AMF, 21 septembre 2012, n° SAN-2012-15
AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Membres :
M. Pinault, Mme Drummond, M. Surzur
Président :
M. Nocquet
La 1ère section de la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (AMF) ;
Vu le code monétaire et financier, notamment ses articles L. 214-1, L. 533-4, L. 533-10, L. 533-11 et
L. 621-15 ;
Vu le règlement général de l’AMF, notamment ses articles 314-60, 315-46, 315-47, 315-48 et 322-68 ;
Vu l’instruction AMF n° 2006-02 du 24 janvier 2006, relative aux procédures et modalités d’agrément et au programme d’activité des sociétés de gestion de portefeuille et des prestataires de services d’investissement exerçant le service de gestion de portefeuille pour le compte de tiers à titre accessoire ;
Vu l’instruction de l’AMF n° 2008-03 du 8 février 2008, relative aux procédures et modalités d’agrément et au programme d’activité des sociétés de gestion de portefeuille des prestataires de services d’investissement exerçant le service de gestion de portefeuille pour le compte de tiers ou de conseil en investissement ;
Vu les notifications de griefs en date du 16 mars 2011, adressées à la société Y (ci-après « société Y ») et à M. B par lettres recommandées avec accusé de réception ;
Vu la décision du 7 avril 2011 de la Présidente de la Commission des sanctions désignant
M. Jean-Claude Hanus, membre de la Commission des sanctions, en qualité de rapporteur ;
Vu les lettres recommandées avec demande d’avis de réception du 15 avril 2011 informant les mis en cause de la nomination de M. Jean-Claude Hanus en qualité de rapporteur et leur rappelant la faculté d’être entendus, à leur demande, conformément à l’article R. 621-39-I du code monétaire et financier ;
Vu les lettres recommandées avec demande d’avis de réception du 15 avril 2011 informant les mis en cause, en application de l’article R. 621-39-2 du code monétaire et financier, de ce qu’ils disposaient de la faculté de demander la récusation du rapporteur dans un délai d’un mois ;
Vu les observations écrites présentées par Me Stéphane Bonin pour le compte de M. B datées du 5 mai 2011 ;
Vu les observations écrites présentées par Me Martine Samuelian et Me Guillaume Berruyer pour le compte
La Commission des sanctions de la société Y datées du 17 mai 2011 ;
Vu la lettre des conseils de la société Y du 26 mai 2011 demandant au président de la Commission des sanctions d’interdire au public l’accès de la salle pendant toute l’audience ;
Vu les auditions réalisées par M. Jean-Claude Hanus le 8 juin et le 21 juin 2012 ;
Vu le rapport de M. Jean-Claude Hanus en date du 20 juillet 2012 ;
Vu les lettres recommandées avec demande d’avis de réception de convocation à la séance de la
Commission des sanctions du 7 septembre 2012, auxquelles était joint le rapport du rapporteur, remises par porteur le 20 juillet 2012 à la société X venant aux droits de la société Y et à M. B ;
Vu les lettres recommandées avec demande d’avis de réception du 7 août 2012 informant les mis en cause de la composition de la formation de la Commission des sanctions lors de la séance, et de la faculté de demander la récusation de l’un ou l’autre de ses membres ;
Vu les observations de M. B en date du 20 août 2012 en réponse au rapport de M. Jean-Claude Hanus du 20 juillet 2012 ;
Vu les observations de la société Y en date du 30 août 2012 en réponse au rapport de
M. Jean-Claude Hanus du 20 juillet 2012 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Après avoir entendu au cours de la séance du 7 septembre 2012 :
- M. Jean-Claude Hanus, en son rapport ;
- Mme Michaëla d’Hollande-d’Orazio, représentant le Collège de l’AMF ;
- M. François Gautier, représentant du directeur général du Trésor, qui a indiqué ne pas avoir d’observations à formuler ;
- M. [...], ancien directeur général de la société Y, représentant la société X, accompagné de M. [...], responsable des affaires contentieuses de la société X ;
- Me Martine Samuelian pour le compte de la société X venant aux droits de la société Y ;
- M. B ;
- Me Stéphane Bonin pour le compte de M. B ;
Les mis en cause ayant eu la parole en dernier.
FAITS ET PROCÉDURE
La société Y (ci-après « société Y » ou « la banque ») a été constituée le 1er octobre [...], à la suite de la fusion de [...].
La société Y était, jusqu’à son absorption par la société X, le 31 octobre 2011, une entreprise d’investissement agréée par le CECEI pour les services de réception et transmission d’ordres pour compte de tiers, de négociation pour compte propre, d’exécution d’ordre pour compte de tiers, de gestion de portefeuille pour compte de tiers et de conseil en investissement financier, de prise ferme et de placement garanti et non garanti.
Elle proposait ainsi à ses clients très fortunés, essentiellement des personnes physiques, résidentes et non résidentes, des services d’ingénierie patrimoniale, de gestion conseillée et sous mandat, ainsi que de réception et transmission d’ordres, la conservation des titres ayant été externalisée auprès de la société Natixis.
En 2008, les effectifs de la société Y comprenaient 268 personnes et la banque comptait 8 957 clients, dont 3 205 étaient gérés sous mandat, pour un encours total, au 31 décembre, de 8,4 milliards d’euros dont 1,2 milliard d’euros en gestion de portefeuille et 35 millions d’euros (soit 0,042% de l’encours total) en fonds non commercialisables en France.
Le produit net bancaire enregistré par la société Y en 2008 était de 67 millions d’euros, pour un résultat net de 8,9 millions d’euros.
Lors de la révélation de la fraude « Madoff » le 11 décembre 2008, il est apparu que des clients de la société Y avaient pu souscrire à des fonds étrangers non-coordonnés, exposés au risque « Madoff ». C’est dans ce contexte que les services de l’AMF se sont intéressés aux conditions de souscription, par certains clients de la société Y, de parts de fonds étrangers non coordonnés et non autorisés à la commercialisation en France.
Dans cette perspective, il a d’abord été demandé à la société Y, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception en date du 12 mai 2009, de conserver l’ensemble des enregistrements téléphoniques disponibles et d’indiquer les périodes couvertes par les bandes ainsi conservées, par application de l’article 143-2 du règlement général de l’AMF. Par un courrier en date du 13 mai 2009, le responsable de la conformité pour les services d’investissement (ci-après « RCSI ») de la société Y a indiqué mettre en œuvre la mesure sollicitée.
Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception en date du 9 juin 2009, le Service du contrôle des prestataires et des infrastructures de marché de l’AMF a ensuite transmis à la société Y une demande visant à la communication, dans le délai d’un mois, d’informations relatives, notamment, à l’ensemble des fonds d’investissement non commercialisables en France sur lesquels des opérations de souscription ou de rachat auraient été réalisées entre le 1er janvier 2005 et le 31 mai 2009 sur des comptes ouverts au sein de la société Y, afin de procéder au contrôle du respect par ce prestataire « des règles professionnelles relatives à la commercialisation des OPCVM d’une part et à l’exercice du service de conseil en investissement d’autre part ».
Des compléments à la réponse apportée par la société Y le 10 juillet 2009 ont été demandés par courrier électronique le 17 juillet 2009, et obtenus le 21 juillet 2009.
Sur la base des informations fournies, le secrétaire général de l’AMF a décidé, le 28 août 2009, de procéder au contrôle du « respect par la société Y de ses obligations professionnelles », lequel s’est déroulé du 4 septembre 2009 au 22 février 2010, sous forme d’entretiens et d’examen de documents.
Le contrôle a conduit à la rédaction d’un rapport le 2 mars 2010 qui relève, en substance, le non-respect, par la société Y et certains de ses salariés, des règles relatives à la commercialisation des instruments financiers étrangers en France, révélateur d’une défaillance du dispositif de conformité et du contrôle des risques, s’agissant des règles de bonne conduite qui incombent au prestataire de services d’investissement et à ses salariés. En particulier, la mission de contrôle a relevé la présence, dans des portefeuilles gérés ou conseillés, de deux fonds étrangers non autorisés à la commercialisation en France, à savoir le fonds X1 et le fonds X2.
Le fonds X1 est un « hedge fund » domicilié aux Iles Vierges Britanniques, exposé au risque « Madoff » via la société Bernard L. Madoff Investment Securities (ci-après « BMIS ») auquel neuf client de la société Y, dont trois ayant conclu un mandat de gestion, avaient souscrit pour un montant total de 4,2 millions d’euros, représentant 0,05% de l’encours total de la banque au 31 décembre 2008.
Le fonds X2, créé à l’initiative du groupe HSBC sous la forme d’une société d’investissement à capital variable (ci-après « SICAV ») de droit luxembourgeois avait pour objectif de « soutenir le développement du secteur de la microfinance dans le monde, tout en respectant une performance financière régulière ». Il n’avait fait l’objet d’aucune demande d’autorisation de commercialisation en France auprès de l’AMF. Il a été liquidé le 20 juin 2008 en raison du nombre insuffisant de souscriptions, qui ne permettait pas d’en assurer la viabilité.
Le 15 mars 2010, le Secrétaire général de l’AMF a adressé le rapport de contrôle à la société Y, prise en la personne du président du directoire au moment des faits, l’invitant à lui transmettre ses éventuelles observations dans le délai d’un mois.
Par courriel du 12 avril 2010, la société Y a sollicité, pour présenter ses observations, l’octroi d’un délai supplémentaire qui lui a été accordé par lettre recommandée avec demande d’avis de réception datée du 14 avril 2010.
Le 18 mai 2010, la société Y a présenté ses observations, contestant les conclusions auxquelles était parvenu le rapport de contrôle.
Le Collège de l’AMF, constitué en application de l’article L. 621-2 du code monétaire et financier, a examiné le rapport de contrôle et les observations de la société, au cours de sa séance du 15 février 2011, et a décidé de notifier des griefs à la société Y et à M. B, en sa qualité de préposé de la société Y à l’époque des faits, ce qui a été fait sous la signature du président de l’AMF par lettres recommandées du 16 mars 2011 avec demandes d’avis de réception.
En substance, il est fait grief à la société Y d’avoir :
- manqué à ses obligations professionnelles relatives aux mandats de gestion en procédant à la souscription, en 2007 et 2008, à des parts de fonds d’investissement étrangers, non autorisés à la commercialisation en France, pour le compte de clients gérés sous mandat, sans que ces mandats ne prévoient cette possibilité, et sans avoir préalablement recueilli l’accord exprès et spécial des clients à cet effet ;
- mis en place un dispositif de conformité insuffisant concernant tant la gestion des conflits d’intérêts que le contrôle des pratiques commerciales, caractérisé par l’absence de détection des pratiques de commercialisation active de fonds non autorisés à la commercialisation en France et le contrôle défaillant des informations transmises aux clients concernant ces fonds ; et à M. B d’avoir :
- commercialisé sur le territoire de la République française des fonds d’investissements étrangers non autorisés à la commercialisation ;
- manqué à l’obligation de délivrance d’une information exacte, claire et non trompeuse auprès des clients de la société Y et, plus généralement, à l’obligation d’agir de manière honnête, loyale et professionnelle, pour servir au mieux l’intérêt des clients de la banque.
Conformément aux dispositions de l’article R. 621-38 du code monétaire et financier, le président de l’AMF a, le 16 mars 2011, transmis la copie de ces notifications de griefs au président de la Commission des sanctions qui, par décision du 7 avril 2011, a désigné M. Jean-Claude Hanus en qualité de rapporteur, ce dont la société Y et M. B ont été informés par lettres recommandées avec demandes d’avis de réception datées du 14 avril 2011, leur rappelant la faculté d’être entendus, à leur demande, conformément à l’article R. 621-39-I du code monétaire et financier.
Par lettres recommandées du 15 avril 2011 avec demandes d’avis de réception, les mis en cause ont également été informés, en application de l’article R. 621-39-2 du code monétaire et financier, de ce qu’ils disposaient de la faculté de demander la récusation du rapporteur dans un délai d’un mois, dans les conditions prévues par les articles R. 621-39-3 et R. 621-39-4 du même code.
Par lettre recommandée du 7 juin 2011 avec demande d’avis de réception, le représentant du Collège de l’AMF,
M. Philippe Adhémar, a été informé de ce qu’il disposait de la faculté d’être entendu par le rapporteur en application de l’article R. 621-39 I du code précité.
M. B a déposé ses observations en réponse à la notification de griefs, par l’intermédiaire de son avocat, le 5 mai 2011 et la société Y, le 17 mai 2011.
Le rapporteur a procédé, à leur demande, à l’audition de M. B, le 8 juin 2012, et de la société X, venant aux droits de la société Y, représentée par M. [...] dûment habilité à cet effet, le 21 juin 2012, puis a déposé son rapport le 20 juillet 2012.
Par lettres du 20 juillet 2012 remises par porteur le même jour, auxquelles était joint le rapport du rapporteur, les mis en cause ont été convoqués à la séance de la Commission des sanctions du 7 septembre 2012.
Ils ont été informés de la composition de la Commission des sanctions lors de la séance et de la faculté de demander la récusation de l’un ou l’autre de ses membres par lettres recommandées du 7 août 2012 avec demande d’avis de réception.
Les observations écrites en réponse au rapport du rapporteur ont été adressées à la Commission des sanctions, le 20 août 2012, par Me Bonin pour le compte de M. B et, le 30 août 2012, par les conseils de la société Y.
MOTIFS DE LA DECISION
Considérant, à titre liminaire, qu’aux termes de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier « [...] la commission des sanctions ne peut être saisie de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait pendant ce délai aucun acte tendant à leur recherche, à leur constatation ou à leur sanction » ; que le 12 mai 2009, les services de l’AMF ont demandé, à titre conservatoire, à la société Y de conserver les enregistrements téléphoniques disponibles, ce qui constitue un premier acte de « recherche » ; que l’ensemble des faits cités à l’appui des griefs notifiés à M. B et à la société Y, étant postérieurs au 12 mai 2006, échappent à la prescription triennale prévue par cet article ; qu’en conséquence, l’argumentation développée par M. B sur ce point est inopérante ;
1. SUR LE GRIEF RELATIF AU NON-RESPECT DES REGLES EN MATIERE DE MANDAT DE GESTION
1.1 SUR LES INVESTISSEMENTS DANS LE FONDS X3
Considérant qu’il est reproché à la société Y d’avoir souscrit des parts du fonds X3, non autorisé à la commercialisation en France, dans le cadre du mandat de gestion individuel de Mme A, qui n’autorisait pas d’opérations sur ce type d’instrument financier ; que, selon la notification de griefs, la procuration en vertu de laquelle le mandataire de la cliente a donné instruction, le 28 mars 2007, d’investir dans le fonds en cause, n’aurait pas conféré à ce dernier le pouvoir d’effectuer une telle opération ; qu’ainsi, la société Y aurait manqué à ses obligations professionnelles et méconnu les dispositions de l’article 322-68 du règlement général de l’AMF alors applicables ;
Considérant que l’article L. 533-4 du code monétaire et financier, dans sa version applicable aux faits, non modifiée par une disposition plus douce, disposait que : « les prestataires de services d’investissement (...) sont tenus de respecter des règles de bonne conduite destinées à garantir la protection des investisseurs et la régularité des opérations. Ces règles sont établies par l’Autorité des marchés financiers » ;
Considérant que l’article 322-68 du règlement général de l’AMF prévoyait que : « Le mandat de gestion mentionne au moins : 1° Les objectifs de la gestion ; 2° Les catégories d’instruments financiers que peut comporter le portefeuille. Sauf convention contraire, les instruments autorisés sont : a) Les instruments financiers négociés sur un marché réglementé ou sur un marché réglementé en fonctionnement régulier d’un État ni membre de la Communauté européenne ni partie à l’accord sur l’Espace économique européen pour autant que ce marché ne figure pas sur une liste de marchés exclus établie par l’AMF ; b) Les OPCVM européens conformes à la directive n° 85/611/CEE du 20 décembre 1985 et les OPCVM de droit français respectant les règles de cette directive ; c) Les instruments financiers à terme négociés sur un marché figurant sur la liste fixée par arrêté ministériel. Lorsque le mandat autorise des opérations portant sur les instruments financiers autres que ceux mentionnés au 2° ou à effet de levier, notamment les opérations effectuées sur les instruments financiers à terme, un accord spécial et exprès du mandant doit être donné, qui indique clairement les instruments autorisés, les modalités de ces opérations et de l’information du mandant » ;
Considérant que l’instruction de l’AMF n° 2006-02 du 24 janvier 2006 a précisé que l’accord spécial et exprès du mandant : « [...] définit explicitement et de manière limitative les opérations autorisées, en termes de marchés ou d’instruments concernés, de nature des opérations et de limites de risque encouru. Il vise notamment les opérations de couverture et/ou de spéculation autorisées par le mandat, les pertes maximales autorisées, ou encore la fraction du portefeuille engagée sur ces marchés et/ou sur ces produits... » ;
Considérant qu’il est établi que :
- le mandat de gestion de type « défensif » conclu le 9 décembre 2003 entre Mme A et la société X4, ultérieurement repris par la société Y, qui mentionnait l’existence d’une procuration au profit d’un tiers, prévoyait au titre des « opérations autorisées » : « - les instruments financiers négociés sur un marché réglementé ou sur un marché réglementé en fonctionnement régulier ; - les organismes de placement collectif de droit français, les OPCVM conformes à la directive n° 85/611 ou les organismes de placement collectif bénéficiant d’une autorisation de commercialisation sur le territoire français ; - les instruments financiers à terme inscrits sur la liste fixée par voie réglementaire », toutes les autres opérations étant interdites, notamment celles portant sur les marchés à terme d’instruments financiers, sur les marchés d’option de valeurs mobilières ou d’indices, ainsi que les opérations de report et de vente ou d’achat à découvert ;
- l’investissement dans le fonds X3, non autorisé à la commercialisation en France, constituait donc une opération « interdite », selon ce mandat de gestion ;
- c’est sur les instructions du titulaire de la procuration de Mme A qu’a été faite, le 28 mars 2007, la souscription litigieuse ;
Considérant que, selon la société Y, sa cliente conservait la faculté de donner des ordres excédant les termes du mandat de gestion du 9 décembre 2003 et, en l’absence de limitation de l’étendue de la procuration que celle-ci avait signé le même jour au bénéfice d’un tiers, ce dernier était fondé à faire de même ; qu’après avoir précisé que cette première procuration « était limitée à tous les actes juridiques en rapport avec le mandat de gestion confié à la société Y», elle ajoute que l’interprétation de son contenu échapperait à la compétence de la
Commission des sanctions ;
Considérant qu’étant saisie du grief, la présente Commission se doit de rechercher si, en procédant à l’investissement litigieux à la demande du bénéficiaire de la procuration, la société Y a ou non manqué à ses obligations professionnelles ; que, si elle n’a effectivement pas à se prononcer sur les rapports entre l’auteur et le titulaire de la procuration, qui relèvent de la seule compétence du juge civil, elle se doit, en revanche, d’examiner, au regard de tous les éléments du dossier, les conditions dans lesquelles s’est déroulée l’opération litigieuse ;
Considérant que la procuration consentie par Mme A était, comme en convient la mise en cause, limitée aux actes en rapport avec le mandat de gestion, ainsi que le faisait d’ailleurs apparaître la référence manuscrite à l’existence d’une telle procuration figurant sur ce mandat (« mandat de gestion uniquement ») ; qu’elle ne permettait donc apparemment pas à son bénéficiaire d’aller au-delà des opérations limitativement énumérées par le mandat de gestion ; qu’elle n’a, en outre, pas été produite devant la présente Commission ; qu’à supposer qu’elle ait été effectivement formalisée, la preuve n’est donc aucunement rapportée de ce que cette procuration aurait pu s’inscrire au-delà des strictes limites du mandat de gestion signé le 9 décembre 2003 ; que le 28 mars 2007, à défaut d’un accord préalable, spécial et exprès de la mandante pour investir dans d’autres supports que ceux expressément autorisés par le mandat de gestion, le bénéficiaire de la procuration qui semble avoir été délivrée le 9 décembre 2003 n’était pas habilité à donner un ordre de souscription dans un fonds non commercialisable en France, une telle opération ne relevant pas de celles limitativement autorisées par ce mandat ; que la production d’une autre procuration, intitulée « Procuration Clients privés », est inopérante, celle- ci, datée du 6 mars 2008, étant postérieure à l’opération incriminée ;
Considérant qu’il se déduit de ce qui précède que le manquement aux articles L. 533-4 du code monétaire et financier et 322-68 du règlement général de l’AMF, alors applicables, est caractérisé ;
1.2 SUR LES INVESTISSEMENTS DANS LE FONDS X2
Considérant qu’il est reproché à la société Y d’avoir autorisé ses préposés à investir, « par le biais des mandats de gestion », dans des actions de la SICAV luxembourgeoise non coordonnée X2 dans la limite de 5% des portefeuilles gérés alors que, d’une part, les souscriptions à un tel fonds étaient exclues par les mandats qui lui avaient été confiés, d’autre part, les lettres de décharge remises aux contrôleurs pour justifier de ces investissements émanaient de clients hors mandat et ne pouvaient « se substituer à l’accord exprès et spécial des mandants » ;
Considérant que, s’agissant de faits postérieurs au 1er novembre 2007, l’article L. 533-11 du code monétaire et financier en vigueur à compter de cette date dispose que « lorsqu'ils fournissent des services d'investissement et des services connexes à des clients, les prestataires de services d'investissement agissent d'une manière honnête, loyale et professionnelle, servant au mieux les intérêts des clients » ;
Considérant qu’aux termes de l’article 314-60 du règlement général de l’AMF, applicable aux mêmes faits et toujours en vigueur : « Le mandat de gestion mentionne au moins : 1° Les objectifs de la gestion ; 2° Les catégories d'instruments financiers que peut comporter le portefeuille. Sauf convention contraire, les instruments autorisés sont : a) Les instruments financiers négociés sur un marché réglementé ou sur un marché réglementé en fonctionnement régulier d'un État ni membre de la Communauté européenne ni partie à l'accord sur l'Espace économique européen pour autant que ce marché ne figure pas sur une liste de marchés exclus établie par l'AMF ; b) Les OPCVM européens conformes à la directive 85/611/CEE du 20 décembre 1985 et les OPCVM de droit français ouverts à tous souscripteurs ; c) Les « contrats financiers » négociés sur un marché figurant sur la liste fixée par arrêté ministériel ; 3° Les modalités d'information du mandant sur la gestion de son portefeuille ;
4° La durée, les modalités de reconduction et de résiliation du mandat ; 5° Le cas échéant, lorsque le mandant n'a pas la qualité d'investisseur qualifié, la possibilité de participer à des opérations ou de souscrire ou acquérir des instruments financiers réservés aux investisseurs qualifiés. Lorsque le mandat autorise des opérations portant sur les instruments financiers autres que ceux mentionnés au 2° ou à effet de levier, notamment les opérations effectuées sur les contrats financiers, l'accord spécial et exprès du mandant doit être donné, qui indique clairement les instruments autorisés, les modalités de ces opérations et de l'information du mandant » ;
Considérant que l’instruction n° 2008-03 du 8 février 2008 de l'AMF précise l'application de ces dispositions, en particulier la notion « d’accord spécial et exprès du mandant », en ces termes : « à ce titre, l'accord définit explicitement et de manière limitative les opérations autorisées, en termes de marchés ou d'instruments concernés, de nature des opérations et de limites de risque encouru. Il vise notamment les opérations de couverture et/ou de spéculation autorisées par le mandat, les pertes maximales autorisées, ou encore la fraction du portefeuille engagée sur ces marchés et/ou sur ces produits... » ;
Considérant qu’il résulte de ces textes que le contrat de mandat, qui régit les rapports entre le client et le gérant de portefeuille, doit a minima comporter cinq mentions obligatoires, dont une relative aux « catégories d’instruments financiers » sur lesquelles le prestataire de services d’investissement pourra donner des ordres d’achat et de vente pour le compte du client ; que sauf convention contraire, ces instruments financiers sont ceux limitativement énumérés à l’article 314-60 précité ; que, dans l’hypothèse où les parties décident néanmoins d’inclure dans le portefeuille géré sous mandat d’autres instruments financiers que ceux ainsi mentionnés, le mandant doit donner un accord préalable, spécial et exprès qui « indique clairement les instruments autorisés, les modalités de ces opérations et de l'information du mandant » ; que cette prescription vise à attirer l’attention du client sur l’importance des engagements souscrits pour son compte et à s’assurer de son consentement éclairé quant aux risques encourus ;
Considérant que l’examen des mandats de gestion individuels des huit clients concernés par l’investissement litigieux révèle que les seuls instruments financiers sur lesquels la société Y pouvait intervenir étaient les « OPCVM de droit français, [les] OPCVM conformes à la directive n° 85/611/CEE ou [les] organismes de placement collectif bénéficiant d’une autorisation de commercialisation sur le territoire français, à l’exclusion des
Fonds commun d’intervention sur les marchés à terme » ; qu’en conséquence, les mandats de gestion excluaient du pouvoir discrétionnaire des gérants de portefeuille les opérations portant sur des OPCVM non autorisés à la commercialisation en France ;
Considérant que la société Y, qui reconnaît que le fonds X2 n’était pas commercialisable en France et que les mandats de gestion ne lui permettaient pas d’en souscrire des parts, souligne tout d’abord que les investissements litigieux auraient eu un lien avec les choix éthiques des clients au profit desquels ils ont été réalisés ; qu’une telle considération ne saurait en aucun cas autoriser la banque à s’affranchir ni des exigences légales et réglementaires ci-dessus rappelées ni des termes des mandats qui lui avaient été confiés, de sorte qu’elle est inopérante ;
Considérant que la banque produit ensuite des « lettres d’instruction » l’autorisant à procéder aux investissements litigieux ; que ces documents, rédigés en des termes identiques, sont en tous points conformes au modèle de « lettre de décharge » établi par la société Y;
Considérant que, contrairement à ce que soutient la notification de griefs, chacun des clients concernés a bien signé une « lettre d’instruction » ;
Considérant que, même s’il est tout à fait regrettable que les autorisations ainsi données aient été sollicitées par la banque et n’aient pas fait référence aux mandats de gestion qui avaient été conclus avec les clients, il demeure qu’elles ont toutes été signées par les mandants avant qu’il ne soit procédé aux investissements litigieux ; que l’absence de signature du mandataire est sans effet sur leur nature et leur authenticité ; que, quelle qu’en soit la forme, ces « lettres d’instruction » ne peuvent donc s’analyser autrement que comme des accords spéciaux et exprès donnés par les clients préalablement à la souscription dans la SICAV X2 réalisée pour leur compte ; que ces accords définissent, au sens de l’instruction de l’AMF n° 2008-03 du 8 février 2008, « explicitement et de manière limitative les opérations autorisées » ; qu’en conséquence, le manquement n’est pas caractérisé ;
2. SUR LE GRIEF RELATIF A LA COMMERCIALISATION DE FONDS D’INVESTISSEMENT ETRANGERS
NON-COORDONNES ET NON AUTORISES A LA COMMERCIALISATION EN FRANCE
Considérant qu’est reprochée, à titre personnel, à M. B, préposé de la société Y à l’époque des faits, la commercialisation active du fonds étranger X1, alors qu’il savait que ce fonds non-coordonné n’était pas autorisé à la commercialisation en France ; que, selon la notification de griefs, en agissant de la sorte, il n’aurait pas exercé son activité avec le soin et la diligence qui lui incombent, ne respectant qu’« en apparence par le biais de la signature d’une « décharge » les procédures internes de la société Y ;
Considérant qu’ainsi qu’il a été précédemment rappelé, l’article L. 533-4 du code monétaire et financier, puis l’article L. 533-11 du même code pour les faits postérieurs au 1er novembre 2007, font obligation aux prestataires de services d’investissement d’agir de « manière honnête, loyale et professionnelle, servant au mieux les intérêts des clients » ; que ce dernier article est également applicable aux préposés en application de l’article 315-73 du règlement général de l’AMF ; que l’article 321-24 du règlement général de l'AMF, applicable au faits antérieurs au 1er novembre 2007 dispose que : « Les règles de bonne conduite établissent, dans le respect des exigences déontologiques et en vertu des articles L. 533-4 et L. 533-6 du code monétaire et financier, les principes généraux de comportement et leurs règles essentielles d'application et de contrôle, auxquels doivent se conformer le prestataire habilité et les personnes agissant pour son compte ou sous son autorité » ; que ces prescriptions sont, pour les faits postérieurs au 1er novembre 2007, visées aux articles 313-1 et 313-3 du même règlement ;
Considérant que l’article L. 214-1 II du code monétaire et financier prohibe la commercialisation sur le territoire français d’un fonds d’investissement étranger ne bénéficiant pas d’une autorisation de commercialisation délivrée par l’AMF ;
Considérant que la notion de « commercialisation » n’est, en revanche, définie par aucune disposition légale ni par aucun texte réglementaire ; que la Commission des opérations de bourse a précisé, dans le Bulletin mensuel publié en 2003, relatif à « la régulation de la multigestion alternative », au sujet de fonds d’investissements étrangers que : « (...) Par commercialisation d’un fonds de droit étranger, on entend sa présentation par différentes voies (publicité, démarchage ou placement par un prestataire de services d’investissement), en vue d’inciter un investisseur potentiel y compris un gérant pour compte de tiers, à la souscription de parts. A ce titre, constitue un acte de commercialisation, toute proposition d’acquisition ou de souscription d’un fonds faite à un souscripteur potentiel, sauf lorsque cette proposition répond à une demande de l’investisseur portant sur un OPC précisément désigné (...) ».
Considérant, dès lors, que les faits reprochés à M. B requièrent une appréciation « in concreto » afin de distinguer la commercialisation « active » d’un fonds non autorisé, dans lequel la souscription n’est pas sollicitée par l’investisseur, et qui, de ce fait, est interdite, de la commercialisation « passive », qui suppose que l’investisseur a pris à l’initiative de proposer ce type de souscription, portant sur l’instrument financier qu’il désigne précisément ;
Considérant que plusieurs échanges de courriels et la retranscription de conversations téléphoniques intervenus entre M. B et certains de ses clients mettent en évidence une présentation et une recommandation du fonds X1 à l’initiative du mis en cause ; que par ailleurs, au cours d’un échange téléphonique intervenu entre M. B et un préposé de l’agence de la société X à [...], le 10 janvier 2008 à 11h09, le mis en cause indique être à l’initiative d’une présentation du fonds X1 auprès d’un client dont la souscription au fonds litigieux est intervenue le lendemain ; que le 3 décembre 2007, M. B a relancé un client en ces termes : « As-tu regardé le fonds X1 dont je t’ai envoyé la fiche ? Je la réactualise » ; qu’à cette sollicitation le client a répondu, le 13 décembre 2007 : « Pour le fonds X1, je n’ai pas eu le temps de regarder » ;
Considérant que, M. B, s’il reconnaît avoir proposé le fonds X1 à certains de ses clients, prétend l’avoir fait conformément au processus de commercialisation instauré par la banque elle-même pour ce type de fonds ; qu’il aurait donc respecté la procédure interne mise en place par la société Y, à laquelle était annexé un modèle de lettre-type de « décharge » ; qu’enfin, selon lui, les informations transmises aux clients sur ces fonds étaient disponibles à partir de l’Intranet de la banque ; qu’il ajoute n’avoir proposé ce type de fonds que pour répondre à la demande de ses clients en matière de gestion alternative ;
Considérant, cependant, que la circonstance que les clients concernés aient sollicité « des fonds alternatifs », à la supposer établie, n’est pas de nature à exonérer le mis en cause de sa responsabilité en l’absence d’une demande expresse de leur part « portant sur un OPC précisément désigné » ;
Considérant, en outre, que les informations sur le fonds X1 transmises par M. B étaient notamment éditées à l’en-tête de la société X5, de sorte que, contrairement à ce qu’il soutient, il n’est pas établi qu’elles aient pu provenir de l’Intranet de la filiale française du groupe Y ;
Considérant, enfin, qu’est inopérant l’argument pris d’une incitation de la société Y au travers de la fourniture d’un modèle de « lettre de décharge », l’examen de ce document montrant qu’il comporte une mise en garde destinée notamment, à éviter à la banque d’engager sa responsabilité en pareilles circonstances ;
Considérant qu’il est donc établi que M. B a procédé à la commercialisation active du fonds X1, celle-ci étant matérialisée par des recommandations et une présentation proactive de ce fonds, qui ne bénéficiait pas d’une autorisation de commercialisation délivrée par l’AMF ; que ces actes, accomplis par M. B apparemment à sa seule initiative, contreviennent aux dispositions de l’article L. 214-1 II du code monétaire et financier ; qu’en agissant de la sorte, le mis en cause n’a pas exercé son activité avec le soin et la diligence qui s’imposent ; que le grief est caractérisé en tous ses éléments ;
3. SUR LE GRIEF RELATIF A L’OBLIGATION DE DELIVRANCE D’UNE INFORMATION EXACTE, CLAIRE
ET NON-TROMPEUSE
Considérant que l’article 314-11 du règlement général de l'AMF, applicable aux faits postérieurs au 1er novembre 2007, dispose que : « l'information inclut le nom du prestataire de services d'investissement. Elle est exacte et s'abstient en particulier de mettre l'accent sur les avantages potentiels d'un service d'investissement ou d'un instrument financier sans indiquer aussi, correctement et de façon très apparente, les risques éventuels correspondants. Elle est suffisante et présentée d'une manière qui soit compréhensible par un investisseur moyen de la catégorie à laquelle elle s'adresse ou à laquelle il est probable qu'elle parvienne. Elle ne travestit, ni ne minimise, ni n'occulte certains éléments, déclarations ou avertissements importants » ; que l’article 314-33 1° du même règlement ajoute que : « le prestataire de services d'investissement fournit au client une description générale de la nature et des risques des instruments financiers en tenant compte notamment de sa catégorisation en tant que client non professionnel ou client professionnel » ; que, par ailleurs, l’article 314-17 du règlement général de l'AMF énonce que « l'information n'utilise pas le nom d'une autorité compétente, quelle qu'elle soit, d'une manière qui puisse indiquer ou laisser entendre que cette autorité approuve ou cautionne les produits ou services du prestataire de services d'investissement » ;
Considérant que l’obligation ainsi faite aux prestataires de services d’investissement d’agir de manière honnête, loyale et professionnelle a pour finalité première d’assurer la préservation des intérêts des clients, ce qui implique notamment que l’information qui leur est délivrée soit exacte, claire et non trompeuse ; que ceux-ci doivent en effet être mis en mesure de prendre leurs décisions d’investissement ou de désinvestissement de manière éclairée ou de confier la gestion de leurs actifs en toute connaissance de cause, qu’il s’agisse des caractéristiques des investissements ou des risques encourus ;
Considérant qu’il est reproché, à titre personnel, à M. B d’avoir maintenu ses clients dans l’ignorance des caractéristiques réelles du produit souscrit du fait de la mauvaise qualité des informations qu’il leur a communiquées ; qu’à cet égard, deux conversations téléphoniques de 2008 sont mises en exergue par la notification de griefs ;
Considérant que durant la première conversation, en date du 8 février 2008, M. B a indiqué : « soyez assurés que les produits auxquels vous avez accès (...) on vous donne accès à des fonds de fonds qui sont vraiment les meilleurs fonds de gestion alternative, agréés par l’AMF, donc c’est quand même une sécurité pour vous (...) » ;
Considérant que cette phrase ne saurait être reprochée au mis en cause dès lors que, d’une part, l’objectif poursuivi par l’agrément de l’AMF est bien de protéger les investisseurs et l’intégrité du marché, d’autre part, l’information transmise par M. B concernait des fonds de fonds alternatifs de droit français et n’était en rien inexacte ;
Considérant que la seconde retranscription téléphonique, en date du 20 janvier 2008, concerne bien, quant à elle, le fonds X1, dont il apparaît que le client ne connaît pas bien le nom ; que, si l’on rapproche cette conversation de celle du 8 janvier 2008, au cours de laquelle M. B avait orienté son client vers un profil de gestion alternative, notion que celui-ci ne semblait ni connaître ni maîtriser, il apparaît bien que les informations données sur l’investissement dans ce fonds étaient insuffisantes ;
Considérant que, la commercialisation active en France de ce fonds étranger non coordonné et non autorisé étant interdite, le déficit d’information dont il a fait l’objet ne peut toutefois être retenu au titre d’un manquement à une obligation qui, s’appliquant à une activité prohibée, se trouve privée de sens et de contenu ; que cet aspect du grief ne peut donc être retenu en tant que tel ; que les faits étant avérés, ils constituent cependant une circonstance aggravante du manquement relatif à la commercialisation active et non autorisée examiné ci-dessus (2) ;
4. SUR LE GRIEF RELATIF A L’INSUFFISANCE DU DISPOSITIF DE CONFORMITE ET A LA
DEFAILLANCE DU CONTROLE DES RISQUES EN MATIERE DE PRATIQUES COMMERCIALES
Considérant que, l’article L. 533-10 1° du code monétaire et financier dispose que « les prestataires de services d’investissement doivent mettre en place des règles et procédures permettant de garantir le respect des dispositions qui leur sont applicables » ; que l’article 313-1 du règlement général de l’AMF prévoit que « le prestataire de services d’investissement établit et maintient opérationnelles des politiques, procédures et mesures adéquates visant à détecter tout risque de non-conformité aux obligations professionnelles au II de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier ainsi que les risques en découlant et à minimiser ces risques. Pour l'application de l'alinéa précédent, le prestataire de services d'investissement tient compte de la nature, de l'importance, de la complexité et de la diversité des services d'investissement qu'il fournit et des activités qu'il exerce » ; que, l’article 313-2 du même règlement ajoute que la fonction de contrôle interne « établit et maintient opérationnelle une fonction de conformité efficace exercée de manière indépendante » avec pour mission notamment de « contrôler et, de manière régulière, évaluer l'adéquation et l'efficacité des politiques, procédures et mesures mises en place en application de l'article 313-1, et des actions entreprises visant à remédier à tout manquement du prestataire de services d'investissement et des personnes concernées à leurs obligations professionnelles mentionnées au Il de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier » ; que, selon l’article 313-3 1° du même règlement « la fonction de conformité dispose de l'autorité, des ressources et de l'expertise nécessaires et d'un accès à toutes les informations pertinentes » afin d’être en mesure d’assurer un suivi et un contrôle des activités du prestataire de services d’investissement ;
Considérant qu’aux termes de ces dispositions, tout prestataire de services d’investissement doit mettre en place des règles et des procédures permettant de garantir le respect, par ses salariés, des dispositions légales et réglementaires applicables ;
Considérant qu’il est fait grief à la société Y de n’avoir pas su « s’assurer du respect par ses salariés de ses procédures internes » ; qu’en dépit de l’existence d’une procédure afférente aux « Restrictions relatives à la souscription de fonds sans autorisation de commercialisation de l’AMF (fonds « Non Cobés ») » en date du 21 mars 2004, la banque n’aurait pas été dotée d’un dispositif de contrôle et de conformité suffisamment efficace pour détecter et prévenir les pratiques de commercialisation active de fonds non autorisés à la commercialisation en France ;
4.1 Sur l’insuffisance du dispositif de conformité et la défaillance du contrôle des risques s’agissant du fonds X1
Considérant que, selon la société Y, son dispositif de contrôle ne lui a pas permis de détecter la pratique de commercialisation active portant sur le fonds X1 ; que la banque allègue que la procédure interne mise en place rappelle, au titre des « principes réglementaires », que « les fonds n’ayant pas reçu un agrément de commercialisation de l’AMF ne peuvent être commercialisés sur le territoire français » ; qu’aux termes de cette procédure interne, le service « Back office titres » devait établir un « reporting » des souscriptions portant sur des fonds non commercialisables en France et « l’adresser mensuellement aux membres du directoire, au responsable de la conformité et au contrôle interne » ;
Considérant, cependant, qu’a été identifié un seul rapport, qui semble avoir été réalisé au titre du contrôle permanent en décembre 2007, bien qu’il soit daté de mars 2008 ; que la société Y a indiqué avoir « constaté que ce reporting n’était pas transmis aux destinataires ce qui a conduit à rectifier cette erreur et à circulariser à partir de juillet 2008 ledit reporting » ; qu’il se déduit de ce qui précède que ni le contrôle interne ni le service de la conformité n’ont disposé des informations nécessaires pour assurer un contrôle et un suivi des activités des salariés ;
Considérant que la société Y ne saurait soutenir que la signature d’une lettre de décharge « a pu induire le contrôle interne de la banque en erreur », dès lors que la défaillance du dispositif de contrôle doit s’apprécier en amont de la signature par les clients d’une telle lettre, laquelle n’est d’ailleurs pas de nature à exonérer la banque de sa responsabilité en cas de non-respect des prescriptions réglementaires ;
Considérant que la banque, qui indique ne pas avoir détecté les agissements de son préposé, fait valoir que ceux-ci ont concerné un nombre très réduit de clients ; que les souscriptions au fonds X1 ont pourtant été recueillies pendant une très longue période, d’ailleurs en partie prescrite, excédant cinq ans ; qu’ainsi, durant plusieurs années, n’auraient été relevés ni les actes de commercialisation active, ni les mails échangés entre M. B et ses clients, ni les conversations téléphoniques enregistrées à partir du poste de cet ancien salarié ; que, manifestement, le dispositif de contrôle a été durablement défaillant, qu’il s’agisse de prévenir, de détecter ou de combattre les pratiques litigieuses ;
Considérant que la défaillance du dispositif de conformité est, s’il en était besoin, illustrée par une conversation téléphonique intervenue le 15 décembre 2008 entre le RCSI de la société Y et la subordonnée de M. B, à la suite de l’appel d’un client ayant fait part au premier de son mécontentement à propos de l’investissement dans le fonds X1 ; qu’au cours de cet échange, le RCSI a fait état des arguments développés par ce client et indiqué : « C’est bien documenté tout ça parce que comme il me dit, et juridiquement ça tient debout, y me dit « pourquoi j’aurais acheté un fonds X1 si on me l’a pas proposé, un fonds du Groupe, donc après je sais pas comment ça a été commercialisé, hein » ; ce à quoi la salariée réplique : « Ben tu sais, heu, ... c’est un fonds sur lequel il y avait un recul de 14 ans avec une très très bonne gestion bon de toute bonne foi, même si on l’a conseillé, on a fait notre boulot, hein » ;
Considérant que l’absence de réaction du RCSI est révélatrice, d’une part, de son ignorance quant aux modalités de commercialisation du fonds litigieux, d’autre part, d’une surprenante ataraxie face à des pratiques de commercialisation active qui n’auraient pas dû être tolérées ; qu’il apparaît, dès lors, que la fonction de conformité n’était ni « opérationnelle », ni « efficace » ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le manquement est constitué en tous ses éléments ;
4.2 Sur l’insuffisance du dispositif de conformité et la défaillance du contrôle des risques s’agissant du fonds X2
Considérant qu’est également reprochée à la société Y la défaillance de ses dispositifs de contrôle et de conformité, au motif que la commercialisation active, par ses équipes, du fonds X2 n’a pas été détectée ;
Considérant qu’en elle-même, cette pratique de commercialisation active ne fait pas l’objet d’un grief autonome, alors que tel est le cas pour le fonds X1 (2) ; qu’il est toutefois établi que la souscription au fonds X2 ne procédait pas d’une initiative spontanée des clients, mais était consécutive à la présentation et à la recommandation de ce fonds par les préposés de la société Y ; que ce constat ressort de huit conversations téléphoniques en date du 19 septembre 2007, identifiées par la mission de contrôle, attestant d’une démarche de commercialisation active généralisée auprès de chaque client contacté ; que ce fonds faisait en effet systématiquement l’objet d’une présentation ; qu’ainsi, un salarié de la société Y a indiqué au cours de l’une de ces conversations vouloir « évoquer une idée de placement », précisant à son interlocuteur : « vous savez ou ne savez pas, que le groupe Y lance très prochainement un fonds de fonds de micro finance » ;
Considérant que les incitations des clients à souscrire à un fonds qui, n’ayant pas encore vu le jour et étant situé à l’étranger, ne pouvait être connu d’eux, s’expliquent par une forte détermination, clairement manifestée par les préposés de la banque dans leurs échanges (cotes D 492 et suivantes), à lever tous les obstacles afin d’obtenir les souscriptions indispensables au lancement de ce fonds ;
Considérant que, s’il résulte de ce qui précède (1.2) que des accords de souscription spéciaux et exprès ont bien été donnés par ces clients, il demeure que les modalités de commercialisation ayant consisté à leur présenter et à leur recommander le fonds, dont ils ignoraient l’existence, puis à tout mettre en œuvre pour obtenir les souscriptions auxquelles ceux-ci ont été activement incités, sont proscrites, s’agissant d’une SICAV luxembourgeoise non coordonnée et non autorisée à la commercialisation en France ;
Considérant que, selon la banque, si le dispositif de contrôle n’a pas relevé d’« anomalie » à ce sujet, c’est en raison de la dérogation accordée par sa direction générale, transmise oralement, autorisant ses préposés à investir dans ce fonds dans la limite de 5% du montant des portefeuilles gérés ; qu’elle ne saurait cependant justifier ainsi l’absence de détection d’une pratique interdite ; que l’autorisation générale qui a été donnée, dont la société Y admet qu’elle était « dérogatoire aux règles internes et exceptionnelle », était en effet illicite, s’agissant d’un fonds qui échappait aux prévisions des mandats de gestion et qui, inconnu des clients, ne pouvait faire l’objet que d’une commercialisation active ;
Considérant qu’en se comportant ainsi, la banque n’a pas respecté ses obligations professionnelles, ce qui suffit à caractériser la défaillance de son dispositif de contrôle ; qu’en outre, le fait que des instructions contraires aux règles de procédure internes aient été données aux salariés de la société Y sans avoir fait l’objet d’une formalisation précise par le RCSI caractérise un manquement aux prescriptions des articles 313-1 à 313-3 du règlement général de l’AMF ;
Considérant que le dispositif de conformité et de contrôle des risques de la société Y s’est par conséquent avéré insuffisant pour détecter et prévenir une transgression, par la banque, de ses obligations professionnelles, notamment celle de respecter l’interdiction de toute commercialisation active en France d’un fonds étranger non coordonné ; qu’ainsi, la société Y n’a pas exercé son activité avec le soin et la diligence qui s’imposent ; que le manquement est constitué en tous ses éléments ;
5. SUR LE GRIEF RELATIF A LA DEFAILLANCE DU DISPOSITIF DE CONTROLE DES PRESTATAIRES
ET DE LA GESTION DES CONFLITS D’INTERETS
5.1 Sur la défaillance du dispositif de contrôle des prestataires et la gestion des conflits d’intérêts
Considérant qu’est reprochée à la société Y la défaillance de son dispositif de contrôle à propos des prestations réalisées par l’un de ses prestataires, la société Z ; qu’en outre, la mission de contrôle aurait révélé l’existence d’un « lien privé » entre, d’un côté, le préposé de la société Y ayant signé les bons à payer des factures de la société Z, de l’autre, le président de cette société ; qu’en l’absence d’identification de cette situation de conflit d’intérêts, la société Y n’aurait pas respecté ses obligations professionnelles « du fait des agissements de l’un de ses salariés et de la faiblesse de son dispositif de contrôle » ;
Considérant que la société Z a pour objet social, notamment, le conseil en sélection de fonds d’investissement, le conseil en matière d’allocation d’actifs et l’ingénierie financière ; que, si le versement d’une rémunération calculée sur les droits d’entrée facturés aux clients souscripteurs du fonds X1 n’est pas contesté par la société Y, il apparaît que cette rémunération pouvait correspondre aux informations financières fournies par ce prestataire ; que la conclusion du rapport de contrôle, selon laquelle « la société Y aurait mis en place un circuit de rémunération d’un intermédiaire, avec pour objectif de rendre possible la souscription de ce fonds non commercialisable par les clients » n’est aucunement démontrée ; que n’est pas davantage établie l’existence du « lien privé » objet de la notification de griefs ;
Considérant ainsi que le manquement ne sera donc pas retenu ;
5.2 Sur l’information des clients en matière de rémunérations et avantages
Considérant qu’il est reproché à la société Y de ne pas avoir informé les souscripteurs du fonds X1 du versement d’une rémunération à la société Z, contrairement à ce que prescrit, depuis le 1er novembre 2007, l’article 314-76 du règlement général AMF, s’agissant des « prestations améliorant la qualité du service rendu » ;
Considérant que le 2° de l’article 314-76 précité dispose que le prestataire de services d’investissement doit, lorsque la rémunération, la commission ou l’avantage non monétaire est « versé ou fourni à un tiers », respecter les conditions suivantes : a) Le client est clairement informé de l'existence, de la nature et du montant de la rémunération, de la commission ou de l'avantage ou, lorsque ce montant ne peut être établi, de son mode de calcul. Cette information est fournie de manière complète, exacte et compréhensible avant que le service d'investissement ou connexe concerné ne soit fourni. Le prestataire de services d'investissement peut divulguer les conditions principales des accords en matière de rémunérations, de commissions et d'avantages non monétaires sous une forme résumée, sous réserve qu'il s'engage à fournir des précisions supplémentaires à la demande du client et qu'il respecte cet engagement ; b) Le paiement de la rémunération ou de la commission, ou l'octroi de l'avantage non monétaire, a pour objet d'améliorer la qualité du service fourni au client et ne doit pas nuire au respect de l'obligation du prestataire de services d'investissement d'agir au mieux des intérêts du client » ;
Considérant que cet article exige donc que soit fournie, « avant que le service d'investissement ou connexe concerné ne soit fourni », une information « complète, exacte et compréhensible » sur la rémunération versée à un tiers ;
Considérant qu’au regard de cette exigence, l’information sur la possibilité du versement d’une rémunération telle que donnée par la société Y à ses clients à l’occasion de l’envoi des « Principales conditions tarifaires – Edition septembre 2007 », n’était pas suffisante, puisqu’il était seulement mentionné que « Y est susceptible de percevoir des rétrocessions au titre de certains investissements réalisés pour le compte de ses clients. Nous nous tenons à votre disposition pour tout complément d’information » ;
Considérant, en effet, qu’une telle mention ne permet pas, à l’évidence, de déterminer la nature, le mode de calcul de cette rémunération ou l’identité de la personne qui la verse ou qui la perçoit ; qu’ainsi, sans qu’il soit besoin d’apprécier la condition relative à l’amélioration de la qualité du service rendu, le manquement à l’article 314-76 du règlement général de l’AMF concernant les rémunérations ou avantages est caractérisé ;
SUR LES SANCTIONS ET LA PUBLICATION
Considérant qu’aux termes de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans sa version issue de la loi n° 2005-1564 du 15 décembre 2005, les sanctions encourues sont « l'avertissement, le blâme, l'interdiction à titre temporaire ou définitif de l'exercice de tout ou partie des services fournis ; la Commission des sanctions peut prononcer soit à la place, soit en sus de ces sanctions une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 1,5 million d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés » ; que la loi du 4 août 2008 a porté le montant de la sanction pécuniaire encourue à 10 millions d’euros ;
Considérant que le manquement retenu à l’encontre de M. B, qui l’a conduit à commercialiser de façon active auprès des clients de son employeur des parts de fonds non autorisés à la commercialisation en France, justifie le prononcé d’une sanction de 20 000 euros ;
Considérant que les manquements commis par la société Y sont révélateurs d’une grave défaillance des missions de contrôle des risques et de la conformité, qui a eu pour effet de priver ses clients de certains des mécanismes de protection qui auraient dû les préserver des risques auxquels ils ont été exposés ; qu’il convient toutefois de prendre également en considération l’indemnisation versée, à hauteur de 2 332 000 euros, aux clients ayant invoqué un préjudice du fait des souscriptions au fonds X1 et la prise en charge, par la banque, de l’ensemble des frais de liquidation du fonds X2, les souscripteurs ayant bénéficié selon la mise en cause « d’une rémunération proche du monétaire » ;
Considérant, enfin, qu’en sa qualité de société absorbante de la société Y, la société X n’encourt qu’une sanction pécuniaire, son nom ne devant pas être rendu public ;
Considérant, en conséquence, que sera prononcée à l’encontre de la société X une sanction pécuniaire de 180 000 euros ; que la publication de la présente décision, ne risquant ni de perturber gravement les marchés financiers ni de causer un préjudice disproportionné aux mis en cause, sera ordonnée, mais sous une forme préservant leur anonymat ;
PAR CES MOTIFS,
Et après en avoir délibéré, sous la présidence de Mme Claude Nocquet, par M. Michel Pinault, Mme France Drummond et M. Jean-Jacques Surzur, membres de la Commission des sanctions, en présence du Secrétaire de séance,
DÉCIDE DE :
- prononcer à l’encontre de la société X, venant aux droits de la société Y, une sanction pécuniaire de 180 000 € (cent quatre-vingt mille euros) ;
- prononcer à l’encontre de M. B une sanction pécuniaire de 20 000 € (vingt mille euros) ;
- publier, sous une forme anonymisée, la présente décision sur le site Internet de l’Autorité des marchés financiers.