CA Limoges, ch. civ., 27 janvier 2022, n° 21/00051
LIMOGES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Aviva Assurances (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Balian
Conseillers :
M. Soury, Mme Seguin
Exposé du litige :
Suivant devis accepté du 15 septembre 2015, M. José T. a confié à la SAS G. TP la construction d'un mur de soutènement sur sa propriété, située [...].
Les travaux, réalisés en octobre 2015, ont été intégralement payés (8358€ TTC).
En janvier 2016, la société G. TP est intervenue pour reconstruire le mur de soutènement qui s'était effondré le 6 janvier 2016, avant que de nouveaux désordres n'apparaissent à l'été 2016.
Par ordonnance du 5 juillet 2018, le juge des référés du tribunal de grande instance de Brive La Gaillarde a fait droit à la demande d'expertise de M. T..
L'expert (M. Bruno B.) a déposé son rapport définitif le 15 octobre 2019.
Par actes d'huissier des 27 et 29 novembre 2019, M. T. a fait assigner la société G. TP et son assureur, la SA AVIVA Assurances, devant le tribunal de grande instance de Brive La Gaillarde pour obtenir l'indemnisation de ses préjudices.
Par jugement réputé contradictoire du 4 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Brive La Gaillarde a :
-mis hors de cause la SA AVIVA Assurances et débouté M. T. de l'ensemble des demandes formées à son encontre ;
- déclaré la SAS G. TP responsable des désordres du mur de soutènement construit au domicile de M. T. sur le fondement de l'article 1792 du code civil ;
-dit que le préjudice matériel occasionné par ces désordres s'élève à la somme de 31 482,30 € TTC ;
-dit que le préjudice de jouissance s'élève à 1 000 € ;
-débouté M. T. du surplus de ses demandes indemnitaires ;
-condamné la SAS G. TP au paiement des sommes ci-dessus au titre de la réparation des désordres ;
-condamné M. T. à verser la somme de 800 € à la SA AVIVA Assurances en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
-condamné la SAS G. TP à payer à M. T. la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
-ordonné l'exécution provisoire ;
-condamné la SAS G. TP aux dépens, comprenant les frais d'expertise ;
-rejeté toutes demandes plus amples ou contraires formées par les parties.
Appel de la décision a été relevé le 13 janvier 2021 par la SAS G. TP dans des conditions de forme et de délai non contestées du chef de toutes ses dispositions à l'exclusion de celles :
* déboutant M. T. du surplus de ses demandes ;
* condamnant M. T. à verser 800 € à la SA AVIVA Assurances au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
* rejetant toutes demandes plus amples ou contraires formées par les parties.
L'affaire a été orientée à la mise en état .
Par dernières conclusions signifiées et déposées le 2 août 2021, la SAS G. TP demande à la Cour de :
-réformer le jugement critiqué en ce qu'il a mis hors de cause la SA AVIVA Assurances ;
-juger que la SA AVIVA Assurances lui doit sa garantie contractuelle ;
-condamner la SA AVIVA Assurances à la garantir de toutes les condamnations susceptibles d'être mises à sa charge, au profit de M. T., y compris s'agissant des demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens ;
-débouter la SA AVIVA Assurances de l'ensemble de ses demandes ;
-condamner la SA AVIVA Assurances à lui payer la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
-condamner la SA AVIVA Assurances aux entiers dépens, comprenant le coût de l'expertise judiciaire.
Par dernières conclusions signifiées et déposées le 11 octobre 2021, la SA AVIVA Assurances demande à la Cour de :
au principal,
- confirmer le jugement critiqué en toutes ses dispositions ;
- constater l'absence de caractère décennal des désordres ;
- débouter M. T. de l'intégralité de ses demandes ;
subsidiairement,
-limiter le montant des condamnations à la somme de 6 581 € ;
-laisser à la charge de la SAS G. TP le montant de la franchise contractuelle qui est
de 10% avec un minimum de 500 € et un maximum de 2 500 € ;
-condamner la SAS G. TP à lui payer en cause d'appel, la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous dépens.
Par dernières conclusions déposées le 27 septembre 2021, M. José T. demande à la Cour de :
-rejeter toutes conclusions, dires et prétentions adverses, et débouter la SA AVIVA Assurances de l'ensemble de ses prétentions ;
-confirmer le jugement sauf à le réformer en ce qu'il :
*a mis hors de cause la SA AVIVA Assurances et l'a débouté de ses demandes dirigées à l'encontre de cette dernière ;
*a limité son indemnisation au titre du préjudice de jouissance à la somme de 1 000 € ;
*l'a condamné à verser à la SA AVIVA Assurances, la somme de 800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
en conséquence,
-débouter la SA AVIVA Assurances au titre de sa demande de frais irrépétibles et de toutes autres prétentions ;
-rejetant ses moyens et constatant que la responsabilité décennale de la SAS G. est engagée et non contestée par les appelants et l'inopposabilité de l'exclusion de garantie soulevée par la SA AVIVA Assurances, et de sa franchise,
-condamner
* in solidum la SAS G. et la SA AVIVA Assurances à lui verser la somme de 34 482,30 € au titre de la réparation des désordres matériels ;
* in solidum la SAS G. et la SA AVIVA Assurances à lui verser la somme de 3 000 € au titre du préjudice de jouissance ;
* in solidum la SAS G. et la SA AVIVA Assurances à lui verser la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
-condamner in solidum la SAS G. et son assureur la SA AVIVA Assurances aux entiers dépens, y compris les frais d'expertise judiciaire.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 3 novembre 2021.
La Cour pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, fait expressément référence à la décision entreprise ainsi qu'aux dernières conclusions déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
* Sur la nature décennale des désordres :
M. José T. fonde sa demande, à titre principal, sur les dispositions de l'article 1792 du Code civil relatives à la responsabilité décennale des constructeurs et subsidiairement, sur le fondement de la responsabilité contractuelle.
Si M. José T. et la SAS G. TP reconnaissent le caractère décennal des désordres affectant le mur reconstruit, en revanche, la SA AVIVA Assurances le conteste au motif que si un désordre de nature décennale peut être futur c'est à la condition qu'il soit caractérisé comme étant certain avant l'issue du délai d'épreuve, ce qui ne serait pas le cas en l'espèce.
Or, la garantie décennale couvre les conséquences futures des désordres résultant de vices dont la réparation a été demandée au cours de la période de garantie.
S'agissant de la consistance des travaux réalisés par la SARL L. Frères TP, l'entreprise a reconstruit le mur à l'identique du précédent, lequel est constitué de blocs de béton préfabriqués empilés sur 5 niveaux sur une longueur de 15 m et une hauteur, au plus haut, de 4 m. Ces travaux ont été réceptionnés et les désordres sont apparus postérieurement à cette réception.
L'expert judiciaire a relevé que le mur présentait une déformation horizontale de 0,15 m, qu'il a été réalisé sans étude géotechnique et sans justification de structure préalable et comporte un traitement sommaire de l'évacuation des eaux de ruissellement. Il a indiqué que les blocs de béton préfabriqués empilés par l'entreprise sur 5 niveaux ne devaient être utilisés que pour du stockage.
Il a précisé que les désordres et malfaçons constatés, qui n'étaient pas apparents pour un non professionnel, vont compromettre la stabilité ou la solidité du mur de soutènement et il préconise la démolition complète de l'ouvrage en raison notamment du mauvais traitement du drainage des eaux en amont du mur, lequel finira par subir des pressions hydrostatiques et s'effondrera.
En l'espèce, l 'expert judiciaire a mis en évidence l'atteinte actuelle à la stabilité et à la pérennité de l'ouvrage ; la SA AVIVA Assurances n'apporte aucun élément technique contredisant les conclusions de l'expert, étant relevé que le mur à été reconstruit à l'identique du précédent par l'entreprise G. laquelle n'a fait procéder à aucune des études préalables nécessaires à la pérennité de l'ouvrage et les désordres affectant le mur reconstruit, apparus très rapidement après sa reconstruction, démontrent le vice de construction de l'ouvrage et le danger d'un nouvel effondrement.
Il ressort du rapport d'expertise que même si les désordres ne se sont pas révélés dans toute leur ampleur, le processus d'aggravation est inéluctable et conduira à l'effondrement de l'ouvrage reconstruit.
C'est donc à bon droit que le premier juge a retenu que les désordres affectant le mur reconstruit avaient une nature décennale et engageaient la responsabilité du constructeur.
*Sur la responsabilité de la SAS G. TP :
La SAS G. TP, qui ne conteste pas sa responsabilité, sera déclaré responsable de plein droit en vertu de l'article 1792 du Code civil, des désordres.
*Sur la garantie de la SA AVIVA Assurances :
La SA AVIVA Assurances dénie sa garantie au motif que la police souscrite par la SAS G. TP n'était pas applicable à la construction litigieuse.
Aux termes du contrat souscrit par la SAS G. TP le 1er juillet 2013, l'entreprise est notamment assurée au titre de l'activité M 801 maçonnerie et béton armé pour les travaux 'mur de soutènement d'une hauteur de 2,50 m et d'une longueur de 10 m ne supportant ni remblais de voies ferrées ni soubassements routiers.'
Or, le mur litigieux est d'une longueur de 15 mètres et d'une hauteur maximale de 4 mètres et ne correspond donc pas aux ouvrages couverts par la garantie d'assurance.
Il est établi que les conditions particulières reprenant les activités garanties par la SA AVIVA ont été signées par la SAS G. TP le 1 er juillet 2013, que le contrat d'assurance conclu pour une durée d'un an s'est trouvé renouvelé par tacite reconduction de sorte que ces conditions d'application demeuraient applicables à la date de la réalisation des travaux.
Cette clause, qui définit les conditions de la garantie, est exprimée en termes clairs et dépourvus d'ambiguïté et est donc opposable à la SAS G. TP, qui en a eu connaissance lors de la conclusion du contrat d'assurance .
Dans ces conditions, c'est à bon droit que le premier juge considérant que la compagnie Aviva assurances ne doit pas sa garantie à la SAS G. TP et que le maître d'ouvrage n'était pas fondé à se prévaloir de l'action directe contre l'assureur, a rejeté les demandes formées par la SAS G. TP et M. José T. contre la compagnie AVIVA. Sa décision sera confirmée de ce chef.
* Sur la réparation :
L'expert judiciaire a préconisé la démolition complète du mur avec une nouvelle édification après étude géotechnique et études de structure préalable avec conseil de recourir à un maître d'œuvre.
Le premier juge a, à juste titre, écarté le coût d'une maîtrise d'oeuvre estimé par l'expert à 3000€, dès lors qu'au regard de la technicité de l'ouvrage à construire, le maître d'ouvrage aurait dû assumer ce coût à l'origine.
Le montant des travaux de réfection estimé par l'expert judiciaire s'élève à la somme de 29'363,50 € TTC comprenant le coût d'une étude géotechnique et d'une étude de structure préalable, le coût de la remise en état du portail, des enrobés des bordures du chemin d'accès dégradées lors de l'effondrement du premier mur avec une durée des travaux fixée à 3 semaines.
L'expert judiciaire a évalué de manière forfaitaire et, sans recueil préalable de devis à 1000 € l'étude de structure. M. José T. a justifié l'insuffisance de cette estimation par la production aux débats d'un devis établi par la Société Compétence Géotechnique Centre pour la somme de 3118 €TTC.
Le premier juge a retenu à bon droit cette dernière somme et a alloué à M. José T. la somme globale de 31'482,30 € TTC (29363,50€ -1000€ + 3118,80€).
Sa décision condamnant la SAS G. TP au paiement de ladite somme sera confirmée.
S'agissant du préjudice de jouissance subi par le maître d'ouvrage, il est incontestable dès lors que depuis 2016, M. José T. n'a pas disposé d'un mur de soutènement conforme à ce qu'il était en droit d'attendre de la part de son constructeur ; l'accès à sa propriété située en surélévation par rapport au chemin d'accès s'en est trouvé entravé avec l'impossibilité de fermer son portail, exposant ses biens à une certaine insécurité. Il est justifié au regard de ces circonstances et du temps écoulé de lui allouer une indemnité qui ne saurait être inférieure à 3000 €.
*Sur les demandes accessoires :
Succombant en ses prétentions et en son recours, la SAS G. TP supportera les dépens de première instance et d'appel, ce qui exclut qu’elle puisse bénéficier de l'article 700 du code de procédure civile. Pour le surplus, il est constant que M. José T. a été contraint dans le cadre de la procédure, d'exposer des frais pour assurer la défense de ses intérêts ; des considérations d'équité commandent de lui accorder, outre la somme allouée en première instance, une indemnité complémentaire de 2500 euros en cause d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il est justifié de débouter la SA AVIVA Assurances de sa demande d'indemnité de procédure contre M. José T. en première instance dès lors que M. José T. l'a fait assigner dans l'ignorance de l'absence de garantie de la compagnie.
La SAS G. TP qui succombe dans son appel en garantie contre l'assureur sera condamnée à payer à la compagnie Aviva, une indemnité de 1500 euros en cause d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant par décision contradictoire, rendue par mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
CONFIRME le jugement déféré hormis dans ses dispositions disant :
-que le préjudice de jouissance de M. José T. s'élève à la somme de 1 000 € et condamnant la SAS G. TP à payer ladite somme,
-condamnant M. José T. à payer à SA AVIVA Assurances la somme de 800€ en vertu de l'article 700 du code de procédure civile
Statuant de nouveau des chefs infirmés,
CONDAMNE la SAS G. TP à payer à M. José T. la somme de 3000 € au titre du préjudice de jouissance,
DÉBOUTE la SA AVIVA Assurances de sa demande de condamnation de M. José T.
sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles en première instance,
Y ajoutant,
CONDAMNE la SAS G. TP à verser à M. José T. une somme de 2500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
CONDAMNE la SAS G. TP à verser à la SA AVIVA Assurances, une somme de 1500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,
DIT que les dépens d'appel seront supportés par la SAS G. TP.