CJUE, 2e ch., 12 janvier 2023, n° C-396/21
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
KT, NS
Défendeur :
FTI Touristik GmbH
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Prechal (rapporteure)
Juges :
Mme Arastey Sahún, M. Biltgen, M. Wahl, M. Passer
Avocat général :
Mme Medina
LA COUR (deuxième chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 14, paragraphe 1, de la directive (UE) 2015/2302 du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2015, relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées, modifiant le règlement (CE) no 2006/2004 et la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 90/314/CEE du Conseil (JO 2015, L 326, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant deux voyageurs, KT et NS (ci-après les « requérants au principal »), à un organisateur de voyages, FTI Touristik GmbH, au sujet d’une réduction du prix d’un voyage à forfait sollicitée à la suite de restrictions qui ont été imposées sur le lieu de destination de ces deux voyageurs, afin de lutter contre la propagation de la pandémie de COVID-19, et d’un retour anticipé de ces derniers sur leur lieu de départ.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Les considérants 31 et 34 de la directive 2015/2302 énoncent :
« (31) Les voyageurs devraient également avoir la possibilité de résilier le contrat de voyage à forfait à tout moment avant le début du forfait moyennant le paiement de frais de résiliation appropriés et justifiables, compte tenu des économies prévisibles en termes de coûts et des revenus escomptés du fait d’une remise à disposition des services de voyage concernés. Ils devraient aussi avoir le droit de résilier le contrat de voyage à forfait sans payer de frais de résiliation si des circonstances exceptionnelles et inévitables ont des conséquences importantes sur l’exécution du forfait. Il peut s’agir par exemple d’une guerre, d’autres problèmes de sécurité graves, tels que le terrorisme, de risques graves pour la santé humaine, comme l’apparition d’une maladie grave sur le lieu de destination, ou de catastrophes naturelles telles que des inondations, des tremblements de terre ou des conditions météorologiques rendant impossible un déplacement en toute sécurité vers le lieu de destination stipulé dans le contrat de voyage à forfait.
[...]
(34) Il convient d’édicter des dispositions particulières sur les moyens de recours ouverts lorsque l’exécution du contrat de voyage à forfait n’est pas conforme. Le voyageur devrait avoir le droit d’exiger la résolution des problèmes et, lorsqu’une part significative des services de voyage compris dans le contrat de voyage à forfait ne peut pas être fournie, le voyageur devrait se voir proposer d’autres prestations appropriées en remplacement. Si l’organisateur ne remédie pas à la non-conformité dans un délai raisonnable fixé par le voyageur, ce dernier devrait pouvoir y remédier lui-même et demander le remboursement des dépenses nécessaires. Dans certains cas, il ne devrait pas être nécessaire de fixer un délai, en particulier s’il y a lieu de remédier au problème immédiatement. Cela s’appliquerait par exemple lorsque, en raison du retard d’un bus mis à disposition par l’organisateur, le voyageur doit prendre un taxi afin d’être à l’heure pour prendre son avion. Les voyageurs devraient également pouvoir bénéficier d’une réduction du prix, d’une résiliation du contrat de voyage à forfait et/ou d’un dédommagement en réparation du préjudice subi. Le dédommagement devrait également couvrir le préjudice moral, par exemple pour ne pas avoir pu profiter du voyage ou du séjour de vacances en raison de problèmes importants dans la prestation des services de voyage prévus. Le voyageur devrait être tenu d’informer l’organisateur, sans retard excessif et eu égard aux circonstances de l’espèce, des cas de non-conformité constatés au cours de l’exécution d’un service de voyage compris dans le contrat de voyage à forfait. L’absence de signalement peut être prise en compte lors de la fixation de la réduction de prix ou du dédommagement du préjudice si ce signalement aurait eu pour effet d’éviter ou de diminuer le dommage. »
4 L’article 1er de cette directive, intitulé « Objet », dispose :
« La présente directive a pour objet de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur et à la réalisation d’un niveau élevé de protection des consommateurs le plus uniforme possible en rapprochant certains aspects des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres concernant les contrats entre voyageurs et professionnels relatifs aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées. »
5 L’article 3 de ladite directive, intitulé « Définitions », prévoit :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
12. “circonstances exceptionnelles et inévitables”, une situation échappant au contrôle de la partie qui invoque cette situation et dont les conséquences n’auraient pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises ;
13. “non-conformité”, l’inexécution ou la mauvaise exécution des services de voyage compris dans un forfait ;
[...] »
6 L’article 13 de la même directive, intitulé « Responsabilité de l’exécution du forfait », énonce :
« 1. Les États membres veillent à ce que l’organisateur soit responsable de l’exécution des services de voyage compris dans le contrat de voyage à forfait, indépendamment du fait que ces services doivent être exécutés par lui-même ou par d’autres prestataires de services de voyage.
[...]
2. Le voyageur informe l’organisateur, sans retard excessif et eu égard aux circonstances de l’espèce, de toute non-conformité constatée lors de l’exécution d’un service de voyage inclus dans le contrat de voyage à forfait.
3. Si l’un des services de voyage n’est pas exécuté conformément au contrat de voyage à forfait, l’organisateur remédie à la non-conformité, sauf si cela :
a) est impossible ; ou
b) entraîne des coûts disproportionnés, compte tenu de l’importance de la non conformité et de la valeur des services de voyage concernés.
Si l’organisateur ne remédie pas à la non-conformité conformément au premier alinéa, point a) ou b), du présent paragraphe, l’article 14 s’applique.
[...] »
7 L’article 14 de la directive 2015/2302, intitulé « Réduction de prix et dédommagement », énonce :
« 1. Les États membres veillent à ce que le voyageur ait droit à une réduction de prix appropriée pour toute période de non-conformité des services fournis, sauf si l’organisateur prouve que la non-conformité est imputable au voyageur.
2. Le voyageur a droit à un dédommagement approprié de la part de l’organisateur pour tout préjudice subi en raison de la non-conformité des services fournis. Le dédommagement est effectué sans retard excessif.
3. Le voyageur n’a droit à aucun dédommagement si l’organisateur prouve que la non-conformité est :
a) imputable au voyageur ;
b) imputable à un tiers étranger à la fourniture des services de voyage compris dans le contrat de voyage à forfait et revêt un caractère imprévisible ou inévitable ; ou
c) due à des circonstances exceptionnelles et inévitables.
[...] »
Le droit allemand
8 L’article 651i du Bürgerliches Gesetzbuch (code civil, ci-après le « BGB ») prévoit :
« (1) L’organisateur d’un voyage à forfait est tenu de fournir au voyageur un voyage exempt de non-conformités.
(2) Le voyage à forfait est exempt de non-conformités lorsqu’il présente la qualité qui a été convenue. Si aucune qualité n’a été convenue, un voyage à forfait est exempt de non-conformités,
1. lorsqu’il est propre à l’usage qu’impose le contrat, ou par ailleurs,
2. lorsqu’il est propre à un usage habituel et présente une qualité qui est habituelle pour les voyages à forfait du même type et à laquelle le voyageur peut s’attendre eu égard à ce même type de voyage.
Il y a également non-conformité lorsque l’organisateur du voyage ne fournit pas les prestations ou les fournit avec un retard indu.
(3) Si le voyage à forfait est non conforme, lorsque les conditions prévues aux dispositions suivantes sont satisfaites et sauf dispositions contraires, le voyageur peut
[...]
6. faire valoir les droits résultant d’une réduction du prix du voyage (article 651m) [...]
[...] »
9 L’article 651m du BGB dispose :
« Le prix du voyage est réduit pour la durée de la non-conformité du voyage. En cas de réduction, le prix du voyage doit être diminué en proportion de la valeur qu’un voyage à forfait exempt de non-conformité aurait eue à la date de la conclusion du contrat par rapport à la valeur réelle du voyage. Le cas échéant, la réduction est déterminée par estimation. »
Le litige au principal et la question préjudicielle
10 Le 30 décembre 2019, les requérants au principal ont acheté auprès de FTI Touristik un voyage à forfait comprenant, d’une part, un vol aller-retour entre l’Allemagne et la Grande Canarie (Espagne) et, d’autre part, un séjour sur cette île pour la période allant du 13 au 27 mars 2020. Les requérants au principal ont pu partir sur leur lieu de destination comme prévu.
11 Toutefois, le 15 mars 2020, les autorités espagnoles ont pris des mesures sur l’ensemble du territoire espagnol afin de lutter contre la propagation de la pandémie de COVID-19, entraînant, notamment, la fermeture des plages de la Grande Canarie et l’application d’un couvre-feu sur cette île. Dans l’hôtel où les requérants au principal séjournaient, les clients n’ont été ainsi autorisés à quitter leur chambre que pour s’alimenter, l’accès aux piscines et aux chaises longues a été interdit et le programme d’animations a été annulé. Le 18 mars 2020, les requérants au principal ont été informés qu’ils devaient se tenir prêts à quitter ladite île à tout moment et, le surlendemain, ils ont dû rentrer en Allemagne.
12 À leur retour, les requérants au principal ont demandé à FTI Touristik de bien vouloir leur octroyer une réduction de prix de 70 % de leur voyage à forfait, soit un montant de 1 018,50 euros. FTI Touristik a refusé de leur accorder cette réduction de prix, estimant qu’elle ne pouvait être tenue pour responsable de ce qui constituait un « risque général de la vie ». À la suite de ce refus, les requérants au principal ont formé un recours devant l’Amtsgericht München (tribunal cantonal de Munich, Allemagne) afin de bénéficier de ladite réduction de prix.
13 Par le jugement du 26 novembre 2020, cette juridiction a rejeté ce recours, considérant que les mesures prises par les autorités espagnoles pour lutter contre la propagation de la pandémie de COVID-19 étaient des mesures de protection de la santé des requérants au principal et qu’une telle protection ne saurait entraîner une « non-conformité » du voyage à forfait de ces derniers, au sens de l’article 651i du BGB. Ladite juridiction souligne, à cet égard, que les exploitants de l’hôtel où les requérants au principal ont séjourné avaient été contraints de prendre des mesures de protection à l’égard de leurs clients.
14 Les requérants au principal ont interjeté appel de cette décision devant le Landgericht München I (tribunal régional de Munich I, Allemagne), la juridiction de renvoi. Cette juridiction estime qu’il peut certes être considéré que l’organisateur d’un voyage à forfait peut être tenu pour responsable en cas de non conformité des services de voyage concernés résultant de l’application des mesures de protection de la santé compte tenu de la responsabilité sans faute de cet organisateur prévue à l’article 651i BGB. Toutefois, lors du voyage des requérants au principal, des mesures semblables à celles prises par les autorités espagnoles pour lutter contre la propagation de la pandémie de COVID-19 avaient été adoptées également en Allemagne, de sorte que les mesures imposées sur le lieu de destination de ceux-ci pourraient être considérées comme étant des « circonstances habituelles » imposées dans toute l’Europe en raison de cette pandémie et non comme des circonstances extraordinaires propres à ce lieu de destination.
15 Par ailleurs, la juridiction de renvoi émet des doutes quant à la question de savoir si les restrictions ainsi imposées pouvaient être considérées comme faisant partie du « risque général de la vie » excluant la responsabilité de l’organisateur du voyage à forfait concerné. Elle invoque, à cet égard, un arrêt du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), dans lequel il a, notamment, été jugé, en substance, que la garantie contractuelle en matière de voyages peut être limitée en ce qui concerne des circonstances qui relèvent uniquement de la sphère personnelle du voyageur ou dans lesquelles se réalisent des risques que le voyageur doit également supporter dans la vie quotidienne. Le voyageur devrait dès lors supporter les risques liés à une activité qui relève du « risque général de la vie » dans les cas de figure où aucune violation d’une obligation ou aucun autre fait générateur de responsabilité ne sont imputables à l’organisateur de voyages concerné. Tel serait le cas lorsque, indépendamment des prestations de voyage prévues dans le forfait, le voyageur a un accident sur son lieu de vacances, tombe malade, est victime d’une infraction pénale, ou pour tout autre motif personnel, ne peut plus bénéficier du reste de ces prestations.
16 La juridiction de renvoi relève encore que, si, ainsi que le considérant 31 la directive 2015/2302 en témoigne, les auteurs de cette directive ont fait figurer parmi les « circonstances exceptionnelles et inévitables », au sens de l’article 12, paragraphe 2, de celle-ci, l’« apparition d’une maladie grave sur le lieu de destination », il peut être supposé que ces auteurs n’ont pas envisagé le cas de figure d’une pandémie.
17 Dans ces conditions, le Landgericht München I (tribunal régional de Munich I) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Des restrictions imposées en raison de la présence sur le lieu de destination du voyage d’une maladie infectieuse constituent-elles une non-conformité, au sens de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2015/2302, également lorsque, en raison de la propagation mondiale de cette maladie infectieuse, de telles restrictions ont été apportées tant sur le lieu de résidence du voyageur que dans d’autres pays ? »
Sur la question préjudicielle
18 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2015/2302 doit être interprété en ce sens qu’un voyageur a droit à une réduction du prix de son voyage à forfait lorsqu’une non conformité des services de voyage compris dans son forfait est due à des restrictions qui ont été imposées sur le lieu de destination de ce voyageur pour lutter contre la propagation d’une maladie infectieuse et que de telles restrictions ont également été imposées sur le lieu de résidence de celui-ci ainsi que dans d’autres pays en raison de la propagation mondiale de cette maladie.
19 À cet égard, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte, non seulement, des termes de celle-ci, mais également de son contexte, des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie et, le cas échéant, de sa genèse (arrêt du 18 octobre 2022, IG Metall et ver.di, C 677/20, EU:C:2022:800, point 31 ainsi que jurisprudence citée).
20 S’agissant, en premier lieu, des termes de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2015/2302, cette disposition dispose que les États membres veillent à ce qu’un voyageur ait droit à une réduction de prix appropriée pour toute période de non-conformité des services fournis, sauf si l’organisateur prouve qu’une telle non-conformité est imputable à ce voyageur.
21 Il ressort ainsi des termes de ladite disposition que le droit dudit voyageur à une réduction du prix de son forfait est soumis à l’unique condition qu’il y ait une non-conformité des services de voyage fournis. Conformément à l’article 3, point 13, de la directive 2015/2302, la notion de « non-conformité » se définit comme l’inexécution ou la mauvaise exécution des services de voyage compris dans un forfait.
22 Il s’ensuit que l’inexécution ou la mauvaise exécution des services de voyage suffit à conférer au voyageur en question le droit d’obtenir une réduction du prix de son forfait auprès de l’organisateur qui lui a vendu ce dernier. La cause de cette non-conformité, notamment son imputabilité à cet organisateur, est sans pertinence à cet égard. En effet, ainsi que Mme l’avocate générale l’a également relevé au point 17 de ses conclusions, la constatation d’une non-conformité est objective en ce sens qu’elle ne requiert qu’une comparaison entre les services compris dans le forfait du voyageur concerné et ceux effectivement fournis à ce dernier.
23 Les termes de la même disposition ne prévoient qu’une seule exception à ce droit du voyageur à forfait, à savoir lorsque la non-conformité est imputable à ce dernier. Compte tenu de la signification claire de cette exception et de l’interprétation stricte qui doit être faite de toute exception, ladite exception ne peut viser des situations autres que celles dans lesquelles la non-conformité est imputable à ce voyageur.
24 Partant, il ressort de l’interprétation littérale de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2015/2302 que l’inexécution ou la mauvaise exécution des services de voyage compris dans un forfait confère au voyageur concerné un droit à une réduction de prix en toutes circonstances, excepté lorsque cette inexécution ou cette mauvaise exécution sont imputables à ce voyageur. Le fait que la non conformité de ces services de voyages soit imputable à l’organisateur ou à des personnes autres que ledit voyageur ou le fait qu’elle soit due à des circonstances qui échappent à la maîtrise de cet organisateur telles que des « circonstances exceptionnelles et inévitables », au sens de l’article 3, point 12, de la directive 2015/2302, n’affectent dès lors pas l’existence du droit à une réduction de prix du même voyageur.
25 S’agissant, en deuxième lieu, du contexte dans lequel l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2015/2302 s’inscrit, il y a lieu d’observer que cette disposition fait partie du régime de responsabilité contractuelle harmonisé des organisateurs de voyages à forfait mis en place aux articles 13 et 14 de cette directive qui relèvent du chapitre IV de celle-ci, intitulé « Exécution du forfait ». Ce régime de responsabilité se caractérise par une responsabilité sans faute de l’organisateur concerné et par une définition limitative des cas de figure dans lesquels celui-ci peut s’en exonérer.
26 En effet, l’article 13 de ladite directive, intitulé « Responsabilité de l’exécution du forfait », prévoit, à son paragraphe 1, que les États membres veillent à ce que cet organisateur soit responsable de l’exécution des services de voyage compris dans le contrat de voyage à forfait indépendamment du fait que ces services doivent être exécutés par lui-même ou par d’autres prestataires de services de voyage. Le paragraphe 3 de cet article dispose que, si un desdits services n’est pas exécuté conformément au contrat de voyage à forfait, ledit organisateur doit, en principe, y remédier et, dans les situations où celui-ci ne peut y remédier, l’article 14 de la même directive s’applique.
27 L’article 14 de la directive 2015/2302, intitulé « Réduction de prix et dédommagement », confère, outre le droit du voyageur concerné à une réduction de prix, prévu au paragraphe 1 de cet article, le droit distinct de celui-ci à un dédommagement, défini aux paragraphes 2 et 3 dudit article. Ce droit à un dédommagement par l’organisateur concerné porte sur tout préjudice que ce voyageur subit en raison de la non-conformité des services de voyage fournis, hormis lorsque cette non-conformité est soit imputable audit voyageur lui-même, soit imputable à un tiers étranger à la fourniture des services de voyage en cause et revêt un caractère imprévisible et inévitable, soit due à des « circonstances exceptionnelles et inévitables ». Ainsi que Mme l’avocate générale l’a également relevé au point 23 de ses conclusions, il découle de la structure de l’article 14 de la directive 2015/2302 que les exceptions au droit à dédommagement sont propres à ce droit et ne sauraient être appliquées en ce qui concerne le droit à une réduction de prix.
28 L’interprétation contextuelle de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2015/2302 corrobore ainsi l’interprétation littérale de cette disposition dès lors qu’il en ressort que cette dernière s’inscrit dans un régime de responsabilité qui concentre la responsabilité contractuelle sur l’organisateur.
29 S’agissant, en troisième lieu, de l’objectif poursuivi par la directive 2015/2302, il ressort de l’article 1er de celle-ci que cet objectif consiste, notamment, à assurer un niveau élevé de protection des consommateurs. L’interprétation littérale de l’article 14, paragraphe 1, de cette directive est dès lors, également, corroborée par l’interprétation téléologique de celle-ci. En effet, un niveau élevé de protection des consommateurs est assuré en conférant aux voyageurs un droit à une réduction de prix dans tous les cas de non-conformité des services de voyage fournis, indépendamment de la cause et de l’imputabilité de cette non-conformité et en prévoyant comme unique exception à ce droit le cas de figure dans lequel ladite non-conformité est imputable au voyageur concerné.
30 Enfin, en quatrième lieu, la genèse de la directive 2015/2302 conforte également l’interprétation littérale de l’article 14, paragraphe 1, de celle-ci. En effet, ainsi que Mme l’avocate générale l’a observé au point 25 de ses conclusions, la proposition initiale de cette directive prévoyait les mêmes exceptions en ce qui concerne le droit à une réduction de prix du forfait et le droit à un dédommagement du voyageur concerné. Toutefois, au cours de la procédure législative, les exceptions à ce droit à une réduction de prix ont été distinguées de celles à ce droit à un dédommagement.
31 Il découle ainsi du libellé et du contexte de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2015/2302 ainsi que de l’objectif et de la genèse de cette directive que le voyageur concerné bénéficie d’un droit à une réduction du prix de son forfait dans tous les cas de figure où les services de voyage fournis ont été non conformes, hormis un seul cas de figure, à savoir celui dans lequel cette non-conformité est imputable à ce voyageur. Ledit voyageur se voit ainsi conféré ce droit à une réduction de prix indépendamment de la question de savoir si ladite non conformité est due à des « circonstances exceptionnelles et inévitables » qui échappent à la maîtrise de l’organisateur concerné.
32 En l’occurrence, et sous réserve d’une vérification qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi d’effectuer, les non-conformités des services de voyage en cause au principal sont dues à des mesures sanitaires prises sur le lieu de destination des requérants au principal afin de lutter contre la propagation de la pandémie de COVID-19.
33 Ces mesures sanitaires ne sauraient, pas plus que le fait que des mesures similaires ont été prises sur le lieu de résidence des requérants au principal et dans d’autres pays, faire obstacle au droit de ceux-ci de bénéficier d’une réduction de prix, en application de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2015/2302. En particulier, la question de savoir si, comme l’indique la juridiction de renvoi, premièrement, des mesures adoptées pour lutter contre la propagation de la pandémie de COVID 19 pourraient être considérées comme étant non pas des circonstances extraordinaires, mais des circonstances habituelles dès lors qu’elles avaient été adoptées dans beaucoup d’autres pays et, deuxièmement, ces mesures et leurs conséquences font partie du « risque général de la vie » qu’un voyageur doit supporter n’est pas pertinente pour apprécier le droit de ce dernier à une réduction de prix de son forfait, en application de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2015/2302.
34 En effet, ainsi que cela ressort du point 22 du présent arrêt, la constatation d’une non-conformité des services fournis ne requiert qu’une comparaison entre les services compris dans le forfait du voyageur concerné et ceux effectivement fournis à ce dernier, de telle sorte que la nature extraordinaire ou habituelle des circonstances entourant cette non-conformité est sans incidence sur l’octroi de ce droit. En outre, si les restrictions que les autorités publiques imposent à ce voyageur en raison de la propagation mondiale de la pandémie de COVID-19 constituent un risque pour celui-ci, l’inexécution ou la mauvaise exécution de services de voyage à forfait causées par ces restrictions n’est pas pour autant imputable audit voyageur. Or, ainsi que cela est exposé au point 23 du présent arrêt, seule une telle imputabilité peut exonérer l’organisateur concerné de son obligation d’octroyer au même voyageur une réduction de prix de son forfait en cas de non-conformité des services fournis.
35 L’argumentation du gouvernement tchèque selon laquelle le respect de la réglementation applicable sur le lieu de destination du voyage est une clause implicite de tout contrat de voyage à forfait si bien que le respect des mesures restrictives adoptées par les autorités sur le lieu de destination de voyage ne saurait être considéré comme une non-conformité des services fournis ne remet pas en cause la conclusion figurant au point 31 du présent arrêt. En effet, s’il est vrai que le respect d’une telle réglementation s’impose aux parties d’un contrat de voyage à forfait indépendamment de son rappel dans ce contrat et que ledit respect par l’organisateur peut entraîner une non-conformité des services de voyage fournis, il n’en reste pas moins que cette non-conformité n’est, en tout état de cause, pas imputable au voyageur concerné, de telle sorte que ce dernier a droit à une réduction de prix de son forfait. Le fait que ladite non-conformité ne soit pas non plus imputable à l’organisateur concerné n’est pas non plus pertinent dès lors que ce droit à une réduction de prix repose sur une responsabilité sans faute de ce dernier ainsi que relevé au point 25 du présent arrêt.
36 Dans le cadre de l’appréciation de l’existence d’un droit à une réduction de prix, en application de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2015/2302, il appartiendra encore à la juridiction de renvoi de prendre en considération les éléments suivants.
37 En premier lieu, ainsi qu’il ressort d’une lecture combinée de cette disposition et de l’article 3, point 13, de la directive 2015/2302, l’obligation de l’organisateur d’accorder une telle réduction de prix ne s’apprécie qu’au regard des services de voyage compris dans le contrat de voyage à forfait qui font l’objet d’une inexécution ou d’une mauvaise exécution. Cet organisateur n’est pas tenu de compenser des services qu’il ne s’est pas engagé à fournir. Ce contrat de voyage à forfait limite ainsi cette obligation dudit organisateur.
38 Compte tenu de l’objectif de la directive 2015/2302, visant à garantir un niveau élevé de protection des consommateurs, les obligations de l’organisateur résultant d’un tel contrat ne sauraient cependant être interprétées de manière restrictive. Ainsi, ces obligations comprennent, non seulement, celles qui sont explicitement stipulées au contrat de voyage à forfait, mais également celles qui y sont liées résultant du but de ce contrat (voir, en ce sens, arrêt du 18 mars 2021, Kuoni Travel, C 578/19, EU:C:2021:213, point 45). En l’occurrence, il appartiendra à la juridiction de renvoi d’apprécier, sur la base des services que l’organisateur concerné devait fournir, conformément au contrat de voyage à forfait signé avec les requérants au principal, si, notamment, la fermeture des piscines de l’hôtel concerné, l’absence de programme d’animation dans cet hôtel ainsi que l’impossibilité d’accéder aux plages de la Grande Canarie et de visiter cette île à la suite de l’adoption des mesures prises par les autorités espagnoles pour lutter contre la propagation de la pandémie de COVID-19 pouvaient constituer des inexécutions ou des mauvaises exécutions de ce contrat par cet organisateur.
39 En deuxième lieu, conformément aux termes de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2015/2302, la réduction de prix du forfait concerné doit être appropriée pour toute la période de non-conformité. L’appréciation de ce caractère approprié doit, tout comme la constatation d’une non-conformité, se faire de manière objective en tenant compte des obligations de l’organisateur en vertu du contrat de voyage à forfait contracté. Ainsi, cette appréciation doit se fonder sur une estimation de la valeur des services de voyage compris dans le forfait concerné qui n’ont pas été exécutés ou mal exécutés en tenant compte de la durée de cette inexécution ou de cette mauvaise exécution et de la valeur de ce forfait. La réduction de prix dudit forfait doit correspondre à la valeur des services de voyage qui sont non conformes.
40 En troisième lieu, ainsi qu’il ressort du considérant 34 et de l’article 13, paragraphe 2, de la directive 2015/2302, le voyageur concerné est tenu d’informer l’organisateur, sans retard excessif et eu égard aux circonstances de l’espèce, des cas de non-conformité constatés dans le cadre de l’exécution d’un service de voyage compris dans le contrat de voyage à forfait. L’absence de signalement peut être prise en compte dans le cadre de la fixation de la réduction de prix de ce forfait si ce signalement avait pu avoir pour effet de limiter la durée de la non-conformité constatée.
41 En l’occurrence, pour autant que ces cas de non-conformité sont dus aux mesures prises par les autorités espagnoles afin de lutter contre la propagation de la pandémie de COVID-19, le signalement par les requérants au principal desdits cas de non-conformité ne pouvait avoir pour effet de limiter la durée de celles-ci. L’absence de signalement ne saurait dès lors être prise en compte dans le cadre de la fixation de cette réduction de prix.
42 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2015/2302 doit être interprété en ce sens qu’un voyageur a droit à une réduction du prix de son voyage à forfait lorsqu’une non-conformité des services de voyage compris dans son forfait est due à des restrictions qui ont été imposées sur son lieu de destination pour lutter contre la propagation d’une maladie infectieuse et que de telles restrictions ont également été imposées sur le lieu de résidence de celui-ci ainsi que dans d’autres pays en raison de la propagation mondiale de cette maladie. Pour être appropriée, cette réduction de prix doit s’apprécier au regard des services compris dans le forfait concerné et correspondre à la valeur des services dont la non-conformité a été constatée.
Sur les dépens
43 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :
L’article 14, paragraphe 1, de la directive (UE) 2015/2302 du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2015, relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées, modifiant le règlement (CE) no 2006/2004 et la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 90/314/CEE du Conseil,
doit être interprété en ce sens que :
un voyageur a droit à une réduction du prix de son voyage à forfait lorsqu’une non-conformité des services de voyage compris dans son forfait est due à des restrictions qui ont été imposées sur son lieu de destination pour lutter contre la propagation d’une maladie infectieuse et que de telles restrictions ont également été imposées sur le lieu de résidence de celui-ci ainsi que dans d’autres pays en raison de la propagation mondiale de cette maladie. Pour être appropriée, cette réduction de prix doit s’apprécier au regard des services compris dans le forfait concerné et correspondre à la valeur des services dont la non-conformité a été constatée.