CA Paris, 4e ch. A, 7 février 2007, n° 06/00465
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
SARL BRONZE & VERRE CREATIONS
Défendeur :
G. B., M.M
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Monsieur Alain CARRE-PIERRAT
Conseillers :
Madame Marie-Gabrielle MAGUEUR, Madame Dominique ROSENTHAL-ROLLAND
Avoués :
SCP ARNAUDY - BAECHLIN, SCP MONIN - D'AURIAC DE BRONS
Avocats :
Me Frédéric MURA, Me Jean Marc CIANTAR
ARRET : CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par Monsieur Alain CARRE-PIERRAT, Président
- signé par Monsieur Alain CARRE-PIERRAT, président et par Mme Jacqueline VIGNAL, greffier présent lors du prononcé.
Vu l'appel interjeté par la société BRONZE ET VERRE CREATIONS, dite BVC, du jugement rendu le 9 novembre 2005 par le tribunal de grande instance de Paris qui a :
- mis hors de cause Jean-Claude D.,
- dit que l'exploitation des lithographies détenues par la société BVC ( 1° /BIP en famille, 2°/ BIP rêveur, 3°/ CAIN et ABEL, 4°/ La fin du monde, 5°/ la foule, 6° / Le paradis, 7°/ Ombre et Lumière, 8°/ Péché originel, 9°/ Public qui pleure, 10°/ Public qui rit, 11°/ Un amour de BIP ) est contrefaisante à l'exception de la lithographie 'CAIN et ABEL' numérotée 7/250, au regard des dispositions de l'article L. 123-1 du Code de la propriété intellectuelle,
- dit que les reproductions et représentations des lithographies attribuées à Marcel M. sur Internet sont contrefaisantes,
- condamné la société BVC à payer à Marcel M., assisté de Maître Gilles B., ès qualités d'administrateur judiciaire, la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de l'atteinte au droit moral et celle de 2.000 euros en réparation du préjudice patrimonial,
- condamné la société BVC à payer à Marcel M. la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
Vu les dernières écritures signifiées le 28 novembre 2006 par lesquelles la société BVC, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris, demande à la Cour de :
* à titre principal
- débouter Marcel M. et Maître Gilles B. ès qualités de l'intégralité de leurs prétentions,
* à titre subsidiaire
- désigner un expert avec mission, notamment de procéder à l'examen des lithographies de Marcel M. et de celles appartenant à la société BVC et de la signature qui y est apposée et d'indiquer l'origine des lithographies et de la signature qui y est apposée,
* en tout état de cause
- condamner Marcel M. et Maître Gilles B. ès qualités à lui verser la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
Vu les uniques conclusions signifiées le 5 septembre 2006 aux termes desquelles Marcel M. et Maître Gilles B. ès qualités d'administrateur judiciaire et de curateur de Marcel M. prient la Cour de confirmer le jugement déféré sauf sur le montant des dommages-intérêts et, formant appel incident, de :
- condamner la société BVC à leur verser la somme de 15.000 euros en réparation des atteintes au droit moral de Marcel M. et celle de 10.000 euros en réparation de l'atteinte à ses droits patrimoniaux et pour appel manifestement dilatoire,
- interdire à la société BVC, en tant que de besoin, toute commercialisation des lithographies non numérotées par elle détenues, sous astreinte définitive de 1.000 euros par infraction constatée,
- condamner la société BVC à leur verser la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
SUR QUOI, LA COUR
Considérant que Marcel M., mime de renommée internationale, est l'auteur d'une oeuvre picturale composée notamment d'aquarelles qui ont été gravées par le procédé de la lithographie ;
Qu'ayant découvert lors de la consultation du site Internet '[...]' que onze de ses oeuvres étaient reproduites et offertes à la vente, sous forme de lithographies, il a, par lettre recommandée en date du 11 mars 2002, mis en demeure l'éditeur de ce site, la société 3W Gmbh, de lui indiquer l'origine des droits de reproduction et d'exploitation de ces oeuvres ;
Que le 14 mars suivant, la société 3W lui répondait que le fournisseur des lithographies était [...], entité exploitée par Laurent S. sous la forme de la SARL BVC, qui, dans une télécopie datée du même jour, l'informait avoir racheté le stock de lithographies portant sa signature lors d'une vente aux enchères à l'Hôtel DROUOT à Paris et lui proposait, dans l'attente de parvenir à un accord amiable, de retirer les oeuvres du site ;
Que faute d'avoir obtenu les éléments d'information sur la validité des cessions intervenues au regard de ses droits patrimoniaux et moraux, réclamés par lettre du 15 mars 2002, estimant illicite l'exploitation de ses oeuvres, Marcel M., assisté de Maître Gilles B., a, par acte du 2 mai 2002, assigné la société BVC devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins d'indemnisation de son préjudice patrimonial et de l'atteinte portée à son droit moral ;
Qu'autorisé par ordonnance sur requête du 20 décembre 2002, Marcel M. a fait pratiquer, le 6 janvier suivant, une saisie-contrefaçon descriptive dans les locaux de la société BVC ; qu'une comparution personnelle des parties a été ordonnée par le juge de la mise en état, le 25 novembre 2003, qui a donné lieu à l'établissement d'un procès-verbal ;
Que, par acte du 7 mai 2004, Jean-Paul D., se déclarant président de la société LITHOPRINT, éditeur, auteur d'un certificat d'authenticité, a été appelé en intervention forcée ;
- Sur l'exploitation illicite des lithographies
Considérant que les intimés reprochent à la société BVC d'avoir commercialisé, sans autorisation de l'auteur, des lithographies non numérotées ;
Que pour justifier du caractère licite de la commercialisation de ces lithographies, la société BVC fait valoir qu'elle les a acquises lors d'une vente aux enchères et qu'il s'agit d'oeuvres originales revêtues de la signature de Marcel M., qui ont été mises sur le marché avec son consentement ; qu'elle ajoute que seule la signature d'une lithographie par son auteur, et non sa numérotation, vaut reconnaissance par celui-ci de l'oeuvre qu'il a conçue et acceptation du travail de l'imprimeur ;
Considérant que conformément à l'article L.121-2 du Code de la propriété intellectuelle, l'auteur a seul le droit de divulguer son oeuvre . Sous réserves des dispositions de l'article L.132-24 ( relatif à l'oeuvre audiovisuelle), il détermine le procédé de divulgation et fixe les conditions de celle-ci ;
Considérant que Jean-Paul D., éditeur, atteste avoir fait éditer par la société Les Editions d'Art de Lutèce, dont il est le gérant, en vertu d'un contrat signé en 1981 entre lui-même et Marcel M., des lithographies qui ont été signées par ce dernier à l'imprimerie ; que le document intitulé 'certificate of authenticity' établi par Jean-Paul D., produit aux débats par la société BVC, établit qu'ont été éditées par LITHOPRINT, dont il est le président, une suite de 10 lithographies ayant pour titre 'THE THIRD EYE', signées par l'auteur, cette édition comprenant :
- 250 sur papier Arches, numérotées,
- 150 sur papier Rives, numérotées,
- 75 sur papier Japon, numérotées,
- 25 épreuves d'artiste,
- 25 hors commerce,
- 20 réservées pour des donations aux musées seulement et désignées par lui ;
Que ce certificat mentionne un numéro 15/ 250 ARCHES ;
Mais considérant que la société BVC, qui ne verse pas aux débats le contrat conclu entre l'auteur et Jean-Paul D., ne rapporte pas la preuve que Marcel M. avait consenti à la commercialisation de ses oeuvres lithographiques, au delà des conditions fixées dans le certificat d'authenticité sus-visé, qui n'est pas contredit par les autres attestations, soit un tirage limité de lithographies numérotées assorti de modalités précises dans le choix du papier ;
Considérant que si le bordereau d'adjudication établi le 23 septembre 1999 par M.M. C. & C., commissaires priseurs, versé aux débats par la société BVC, mentionne l'acquisition d'un 'lot mime M.'pour la somme de 1.100 F, il ressort du procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé les 6 et 13 janvier 2003 dans les locaux de la société BVC et des photographies annexées que les lithographies présentées portent une signature au crayon de papier 'MARCEL M.' et que seule la lithographie 'CAIN et ABEL' sur papier 'Arche' porte un numéro (7/250), au crayon, au bas à gauche ; que ce défaut de numérotation a été constaté par le juge de la mise en état dans le procès-verbal de présentation des pièces originales dressé le 25 novembre 2003 à l'audience de comparution des parties ;
Qu'il s'ensuit que l'exploitation sans le consentement de l'auteur des lithographies non numérotées, hors les limites et conditions fixées par ce dernier, à l'exception de l'oeuvre intitulée 'CAIN et ABEL' N° 7/250 sur papier ARCHES, porte atteinte à son droit de divulgation et revêt donc un caractère illicite ;
- Sur la reproduction illicite des lithographies par leur mise en ligne
Considérant qu'aux termes de l'article L.122-4 du Code de la propriété intellectuelle, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite ;
Considérant que la société BVC ne conteste pas que la numérisation à des fins de mise en ligne sur un site Internet d'une oeuvre constitue une reproduction qui requiert l'autorisation préalable de son auteur, mais fait valoir qu'elle poursuivait un seul but, celui de promouvoir leur vente ;
Mais considérant que la société BVC ne peut se prévaloir de l'exception prévue à l'article L.122-5-d) du Code de la propriété intellectuelle, qui autorise la reproduction intégrale ou partielle d'une oeuvre d'art destinée à figurer dans le catalogue d'une vente judiciaire ; que si l'article 5 de la directive du 22 mai 2001 sur le droit d'auteur, qui n'a pas été transposée en droit interne, étend l'exception aux expositions publiques et ventes d'oeuvres artistiques, la reproduction est limitée dans la mesure nécessaire à promouvoir l'événement en question, à l'exclusion de toute autre utilisation commerciale, de sorte que la commercialisation par la société BVC des lithographies signées du nom de Marcel M. parmi 4.000 estampes, comme mentionné sur le site, ne saurait, en l'absence de présentation de l'auteur et de son oeuvre, constituer l'événement artistique visé, exclusif de toute fin commerciale ;
Qu'il convient de relever, au surplus, que la société BVC, dont le gérant entretenait des relations privilégiées avec Marcel M., ainsi qu'il ressort de la lettre du 14 mars 2003, était en mesure de solliciter l'accord de ce dernier, avant de procéder à la numérisation incriminée ;
Qu'il s'ensuit que le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a estimé illicite la reproduction des oeuvres lithographiques sur l'Internet ;
- Sur les autres atteintes au droit moral de l'auteur
Considérant qu'outre l'atteinte à son droit de divulgation, Marcel M. fait grief à la société BVC d'avoir porté atteinte à l'intégrité de ses oeuvres par la numérisation et d'avoir modifié les titres de certaines d'entre elles ;
Considérant que si la modification des titres n'est pas établie, ceux-ci étant exactement repris par l'éditeur des oeuvres dans les attestations produites aux débats, leur reproduction dans un format réduit aux fins de mise en ligne sur le réseau de l'Internet, sans autorisation préalable de l'auteur, porte atteinte au droit au respect de l'intégrité de l'oeuvre dont il jouit ;
- Sur les mesures réparatrices
Considérant que dans la correspondance qu'elle a échangée avec les intimés avant l'introduction de la présente procédure comme dans ses écritures, la société BVC dissimule le nombre d'exemplaires qu'elle détient des 11 lithographies litigieuses ;
Que cette divulgation en nombre de lithographies non numérotées, qui n'étaient pas destinées à la commercialisation, jette le discrédit sur l'auteur et sur son oeuvreentière et la dévalorise aux yeux des collectionneurs ou amateurs de biens rares ;
Qu'au vu de ces éléments, le préjudice patrimonial subi par Marcel M. par la mise en ligne aux fins de vente de ces 11 lithographies, sera entièrement réparé par l'allocation d'une indemnité de 8.000 euros ;
Que l'atteinte portée à son droit moral de divulgation et à son droit au respect de son oeuvre par la société BVC justifie que soit alloué à Marcel M. la somme de 15.000 euros ;
Considérant qu'afin de mettre un terme aux agissements illicites, il convient de prononcer une mesure d'interdiction selon les modalités précisées au dispositif ;
Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier aux intimés, la somme complémentaire de 6.000 euros devant leur être allouée à ce titre ;
Que la solution du litige commande de rejeter la demande formée sur ce même fondement par la société BVC ;
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris sauf sur le montant des dommages-intérêts,
Le réformant sur ce point et statuant à nouveau,
Condamne la société BVC à payer à Marcel M., assisté de Maître Gilles B., les sommes suivantes :
- 8.000 euros en réparation de l'atteinte portée à son droit patrimonial,
- 15.000 euros en réparation de l'atteinte portée à son droit moral,
Y ajoutant,
Interdit à la société BVC de poursuivre la commercialisation des lithographies non numérotées détenues par elle, sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée, à compter de la signification du présent arrêt,
Condamne la société BVC à payer à Marcel M., assisté de Maître Gilles B., la somme complémentaire de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Rejette le surplus des demandes,
Condamne la société BVC aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.