Cass. com., 7 mai 2019, n° 17-18.009
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Avocats :
SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, SCP Gaschignard
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 avril 2017), que U... I..., décédé le [...] , a créé les sociétés Bénin et Immobilfina Anstalt , cette dernière étant l'actionnaire unique de la première laquelle détenait 25 % des parts composant le capital de la société Compagnie parisienne de parking (la société CPP) ; que suivant acte de cession, enregistré le 11 décembre 2003, Mme B..., compagne de U... I..., a cédé à M. D... l'intégralité des parts composant le capital de la société Pierre et finance, qu'elle avait créée en 1986 ; que par décision du 21 février 2004, enregistrée au greffe du tribunal de commerce le 4 mars 2004, l'assemblée générale extraordinaire de la société Pierre et finance a autorisé M. D... à céder à U... I... l'ensemble des parts qu'il détenait dans le capital de cette société ; que cette cession n'a pas eu lieu ; que, par un acte daté du 30 juin 2004, la société Bénin a cédé à la société Pierre et finance, devenue la société Iximmo (la société Iximmo), les parts qu'elle détenait dans le capital social de la société CPP ; que soutenant avoir été victime d'un dol commis par M. D..., lors de cette cession de parts, la société Bénin a demandé l'annulation du contrat ;
Attendu que la société Bénin fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement ayant prononcé la nullité de l'acte de cession et condamné la société Iximmo à lui payer des dommages-intérêts alors, selon le moyen :
1°/ que le dol est caractérisé par une tromperie destinée à conduire une partie à contracter sous l'empire d'une fausse conviction ; que dans ses conclusions d'appel, la société Bénin faisait valoir que son consentement à la cession en date du 30 juin 2004 des parts qu'elle détenait dans la société CPP à la société Pierre et finance, devenue Iximmo, avait été trompé par les manoeuvres et mensonges de MM. D... et W... qui lui avaient fait croire que la société Pierre et finance était à cette date détenue par U... I..., à la suite de la prétendue cession autorisée par M. D... des parts de cette société à U... I... autorisée aux termes d'une assemblée générale du 21 février 2004, sans qu'un acte de vente n'ait été ultérieurement régularisé ; qu'elle versait en particulier aux débats un mail adressé par M. W... au représentant de la société Bénin quelques jours avant la cession du 30 juin 2004, leur assurant que : « Pour ce qui est du principe de l'opération : U... I... est indirectement bénéficiaire économique à 100 % de Bénin et de Pierre et finance » ; qu'en écartant l'existence du dol invoqué au motif inopérant que ce mail indiquait que U... I... était « indirectement » le bénéficiaire économique de la société Pierre et finance, alors selon la cour que si U... I... avait acquis la société Pierre et finance il en serait directement et non indirectement le bénéficiaire, quand ce mail mentionnait de façon mensongère que U... I... était le bénéficiaire économique de la société cessionnaire, la cour d'appel a violé l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°/ que en retenant, pour dire non établie la volonté de M. D... de faire croire à la société Bénin que U... I... était devenu détenteur des parts de la société Pierre et finance, qu'il n'était pas démontré que la société Bénin avait eu connaissance du procès-verbal d'assemblée générale du 21 février 2004 ayant autorisé cette cession, quand bien même il avait été publié, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le fait pour M. D... d'avoir publié cette décision, la rendant ainsi accessible et opposable aux tiers, et d'avoir concomitamment dissimulé le fait qu'il était toujours, depuis décembre 2003, le détenteur des parts de la société Pierre et finance à laquelle la société Bénin s'apprêtait à céder les parts qu'elle détenait dans la société CPP, tout en faisant croire dans les échanges ayant précédé la cession litigieuse que U... I... contrôlait la société Pierre et finance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du code civil ;
3°/ que le dol rend toujours excusable l'erreur provoquée ; qu'en écartant l'existence du dol reproché à MM. D... et W... pour avoir dissimulé le fait que le premier était le détenteur des parts de la société Pierre et finance à laquelle la société Bénin s'apprêtait à céder les parts qu'elle détenait dans le capital de la société CPP, et fait croire que U... I... détenait le contrôle de la future société cessionnaire, motif pris de ce que la société Bénin n'avait « jamais vérifié si les parts sociales avaient bien été cédées en conformité avec cette résolution qui n'était qu'une décision d'autorisation », la cour d'appel a violé l'article 1116 du code civil ;
4°/ que M. D... était allé chercher l'acte de cession le 30 juin 2004 auprès de U... I..., puis était allé rejoindre MM. C... et S... à Genève le lendemain afin de signer l'acte daté du 30 juin 2004; qu'à cette occasion, il avait à leur demande apposé sur l'acte de cession une mention manuscrite attestant de l'accord à la cession donné par le fils de U... I..., à la suite de quoi M. C... a accepté de signer l'acte daté du 30 juin 2004 ; qu'en jugeant que la fausse attestation datée du 1er juillet 2004 de M. D... selon laquelle M. R... I... avait donné son accord à la cession ne pouvait avoir vicié le consentement à la cession de la société Bénin dans la mesure où elle avait été inscrite postérieurement à la conclusion de la cession le 30 juin 2004, sans avoir égard aux explications fournies par la société Bénin sur les circonstances dans lesquelles l'acte en cause avait été signé, desquelles il résultait que M. C... avait signé l'acte de cession après que M. D... eut ajouté la mention manuscrite, la cour d'appel n'a pas donné de base à sa décision au regard de l'article 1116 du code civil ;
5°/ que si le dol suppose pour être caractérisé que soit rapportée la preuve de manoeuvres commises antérieurement ou concomitamment à la conclusion du contrat argué de nullité, cette preuve peut être déduite de fait survenus postérieurement à cette date mais permettant d'éclairer les circonstances dans lesquelles le consentement à l'acte a été donné ; qu'en l'espèce, la société Bénin soulignait dans ses conclusions qu'il résultait des échanges intervenus entre les parties avant la cession que M. C..., représentant de la société Bénin, n'avait entendu céder les parts de la société CPP qu'à une société contrôlée par U... I... et avait subordonné son accord à l'aval préalable du fils de ce dernier ; qu'en jugeant que la fausse attestation datée du 1er juillet 2004 de M. D... selon laquelle M. R... I... avait donné son accord à la cession ne pouvait avoir vicié le consentement à la cession de la société Bénin dans la mesure où elle avait été inscrite postérieurement à la conclusion de la cession le 30 juin 2004, sans rechercher s'il ne résultait pas des éléments invoqués par la société Bénin dans ses écritures qu'elle n'avait pas conditionné sa décision de céder les parts de la société CPP à la société Pierre et finance à l'accord préalable de M. R... I... et n'avait pas contracté sous la fausse conviction que cet accord avait été donné, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du code civil ;
6°/ que constitue une manoeuvre dolosive le mensonge portant sur un élément déterminant du consentement d'une des parties à un contrat ; qu'en l'espèce, la société Bénin faisait valoir que M. C... avait exigé que l'accord de M. R... I..., fils de U... I..., soit recueilli avant de signer l'acte litigieux du 30 juin 2004 ; qu'elle produisait notamment aux débats une télécopie adressée par M. S... en juin 2004, aux termes de laquelle il écrivait que « s'agissant d'une vente à un tiers, l'accord d'R... doit nous être communiqué avant toute signature », ainsi qu'une autre télécopie du 29 juin 2004 de M. S... rappelant que « ces documents ne seront pas signés sans l'exemplaire signé par R... avec la mention de son bon pour accord » ; qu'en écartant le dol imputé à M. D... pour avoir faussement attesté que M. R... I... avait donné son accord à la cession litigieuse, au motif inopérant que cet accord n'était pas juridiquement nécessaire, la cour d'appel a méconnu l'article 1116 du code civil ;
7°/ que l'existence du dol doit s'apprécier au regard des circonstances ayant conduit la partie se prétendant trompée à contracter ; qu'en écartant le dol invoqué par la société Bénin aux motifs inopérants, d'une part, que dans une lettre postérieure à l'acte de cession litigieux, U... I... avait ratifié la cession, expliquant qu'elle répondait à des raisons fiscales et financières, d'autre part, qu'il résultait d'un projet de cession de 2003 entre les sociétés Bénin et SPIC que U... I... avait alors envisagé de céder les parts détenues par la société Bénin dans la société CPP à un prix inférieur à celui stipulé dans l'acte du 30 juin 2004, et enfin que le montant des dividendes de la société CPP avaient augmenté postérieurement à la cession litigieuse en raison d'événements imprévisibles avant celle-ci, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à écarter l'existence du dol résultant des agissements frauduleux commis par MM. D... et W..., a méconnu l'article 1116 du code civil ;
8°/ que dans ses conclusions d'appel, la société Bénin faisait valoir que le procès-verbal d'assemblée générale de la société Pierre et finance du 15 mai 2004 n'avait pas été soumis à publication ni ne lui avait été communiqué avant la cession litigieuse ; qu'elle sollicitait la confirmation du jugement du tribunal de commerce de Paris du 27 avril 2017 ayant jugé qu'aucune pièce versée aux débats ne permettait d'établir que ce procès-verbal avait été porté à la connaissance de la société Bénin ; qu'au soutien de sa décision, la cour d'appel a incidemment relevé qu'il ressortait « de l'acte de nantissement auquel est annexé un autre procès-verbal d'assemblée générale de Pierre et finance en date du 15 mai 2004 paraphé par M. C... que la société Pierre et finance avait pour actionnaire unique M. D... », pour en déduire que si cet acte de nantissement était postérieur à la cession litigieuse, aucune pièce ne démontrait que M. C... était étonné de cette situation alors qu'il croyait que c'était U... I... qui en était le propriétaire unique ; qu'en statuant de la sorte, en se fondant sur une circonstance postérieure à la conclusion du contrat de cession et inapte à écarter l'existence des manoeuvres imputées à MM. D... et W... destinées à conduire la société Bénin à contracter dans la croyance erronée que la société cessionnaire des parts de la société CPP était contrôlée par U... I..., la cour d'appel a violé l'article 1116 du code civil ;
9°/ que l'existence du dol doit être appréciée au regard de l'ensemble des circonstances ayant entouré la conclusion de l'acte arguée de nullité ; qu'en se bornant à examiner de manière isolée certains des moyens invoqués par la société Bénin au soutien de son action en nullité de la cession du 30 juin 2004, sans rechercher, comme l'y invitait la société Bénin, si la preuve du dol invoqué ne résultait pas de la combinaison des agissements imputés à MM. D... et W... destinés à tromper la société Bénin, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir énoncé qu'il appartenait à la société Bénin d'établir l'existence de manoeuvres dolosives sans lesquelles elle n'aurait pas cédé les parts de la société CPP à la société Iximmo, l'arrêt relève que la société Bénin se fonde, pour expliquer son consentement à la cession litigieuse, sur un échange de courriels entre MM. W... et L..., juriste de la société S..., dans lesquels M. W... précise que U... I... est indirectement le bénéficiaire économique à 100 % de la société Benin, et sur le procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire du 21 février 2004 qui autorisait M. D... à céder ses parts sociales à U... I... ; qu'il retient qu'il n'est pas établi que la société Bénin ait eu connaissance de ce procès-verbal malgré sa publication au registre du commerce et des sociétés et qu'elle ait vérifié la réalité de la cession des parts même si une telle vérification lui eût été aisée si elle avait estimé qu'il s'agissait d'une condition de l'acte de cession ; qu'il ajoute que les pièces produites n'établissent pas la volonté de U... I..., qui avait un besoin urgent d'argent, de rester propriétaire des parts de la société CPP ; que de ces constatations et appréciations souveraines des éléments de preuve versés au débat rendant inopérants les griefs invoqués par les première, troisième et huitième branches, la cour d'appel, qui a fait ressortir que la société Bénin n'avait pas démontré le caractère déterminant, pour elle, de l'identité de l'actionnaire de la société Iximmo, a pu déduire que le consentement de la société Bénin n'avait pas été vicié par des manoeuvres dolosives de M. D... ;
Et attendu, en second lieu, que l'arrêt constate que la fausse attestation établie par M. D... n'a été présentée au cédant, la société Bénin, que le lendemain du jour de l'acte de cession ; qu'il relève qu'aucune pièce n'établit que M. R... I... était actionnaire de cette dernière, au moment de la cession litigieuse du 30 juin 2004 ; qu'il ajoute que U... I... est demeuré l'unique actionnaire de la société Immobilfina, jusqu'au jour de son décès en [...] ; qu'il en déduit qu'aucune raison ne justifie la nécessité de l'accord préalable, à la cession des parts détenues par la société Bénin, de M. R... I..., si ce n'est pour préserver la société cédante d'une éventuelle action en responsabilité formée à son encontre par ce dernier ; qu'en cet état, c'est par une appréciation souveraine des pièces versées au débat que la cour d'appel, qui a procédé à la recherche invoquée par la cinquième branche et analysé l'ensemble des pièces produites, a retenu, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la septième branche, que l'attestation litigieuse n'avait pas été déterminante du consentement de la société Bénin ;
D'où il suit que le moyen, pour partie inopérant, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.