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Décisions

CA Grenoble, 2e ch. civ., 25 janvier 2022, n° 20/00476

GRENOBLE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Areas Dommages (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cardona

Conseillers :

M. Grava, M. Dumas

TGI de Gap, du 12 nov. 2019

12 novembre 2019

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Mme Angélina G. et son époux, M. Vincenzo M., ont entrepris en 1999 la construction d'une maison individuelle sur la commune de Rambaud (05) pour laquelle ils ont notamment confié le lot charpente et toiture à la société à responsabilité limitée C. et B. Charpentes et le lot placo et menuiseries à l'entreprise Nicolas R..

La société C. et B. Charpentes a émis le 22 septembre 1999 une facture de 92.713, 25 francs, qui a été intégralement acquittée par les maîtres d'ouvrage.

Se plaignant de phénomènes de condensation à l'intérieur de la maison les époux M. ont obtenu en 2008 de leur assureur multirisques habitation, la société SOGESSUR, la désignation du cabinet d'expertise SARETEC. Son rapport, déposé le 19 mars 2008, attribue la présence de condensation et de points de moisissures dans les chambres 'en premier lieu' à une insuffisance de renouvellement d'air dans l'enceinte de la maison, à laquelle 'peut s'y ajouter localement des discontinuités d'isolation thermique', l'expert considérant toutefois que la réalisation d'un système de ventilation devrait remédier au problème et qu'à défaut des investigations devraient être entreprises sur la pose de l'isolation thermique.

Devant la persistance des désordres les époux M. ont adressé le 1er février 2012 une nouvelle réclamation à l'entrepreneur, lequel a alors procédé à une déclaration de sinistre auprès de son assureur responsabilité décennale, la société d'assurance mutuelle Areas Dommages, qui a refusé sa garantie au terme des investigations confiées à son expert, M. B..

Les époux M. ont dès lors fait appel à M. B., architecte expert en construction, qui a établi un rapport le 24 juillet 2013 mettant en évidence un problème de renouvellement de l'air dans l'ouvrage doté d'une VMC dont le nombre et la disposition des entrées d'air lui sont apparus insuffisants.

Ils ont alors fait assigner devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Gap la société C. et B. Charpentes et son assureur, ainsi que l'entreprise Nicolas R., aux fins d'obtenir le versement d'une indemnité provisionnelle, et subsidiairement voir désigner un expert judiciaire.

Par suite du rejet de leurs demandes la Cour d'appel de Grenoble a, le 12 mai 2015, ordonné une mesure d'expertise, laquelle a été déclarée caduque selon ordonnance du 16 juin 2016, les époux M. n'ayant pas procédé à la consignation mise à leur charge.

Par exploits des 9 et 31 janvier 2017 ils ont fait assigner la société C. et B. Charpentes ainsi que la société Areas Dommages devant le tribunal de grande instance de Gap aux fins de les entendre condamner in solidum à leur payer la somme de 68.227,46 euros au titre du coût de réparation des désordres affectant l'ouvrage (réfection de la couverture, des plafonds et des peintures), outre celle de 30.000 euros au titre de leur préjudice de jouissance, et subsidiairement de voir instaurer une mesure d'expertise.

Suivant jugement du 12 novembre 2019 le tribunal de grande instance de Gap a débouté les époux M. des fins de leur action, les a condamnés aux dépens ainsi qu'aux paiement d'une indemnité de 2.000 euros au profit de la société C. et B. Charpentes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et débouté la société Areas Dommages de ses demandes reconventionnelles.

Le 21 janvier 2020 les époux M. ont interjeté appel du jugement, à l'exception du rejet des demandes reconventionnelles de la société Areas Dommages, à l'égard des deux parties défenderesses.

Aux termes de leurs dernières conclusions M. et Mme M. demandent à la cour, sur le fondement des anciens articles 1116, 1147, et 1792 et suivants du code civil applicables à la présente affaire, d'infirmer le jugement déféré et de :

- condamner solidairement, sur le fondement de la responsabilité contractuelle des constructeurs la Société AREAS Assurance Dommages et la société C. B. et Charpentes à payer à Monsieur et Madame M., la somme de 68.227,48 euros, outre les intérêts légaux à compter de la décision à intervenir,

- ordonner à titre très subsidiaire et avant dire droit une expertise judiciaire, ayant mission habituelle en pareille matière,

- débouter la société C. B. et Charpentes et l'assurance AREAS Dommages Assurance de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

- condamner en tout état de cause solidairement la société C. B. et Charpentes et l'assurance Areas Dommages à leur payer la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts pour les troubles de jouissance normale et paisible de la maison,

- condamner la société C. B. et Charpentes et l'assurance AREAS Dommages Assurance à payer chacun à M. et Mme M., la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l'instance.

Au soutien de leurs prétentions M. et Mme M. exposent que :

- les désordres caractérisés par des moisissures dues à une insuffisance du renouvellement de l'air sont survenus en 2007, soit dans le délai décennal, ont été déclarés en 2008 et que des travaux ont été effectués par l'entreprise C. B. et Charpentes qui a procédé à une déclaration de sinistre le 29 novembre 2012,

- le fait de réaliser plusieurs interventions de réparation et la volonté de régler le problème sont ainsi constitutifs d'un aveu interruptif du délai de la garantie décennale,

- l'aggravation des désordres relevée dans le rapport B. du 24 juillet 2013 peut être prise en compte postérieurement au délai décennal dès lors que les désordres ont été dénoncés avant son expiration, s'agissant de désordres évolutifs de ceux constatés par le cabinet SARETEC,

- les éléments du rapport B., selon lequel l'écran sous toiture n'a pas été posé conformément aux règles de l'art sur l'ensemble de la surface de la couverture en tuiles, établissent la responsabilité du constructeur et l'éventuelle tardiveté de la déclaration du sinistre auprès de la société Areas Dommages leur est inopposable,

- le point de départ de leur action court dès lors à compter du rapport de Monsieur B. du 24 juillet 2013,

- le fait d'avoir dissimuler lors de la réalisation des travaux des manquements aux règles de l'art constitue des manoeuvres dolosives les ayant incités à régler la facture de travaux.

Par conclusions responsives la société C. B. et Charpentes conclut à ce que la cour confirme le jugement attaqué en ce qu'il a constaté la prescription de toute action à son encontre fondée sur la responsabilité décennale et condamné les époux M. à lui verser une indemnité de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et :

- subsidiairement, si par impossible la cour entendait retenir sa responsabilité, condamne la société Areas Dommages à la relever et garantir de toute condamnation à son encontre,

- déboute les époux M. de leur demande en indemnisation d'un préjudice de jouissance,

- confirme le jugement ayant débouté les époux M. de leur demande d'expertise,

- déboute les époux M. de toute demande relative à l'application de l'article 700 code de procédure civile,

- condamne les époux M. à lui payer une somme de 3.000 euros en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile,

- les déboute de toute demande contraire.

L'intimée fait valoir que :

- le rapport SARETEC du 19 mars 2008 n'a aucunement retenu la responsabilité de la société C. B. et Charpentes, laquelle ne l'a de surcroît jamais reconnue,

- elle n'a en effet procédé à aucune intervention particulière sur l'ouvrage des époux M. après la réception tacite intervenue le 22 septembre 1999 et ne s'y est rendue que pour permettre à M. R. de faire des investigations sur ses propres travaux et de passer par la toiture,

- après avoir été de nouveau contactée par les époux M. en 2012 pour un nouveau désordre et avoir été ainsi mise en cause elle a logiquement déclaré cette situation à son assureur AREAS sans que cette déclaration ne valent reconnaissance de responsabilité,

- la compagnie AREAS lui a en outre indiqué le 13 novembre 2012 que le problème de moisissure et non d'infiltrations relevé en 2008 avait pour origine une ventilation insuffisante, l'isolation thermique étant étrangère à ses travaux tandis que l'expert B. a préconisé dans son rapport de visite du 19 juillet 2013 de modifier la VMC existante,

- les travaux de charpente effectué par la société C. B. et Charpentes n'ayant jamais été mis en cause durant le délai décennal la prescription de la garantie décennale ne peut être prorogée,

- au surplus les appelants ne démontrent aucunement que ses travaux seraient à l'origine des désordres.

Selon ses dernières écritures la société Areas Dommages sollicite la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions et, au besoin y ajoutant, que la cour :

- juge prescrite l'action des époux M. à son encontre depuis le 22 septembre 2009,

- déboute les époux M. de l'intégralité de leurs demandes,

- subsidiairement,

- juge opposable aux époux M. la franchise de 10 % prévue au contrat d'assurance décennale de la société C. B. et Charpentes,

- limite toute condamnation à son égard à la somme de 31.304,94 euros,

- en tout état de cause condamne solidairement les époux M. à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La société Areas Dommages énonce que :

- il importe peu que les désordres soient nés pendant le délai d'épreuve dès lors que l'action est engagée postérieurement à sa date d'expiration,

- la société C. B. et Charpentes n'est jamais intervenue de nouveau sur le chantier et une éventuelle reconnaissance de responsabilité de sa part lui serait inopposable dans la mesure où elle a été informée pour la première fois des désordres en 2012,

- en tout état de cause seuls les lots isolation thermique et plomberie sont incriminés alors que le lot toiture n'a jamais été remis en cause,

- s'agissant des désordres évolutifs ils ne peuvent être pris en compte qu'à la condition que les désordres initiaux aient été judiciairement dénoncés pendant la période de garantie, ce qui n'est pas le cas en l'espèce puisque le rapport B. met en cause les lots isolation thermique et plomberie,

- la garantie des vices cachés ne s’applique qu'à la chose vendue.

L'instruction a été clôturée suivant ordonnance du 3 février 2021.

MOTIFS

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées.

Sur la recevabilité de la demande de garantie décennale

En application des articles 1792 et 1792-4-1 du code civil tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit pendant une durée de dix ans, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère.

Il est en outre constant que la garantie décennale couvre les conséquences futures des désordres dès lors qu'elles trouvent leur siège dans l'ouvrage où un désordre de même nature a été constaté et dont la réparation a été demandée en justice avant l'expiration de ce délai.

Par ailleurs la période de garantie décennale, qui est un délai d'épreuve, ne peut être interrompue que par une citation en justice ou une reconnaissance de sa responsabilité par le débiteur de l'obligation, laquelle suppose la réunion de deux conditions : une connaissance exacte, réelle et totale du sinistre ainsi qu'un engagement non équivoque matérialisé.

En l'espèce les principaux éléments pris en compte par le premier juge pour écarter la demande des époux M. comme étant formée au-delà du délai pour agir de la garantie décennale sont les suivants :

- le règlement intégral de la facture émise par la société C. B. et Charpentes le 22 septembre 1999 matérialise une réception tacite et sans réserve de la part des époux M.,

- il n'est pas établi que la société C. B. et Charpentes ait admis de manière non équivoque une quelconque responsabilité dans les désordres,

- le rapport d'expertise déposé le 10 décembre 2008 par le cabinet SARETEC indique que les entreprises C. B. et Charpentes et Nicolas interviendraient pour réviser l'isolation sous toiture à la base des rampants sans qu'aucun élément ne confirme que la société C. B. et Charpentes aurait ensuite procédé à des travaux de réfection, l'isolation thermique relevant du lot attribué à l'entreprise Nicolas,

- la société C. B. et Charpentes était tenue de déclarer le sinistre à son assureur dès lors qu'elle était formellement mise en cause, sans que cela constitue une reconnaissance de responsabilité de sa part.

S'agissant d'ailleurs de cette déclaration la lettre de la société Areas Dommages adressée à M. M. précise simplement que son assurée lui a fait suivre son courrier du 1er février 2012 concernant les problèmes de condensation rencontrés dans l'habitation.

Quant au rapport d'expertise du 24 juillet 2013 M. B. explique que la couverture a été posée par l'entreprise C. B. et Charpentes 'qui est venue sur place à la demande de Mme M., mais a estimé que la couverture ne pouvait être mise en cause', ajoutant que 'une autre entreprise qui a examiné la toiture a relevé que l'écran sous toiture n'avait pas été posé comme il se devait sous l'ensemble de la surface de la couverture en tuiles...'. L'arasement du pignon directement sous la couverture sans écran peut par endroit, selon le rapport d'expertise, canaliser les eaux de condensation dans les agglos, les moisissures sous les linteaux confirmant la venue d'eau depuis la maçonnerie du dessus.

Nulle reconnaissance de responsabilité ne ressort par conséquent de l'attitude de la société C. et B. Charpentes, qui serait de nature à interrompre le cours du délai décennal avant son expiration le 22 septembre 2009.

La notion de désordres évolutifs invoquée par les maîtres d'ouvrage ne saurait pas davantage prolonger la garantie du constructeur au-delà du délai décennal en l'absence de dénonciation judiciaire des désordres initiaux avant le 22 septembre 2009.

C'est enfin à juste titre que le tribunal a estimé que les époux M. ne rapportaient nullement la preuve d'une violation délibérée de la société C. et B. Charpentes, par dissimulation ou par fraude, des obligations contractuelles lui incombant. Les appelants ne procèdent en effet que par affirmations en ce qui concerne de supposées manoeuvres dolosives par lesquelles l'entreprise de charpentes aurait caché de prétendus manquements aux règles de l'art ayant pour conséquence de reporter le point de départ du délai d'épreuve au rapport B. du 24 juillet 2013.

En l'absence de nouveaux moyens et de nouvelles preuves présentés par les parties c'est par des motifs pertinents, que la cour adopte, au vu des justificatifs qui lui étaient soumis que le tribunal s'est livré à une exacte analyse des faits et à une juste application des règles de droit.

La cour confirmera dès lors le jugement déféré tout en déclarant irrecevables les demandes des époux M. fondées sur la responsabilité contractuelle du constructeur.

Sur les demandes annexes

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société C. et B. Charpentes les frais exposés pour faire valoir ses droits en cause d'appel. M. et Mme M. seront donc condamnés à lui verser une indemnité de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En revanche l'équité ne commande pas de faire droit à la demande de la société Areas Dommages à ce titre.

Les appelants qui succombent seront en outre condamnés aux entiers dépens de la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement du 12 novembre 2019 du tribunal de grande instance de Grenoble en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déclare irrecevables les demandes de M. et Mme M.,

Condamne Mme Angélina G. et M. Vincenzo M. à verser à la S.A.R.L. C. B. et Charpente une indemnité de 3.000 euros (trois mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute de la société Areas Dommages de sa demande au titre des frais irrépétibles,

Condamne M. et Mme M. aux entiers dépens de la procédure d'appel.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.