Cass. com., 2 février 2010, n° 09-11.064
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Rapporteur :
M. Petit
Avocats :
SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Richard
Attendu, selon les arrêts et l'ordonnance attaqués, que par acte du 16 mai 1990, Daniel X... et M. Y..., agissant pour eux-mêmes et pour le compte des autres actionnaires dont ils se sont portés forts (les cédants), ont cédé à MM. Z... et B... et à la société Genauto, aux droits de laquelle vient la société Genimex (les cessionnaires), la totalité des actions composant le capital de la société Compagnie de participation et de gestion, détentrice de la quasi-totalité des actions composant le capital de la société Campotel, elle-même détentrice de la quasi-totalité des actions composant le capital des sociétés Paris Ouest service et Guynemer automobile ; qu'il était stipulé que le solde du prix, qui devait être payé au mois d'octobre 1990, pourrait être compensé avec les sommes éventuellement dues par les cédants au titre d'une convention de garantie qui a été conclue le 31 mai 1990 ; que les cessionnaires ayant, sur le fondement de cette convention, demandé en justice le paiement d'une certaine somme, les cédants ont reconventionnellement demandé le paiement du solde du prix ; que par arrêt du 17 juin 2005, devenu irrévocable, la cour d'appel a confirmé le jugement ayant accueilli cette dernière demande et désigné un expert chargé d'estimer le montant des sommes dues au titre de la garantie ; qu'après avoir ordonné la réouverture des débats pour permettre aux parties de procéder aux régularisations rendues nécessaires notamment par le décès de Daniel X... et après que le conseiller de la mise en état eut constaté l'interruption de l'instance par l'effet du décès de l'un des cédants, la cour d'appel a condamné les cessionnaires au paiement de diverses sommes ;
Sur le pourvoi, en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt du 28 février 2008 et contre l'ordonnance du 15 mai 2008 :
Attendu que les cessionnaires se sont pourvus en cassation contre l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 28 février 2008 et contre l'ordonnance rendue par le conseiller de la mise en état près la cour d'appel de Paris le 15 mai 2008 en même temps qu'ils se sont pourvus contre l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 4 décembre 2008 ;
Attendu qu'aucun des moyens contenus dans le mémoire n'étant dirigé contre l'arrêt du 28 février 2008 ni contre l'ordonnance du 15 mai 2008, il y a lieu de constater la déchéance du pourvoi en ce qu'il est formé contre ces décisions ;
Sur le premier moyen :
Attendu que les cessionnaires font grief à l'arrêt d'avoir limité à 105 770 euros la somme due par les cédants au titre de la garantie et de les avoir condamnés, après compensation partielle entre cette somme et le solde du prix de cession, à payer diverses sommes aux cédants, alors, selon le moyen, qu'en vertu de l'article 276 du code de procédure civile, l'expert judiciaire est tenu de prendre en considération les observations écrites des parties et de faire mention dans son avis des suites qu'il aura données à celles-ci ; que l'inobservation de ces règles est sanctionnée par la nullité du rapport d'expertise s'il en résulte un grief ; qu'en l'espèce, MM. Z... et B... rappelaient dans leurs conclusions d'appel que leurs dires des 30 juillet 2002 et 11 février 2003 avaient spécialement attiré l'attention de l'expert judiciaire sur le fait que la convention de garantie conclue en leur faveur ne renfermait pas seulement une garantie de préservation de la situation nette comptable des sociétés cédées entre le 1er janvier 1990 et le 31 mai 1990, mais également une garantie de sincérité et d'exactitude de leurs bilans arrêtés au 31 décembre 1989, ce dont il résultait qu'il incombait à l'expert de vérifier la sincérité et l'exactitude des comptes arrêtés au 31 décembre 1989 ; qu'en affirmant, pour rejeter la demande d'annulation du rapport d'expertise judiciaire, que l'expert judiciaire avait bien répondu aux dires des parties annexés à son rapport, cependant qu'il ne résultait aucunement des termes de ce rapport d'expertise qu'une quelconque réponse ait été apportée aux observations essentielles des cessionnaires relatives à la portée de la garantie de passif, ni que l'expert ait justifié de quelque manière que ce soit sa décision de réduire la portée de cette convention à une simple garantie de préservation de la situation nette comptable de la société cédée entre le 31 décembre 1989 et le 31 mai 1990, la cour d'appel a dénaturé le rapport d'expertise susvisé, en violation de l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu que l'inobservation des formalités prescrites par l'article 276 du code de procédure civile n'entraîne la nullité de l'expertise qu'à charge pour la partie qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité ; que les cessionnaires n'ayant pas soutenu devant les juges du fond que l'irrégularité qu'ils invoquaient leur avait causé un grief, le moyen pris de cette irrégularité est inopérant ;
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 1134 du code civil ;
Attendu que pour limiter à 105 770 euros la somme due par les cédants au titre de la garantie stipulée en faveur des cessionnaires et, après compensation entre cette somme et celle représentant le solde du prix de cession, condamner les cessionnaires à payer diverses sommes aux cédants, l'arrêt retient qu'au-delà de la déclaration de sincérité des comptes au 31 décembre 1989, les cédants ne se sont aucunement obligés à garantir la différence entre la situation nette déclarée et la situation nette réelle à cette date, que la garantie ne porte pas sur le montant d'actif en tant que tel et pris isolément et que le montant du prix de cession n'étant pas celui de la situation nette des quatre sociétés au 31 décembre 1989, la demande de paiement portant sur le montant à cette date de la surévaluation de l'actif net des quatre sociétés n'est pas fondée ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'aux termes de l'article I-4 de la convention de garantie, les cédants avaient déclaré et garanti que le bilan, le compte de résultats et l'annexe des sociétés Campotel, Paris Ouest service et Guynemer automobile arrêtés à la date du 31 décembre 1989 représentaient loyalement et complètement la situation financière et patrimoniale des dites sociétés et rendaient compte de la totalité des éléments composant le patrimoine actif et passif des sociétés à ladite date, la cour d'appel a méconnu le sens clair et précis de cette stipulation, en violation du texte susvisé ;
Sur le troisième moyen :
Vu les articles 1116 et 1382 du code civil, ensemble l'article 1351 du même code ;
Attendu que pour rejeter la demande de dommages-intérêts formée par les cessionnaires à l'encontre des cédants, l'arrêt retient que cette demande porte en réalité sur la révision du prix et que le montant de celui-ci ne peut plus être discuté puisqu'il a été définitivement fixé par l'arrêt du 17 juin 2005 ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la demande, par laquelle les cessionnaires sollicitaient l'allocation de dommages-intérêts en réparation d'un préjudice qu'ils imputaient à des faits constitutifs de dol, ne tendait pas à la révision du prix et ne se heurtait pas à l'autorité de l'arrêt ayant fixé le montant de celui-ci, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le quatrième moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 1153, alinéa 4, du code civil ;
Attendu que le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance ;
Attendu que pour condamner les cessionnaires à payer des dommages-intérêts à Mme C..., veuve X... et à M. et Mme Y..., l'arrêt retient qu'indépendamment du retard pris dans le règlement des sommes dues, qui se trouve compensé par la condamnation au paiement des intérêts, les cédants ont subi un préjudice distinct lié au comportement des cessionnaires qui ont usé des voies pénales et civiles pour différer le paiement du solde du prix de vente dont les parties avaient prévu qu'il interviendrait au plus tard le 31 octobre 1990 et ne sera finalement effectif que plus de dix-huit ans plus tard ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, après avoir retenu que les cessionnaires étaient pour partie fondés en leurs demandes, par des motifs impropres à caractériser leur mauvaise foi, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
Constate la déchéance du pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 28 février 2008 et contre l'ordonnance rendue par le conseiller de la mise en état près la cour d'appel de Paris le 15 mai 2008 ;
Casse et annule, sauf en ce qu'il a radié l'affaire en ce qui concerne Henri D..., décédé, et en ce qu'il a rejeté la demande de nullité du jugement déféré, l'arrêt rendu le 4 décembre 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.