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Décisions

AMF, 8 octobre 2015, n° SAN-2015-17

AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Membres :

M. Soulard, M. Gizard, M. Thouch

Président :

M. Pinault

AMF n° SAN-2015-17

7 octobre 2015

La 1ère section de la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (ci-après : « AMF »),

Vu la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et notamment son article 6 ;

Vu le code monétaire et financier, notamment ses articles L. 621-15, R. 621-5 à R. 621-7 et R. 621-38 à R. 621-40 ;

Vu le règlement général de l’AMF, notamment ses articles 611-1, 631-1 et 631-2 ;

Vu la notification de griefs du 17 juillet 2014 adressée à M. A (ci-après : « M. A »);

Vu la lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 21 août 2014 adressée par les conseils de M. A, Maîtres Jean-Charles Jaïs et Geoffroy Goubin, mentionnant l’élection de domicile de ce dernier au cabinet de ses conseils ;

Vu la lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 29 août 2014 de Maîtres Jean-Charles Jaïs et Geoffroy Goubin sollicitant une prorogation de délai pour répondre à la notification de griefs et la réponse apportée le 17 novembre 2014 par le président de la Commission des sanctions ;

Vu la décision du 1er septembre 2014 du président de la Commission des sanctions désignant

Mme France Drummond, membre de la Commission des sanctions, en qualité de rapporteur ;

Vu la lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 2 septembre 2014 informant

M. A de la désignation de Mme France Drummond en qualité de rapporteur et lui rappelant la faculté d’être entendu, à sa demande, conformément au I de l’article R. 621-39 du code monétaire et financier ;

Vu la lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 3 septembre 2014 informant

M. A de la faculté de demander la récusation du rapporteur dans un délai d’un mois, conformément aux articles R. 621-39-2 à R. 621-39-4 du code monétaire et financier ;

Vu la lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 3 novembre 2014 de

Maîtres Jean-Charles Jaïs et Geoffroy Goubin sollicitant une nouvelle prorogation de délai pour répondre à la notification de griefs et la réponse apportée le 14 novembre 2014 par le président de la Commission des sanctions ;

Vu le courrier du rapporteur au secrétaire général de l’AMF du 25 novembre 2014 relatif aux difficultés rencontrées dans l’exploitation et le traitement de certaines pièces électroniques et la réponse du secrétaire général de l’AMF du 5 janvier 2015 ;

Vu le courrier du rapporteur au secrétaire général de l’AMF du 21 janvier 2015 sollicitant la traduction des passages du rapport d’enquête et des pièces nécessaires à la compréhension du dossier et la réponse du Secrétaire général de l’AMF du 29 mai 2015 ;

Vu les observations déposées le 2 mars 2015 par Maîtres Jean-Charles Jaïs et Geoffroy Goubin pour le compte de M. A ;

Vu le courrier du 13 avril 2015 du rapporteur au secrétaire général de l’AMF sollicitant la communication d’annexes non versées au dossier et la réponse du secrétaire général de l’AMF du 17 avril 2015 ;

Vu le courrier du 17 avril 2015 du rapporteur à Maîtres Jean-Charles Jaïs et Geoffroy Goubin leur communiquant les pièces versées au dossier par le secrétaire général de l’AMF et leur offrant la possibilité de communiquer des observations complémentaires avant le 17 juin 2015 ;

Vu le courrier du 16 juin 2015 du rapporteur au secrétaire général de l’AMF demandant des précisions sur l’Annexe 9-2 du rapport d’enquête ;

Vu le courrier du 17 juin 2015 du président de la Commission des sanctions communiquant au mis en cause une date prévisionnelle de séance ;

Vu les observations complémentaires de M. A déposées le 17 juin 2015 ;

Vu la demande du rapporteur au secrétaire général en date du 21 juillet 2015 sollicitant le versement d’une pièce au dossier ;

Vu le procès-verbal d’audition de M. A du 28 juillet 2015 ;

Vu le rapport de Mme France Drummond du 11 août 2015 ;

Vu la lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 12 août 2015 convoquant M. A à la séance de la Commission des sanctions du 25 septembre 2015 et lui transmettant une copie du rapport du rapporteur ;

Vu le courrier de Maîtres Jean-Charles Jaïs et Geoffroy Goubin du 17 août 2015 sollicitant un délai pour déposer des observations en réponse au rapport du rapporteur et la réponse apportée par le Président de la Commission des sanctions par courrier du 20 août 2015 ;

Vu la lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 19 août 2015 informant M. A de la composition de la Commission des sanctions lors de la séance du 25 septembre 2015, ainsi que du délai de quinze jours dont il disposait pour demander la récusation d’un ou de plusieurs de ses membres ;

Vu les observations écrites en réponse au rapport du rapporteur déposées le 14 septembre 2015 par Maîtres Jean-Charles Jaïs et Geoffroy Goubin ;

Vu la lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 21 septembre 2015 du président de la Commission des sanctions répondant à la demande de confidentialité de la séance formulée par le mis en cause ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Après avoir entendu au cours de la séance publique du 25 septembre 2015 :

- Mme France Drummond en son rapport ;

- Mme Sarah Finkelstein, représentant le directeur général du Trésor, qui a indiqué ne pas avoir d’observations à formuler ;

- M. Benjamin Mauduit, représentant le Collège de l’AMF ;

- M. A et ses conseils Maîtres Jean-Charles Jaïs et Geoffroy Goubin;

- M. Angang Lu, interprète ;

Le mis en cause ayant eu la parole en dernier.

FAITS ET PROCÉDURE

M. A, de nationalité canadienne et résidant en Chine, a, après ses études, commencé à travailler, en tant que trader, au Canada, pour un groupe dénommé X, dont M. B était le fondateur et le Président.

Entre 2005 et 2006, M. A a constitué en Chine trois sociétés (ci-après : les « Offices Chinois ») destinées à faire du trading sur différentes plateformes de négociation par l’intermédiaire du groupe X :

- la société Xiamen Fortune Investment Consulting Inc. (ci-après : l’« Office de Xiamen »), dont il était représentant légal, président du conseil d’administration et, à l’origine, actionnaire indirect à 100% par l’intermédiaire de la société Global Solution Inc. puis, pendant la période concernée, actionnaire à 50%, le surplus du capital étant détenu par son épouse ;

- la société Shanghai Fortune Investment Consultant Limited (ci-après : l’« Office de Shanghai »), dont il était représentant légal, administrateur exécutif et actionnaire à 55% ;

- la société Nanchang Fortune Investment Consultant Limited (ci-après : l’« Office de Nanchang »), dont il était représentant légal, administrateur exécutif et actionnaire à 100%.

Ces Offices et leurs actionnaires ont conclu avec la société X2 un contrat intitulé « Access Agreement » ayant pour objet la fourniture d’un accès à différentes plateformes de négociation pour y pratiquer du « day trading », qui stipulait notamment une exclusivité territoriale de l’Office, la passation de l’ensemble des ordres par l’intermédiaire de la société X2 et la conclusion d’une licence concernant un logiciel de trading du groupe X, en contrepartie d’un versement initial de 10 000 dollars et d’une commission mensuelle de 27% sur les revenus bruts générés par l’activité de trading.

En 2007, la société X2 a cédé les contrats intitulés « Access Agreements » à la société Y1, devenue Y, société de droit uruguayen détenue par un trust dont le bénéficiaire final était M. B.

La même année, les Offices Chinois ont, pour des raisons fiscales, cédé l’ensemble de leurs droits et obligations au titre de ces contrats à la société First Fortune Investments Group Limited (ci-après : « First Fortune »), immatriculée aux Iles Britanniques et dont M. A était l’unique actionnaire, laquelle leur a ensuite sous-traité son activité de trading.

Sur la période concernée – à savoir du 15 février 2009 au 25 novembre 2009 – la société Y était elle-même cliente de la société de courtage Z, société de droit américain régulée et enregistrée auprès de la U.S.

Securities and Exchange Commission, dirigée par M. B et détenue à 99,5% par la société holding du groupe X – la société X1 - elle-même détenue directement et indirectement à 74% par M. B.

La société Z fournissait le service de transmission d’ordres électroniques et a conclu, en mars 2008, un contrat avec un prestataire de services d’investissement suédois, la société W, lui permettant d’accéder directement aux marchés et plateformes européens en « Direct Market Access ».

Ayant eu connaissance par la Surveillance des marchés de l’AMF d’interventions atypiques du membre de marché W, en raison notamment du taux élevé d’annulation d’ordres de cet intermédiaire, le secrétaire général de l’AMF a ouvert, le 18 février 2010, une enquête portant sur le marché des titres Sanofi Aventis (FR0000120578), Total (FR0000120271), France Télécom (FR0000133308), Danone (FR0000120644), Gaz de France (FR0010208488),

LVMH (FR0000121014), Bouygues (FR0000120503), Peugeot (FR0000121501), Vivendi (FR0000127771), Vinci (FR0000125486), EDF (FR0010242511), Alstom (FR0010220475), Crédit Agricole (FR0000045072), L’Oréal (FR0000120321), Schneider Electric (FR0000121972), Saint-Gobain (FR0000125007), Renault (FR0000131906), EADS (NL0000235190), Accor (FR0000120404), Carrefour (FR0000120172), Essilor INTL (FR0000121667), Lafarge (FR0000120537), STMICROELECTRONICS (NL0000226223), AXA (FR0000120628), PPR (FR0000121485), Michelin (FR0000121261), Cap Gemini (FR0000125338), à compter du 15 février 2009.

Les investigations menées par la Direction des enquêtes et des contrôles de l’AMF sur ces 27 valeurs ont permis de constater 8 807 cas susceptibles d’être qualifiés de « layering » provenant d’ordres passés par la société Z, dont 8 077 provenant des trois Offices Chinois dirigés par M. A, sur la période du 15 février 2009 au 25 novembre 2009.

Le « layering » ou « empilage d’ordres » consiste, d’après les orientations de l’ESMA du 24 février 2012 relatives aux systèmes et contrôles dans un environnement de négociation automatisé pour les plateformes de négociation, les entreprises d’investissement et les autorités compétentes, en la soumission d’ordres multiples, souvent éloignés de la touche (i.e meilleure limite) d’un côté du carnet d’ordres dans l’intention d’exécuter une transaction de l’autre côté du carnet d’ordres. Une fois que la transaction a eu lieu, les ordres destinés à la manipulation seront retirés.

A l’issue de l’enquête, conformément aux dispositions de l’article 144-2-1 du règlement général de l’AMF, la

Direction des enquêtes et des contrôles a adressé, notamment à M. A, par lettre du 12 février 2014 avec demande d’avis de réception, une lettre circonstanciée relatant les éléments de fait et de droit recueillis par les enquêteurs, à laquelle ce dernier a répondu par courrier du 11 mars 2014, puis rendu son rapport le 3 juin 2014.

Lors de sa séance du 17 juin 2014, la Commission spécialisée n°1 du Collège de l’AMF, après avoir examiné ce rapport et les réponses aux lettres circonstanciées, a décidé de notifier des griefs uniquement à M. A.

Le président de l’AMF a, par lettre en date du 17 juillet 2014, reçue par M. A le 19 juillet 2014, notifié les griefs à ce dernier, auquel il est en substance reproché, à titre personnel, un manquement aux dispositions des articles 631-1 et 631-2 du règlement général de l’AMF, au motif que :

- les Offices de Xiamen, Shanghai et Nanchang auraient réalisé des opérations susceptibles de constituer des manipulations de cours en ce qu’elles mettaient en œuvre une stratégie de « layering » ; et que,

- le manquement de manipulation de cours lui serait imputable dès lors (i) qu’il était représentant légal et actionnaire à au moins 50% des trois Offices Chinois et « administrateur exécutif » de deux de ces offices, (ii) qu’il aurait défini la stratégie mise en œuvre par les traders et (iii) qu’il était le principal bénéficiaire économique des gains résultant de cette stratégie.

Cette lettre précisait que les griefs notifiés pourraient donner lieu à une sanction sur le fondement des articles L. 621-14 et L. 621-15 du code monétaire et financier.

Parallèlement, le président de l’AMF a transmis, conformément aux dispositions de l’article R. 621-38 du code monétaire et financier, le 17 juillet 2014, copie de la notification de griefs au président de la Commission des sanctions.

Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 21 août 2014, Maîtres Geoffroy Goubin et Jean-Charles Jaïs du cabinet Linklaters ont indiqué avoir été désignés par M. A comme conseils pour assurer la défense de ses intérêts, en précisant que ce dernier faisait élection de domicile en leur cabinet pour la suite de la procédure.

Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 29 août 2014, les conseils de

M. A ont sollicité une prorogation du délai d’au moins quatre mois pour formuler des observations en réponse à la notification de griefs, motivée par le volume du dossier, la nécessité d’utiliser des logiciels spéciaux pour lire certains fichiers sans qu’aucune indication à ce sujet ne leur ait été donnée et la difficulté de communiquer avec leur client qui ne parle pas français et dont le niveau d’anglais « ne permet pas d’échanger en profondeur sur le dossier ».

Une prorogation de délai leur a été accordée jusqu’au 17 novembre 2014 par le président de la Commission des sanctions, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 2 septembre 2014.

Le 1er septembre 2014, le président de la Commission des sanctions a désigné

Mme France Drummond en qualité de rapporteur, décision qui a été notifiée à M. A, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 2 septembre 2014 lui rappelant la faculté d’être entendu, à sa demande, conformément à l’article R. 621-39, I du code monétaire et financier.

Par courrier du 2 septembre 2014, le président de l’AMF a également été informé qu’il disposait de la faculté d’être entendu par le rapporteur en application de l’article R. 621-39, I du code précité.

Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 3 septembre 2014, M. A a été informé, en application de l’article R. 621-39-2 du code monétaire et financier, de ce qu’il disposait de la faculté de demander la récusation du rapporteur dans un délai d’un mois, dans les conditions prévues par les articles R. 621-39-3 et R. 621-39-4 du code monétaire et financier.

Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 3 novembre 2014, les conseils de M. A ont demandé une nouvelle prorogation de délai d’au moins 24 mois en raison du volume du dossier et de l’absence de précision quant aux logiciels permettant de lire une part significative des fichiers.

Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 14 novembre 2014 adressée aux conseils de M. A, le président de la Commission des sanctions a prorogé le délai jusqu’au 1er mars 2015 en précisant qu’il avait transmis copie de leur courrier au rapporteur pour qu’il puisse examiner les difficultés relatives à l’exploitation de certains fichiers informatiques.

Par courrier du 5 janvier 2015, le secrétaire général de l’AMF, répondant à une demande du rapporteur formulée par lettre du 25 novembre 2014, a versé à la procédure une copie des fichiers intitulés « report » qui n’étaient pas lisibles, l’identité des logiciels nécessaires à l’exploitation des données brutes ainsi qu’un document intitulé « Présentation des tables de données et des retraitements effectués » présentant les différentes sources de données utilisées, les traitements informatiques effectués par la Direction des enquêtes et un descriptif des fichiers composant les « données brutes ».

Par courrier du 21 janvier 2015, le rapporteur a sollicité du secrétaire général de l’AMF la traduction des passages du rapport d’enquête et des pièces ou extraits de pièces en langue anglaise nécessaires à la compréhension du dossier laquelle a été versée au dossier le 29 mai 2015.

Le 2 mars 2015, M. A a déposé ses observations en réponse à la notification des griefs.

Par courrier du 17 avril 2015, le secrétaire général de l’AMF, sur demande du rapporteur formulée le 13 avril 2015, a versé des pièces manquantes, mentionnées dans la liste des annexes au rapport d’enquête.

Ayant constaté, à la lecture des observations de M. A, que celui-ci n’avait pas pris connaissance des documents communiqués par le secrétaire général le 5 janvier 2015, le rapporteur les a communiqué aux conseils de M. A, le 17 avril 2015 par porteur, en leur offrant la possibilité de verser des observations complémentaires avant le 17 juin

2015.

Par courrier du 16 juin 2015, le rapporteur a demandé au secrétaire général de bien vouloir préciser la signification de chacune des colonnes de la feuille 1 d’un tableau Excel communiqué en Annexe 9-2, qui ne comportaient pas d’intitulé, courrier auquel le secrétaire général a répondu le 15 juillet 2015.

Par courrier du 17 juin 2015, le président de la Commission des sanctions a communiqué aux conseils du mis en cause la date prévisionnelle de la séance, fixée au 25 septembre 2015.

Le 17 juin 2015, M. A a déposé des observations complémentaires.

Le 28 juillet 2015, M. A a été entendu par le rapporteur.

Par courrier du 23 juillet 2015, le secrétaire général de l’AMF, satisfaisant à une demande du rapporteur formulée par courrier du 21 juillet 2015, a versé le CD-rom joint à la lettre circonstanciée adressée à M. A.

Le rapporteur a déposé son rapport le 11 août 2015.

Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 12 août 2015, M. A a eu communication du rapport du rapporteur et a été convoqué à la séance de la Commission des sanctions du 25 septembre 2015.

Par courrier du 17 août 2015, Maîtres Jean-Charles Jaïs et Geoffroy Goubin ont sollicité un délai pour déposer des observations en réponse au rapport du rapporteur, qui leur a été accordé par le président de la Commission des sanctions par courrier en date du 20 août 2015.

Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 19 août 2015, M. A a été informé de la composition de la Commission des sanctions lors de la séance du 25 septembre 2015 et de la faculté de demander la récusation d’un ou plusieurs membres en application des articles R. 621-39-2 et suivants du code monétaire et financier.

Maîtres Jean-Charles Jaïs et Geoffroy Goubin ont déposé le 14 septembre 2015 des observations écrites en réponse au rapport du rapporteur.

Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 21 septembre 2015, le président de la Commission des sanctions a indiqué au mis en cause que les considérations dont il faisait état dans ses observations ne justifiaient pas que l’accès de la salle pendant l’audience soit refusé au public en application du IV bis de l'article L.

621-15 du code monétaire et financier.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I. SUR LES EXCEPTIONS DE PROCEDURE

Considérant que, pour demander l’annulation de la procédure engagée à son encontre, M. A invoque deux moyens, l’un tenant à la violation des droits de la défense, l’autre au non-respect du principe d’égalité des armes ;

I.1. Sur la violation des droits de la défense

Considérant que M. A soutient qu’il n’a pas bénéficié du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, en violation de l’article 6.3. b) de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après : « CESDH »), et qu’il n’a pas été informé de manière détaillée de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui, en méconnaissance des exigences de l’article 6.3 a) de la CESDH ;

I.1.1. Sur l’absence de temps et des facilités nécessaires à la préparation de la défense de

M. A Considérant que pour soutenir qu’il n’a pas disposé du temps et des facilités nécessaires pour prendre connaissance de l’intégralité du dossier et répondre à la notification des griefs dans des conditions susceptibles de satisfaire le respect des droits de la défense, M. A, après avoir rappelé qu’il est résident Hong Kongais de langue maternelle chinoise, fait valoir qu’il n’a disposé que d’un délai de 6 mois, en prenant en compte les prorogations de délais, pour répondre à la notification de griefs alors que le dossier - comprenant plus de 4 000 pages et un disque dur externe comptant 1 787 dossiers représentant 624 930 fichiers - est volumineux, que la majorité des fichiers sont en langue française ou anglaise et que certains fichiers informatiques restent illisibles malgré les précisions apportées par l’AMF en cours d’instruction ;

Considérant qu’aux termes de l’article 6 § 3 b) de la CESDH, qui est applicable à la procédure de sanction devant la Commission des sanctions de l’AMF, « tout accusé a droit notamment à (...) b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense » ;

Considérant que l’article R. 621-38 du code monétaire et financier prévoit : « La personne mise en cause dispose d'un délai de deux mois pour transmettre au président de la commission des sanctions ses observations écrites sur les griefs qui lui ont été notifiés (...) » ;

Considérant que M. A a bénéficié, outre de ce délai réglementaire de deux mois, d’une première prorogation de délai jusqu’au 17 novembre 2014, à la suite de sa demande du 29 août 2014 faisant état du caractère volumineux du dossier, puis d’une seconde prorogation jusqu’au 1 er mars 2015, à la suite de sa demande du 3 novembre 2014 invoquant le même argument et l’impossibilité de lire une partie importante des fichiers informatiques ; qu’en outre, le rapporteur l’a autorisé à produire des observations complémentaires jusqu’au 17 juin 2015, afin de lui permettre de prendre connaissance des documents mis à sa disposition le 5 janvier 2015, qu’il n’avait pas encore consultés, et de certaines annexes versées à la procédure le 17 avril 2015 ;

Considérant, s’agissant des facilités nécessaires à la préparation de la défense de M. A, que le 5 janvier 2015, le secrétaire général de l’AMF a versé au dossier de la procédure, dans une version exploitable, les fichiers initialement illisibles de la cote D1551 de la procédure d’enquête décrivant les cas susceptibles de constituer du layering, le nom des logiciels nécessaires à l’ouverture de certains fichiers et des précisions sur les sources utilisées et les retraitements effectués afin d’identifier les cas susceptibles de constituer du layering ; que dès cette date, le mis en cause a eu accès à ces éléments, qui lui ont en outre été transmis le 17 avril 2015 par courrier du rapporteur lui accordant un délai de deux mois pour formuler des observations complémentaires ; que les autres données électroniques dont M. A prétend qu’elles seraient illisibles proviennent d’autorités étrangères et ont été communiquées dans leur format d’origine, de sorte que les enquêteurs n’ont pas eu plus d’explications à leur égard que le mis en cause ; qu’en outre, ces données concernent soit une plateforme de négociation non visée par la notification de griefs, soit un format crypté de données par ailleurs communiquées dans un format décrypté, soit des données qui n’ont pas servi de fondement à la poursuite ;

Considérant qu’il en résulte que M. A a disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

I.1.2. Sur l’absence d’information détaillée de la nature et de la cause de l’accusation portée contre M. A

Considérant que pour soutenir qu’il n’a pas été informé de manière détaillée de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui, M. A fait valoir, d’une part, que les tableurs Excel de présentation des ordres litigieux comportent plusieurs centaines de milliers de lignes parmi lesquelles il n’est pas possible d’identifier les ordres litigieux et, d’autre part, que les fichiers source utilisés pour la préparation des différents rapports sur les opérations de layering figurant en cote D1551 sont illisibles ;

Considérant qu’aux termes de l’article 6 § 3 a) de la CESDH, qui est applicable à la procédure de sanction devant la Commission des sanctions de l’AMF : « Tout accusé a droit notamment à : a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui (...) » ;

Considérant que M. A s’est vu notifier l’ensemble des faits reprochés et leur qualification juridique dans la notification de griefs qui lui a été adressée le 17 juillet 2014 en français et en chinois ; que celle-ci comportait des éléments suffisants pour comprendre pleinement les éléments retenus contre lui en vue de préparer sa défense ; qu’ainsi, et sans qu’il soit besoin de s’interroger sur les éléments de preuve fournis, qui est indifférente pour apprécier le respect des exigences prévues par l’article précité, M. A a bien été informé « dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui » ;

I.2. Sur le non-respect du principe d’égalité des armes

Considérant que pour exciper d’une rupture de l’égalité des armes résultant d’une disparité dans le délai et les facilités dont les enquêteurs et lui-même ont disposé, accrue par la production tardive de pièces complémentaires,

M. A soutient, d’une part, que, compte tenu de la technicité du procédé utilisé par les enquêteurs pour exploiter les données et des retraitements effectués, le temps imparti pour préparer sa défense a été insuffisant, notamment pour s’adjoindre des sachants susceptibles de critiquer un travail effectué pendant plus de quatre années, et, d’autre part, que les rapports relatifs aux prétendues opérations de layering ayant été établis par les enquêteurs à partir de données retraitées et sélectionnées par eux, il a été placé dans l’impossibilité de les critiquer, faute d’avoir eu accès aux données brutes, dont l’exploitation suppose de surcroît la maîtrise d’un logiciel inconnu du grand public ;

Considérant que le principe d’égalité des armes se fonde principalement sur l’article 6 § 1 de la CESDH selon lequel « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial (...) », qui est applicable à la présente procédure de sanction ; que ce principe implique que chaque partie se voit offrir une possibilité raisonnable d’exposer sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à la partie adverse ;

Considérant que M. A a eu communication des données relatives aux ordres et opérations réalisés par la société Z, des données brutes provenant d’Euronext, des explications sur les retraitements de données effectués par les enquêteurs et sur l’ensemble des fichiers versés au dossier de la procédure ainsi que d’un rapport en format pdf expliquant précisément chaque cas de layering détecté ; qu’il a ainsi disposé de l’ensemble des éléments permettant de contester les rapports des enquêteurs ; qu’il a en outre bénéficié, pour formuler des observations, d’un délai suffisant pour vérifier l’exactitude des faits relevés au cours de l’enquête ; que, contrairement à ce qu’il soutient, ce délai n’est pas comparable à celui de l’enquête qui en l’espèce inclut, de surcroît, le temps nécessaire pour identifier l’émetteur des ordres litigieux en recourant à des demandes de coopération internationale, dont les délais de traitement sont longs et incompressibles ; que dès lors, il n’y a pas eu de violation du principe d’égalité des armes ;

II. SUR LE MANQUEMENT DE MANIPULATION DE COURS

Considérant que la notification de griefs relève que « sur la période étudiée (du 15 février 2009 au 25 novembre

2009), certains traders des trois Offices [Chinois] sont intervenus sur les marchés des 27 titres faisant l’objet de l’enquête essentiellement dans le cadre d’une gestion « intra-day » (achat et revente de titres au cours de la même journée) et ont suivi, à de très nombreuses reprises, une stratégie qui sera dénommée ci-après « layering » et qui reposait sur un mode opératoire que les enquêteurs ont pu schématiser de la manière suivante :

1) Le trader saisit un grand nombre d’ordres à plusieurs limites proches de la meilleure limite d’un côté du carnet (par exemple, à l’achat).

Les ordres à l’achat exercent une pression acheteuse sur le carnet d’ordres et conduisent les autres acheteurs, mais également les vendeurs, à réajuster leurs ordres sur des cours plus élevés, d’où un décalage à la hausse de la fourchette meilleure demande – meilleure offre (bid/ask) (les vendeurs proches dans le carnet de la meilleure limite à la vente anticipent une remontée du niveau du cours de la valeur et décalent donc le prix de leur offre à la hausse. De même, les acheteurs souhaitant une exécution de leur ordre, et voyant le marché décaler, vont remonter le niveau de prix de leur demande).

2) Une fois le décalage obtenu et après que d’autres intervenants se sont positionnés (ici, à l’achat), le trader entre un (des) ordre(s) agressif(s) dans l’autre sens (ici, à la vente), qui lui permettent de bénéficier du décalage artificiel du carnet et de céder des titres à des niveaux de prix plus élevés. Parfois, il saisit également à la vente des ordres passifs et attend leur exécution.

3) Le trader annule alors rapidement et simultanément tous les ordres massifs qui avaient été saisis en phase

1 (ici, les ordres à l’achat, ce qui va induire une baisse de la meilleure limite à l’achat).

La stratégie précédente est alors reproduite, mais dans le sens inverse. » ;

Considérant que la notification de griefs, en se fondant sur les dispositions des paragraphes 1°a) et b) et 2°a) de l’article 631-1 du règlement général de l’AMF et des paragraphes 2°, 4°, 5° et 6° de l’article 631-2 du même règlement, considère que cette stratégie de « layering » pourrait être constitutive de « manipulation de cours dans la mesure où :

- Les ordres importants (tant en nombre qu’en volume) saisis par le trader en phase 1 (et qui sont maintenus alors même que le trader procède en phase 2 à des saisies d’ordres dans l’autre sens qui donnent lieu à des transactions) pouvaient donner aux autres investisseurs des indications fausses ou trompeuses sur l’offre ou la demande existant pour la valeur concernée.

- Lors de la saisie massive de titres en phase 1, le trader pouvait se retrouver en position dominante du fait du pourcentage représenté par ses ordres aux meilleures limites du carnet. Cette position dominante créait des conditions de transactions inéquitables pour les autres acheteurs puisque ces derniers, pour avoir une chance raisonnable de voir leurs propres ordres exécutés, étaient conduits à en rehausser le cours demandé.

- Les ordres saisis en phase 1 aux meilleures limites créaient de façon artificielle une forte pression d’un côté du carnet et, puisqu’ils étaient annulés pour leur grande majorité sans avoir donné lieu à transactions, ils donnaient une image fictive de l’état du marché.

- Les ordres saisis par le trader en phase 1 conduisaient à une forte variation de cours dans un sens. Ainsi, tous les exemples de layering sélectionnés par la Direction des Enquêtes imposaient qu’il existe une variation d’au moins 3 ticks. La succession des phases de layering à l’achat (pendant lesquelles le trader constituait une position courte puisque les critères retenus par la Direction des Enquêtes imposaient que la quantité de titres vendus soit supérieure au moins de 1 000 titres à la quantité de titres achetés) et à la vente (pendant lesquelles le trader constituait une position longue avec la même contrainte que pour la position courte, mais en sens contraire) entrainait des variations de position sur une courte période (la Direction des Enquêtes n’a considéré que des phases de moins de 300 secondes). » ;

Considérant que la notification de griefs, après avoir illustré la stratégie manipulatoire décrite par les interventions du trader J (ci-après : « les Interventions du trader J ») sur le titre Gaz de France entre 10:20:31 et 10:21:36, relève que ce mode d’intervention des traders des Offices a eu un caractère répétitif sur la période du 15 février au

25 novembre 2009 dès lors que, sur Euronext Paris et sur les 27 titres objets de l’enquête, 8 077 phases de layering répondant aux caractéristiques suivantes ont été détectées :

- durée maximale de 300 secondes,

- en fin de phase, série de plus de 15 annulations en l’espace de 5 secondes,

- en cas de layering à la vente (passage d’ordres de vente pour faire décaler le cours à la baisse, suivi d’exécutions d’ordres à l’achat puis annulation des ordres de vente), différentiel supérieur à 1 000 entre les quantités d’actions achetées et vendues, et inversement pour une phase de layering à l’achat,

- décalage de trois ticks : en cas de layering à la vente, cours moyen d’achat des actions inférieur de 3 ticks (écart minimal entre deux cours de cotation directement consécutifs) au niveau de la meilleure limite à la vente (à savoir le prix auquel il aurait pu acheter en se portant acheteur de la meilleure offre) en début de phase ; et inversement pour une phase de layering à l’achat ;

Considérant qu’il résulte de l’article 611-1 du règlement général de l’AMF que les articles 631-1 et 631-2 du même règlement, visés par la notification des griefs, sont applicables aux opérations litigieuses effectuées par les traders des Offices Chinois dès lors que celles-ci concernent 27 titres admis aux négociations sur Euronext ; qu’il convient de rechercher si l’exemple cité dans la notification de griefs, relatif aux Interventions du trader J, ainsi que les 8 076 autres cas de layering détectés par les enquêteurs au moyen d’un algorithme permettant de sélectionner les phases répondant aux quatre caractéristiques précitées, sont constitutifs de manipulation de cours ;

Considérant qu’aux termes de l’article 631-1 du règlement général de l’AMF :

« Toute personne doit s'abstenir de procéder à des manipulations de cours.

Constitue une manipulation de cours :

1° Le fait d'effectuer des opérations ou d'émettre des ordres :

a) Qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur l'offre, la demande ou le cours d'instruments financiers ou ;

b) Qui fixent, par l'action d'une ou de plusieurs personnes agissant de manière concertée, le cours d'un ou plusieurs instruments financiers à un niveau anormal ou artificiel, à moins que la personne ayant effectué les opérations ou émis les ordres établisse la légitimité des raisons de ces opérations ou de ces ordres et leur conformité aux pratiques de marché admises sur le marché réglementé concerné ;

2° Le fait d'effectuer des opérations ou d'émettre des ordres qui recourent à des procédés donnant une image fictive de l'état du marché ou à toute autre forme de tromperie ou d'artifice.

En particulier, constituent des manipulations de cours :

a) Le fait, pour une personne ou pour plusieurs personnes agissant de manière concertée, de s'assurer une position dominante sur le marché d'un instrument financier, avec pour effet la fixation directe ou indirecte des prix d'achat ou des prix de vente ou la création d'autres conditions de transaction inéquitables ;

b) Le fait d'émettre au moment de l'ouverture ou de la clôture ou, le cas échéant lors du fixage, des ordres d'achat ou de vente d'instruments financiers du marché ayant pour objet d'entraver l'établissement du prix sur ce marché ou pour effet d'induire en erreur les investisseurs agissant sur la base des cours concernés » ;

II.1. Sur l’analyse des faits au regard des dispositions du 1° de l’article 631-1 du règlement général de l’AMF

II.1.1. Sur l’existence d’indicateurs de manipulations de cours au sens des paragraphes 2°, 4°, 5° et 6° de l’article 631-2 du règlement général de l’AMF

Considérant qu’aux termes de l’article 631-2 du règlement général de l’AMF :

« Sans que ces éléments puissent être considérés comme formant une liste exhaustive ni comme constituant en eux-mêmes une manipulation de cours, l'AMF prend en compte, pour apprécier les pratiques mentionnées au 1° de l'article 631-1 : (...) ;

2° L'importance de la variation du cours de cet instrument ou de l'instrument sous-jacent ou dérivé correspondant admis à la négociation sur un marché réglementé, résultant des ordres émis ou des opérations effectuées par des personnes détenant une position vendeuse ou acheteuse significative sur un instrument financier ; (...)

4° Les renversements de positions sur une courte période résultant des ordres émis ou des opérations effectuées sur le marché réglementé de l'instrument financier concerné, associés éventuellement à des variations sensibles du cours d'un instrument financier admis à la négociation sur un marché réglementé;

5° La concentration des ordres émis ou des opérations effectuées sur un bref laps de temps durant la séance de négociation entraînant une variation de cours qui est ensuite inversée ;

6° L'effet des ordres qui sont émis sur les meilleurs prix affichés à l'offre et à la demande de l'instrument financier, ou plus généralement de la représentation du carnet d'ordres auquel ont accès les participants au marché et qui sont annulés avant leur exécution ; (...) » ;

 Sur l’importance de la variation du cours, résultant des ordres émis ou des opérations effectuées par des personnes détenant une position vendeuse ou acheteuse significative sur un instrument financier au sens du 2° de l’article 631-2 du règlement général de l’AMF

Considérant que la notification de griefs relève que « les ordres saisis en phase 1 conduisaient à une forte variation de cours dans un sens (...) » ;

Considérant, s’agissant des Interventions du trader J, que la passation massive, lors de la phase 1, d’ordres passifs d’achat, qui représentaient 85,39% des titres demandés à l’achat aux 11 meilleures limites a été accompagnée d’un décalage de la fourchette de cotation, qui a évolué de [29,665 – 29,680] à [29,695 – 29,715], soit un décalage de 6 ticks de la meilleure limite à l’achat ; que le critère mentionné au 2° de l’article 631-2 du règlement général de l’AMF est ainsi vérifié pour cet exemple ;

Considérant qu’afin de caractériser la position significative sur les instruments financiers au sens du 2° de l’article 631-2 du règlement général de l’AMF, il y a au moins lieu de retenir les cas dans lesquels la quantité maximale d’ordres saisis par les traders des Offices Chinois, à l’achat - pour une phase de layering à l’achat - ou à la vente - pour une phase de layering à la vente - aux 10 meilleures limites, est supérieure à 50% du volume acheteur ou vendeur à ces mêmes limites, soit en l’espèce 8 005 cas sur les 8 076 détectés par les enquêteurs ; que cette position significative, associée aux deux autres critères retenus par les enquêteurs, à savoir un décalage d’au moins trois ticks sur une période de moins de 300 secondes manifestant une variation du cours importante, permet de vérifier le critère mentionné au 2° de l’article 631-2 du règlement général de l’AMF ;

Considérant en conséquence que pour au moins 8 006 cas sur les 8 077 détectés par les enquêteurs, soit 99,12% d’entre eux, le critère mentionné au 2° de l’article 631-2 du règlement général de l’AMF est rempli ;

 Sur les renversements de positions sur une courte période résultant des ordres émis ou des opérations effectuées sur le marché réglementé de l’instrument financier concerné associés éventuellement à des variations sensibles du cours de cet instrument financier, au sens du paragraphe 4° de l’article 631-2 du règlement général de l’AMF

Considérant que la notification de griefs, après avoir relevé la forte variation de cours dans un sens, indique que « la succession des phases de layering à l’achat (pendant lesquelles le trader constituait une position courte (...)) et à la vente (pendant lesquelles le trader constituait une position longue (...)) entraînait des variations de position sur une courte période (...) » ;

Considérant que parmi les 8 077 cas détectés par les enquêteurs, 7 742 étaient directement précédés ou suivis d’une autre phase de layering en sens contraire ; que cet élément associé aux deux autres critères retenus par les enquêteurs, à savoir une durée inférieure à 300 secondes et un décalage d’au moins trois ticks, permet de vérifier qu’il existait des renversements de positions sur une courte période résultant des ordres émis associés à des variations sensibles du cours de cet instrument financier ; qu’en conséquence dans 95,85% des 8 077 cas détectés par les enquêteurs, le critère mentionné au 4° de l’article 631-2 du règlement général de l’AMF était rempli ;

 Sur la concentration des ordres émis ou des opérations effectuées sur un bref laps de temps durant la séance de négociation entraînant une variation de cours qui est ensuite inversée, au sens du 5° de l’article 631-2 du règlement général de l’AMF

Considérant que la notification de griefs relève que « l’annulation brutale de ces ordres d’achat en phase 3 pouvait entraîner une variation brusque du cours du titre. La saisie massive des ordres sur une courte période et surtout leur annulation brutale (...) attestent d’une concentration des interventions sur un bref laps de temps, consistant d’abord en des saisies d’ordres puis leur annulations » ;

Considérant, s’agissant des Interventions du trader J, que, dans un premier temps, entre 10:20:31 et 10:21:17, soit en 46 secondes, il a saisi 59 ordres à l’achat représentant un total de 94 400 titres, dont 4 ont été exécutés, entraînant ainsi un décalage de la fourchette de cotation, qui a évolué de [29,665-29,680] à [29,700-29,705] ; que pendant cette période, la quantité maximale d’ordres saisis a représenté plus de 93% du volume échangé aux

10 meilleures limites ; que, dans un second temps, entre 10 :21:29 et 10:21:36, soit en 7 secondes, il a annulé les 55 ordres d’achat présents dans le carnet représentant 89 990 titres, entraînant ainsi un décalage de la fourchette de cotation de [29,700-29,705] à 10:21:17 à [29,660-29,680] à 10:21:40 ; qu’il y a donc eu une concentration des ordres émis sur un bref laps de temps, qui a entraîné une variation de cours à la hausse - la fourchette de cotation s’étant décalée à la hausse – et qui a ensuite été inversée à la suite des annulations - la fourchette de cotation s’étant décalée à la baisse ; que le critère mentionné au 5° de l’article 631-2 du règlement général de l’AMF est ainsi vérifié pour cet exemple ;

Considérant, s’agissant des 8 076 autres cas de layering identifiés par les enquêteurs, que pour 7 724 d’entre eux, au moins 20 ordres, représentant plus de 50% du volume acheteur ou vendeur aux 10 meilleures limites, ont été saisis sur une séquence de 300 secondes ; que d’après l’algorithme utilisé par les enquêteurs, les ordres saisis ont été accompagnés d’une variation de cours, entraînant un décalage d’au moins 3 ticks, et ont fait l’objet d’au moins

15 annulations en 5 secondes ayant eu pour effet une variation de cours en sens inverse ; que l’existence d’une concentration des ordres émis sur un bref laps de temps durant la séance de négociation entraînant une variation de cours qui s’est ensuite inversée se trouve ainsi établie, de sorte que le critère mentionné au 5° de l’article 631-2 du règlement général de l’AMF est rempli pour 7 724 cas sur 8 076 ;

Considérant, en conséquence, que pour au moins 7 725 cas sur les 8 077 détectés par les enquêteurs, soit 95,64% d’entre eux, le critère mentionné au 5° de l’article 631-2 du règlement général de l’AMF est vérifié ;

 Sur l’effet des ordres qui sont émis sur les meilleurs prix affichés à l’offre et à la demande de l’instrument financier, ou plus généralement sur la représentation du carnet d’ordres auquel ont accès les participants au marché et qui sont annulés avant leur exécution, au sens du 6° de l’article 631-2 du règlement général de l’AMF

Considérant que la notification de griefs retient que « les ordres saisis en phase 1 aux meilleures limites créaient de façon artificielle une forte pression d’un côté du carnet et, puisqu’ils étaient annulés pour leur grande majorité sans avoir donné lieu à transactions, ils donnaient une image fictive de l’état du marché » et fait par ailleurs référence à l’article 631-1, 2° du règlement général de l’AMF ;

Considérant, s’agissant des Interventions du trader J, qu’avant la passation de ses ordres, il y a eu, aux 5 meilleures limites, 1,04 fois plus de titres offerts à la vente que de demandes à l’achat ; que la fourchette de cotation était alors de [29,665-29,680] ; qu’à l’issue de la phase 1 telle que décrite par la notification de griefs, après passation de 43 ordres passifs à l’achat portant sur 55 000 titres, il y a eu, aux 11 meilleures limites, 59 708 titres dévoilés demandés à l’achat dont 50 990 titres du trader J (soit 85,39%) et 13 744 titres dévoilés offerts à la vente, soit 4,34 fois plus de titres demandés à l’achat qu’offerts à la vente ; que la fourchette de cotation était alors passée à [29,695-29,715] ; qu’à l’issue de la phase 3, après annulation de l’ensemble des ordres passifs du trader J restant à l’achat

– représentant plus de 99% des ordres passés - il y a eu, aux 5 meilleures limites, 1,19 fois plus de titres demandés à l’achat qu’à la vente ; que la fourchette de cotation s’est alors établie à [29,66-29,680] ; que dès lors, les ordres massifs d’achat émis par le trader J ont exercé une pression acheteuse ayant un effet sur les meilleures limites à l’achat et sur la représentation du carnet d’ordres, avant d’être annulés ; que le critère mentionné au 6° de l’article

631-2 du règlement général de l’AMF est ainsi vérifié pour cet exemple ;

Considérant, s’agissant des 8 076 autres cas, que pour au moins 8 005 cas, les ordres passés par les traders des Offices Chinois ont atteint plus de 50% du volume acheteur ou vendeur dans le carnet d’ordres aux 10 meilleures limites, ce qui leur a conféré un effet massif ; qu’ils ont eu une incidence sur les meilleures limites à la vente ou à l’achat - puisqu’il existait un décalage d’au moins trois ticks - et plus généralement sur la représentation du carnet d’ordres ; que pour chaque cas recensé, il y a eu, d’après l’algorithme utilisé par les enquêteurs, au moins 15 annulations en 5 secondes ; qu’en outre, dans 8 047 cas sur 8 076, le ratio d’exécution a été inférieur à 25% ; qu’au total, 7 977 cas sur 8 076 répondent aux critères précités de sorte que pour ces cas, les ordres massifs passés par les traders des Offices Chinois aux meilleures limites ont créé une forte pression d’un côté du carnet d’ordres, ayant un effet tant sur les meilleures limites que sur la représentation du carnet d’ordres, puis ont été annulés ;

Considérant, en conséquence, que pour au moins 7 978 cas sur les 8 077 détectés par les enquêteurs, soit 98,77% d’entre eux, le critère mentionné au 6° de l’article 631-2 du règlement général de l’AMF est rempli ;

II.1.2. Sur la caractérisation du manquement au regard du 1° a) de l’article 631-1 du règlement général de l’AMF

Considérant que les critères de l’article 631-2 du règlement général de l’AMF ne peuvent être considérés comme constituant en eux-mêmes une manipulation de cours ; qu’il convient dès lors de rechercher si leur existence est susceptible, en l’espèce, de caractériser le manquement de manipulation de cours au sens du 1° de l’article 631-1 du règlement général de l’AMF et, en particulier, du paragraphe a) visant le fait d’effectuer des opérations ou d’émettre des ordres qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur l'offre, la demande ou le cours d'instruments financiers ;

Considérant que la notification de griefs relève sur ce point que « Les ordres importants (tant en nombre qu’en volume) saisis par le trader en phase 1 (et qui sont maintenus alors même que le trader procède en phase 2 à des saisies d’ordres dans l’autre sens qui donnent lieu à des transactions) pouvaient donner aux autres investisseurs des indications fausses ou trompeuses sur l’offre ou la demande existant pour la valeur concernée » ;

Considérant que compte tenu des analyses effectuées au regard des critères mentionnés à l’article 632-1, s’agissant des 8 077 cas :

- les ordres passés d’un côté du carnet d’ordres - par exemple à la vente dans une phase de layering à la vente - ont été importants tant en nombre qu’en volume (dans 7 725 cas sur 8 077, au moins 20 ordres ont été saisis en 300 secondes, représentant plus de 50% du volume acheteur ou vendeur aux 10 meilleures limites) ;

- ces ordres ont exercé une pression, selon le cas, vendeuse ou acheteuse, d’un côté du carnet d’ordres, établie par le décalage d’au moins 3 ticks ;

- le taux d’exécution de ces ordres a été faible (inférieur à 25% dans 8 048 cas sur 8 077) ;

- les ordres passés en sens contraire dans la phase de layering avaient, eux, vocation à être exécutés, l’algorithme ayant recensé les cas pour lesquels la différence entre les quantités d’actions achetées et vendues a été supérieure à 1 000 pour une phase de layering à la vente, et inversement pour une phase de layering à l’achat ;

- les positions ont été inversées sur une courte période (7 742 cas sur 8 077 ont été suivis ou précédés d’une autre phase de layering) ;

Considérant que 7 380 cas sur les 8 076 recensés par les enquêteurs, soit plus de 91% d’entre eux, répondent à l’ensemble de ces critères, de sorte que pour ces cas au moins, des indications fausses ou trompeuses sur l’offre ou la demande existant pour la valeur concernée ont été données aux investisseurs et ainsi relèvent de la définition de la manipulation de cours donnée par le paragraphe 1° a) de l’article 631-1 du règlement général de l’AMF ;

II.1.3. Sur la caractérisation du manquement au regard d’une position dominante

Considérant qu’aux termes de l’article 631-1 du règlement général de l’AMF « (...) En particulier, constituent des manipulations de cours : a) Le fait, pour une personne ou pour plusieurs personnes agissant de manière concertée, de s'assurer une position dominante sur le marché d'un instrument financier, avec pour effet la fixation directe ou indirecte des prix d'achat ou des prix de vente ou la création d'autres conditions de transaction inéquitables ; (...) » ; que cet exemple est susceptible d’être rattaché à l’une des définitions de la manipulation de cours énoncée aux paragraphes 1°a), 1° b) ou 2° du même article ;

Considérant que la notification de griefs relève que « Lors de la saisie massive de titres en phase 1, le trader pouvait se retrouver en position dominante du fait du pourcentage représenté par ses ordres aux meilleures limites du carnet. Cette position dominante créait des conditions de transactions inéquitables pour les autres acheteurs puisque ces derniers, pour avoir une chance raisonnable de voir leurs propres ordres exécutés, étaient conduits à en rehausser le cours demandé » ; qu’en l’espèce, la constitution d’une position dominante pourrait être rattachée à la définition donnée au 1°b) de l’article 631-1 du règlement général de l’AMF ;

Considérant qu’une position dominante peut être acquise non seulement au niveau des exécutions mais aussi à celui des ordres ;

Considérant, s’agissant des Interventions du trader J, qu’à l’issue de la phase 1 pendant laquelle celui-ci a entré, de façon massive, des ordres à l’achat, sa position à l’achat a atteint 85,39% des titres dévoilés demandés à l’achat aux 11 meilleures limites, tandis que la fourchette de cotation passait de [29,665-29,680] à [29,695-29,715] ; qu’au cours de la phase 2, à 10:21:17, après que le trader J a saisi un ordre de vente passif de 4 000 titres et 14 ordres d’achat passifs supplémentaires, sa position à l’achat a atteint 90,02% des titres dévoilés demandés à l’achat aux 11 meilleures limites, tandis que la fourchette de cotation passait de

[29,695-29,715] à [29,700-20,715] ; que dès lors, le trader J s’est assuré une position dominante sur le marché de l’instrument financier concerné, créant ainsi des conditions de transaction inéquitables pour les autres acheteurs ;

Considérant, s’agissant des 8 076 autres cas, que pour 8 005 d’entre eux, le pourcentage maximal représenté par les ordres des traders des Offices Chinois par rapport au volume acheteur ou vendeur aux 10 meilleures limites a été supérieur à 50% du volume à l’achat ou à la vente et qu’un décalage de 3 ticks est survenu à chaque phase de layering ; qu’il en est résulté des conditions de transaction inéquitables pour les autres acheteurs ;

Considérant en conséquence que, dans au moins 8 006 cas sur 8 077, soit plus de 99% d’entre eux, les traders des Offices Chinois se sont assurés une position dominante ayant eu pour effet de créer des conditions de transactions inéquitables, ce qui constitue une manipulation de cours au sens de l’article 631-1 du règlement général de l’AMF ;

Considérant qu’aucun motif permettant d’établir la légitimité des raisons des ordres émis et des opérations effectuées ainsi que leur conformité aux pratiques de marché, au sens des dispositions de l’article 631-1 du règlement général de l’AMF, n’a été invoqué ; qu’en conséquence, le manquement de manipulation de cours est caractérisé au regard du 1° de l’article 631-1 du même règlement ;

II.2. Sur l’analyse des faits au regard du 2° de l’article 631-1 du règlement général de l’AMF

Considérant qu’aux termes du 2 de l’article 631-1 du règlement général de l’AMF, constitue une manipulation de cours « le fait d'effectuer des opérations ou d'émettre des ordres qui recourent à des procédés donnant une image fictive de l'état du marché ou à toute autre forme de tromperie ou d'artifice » ;

Considérant que la notification de griefs relève que « les ordres saisis en phase 1 aux meilleures limites créaient de façon artificielle une forte pression d’un côté du carnet et, puisqu’ils étaient annulés pour leur grande majorité sans avoir donné lieu à transactions, ils donnaient une image fictive de l’état du marché » ;

Considérant qu’il résulte de l’analyse conduite au regard du 6° de l’article 631-2 du règlement général de l’AMF que pour au moins 7 978 cas sur les 8 077 détectés par les enquêteurs, soit plus de 98% d’entre eux, le volume massif des ordres passés associé au décalage de la fourchette de cotation et au fort taux d’annulation établit que les ordres saisis par les traders des Offices Chinois ont créé de façon artificielle une forte pression d’un côté du carnet d’ordres et, dès lors que la grande majorité de ces ordres ont été annulés sans avoir donné lieu à transaction, ont donné une image fictive de l’état du marché ;

Considérant, en conséquence, que le manquement de manipulation de cours est constitué au regard du 2° de l’article 631-1 du règlement général de l’AMF, soit 98,77% des cas ;

Considérant qu’il suffit pour démontrer l’existence d’une manipulation de cours de satisfaire à l’une au moins des définitions énoncées par l’article 631-1 du règlement général de l’AMF ; que le manquement est ainsi caractérisé pour 8 006 des 8 077 cas retenus par la notification de griefs, soit 99,12% ;

III. SUR L’IMPUTABILITE DU MANQUEMENT

Considérant que la notification de griefs retient que le manquement de manipulation de cours pourrait être imputé, à titre personnel, à M. A en relevant :

- qu’il était représentant légal / responsable et actionnaire à 50% de l’Office de Xiamen, représentant légal, administrateur exécutif et actionnaire majoritaire de l’Office de Shanghai, ainsi que représentant légal, administrateur exécutif et actionnaire unique de l’Office de Nanchang ;

- que les traders des Offices Chinois ont mis en œuvre la stratégie définie par ses soins, pour le compte des Offices auxquels ils étaient rattachés, ainsi qu’en attestent son rôle dans l’attribution du « buying power » (pouvoir d’achat) permettant aux traders de déployer leur stratégie sur Euronext, ses plaintes auprès de M. B concernant des traders d’autres Offices parasitant sa stratégie ou lui volant des traders, de nombreux courriels concernant ses Offices Chinois, en 2008 et 2009, en particulier avec MM. B et C, directeur de la surveillance du trading puis responsable conformité du groupe X à partir de mai 2009, concernant notamment cette stratégie et ses conséquences en termes de compliance ;

- qu’il était le principal bénéficiaire économique des gains résultant de cette stratégie ;

Considérant que le mis en cause soutient quant à lui que :

- le manquement ne peut lui être imputé en tant que dirigeant des Offices dès lors que la présomption de responsabilité des dirigeants pour les manquements commis par les préposés ne s’applique qu’aux dirigeants de sociétés régulées par l’AMF et résulte de l’obligation particulière de vigilance et de surveillance des marchés qui leur incombe au titre de l’article 313-6 du règlement général de l’AMF, ce qui n’est pas le cas d’espèce étant donné qu’il est représentant légal d’une personne morale étrangère non régulée par l’AMF et que les traders sont des entrepreneurs indépendants ;

- le manquement ne peut lui être imputé en qualité d’actionnaire des Offices dès lors que cela constituerait une violation du principe de personnalité des peines ;

- le manquement ne peut lui être imputé à titre personnel, faute d’avoir démontré son rôle positif dans les opérations critiquées ; qu’il explique qu’il n’avait pas de pouvoir de contrôle et de surveillance des opérations, lesquelles étaient exercées par le groupe X, qu’il n’était pas impliqué dans la gestion quotidienne des Offices Chinois, que les traders, qui étaient indépendants et non-salariés, décidaient seuls de leur stratégie et que les éléments relevés par la notification de griefs ne montrent pas la mise en œuvre d’une stratégie de trading illicite ;

Considérant que la qualité de dirigeant de M. A mise en avant par la notification de griefs en faisant état de ses qualités de « responsable/ représentant légal » ou « administrateur exécutif », ne peut, à elle seule, permettre de lui imputer le manquement dès lors qu’aucune méconnaissance de ses obligations de vigilance et de surveillance n’est invoquée et, surtout, que n’étant pas un prestataire de services d’investissement soumis au contrôle de l’AMF, les dispositions de l’article 313-6 du règlement général de l’AMF, susceptibles de fonder la responsabilité du dirigeant d’un tel prestataire à raison de faits commis par ses préposés, ne lui sont pas applicables ; que cette qualité, si elle est reconnue, peut toutefois constituer un indice de sa participation à la mise en œuvre de la stratégie manipulatoire ;

Considérant que les qualités d’actionnaire et de principal bénéficiaire économique des gains résultant de la stratégie manipulatoire mise en œuvre ne sauraient à elles seules permettre de lui imputer le manquement reproché ; que ces qualités peuvent toutefois constituer un indice de sa participation à la mise en œuvre de la stratégie manipulatoire ;

Considérant qu’il convient dès lors de rechercher si M. A a personnellement participé au manquement ; qu’à cet égard, la circonstance qu’il n’a pas lui-même passé les ordres manipulatoires ne suffit pas à exclure une telle participation ;

Considérant, en premier lieu, que si ce n’est qu’à compter du 25 novembre 2009 que le groupe X a adressé à M. A des courriels lui demandant des explications sur des cas de layering détectés sur le marché Euronext par leur système de « layering report », il apparaît qu’avant cette date, le 15 janvier 2009, M. A a expliqué à

M. C que les faibles résultats en euros résultaient d’un dysfonctionnement de la touche d’annulation massive des ordres, qui servait précisément à effectuer du layering ; qu’en outre, il a reçu de ce dernier, le 31 août 2009, un courriel l’informant que le trader J avait passé des ordres portant sur 800 000 titres EADS sur un total d’un million de titres échangés (opérations figurant parmi les 8 077 cas de layering détectées par les enquêteurs) et lui recommandant de maîtriser ses traders de l’Office de Xiamen, au risque de perdre un autre marché ; qu’ainsi, à l’époque des faits reprochés, M. A savait que ses traders utilisaient la technique de layering sur Euronext Paris ;

Considérant, en deuxième lieu, que si M. A a eu communication par M. B des recommandations d’Euronext Paris du 5 octobre 2009 explicitant la pratique du layering et sa non-conformité aux règles d’Euronext le 25 novembre 2009, date à laquelle le dernier cas de layering a été détecté par les enquêteurs, il a eu connaissance du caractère illicite de cette pratique sur Euronext dès le 13 juillet 2007, date de réception d’un courriel d’un responsable du groupe X communiquant une liste de titres cotés sur Euronext et rappelant l’interdiction du layering sur les marchés européens ; qu’il a en outre été à nouveau informé du caractère illicite du layering sur le London Stock Exchange le 6 décembre 2007, sur Euronext Bruxelles le 28 mai 2008 – date de suspension de l’accès de l’Office de Xiamen à ce marché pour recours à cette pratique -, sur les marchés d’Helsinki, de Milan et sur la Deutsche Börse le 25 août 2009 - date à laquelle l’accès des Offices Chinois à ces marchés a été interdit pour le même motif ; qu’il avait dès lors connaissance du caractère illicite du layering sur les marchés européens, dont Euronext Paris, à la date des opérations litigieuses ;

Considérant, en troisième lieu, que si le mis en cause soutient que les traders étaient des entrepreneurs indépendants non soumis à son pouvoir de contrôle et de surveillance, il est établi par les éléments du dossier que ces derniers étaient liés aux Offices Chinois par un contrat de travail et que M. A les désignait lui-même comme ses salariés, qu’il était responsable de leur embauche et de la détermination de leur salaire, qu’il avait le pouvoir de les sanctionner et de les renvoyer et qu’il leur donnait des instructions, y compris concernant les modalités d’intervention sur les marchés ; qu’en outre, il s’était contractuellement engagé à l’égard du groupe X à faire respecter par ses Offices la réglementation ainsi que les procédures du groupe X et que le service conformité de cette dernière lui rappelait d’ailleurs régulièrement son obligation de surveiller ses traders et de s’assurer qu’ils ne contrevenaient pas aux règles, réglementations et procédures ; qu’il disposait pour ce faire d’une possibilité technique de contrôler les traders, au moyen du logiciel du groupe X qui permettait de surveiller les ordres en temps réel ; que dès lors, M. A avait le pouvoir de donner des instructions aux traders, de les surveiller et de les sanctionner ; que d’ailleurs, lorsqu’il a eu connaissance des recommandations d’Euronext Paris du 5 octobre 2009, il a disposé du pouvoir nécessaire pour faire cesser les pratiques de layering au sein des Offices Chinois ;

Considérant, en quatrième lieu, que M. A, en tant que responsable des Offices Chinois, sollicitait auprès du groupe X, pour chacun de ses traders, l’attribution d’un « buying power » (pouvoir d’achat), qui correspond à l’engagement maximal pouvant être pris, à l’achat ou à la vente, par un trader en cumulant les positions ouvertes et les ordres saisis dans les carnets ; que la mise en place d’une stratégie de layering suppose la passation d’un grand nombre d’ordres, par la suite annulés, et, partant, un « buying power » important ; que si le mis en cause soutient que ses demandes de « buying power » attestent simplement de son souhait de voir les traders de ses Offices accéder à Euronext, et non de son rôle déterminant dans la mise en place de la stratégie manipulatoire, d’autant qu’elles datent 2007, il ressort toutefois des courriels échangés avec le groupe X (par exemple cote D1924, Annexe 3-4-3, 3-4-8 et 3-4-9 du rapport d’enquête) que la demande d’allocation d’un buying power important sur Euronext était précisément liée à la mise en œuvre de la stratégie de trading manipulatoire sur ce marché ; que si ces échanges ont eu lieu en 2007, deux ans avant les manquements poursuivis, c’est en raison de l’ouverture, cette année-là, de l’accès des traders à Euronext – dont les trois ayant réalisé le plus de profit en utilisant la technique de layering -, qui a nécessité de calibrer les demandes de buying powers ; qu’une fois ces derniers fixés, il n’y avait plus lieu, pour M. A, d’en rediscuter avec le groupe X ; que les Offices de Xiamen et de Shanghai figurent parmi les cinq offices du groupe X ayant disposé des « buying powers » les plus importants en euros et que trois des traders de Xiamen figurent parmi les 10 bénéficiaires des buying powers les plus élevés ; qu’ainsi, en formulant les demandes de buying power importants auprès du groupe X, M. A a fourni aux traders les moyens de pratiquer du layering ;

Considérant, en cinquième lieu, que si l’essentiel des cas de layering détectés par les enquêteurs ont été réalisés par quatre traders de l’Office de Xiamen, la pratique de layering était toutefois répandue au sein des trois Offices Chinois puisqu’elle concernait 16 traders de l’Office de Xiamen, 10 traders de l’Office de Shanghai et 5 traders de l’Office de Nanchang ; que cette circonstance peut s’expliquer, comme le soutient le mis en cause, par le partage d’informations entre les traders, notamment par le biais des logiciels de discussion en ligne mis à leur disposition, mais aussi par la mise en œuvre d’une stratégie par le dirigeant et actionnaire commun ; que, par ailleurs, l’absence de qualification des traders qui, selon les déclarations de M. A, étaient « tous de jeunes diplômés universitaires [qui] n’ont pas fait d’études de spécialité financière et n’ont pas de connaissance des règlements financiers de la

France » rend peu crédible l’hypothèse selon laquelle les traders auraient été capables de définir seuls leur stratégie;

Considérant que si M. A soutient qu’il ne s’impliquait pas dans la stratégie de trading, afin selon lui d’éviter que ses traders ne la copient et l’utilisent pour développer leur propre office, il résulte de nombreux courriels qu’il employait souvent les termes « notre stratégie » en parlant de ses Offices Chinois ; qu’en 2007, il a donné des instructions précises à ses traders sur la mise en œuvre de la pratique layering sur le London Stock Exchange ; que dans plusieurs courriels de 2007 et de 2008 au président ou vice-président du groupe X, il s’est plaint de ce que certains traders copiaient sa stratégie et qu’un autre lui « volait » ses traders ; que dans plusieurs courriels de 2008 et 2009, il a expliqué à M. B ou M. C qu’il testait et concevait des stratégies de trading avec ses équipes ; que s’agissant plus particulièrement d’Euronext, M. C lui a indiqué le 19 novembre 2007 : « M. A, en fait les marchés Euronext ont vu ce que vous faites. Vous devez y allez doucement ou nous allons perdre la possibilité de négocier sur Euronext » ; que dans un courriel du 4 novembre 2008, M. A a indiqué à ce dernier, au sujet des résultats en euros :

« À cause de la crise financière, les ordres automatisés ont été arrêtés ou modifiés, ce qui est susceptible d’affecter notre performance (...). Nous devons nous adapter au marché pour trouver de nouvelles stratégies. Je souhaiterais discuter des changements du marché avec vous » ; que, dans un courriel du 15 janvier 2009 adressé au même, il a expliqué les mauvais résultats en euros par un dysfonctionnement de la touche d’annulation massive, obligeant à annuler les ordres un par un, et a suggéré des modifications du logiciel du groupe X afin d’améliorer la rentabilité de ses traders ; qu’il en résulte que M. A s’impliquait dans la stratégie de trading mise en œuvre par ses Offices et, en particulier, qu’il a participé à la mise en œuvre de la stratégie de layering sur différents marchés ;

Considérant, en dernier lieu, qu’en sa qualité d’actionnaire des Offices Chinois, M. A était indirectement intéressé aux gains réalisés par les traders, sans qu’il soit toutefois possible de déterminer si, compte tenu de la commission de 27% versée à la société Y, des rémunérations des traders et des frais de fonctions, il en était le principal bénéficiaire économique comme l’a relevé la notification de griefs ;

Considérant qu’il résulte des éléments ainsi mis en exergue, à savoir la connaissance des opérations illicites réalisées par les traders des Offices Chinois, le pouvoir de contrôle et de sanction sur ces derniers, la capacité à demander l’allocation de buying power qui donnaient aux traders les moyens de mettre en œuvre une stratégie manipulatoire, l’existence d’une stratégie de layering dans les trois offices contrôlés, l’implication dans la mise en œuvre de la stratégie de trading et le bénéfice retiré des gains résultant de cette stratégie, que M. A a effectivement participé à la mise en œuvre de la stratégie manipulatoire ; qu’il a ainsi concouru à la réalisation du manquement qui lui est, dès lors, imputable ;

SUR LA SANCTION ET LA PUBLICATION

Considérant que le II de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable en vigueur du 6 août 2008 au 1er avril 2009, dispose :

« (...) II.- La commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l'encontre des personnes suivantes : (...) ;

c) Toute personne qui, sur le territoire français ou à l'étranger, s'est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié ou s'est livrée à une manipulation de cours, à la diffusion d'une fausse information ou à tout autre manquement mentionné au premier alinéa du I de l'article L. 621-14, dès lors que ces actes concernent un instrument financier émis par une personne ou une entité faisant appel public à l'épargne ou admis aux négociations sur un marché d'instruments financiers ou pour lequel une demande d'admission aux négociations sur un tel marché a été présentée, dans les conditions déterminées par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ; (...) ;

Considérant que, dans sa version modifiée par l’ordonnance n° 2009-90 du 22 janvier 2009, applicable à compter du 1er avril 2009, le paragraphe précité est ainsi rédigé : « (...) dès lors que ces actes concernent un instrument financier admis aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation qui se soumet aux dispositions législatives ou réglementaires visant à protéger les investisseurs contre les opérations d'initiés, les manipulations de cours et la diffusion de fausses informations, ou pour lequel une demande d'admission aux négociations sur de tels marchés a été présentée, dans les conditions déterminées par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ; » ;

Considérant que les 27 titres objets de l’enquête sont des instruments financiers admis à la négociation sur Euronext – donc sur un marché réglementé – de sorte qu’un manquement de manipulation de cours sur ces titres est susceptible d’être sanctionné ;

Considérant que le paragraphe III de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans sa version applicable à l’époque des faits, prévoit :

« III.- Les sanctions applicables sont : (...)

c) Pour les personnes autres que l'une des personnes mentionnées au II de l'article L. 621-9, auteurs des faits mentionnés aux c et d du II, une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 10 millions d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés ; les sommes sont versées au Trésor public. (...) » ;

Considérant que le montant de la sanction doit être fixé en fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits éventuellement tirés de ces manquements ;

Considérant que le rapport d’enquête repris par la notification de griefs calcule les « profits » générés par les Offices Chinois en effectuant la différence, pour chaque titre acquis ou vendu, entre le cours d’exécution et la meilleure limite à la vente ou à l’achat avant la mise en place du layering, ce qui conduit à un « profit » de 1 519 137 euros pour les 8 006 cas de manipulation de cours caractérisés ; que le produit des opérations de layering a certes bénéficié indirectement à M. A en sa qualité d’actionnaire à au moins 50% des Offices Chinois, mais aussi, entre autres, à la société Y qui percevait une rémunération de 27% des revenus bruts des Offices Chinois et aux traders des Offices Chinois dont la rémunération était fonction des bénéfices réalisés ; que le mis en cause reconnaît d’ailleurs avoir retiré des opérations un bénéfice qu’il estime, sans le démontrer de manière suffisante, à environ

50 000 euros ;

Considérant que le manquement de manipulation de cours caractérisé par la présente décision est particulièrement grave ; qu’en effet, la pratique manipulatoire, mise en œuvre de façon réitérée par 31 traders, a porté sur 27 titres et a perduré sur Euronext Paris au moins neuf mois, si l’on se fonde sur les seuls cas détectés par l’enquête ;

qu’elle a eu pour effet d’entraver le libre fonctionnement du marché et de tromper les investisseurs ; que toutefois, il convient de prendre en compte, d’une part, le fait qu’à compter du 25 novembre 2009, date à laquelle M. A a reçu les recommandations d’Euronext, les enquêteurs n’ont plus détecté de nouveau cas de layering sur Euronext Paris, et, d’autre part, que M. A recevait des instructions du groupe X à laquelle il incombait, selon lui, de transmettre les règles applicables, de détecter les opérations litigieuses, de l’en informer et de lui donner des conseils quant aux sanctions à prendre à l’égard des traders ; que, compte tenu de ces circonstances, il sera prononcé à l’encontre de M. A une sanction pécuniaire fixée, en fonction de la gravité du manquement commis et en relation avec les avantages ou les profits réalisés, à un million d’euros ;

Considérant que la publication de la présente décision ne risque ni de perturber gravement les marchés financiers ni de causer un préjudice disproportionné au mis en cause ; que la demande d’anonymisation présentée par M. A sera donc rejetée et la publication de la présente décision ordonnée ;

PAR CES MOTIFS,

Et après en avoir délibéré, sous la présidence de M. Michel Pinault, par MM. Christophe Soulard, Bruno Gizard et Miriasi Thouch, membres de la 1 ère section de la Commission des sanctions, en présence de la secrétaire de séance,

DECIDE DE :

- prononcer à l’encontre de M. A une sanction pécuniaire de 1 000 000 € (un million d’euros) ;

- publier la présente décision sur le site Internet de l’Autorité des marchés financiers.