constatés et non réparés par les diverses interventions de la Sarl Douine & Fils relèvent par leur nature de la garantie décennale des constructeurs ;

- condamner in solidum la Sarl Douine & Fils et la S.A. Axa France Iard à lui payer les sommes de :

. 88.484,75 euros TTC au titre des réparations de la charpente ;

. 3.181,60 euros au titre du préjudice de jouissance ;

. 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- subsidiairement, dire que les désordres constatés constituent des dommages intermédiaires et engagent la responsabilité contractuelle de droit commun pour faute prouvée de la Sarl Douine & Fils ;

- condamner la Sarl Douine & Fils à lui payer les sommes ci-dessus en application de l'article 1134 du code civil ;

- condamner in solidum la Sarl Douine & Fils et la S.A. Axa France Iard aux entiers dépens de première instance, comprenant les frais de référé, d'expertise et de location de nacelle, et d'appel.

Par dernières conclusions notifiées le 26 août 2008, la Sarl Douine & Fils demande à la Cour de :

- constater que le désordre allégué ne relève pas de la garantie décennale ni des dommages intermédiaires et, à tout le moins, que la prescription décennale est acquise ;

- confirmer en conséquence le jugement entrepris en ce qu' il a débouté la SCI Cordam de l'intégralité de ses demandes ;

- infirmer le jugement en ce qu' il l'a déboutée de sa demande d'indemnité de procédure et condamner la SCI Cordam au paiement de la somme de 3.000 euros de ce chef ;

- condamner la SCI Cordam aux entiers dépens de référé, de première instance et d'appel ;

- à titre subsidiaire, écarter le devis de l'entreprise Richard Michel du 21 novembre 2006 et réduire à de plus justes proportions les demandes formulées par la SCI Cordam tant en principal que sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- laisser à la SCI Cordam la charge des dépens par elle exposés pour le référé ayant donné lieu à l'ordonnance de référé du 16 janvier 2007 ;

- condamner la S.A. Axa France Iard, la S.A.S. Pavisol et la S.A. Gan Eurocourtage à la garantir de toutes condamnations qui pourraient être mises à sa charge.

Par dernières conclusions notifiées le 14 août 2008, la S.A. Axa France Iard demande à la Cour de :

- à titre principal, confirmer le jugement entrepris et condamner la SCI Cordam au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- subsidiairement, si la Cour estimait que l'action n'était pas prescrite, dire recevable et fondé son appel provoqué et condamner in solidum la S.A. Gan Eurocourtage Iard et la S.A.S. Pavisol à la garantir de l'intégralité des condamnations qui viendraient à être prononcées à son encontre ;

- plus subsidiairement, débouter la SCI Cordam de sa demande au titre des travaux de zinguerie et du préjudice de jouissance ;

- la débouter de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la SCI Cordam aux dépens d'appel.

Par dernières conclusions notifiées le 25 août 2008, la S.A. Gan Eurocourtage Iard demande à la Cour de :

- constater la prescription de toute demande formée à son encontre et confirmer le jugement entrepris ;

- subsidiairement, rejeter toute demande formée contre elle ;

- plus subsidiairement, rejeter la demande de la SCI Cordam portant sur la prise en charge du coût des réparations non retenues par l'expert judiciaire, ramener le devis de l'entreprise Richard Michel à la somme de 41.083,93 euros TTC et ramener le devis de l'entreprise JPM à de plus justes proportions ;

- en toute hypothèse, condamner tout succombant au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

La S.A.S. Pavisol n'a pas constitué avouer.

SUR CE, LA COUR,

Attendu que la S.A.S. Pavisol a été assignée le 22 mai 2008 par acte délivré à personne habilitée à le recevoir, de sorte que le présent arrêt sera réputé contradictoire par application de l'article 474, alinéa 1er, du code de procédure civile ;

Attendu qu'à l'appui de ses prétentions tendant à la réformation du jugement entrepris, la SCI Cordam rappelle que le délai de dix ans prévus par l'article 2270 ancien du code civil, qui court à compter de la réception de l'ouvrage, peut être interrompu par une reconnaissance de responsabilité, au sens de l'article 2248 ancien, laquelle fait courir un nouveau délai décennal ;

Qu'elle indique que la Sarl Douine & Fils a renforcé la charpente selon un devis du 20 octobre 1992 et a été réglée, hors franchise, par son assureur, la S.A. Axa France Iard, qui avait accepté de prendre en charge ce sinistre dans le cadre de la garantie décennale ; qu'elle fait valoir que cet engagement et le versement du coût des réparations valent reconnaissance de responsabilité ;

Que l'appelante soutient qu'à la suite du signalement de nouveaux désordres le 9 octobre 1995 (menace d'effondrement du pignon), la S.A. Axa France Iard a missionné le cabinet Saretec qui a organisé une réunion sur place le 9 novembre 1995 et que la Sarl Douine & Fils est intervenue à nouveau sur l'ouvrage sous le contrôle de ce cabinet ; qu'elle se prévaut à cette fin d'un courrier de M. Regnault du 19 mars 2004 selon lequel la Sarl Douine & Fils a bien effectué des travaux confortatifs sous couvert de l'expert Saretec à la suite de la réunion du 9 novembre 1995, peu important à cet égard que le rapport d'expertise ne fasse pas état de cette intervention ;

Que la SCI Cordam en conclût que cette dernière vaut reconnaissance de responsabilité et que l'assignation délivrée en référé le 10 juin 2004 est intervenue dans le délai de dix ans ;

Mais attendu que la SCI Cordam ne démontre pas que la Sarl Douine & Fils serait intervenue en 1995 pour effectuer des travaux confortatifs sur l'ouvrage litigieux ; que, dans la lettre qu' il a adressée le 19 mars 2004 à la Sarl Douine & Fils, M. Regnault, architecte, écrivait : 'Je viens d'être contacté par Monsieur Larbalétier. Celui-ci m'indique que les travaux confortatifs effectués sous couvert de l'expert Saretec désigné par votre compagnie (visite du 9 novembre 2005) ne donnent pas satisfaction. Je me suis rendu sur place le 7 juillet 2003. Le pignon s'est à nouveau déplacé et une fissure importante est constatée en rive du pignon (désaffleurement de 4 à 5 cm). Je vous demande de réactiver votre compagnie d'assurance et d'effectuer une nouvelle déclaration...' ; que la Sarl Douine & Fils est bien fondée à faire observer que M. Regnault ne fait que rapporter les propos tenus par le responsable de la SCI Cordam et qu' il n'indique pas expressément que c'est elle qui a effectué les travaux sur la charpente ; qu'en outre, l'expert judiciaire ne fait pas état dans son rapport de la réalisation de travaux confortatifs en 1995 par la Sarl Douine & Fils ;

Qu’il n'est pas davantage démontré que les travaux de reprise auraient été réalisés par la Sarl Douine & Fils au cours du premier semestre 1994 comme l'affirme la société appelante dans ses conclusions ;

Que la SCI Cordam ne peut pas davantage se prévaloir du paiement effectué par la S.A. Axa France Iard à son assuré, la Sarl Douine & Fils, le 3 août 1994 dès lors que , comme la justement relevé le tribunal, un tel règlement ne constitue pas une reconnaissance de garantie qui lui serait opposable alors que le principe du règlement du sinistre était acquis dès la réalisation des travaux confortatifs, laquelle a eu lieu, selon les indications des intimées au cours des opérations d'expertise, en 1993 ;

Attendu qu’il résulte de ce qui précède que , le délai de la prescription décennale ayant été interrompue en 1993, un nouveau délai de dix ans a commencé à courir à partir de cette date ;

Qu’il s'ensuit que l'action introduite par la SCI Cordam par une assignation en référé délivrée le 10 juin 2004 à la Sarl Douine & Fils, la S.A. Axa France Iard et la S.A.S. Pavisol et le 21 décembre 2004 à la S.A. Gan Eurocourtage Iard, soit plus de dix ans après le dernier acte interruptif de prescription que constitue la reconnaissance de responsabilité de l'entreprise et de son assureur, est prescrite ;

Attendu que c'est en vain que la SCI Cordam recherche, à titre subsidiaire, la responsabilité contractuelle pour faute prouvée de la Sarl Douine & Fils sur le fondement de la théorie des vices intermédiaires dès lors que cette action, qui tend à la réparation de désordres de construction, se prescrit également par dix ans à compter de la réception ou du dernier acte interruptif ;

Attendu que la SCI Cordam se prévaut, enfin, du caractère évolutif des désordres et rappelle que la garantie décennale couvre les conséquences futures des désordres dont la réparation a été demandée au cours de la période de garantie ; qu'elle fait valoir à cette fin que les désordres ayant donné lieu à l'assignation du 10 juin 2004 ont la même nature et affectent le même ouvrage que ceux déclarés en 1992 et 1995 ;

Que ce moyen ne peut cependant pas prospérer dès lors que, pour qu'un désordre puisse être qualifié d'évolutif en sorte que ses conséquences dommageables postérieures à l' expiration du délai de garantie décennale ouvrent néanmoins droit à réparation , il faut que le vice ait été judiciairement dénoncé pendant la période de garantie ; que tel n'est pas le cas en l'espèce ;

Attendu, dès lors, que c'est à juste titre que les premiers juges ont déclaré prescrite l'action de la SCI Cordam ;

Que le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions ;

Attendu que la SCI Cordam, qui succombe dans ses prétentions devant la Cour, sera condamnée aux dépens d'appel ; qu'elle ne peut donc pas obtenir l'indemnité qu'elle sollicite au titre de ses frais de procédure non compris dans les dépens ;

Qu'aucune considération d'équité ne commande qu’il soit fait droit aux demandes formées par les autres parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire ;

Confirmes-en toutes ses dispositions le jugement déféré ;

Rejette les demandes formées par les parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SCI Cordam aux dépens d'appel et admet les avoués de la cause, chacun en ce qui le concerne, au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.