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Décisions

CA Toulouse, 3e ch. sect. 1, 3 juin 2014, n° 13/02728

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

La Cour des Miracles (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bensussan

Conseillers :

M. Beauclair, M. Mazarin Georgin

Avocats :

Me Nidecker, Me Evrard, Me de Firmas de Peries

TGI Toulouse, du 4 mars 2013, n °11/0273…

4 mars 2013

Exposé des faits

Monsieur Damien D. a travaillé en qualité de technicien polyvalent audiovisuel pour la sarl LA COUR DES MIRACLES qui exploite un studio d'enregistrement dans le cadre d'un contrat de professionnalisation du 19 septembre 2005 au 31 août 2007 puis a travaillé de septembre 2007 à décembre 2009 pour cette société par l'intermédiaire d'une société de portage en qualité d'intermittent du spectacle.

Dans ce cadre, il a amené au studio d'enregistrement du matériel personnel et a investi dans du matériel supplémentaire également amené au studio.

Un incendie survenu le 10 avril 2009 a détruit tout son matériel, estimé à 28.000 €.

La société LA COUR DES MIRACLES lui a adressé le 17 novembre 2009 un remboursement de 15.000 €.

La relation de travail ayant pris fin, Monsieur D. a mis en demeure en vain la société LA COUR DES MIRACLES de lui régler un complément de dédommagement pour la perte de son matériel.

Par acte en date du < 13 juillet 2011, Monsieur D. a assigné la sarl LA COUR DES MIRACLES devant le tribunal de grande instance de Toulouse en paiement d'un dédommagement complémentaire du matériel incendié d'un montant de 11.920 € sur le fondement de l'article 1384 du code civil, subsidiairement de l'article 1382 du même code, et à titre infiniment subsidiaire, de l'article 1371 du code civil ; subsidiairement il a sollicité la somme de 4.514 € à titre de prorata de son indemnisation perçue, outre 2.000 € de dommages intérêts pour résistance abusive et 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il a fait valoir que son matériel était sous la garde de la société puisqu'il servait à son activité ; que le quantum est indiscutable puisque la société LA COUR DES MIRACLES a transmis à son assureur la liste du matériel et les factures ; qu'il appartient à cette société de démontrer que les conditions de l'article 1384 al 2 du code civil sont remplies ; que la faute de la société a consisté en la souscription d'une assurance manifestement insuffisante au regard du matériel qui lui a été confié ; subsidiairement eu égard au montant reçu de l'assurance au titre des' périphériques et autres équipements', il sollicite une indemnisation proratisée.

La sarl LA COUR DES MIRACLES a conclu au débouté des demandes en soutenant qu'il n'est démontré aucune faute de sa part au sens de l’art 1384 al 2 du code civil ; qu’il n’est pas démontré un transfert de garde des biens litigieux et qu'en toute hypothèse la force majeure l'exonère de toute responsabilité.

Par jugement en date du 4 mars 2012, le tribunal, considérant que la sarl LA COUR DES MIRACLES avait commis une négligence fautive en ne souscrivant pas des garanties suffisantes permettant une indemnisation proche de la valeur de biens confiés, a condamné la sarl LA COUR DES MIRACLES à payer à Monsieur D. la somme de 11.920 € à titre de complément d'indemnisation, l'a condamnée aux dépens et au paiement de la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 3 mai 2013, la sarl LA COUR DES MIRACLES a interjeté appel de ce jugement.

Par dernières conclusions reçues le 24 octobre 2013 elle demande à la cour :

- d'infirmer le jugement entrepris ;

- de débouter Monsieur D. de se demandes ;

- de le condamner aux entiers dépens et au paiement de la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que :

Il n'existe pas de responsabilité au sens de l'article 1384 al 2 du code civil, aucune faute de la sarl LA COUR DES MIRACLES n'étant à l'origine de l'incendie des locaux ; par ailleurs, la responsabilité du preneur ne peut être recherchée par les tiers que s'il est prouvé sa faute dans l'origine de l'incendie.

Le tribunal a cru pouvoir invoquer le postulat selon lequel la société LA COUR DES MIRACLES aurait dû mieux s'assurer pour les biens qui lui étaient confiés, or il n’est pas prouvé un transfert de garde du matériel litigieux qui était à l'usage exclusif de Monsieur D. lequel l'a laissé, par pure convenance, dans le local occupé par la société appelante. Il n'est pas allégué que la société lui ait demandé d'apporter ce matériel, ni l'existence d'une convention sur le transfert de garde. Il n'existe aucune convention de mise à disposition à titre onéreux, ni de preuve d'un accord pour un dépôt, même tacite, alors que l'article 1921 du code civil dispose que le dépôt volontaire se forme par le consentement réciproque de la personne qui fait le dépôt et de celle qui le reçoit. L'absence de transfert de garde fait obstacle à la responsabilité de la société appelante. En tout état de cause les accidents de force majeure exonèrent le dépositaire de toute responsabilité en vertu de l'article 1929 du code civil.

Par ailleurs, la société LA COUR DES MIRACLES avait l'obligation d'assurer le local loué mais aucune obligation légale de prévoir un plafond de garantie suffisant pour indemniser tous les sinistres ; Monsieur D. n'a jamais alerté la société sur la valeur des biens qu'il entreposait dans le local ; il n'existe donc pas de négligence fautive de la part de la société qui n'était pas informée d'un dépôt ni de la valeur des biens déposés.

Par dernières écritures déposées le 27 août 2013, Monsieur D. demande à la cour de confirmer le jugement, à titre subsidiaire, de condamner la société LA COUR DES MIRACLES à lui payer la somme de 4.514 € à titre de prorata de son indemnisation dans celle perçue par elle, la somme de 2.000 € de dommages intérêts pour résistance abusive, de la condamner aux entiers dépens et au paiement de la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il soutient pour sa part que :

Il justifie par les factures que la valeur de son matériel était de 28.400 € ; il a reçu 15.000 € de la part de la société LA COUR DES MIRACLES après dédommagement par sa compagnie d'assurance ; il demande une indemnisation complémentaire de 11.920 € après application d'un coefficient de vétusté de 10 %.

Par le versement de 15.000 €, la société LA COUR DES MIRACLES a reconnu le bien-fondé de la demande d'indemnisation de Monsieur D..

Elle ne peut prétendre qu'elle n'était pas au courant du fait que du matériel était entreposé dans ses locaux, matériel dont elle avait au surplus l'usage. Elle a bien déclaré à sa compagnie d'assurance une perte pour matériel confié à hauteur de 65.261 €. Elle est responsable sur le fondement de l’article 1384 al 1 du code civil.

A titre subsidiaire, elle a commis une faute sur le fondement de l'article 1382 du code civil en souscrivant une assurance manifestement insuffisante au regard du matériel confié dont la valeur est bien supérieure aux garanties souscrites. La somme réellement perçue après l'incendie a été limitée pour les périphériques et autres équipements à 105.925 € ; or le matériel contenu dans le studio d'enregistrement tel que déclaré par la société LA COUR DES MIRACLES elle-même était valorisé à 352.870 € .

Subsidiairement la société appelante s'est enrichie au détriment de Monsieur D. puisqu'elle a perçu une indemnité de 104.305 € de son assurance au titre des périphériques et autres équipements ; or cette indemnisation inclut celle revenant à Monsieur D. pour la perte de son matériel.

Motifs

#1 MOTIFS DE LA DÉCISION

Monsieur D. fonde sa demande sur les dispositions des articles 1384 al 1 et 1382 du code civil ; or il convient de s'interroger sur l'existence d'un contrat de dépôt, comme le suggère l'appelante, puisque Monsieur D. soutient qu'à l'occasion de l'exercice de son activité de technicien audiovisuel il a apporté et laissé au studio d'enregistrement de la société LA COUR DES MIRACLES du matériel audiovisuel lui appartenant.

L'article 1921 du code civil dispose que le dépôt volontaire se forme par le consentement réciproque de la personne qui fait le dépôt et de celle qui le reçoit.

#2 La sarl LA COUR DES MIRACLES ne peut contester l'existence d'un contrat de dépôt du matériel appartenant à Monsieur D. puisqu'elle a elle-même déclaré à sa compagnie d'assurance à la suite de l'incendie du studio d'enregistrement survenu le 10 avril 2009 au titre des périphériques et autres équipements matériel confié un montant de 65.261 € HT ; Monsieur D. produit par ailleurs des articles parus sur internet faisant état des conséquences désastreuses de l'incendie du studio d'enregistrement pour Marc D. initiateur du projet ainsi que pour son actuel collaborateur Damien D.' de sorte qu'elle savait parfaitement, compte tenu de cette collaboration, qu'il entreposait son matériel dans les locaux.

La sarl LA COUR DES MIRACLES a en outre versé à Monsieur D. la somme de 15.000 € pour l'indemniser de la perte de son matériel suite au remboursement effectué par sa compagnie d'assurance, de sorte que contrairement à ses allégations, l'existence d'un contrat de dépôt est parfaitement établie.

Il n'est pas reproché à la société LA COUR DES MIRACLES une faute à l'origine de l'incendie qui a détruit le matériel appartenant à Monsieur D., qui constitue un événement de force majeure dont elle n'est pas responsable, mais une faute pour ne pas avoir souscrit une assurance suffisante au regard de la valeur du matériel déposé. Si en vertu de l'article 1927 du code civil, le dépositaire doit apporter, dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu'il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent, il n'a pas, sauf dispositions contraires, l'obligation de faire assurer les objets qui lui sont confiés ( CCass, civ 1ère, 18 octobre 1954).

#3 Par conséquent, bien que non tenue légalement, la sarl LA COUR DES MIRACLES ayant néanmoins assuré le matériel confié par Monsieur D., il ne peut lui être reproché de ne pas avoir souscrit une assurance couvrant la valeur totale de ces biens, dont il ne justifie pas qu'il l'ait déclarée lors du dépôt de ces biens dans les locaux de la société.

Monsieur D. ne justifiant pas de sa demande de complément d'indemnisation, il y a lieu d'infirmer le jugement et de le débouter de toutes ses prétentions.

L'intimé qui succombe est condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement de la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La COUR,

Infirme le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

Déboute Monsieur D. de ses demandes,

Le condamne aux entiers dépens et au paiement de la somme de 1.500 € à la sarl LA COUR DES MIRACLES au titre de l'article 700 du code de procédure civile.