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Décisions

AMF, 25 avril 2019, n° SAN-2019-05

AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Membres :

M. Field, Mme Le Lorier, Mme Meyenberg

Président :

Mme Tric

AMF n° SAN-2019-05

24 avril 2019

La 1re section de la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (ci-après « AMF ») :

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment son article 267 ;

Vu le règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché, notamment ses articles 7, 8, 10, 14 et 17 ;

Vu le code monétaire et financier, notamment ses articles L. 621-15, L. 621-30 et R. 621-38 ;

Vu le règlement général de l’AMF, notamment ses articles 144-2-1, 223-2, 621-1, 622-1 et 622-2 ;

Après avoir entendu au cours de la séance publique du 28 mars 2019 :

- Mme Edwige Belliard, en son rapport ;

- M. Benjamin Mauduit, représentant le collège de l’AMF ;

- Mme Natalie Verne, représentant la directrice générale du Trésor, qui a indiqué ne pas avoir d’observations à formuler ;

- La société Iliad représentée par M. D en qualité de Directeur général, et assistée de Mes Jean-Pierre Martel, Diane Lamarche, et Félix Thillaye du cabinet Orrick Rambaud Martel ;

- M. Maxime Lombardini, assisté Mes Frédéric Peltier, Dessizlava Zadgorska et Olivier Diaz du cabinet Dethomas Peltier Juvigny & Associés ;

- M. C, assisté de Mes Jean-Philippe Pons-Henry et Marie Robert-Schmid du cabinet Gide Loyrette Nouel ;

- M. A, assisté de Mes Nicolas Mennesson et Olivier Gutkès du cabinet Darrois Villey Maillot Brochier ;

- M. B, assisté de Mes Jean-Yves Garaud, Chloé Saynac et Gonzague d’Aubigny du cabinet Cleary Gottlieb Steen & Hamilton ;

- La société X1, venant aux droits de la société X, représentée par, M. V, et assistée de Mes Thierry Gontard et Marie-Christine Chaput du cabinet Simmons & Simmons ;

- Mme Maïté Ganzin et M. Jean-Pierre Vogel, interprètes pour l’AMF.

Les mis en cause ayant eu la parole en dernier.

FAITS

Iliad SA (ci-après « Iliad ») est une société anonyme à conseil d’administration, dont le siège social est situé à Paris. Sa filiale la plus importante est la société Free, fournisseur d’accès Internet.

L’action Iliad (FR0004035913) est admise aux négociations sur le compartiment A d’Euronext Paris.

Le 31 juillet 2014, Iliad a, par communiqué de presse, annoncé au public avoir déposé une offre portant sur l’acquisition d’une participation majoritaire dans le capital de la société de droit américain T-Mobile US Inc. (ci-après « T-Mobile »), filiale de Deutsche Telekom et quatrième opérateur téléphonique des États-Unis.

Cette offre proposait l’acquisition de 56,6% du capital de T-Mobile pour un montant de 15 milliards d’euros. Chaque actionnaire de T-Mobile se voyait proposer de céder 56,6% de ses actions au prix de 33 dollars par action, puis de percevoir pour le reliquat, soit 43,4%, des actions de la nouvelle société T-Mobile, post acquisition. Pour financer le projet, Iliad entendait s’appuyer sur un financement bancaire et une augmentation de capital à laquelle son fondateur, M. E, devait souscrire personnellement.

A la date du communiqué, T-Mobile était déjà en discussion avancée pour une fusion avec la société Sprint, troisième opérateur de téléphonie aux Etats-Unis. Le 6 août 2014, l’opérateur Sprint a annoncé avoir renoncé à son offre sur T-Mobile.

Le 3 octobre 2014, le site d’information Bloomberg a révélé qu’Iliad étudiait la possibilité de déposer une offre améliorée sur T-Mobile.

Le 13 octobre 2014, Iliad a publié un communiqué annonçant que les actionnaires de T-Mobile avaient décliné les offres présentées par le groupe qui, en conséquence, avait décidé de mettre fin à son projet d’acquisition de l’opérateur américain.

PROCÉDURE

Le 9 décembre 2014, le secrétaire général de l’AMF a décidé l’ouverture d’une enquête sur le marché du titre Iliad à compter du 1er juin 2014. Le 2 juin 2015, l’enquête a été étendue à l’information financière.

Le 16 septembre 2016, la direction des enquêtes et des contrôles de l’AMF a adressé à la société Iliad, ainsi qu’à MM. F, A, Maxime Lombardini, B et C des lettres les informant de manière circonstanciée des faits susceptibles de leur être reprochés au regard des constats des enquêteurs et de la faculté qui leur était offerte de présenter des observations dans le délai d’un mois.

Ces lettres circonstanciées indiquaient que « les investigations diligentées par la Direction des enquêtes de l’AMF ont permis de constater que dès le 9 juillet 2014, l’information relative au projet d’offre sur T-Mobile US paraît avoir présenté les caractéristiques d’une information privilégiée ».

Des observations en réponse ont été respectivement présentées par la société Iliad, MM. F et Maxime Lombardini le 14 octobre 2016, par M. B le 18 novembre 2016 et par M. A le 21 novembre 2016.

Les éléments de fait et de droit consigné par les enquêteurs dans le cadre des investigations ainsi que les observations reçues en réponse aux lettres circonstanciées ont été présentés au collège de l’AMF, réuni en formation plénière, lors de sa séance du 14 février 2017, à la suite de laquelle il a été décidé d’adresser de nouvelles lettres circonstanciées afin de recueillir les observations que les personnes susceptibles d’être mises en cause souhaiteraient apporter sur une analyse des faits retenant que le projet relatif à l’acquisition de T-Mobile par Iliad présentait les caractéristiques d’une information privilégiée dès le 2 juillet 2014.

Le 6 mars 2017, la direction des enquêtes et des contrôles de l’AMF a adressé aux sociétés Iliad et X, ainsi qu’à MM. A, Maxime Lombardini, B et C des lettres les informant de manière circonstanciée des faits susceptibles de leur être reprochés au regard des constats des enquêteurs et de la faculté qui leur était offerte de présenter des observations dans le délai d’un mois.

Des observations en réponse ont été respectivement présentées par M. Maxime Lombardini le 3 avril 2017, la société Iliad et M. B le 6 avril 2017, et la société X le 2 mai 2017.

L’enquête a donné lieu à un rapport daté du 22 juin 2017.

Le 4 juillet 2017, le collège de l’AMF réuni en formation plénière a décidé de notifier des griefs aux sociétés Iliad et X, ainsi qu’à MM. A, Maxime Lombardini, B et C.

Les notifications de griefs leur ont été adressées par lettres du 28 septembre 2017.

Les notifications de griefs retiennent qu’à partir du 2 juillet 2014, l’information relative au projet d’acquisition de la société T-Mobile par Iliad a présenté les caractéristiques d’une information privilégiée au sens de l’article 621-1 du règlement général de I’AMF.

Il est reproché à :

- la société Iliad, alors qu’elle n’était plus en mesure d’assurer la confidentialité de l’information privilégiée à compter du 17 juillet 2014, de n’avoir pas porté immédiatement et au plus tard le 24 juillet 2014 à la connaissance du public le projet d’acquisition de T-Mobile, en violation de l’article 223-2 du règlement général de l’AMF, ce projet n’ayant été publié par voie de communiqué de presse qu’après la parution d’un article du Wall Street Journal du 31 juillet 2014 ;

- M. Maxime Lombardini, directeur général de la société Iliad à l’époque des faits reprochés, alors qu’il détenait l’information privilégiée, de l’avoir utilisée en violation des articles 622-1 et 622-2 du règlement général de l’AMF ;

- M. C, salarié de la société X, alors qu’il circulait dans I’Eurostar à la place attenante à celle d’un collaborateur de la banque Y, d’avoir pris connaissance du projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad et d’avoir communiqué cette information à deux collaborateurs de la banque X, en ce compris M. A, et à M. B, en violation des articles 622-1 et 622-2 du règlement général de l’AMF ;

- M. A, salarié de la société X, alors qu’il avait pris connaissance du projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad qui lui avait été rapporté par M. C, d’avoir lui-même communiqué cette information au sein de la banque X et à MM. G, D et B, en violation des articles 622-1 et 622-2 du règlement général ;

- la société X, alors qu’elle détenait l’information privilégiée grâce à MM. C et A, de l’avoir diffusée au sein d’X sans aucune restriction ni précaution et auprès de tiers, en ce compris M. B, en violation des articles 622-1 et 622-2 du règlement général de l’AMF ;

- M. B, alors qu’il détenait l’information privilégiée, d’avoir donné instruction de céder l’intégralité des titres Iliad détenus par le [Fonds] dont il était analyste-gérant, en violation des articles 622-1 et 622-2 du règlement général de l’AMF.

Le 28 septembre 2017, une copie des notifications de griefs a été transmise à la présidente de la commission des sanctions, conformément aux dispositions de l’article R. 621-38 du code monétaire et financier.

Par décision du 12 octobre 2017, la présidente de la commission des sanctions a désigné Mme Edwige Belliard en qualité de rapporteur.

Par lettres du 7 novembre 2017, les mis en cause ont été informés qu’ils disposaient d’un délai d’un mois, en application de l’article R. 621-39-2 du code monétaire et financier, pour demander la récusation du rapporteur dans les conditions prévues par les articles R. 621-39-3 et R. 621-39-4 du même code.

Par courrier du 13 novembre 2017, M. Maxime Lombardini a sollicité le versement au dossier de la procédure « du rapport tel qu’il a été présenté au Collège de l’AMF, le 14 février 2017 ». Par courrier du 29 novembre 2017, il a réitéré cette demande. Par courrier du 20 février 2018, le secrétaire général de l’AMF a refusé d’y faire droit. Par courrier du 1er juin 2018, M. Maxime Lombardini a soulevé la nullité de la procédure. Par courrier du 22 novembre

2018, il a demandé que lui soit précisé quelle commission spécialisée avait statué lors de la séance du collège du 14 février 2017. Par courrier du 27 décembre 2018, le secrétaire général de l’AMF a indiqué que l’enquête sur le marché du titre Iliad, étendue à l’information financière, avait été présentée au collège dans sa formation plénière.

Par courrier du 31 janvier 2019, M. Maxime Lombardini a demandé au secrétaire général de l’AMF de verser aux débats l'intitulé du point à l'ordre du jour contenu dans la convocation des membres du collège et dans le procès-verbal pour sa séance du 14 février 2017, ainsi que la première page du document élaboré par la direction des enquêtes présenté au collège.

Par courrier du 10 janvier 2018 M. B a sollicité le versement au dossier des extraits des procès-verbaux des séances du collège des 14 février et 4 juillet 2017. Par courrier du 20 février 2018, le secrétaire général de l’AMF a refusé de faire droit à cette demande.

Des observations en réponse à la notification de griefs ont été respectivement déposées le 29 novembre 2017 par la société Iliad, le 15 janvier 2018 par la société X et MM. A, Maxime Lombardini et B, et le 1er février 2018 par M. C.

Le rapporteur a entendu la société X le 20 novembre 2018, M. Maxime Lombardini le 22 novembre 2018, la société Iliad le 28 novembre 2018, M. C le 29 novembre 2018, M. B le 7 décembre 2018, M. A le 13 décembre 2018, et Mme H le 4 février 2019.

Dans le prolongement de ces auditions, plusieurs mis en cause ont déposé des observations complémentaires, respectivement les 4 décembre 2018 (s’agissant de la société Iliad), 12 décembre 2018 (s’agissant de la société X), 17 décembre 2018 (s’agissant de M. B) et 26 décembre 2018 (s’agissant de M. C). Mme H a communiqué certains documents le 11 février 2019.

Le rapporteur a déposé son rapport le 11 février 2019.

Par lettres du 12 février 2019, auxquelles était joint le rapport du rapporteur, les mis en cause ont été convoqués à la séance de la commission des sanctions du 28 mars 2019 et informés qu’ils disposaient d’un délai de quinze jours pour présenter des observations en réponse au rapport du rapporteur, conformément au III de l’article R. 621-39 du code monétaire et financier.

Par courrier reçu le 18 février 2018, M. C a sollicité de Mme le rapporteur qu’elle interroge le service courrier et la direction des enquêtes de l’AMF sur les modalités de traitement des courriers reçus à l’AMF et qu’elle recherche le cas échéant, dans les registres adéquats, la preuve de la réception par l'AMF des deux lettres circonstanciées retournées par X.

Par lettres du 21 février 2019, les mis en cause ont été informés de la composition de la formation de la commission des sanctions appelée à délibérer lors de la séance du 28 septembre 2018 ainsi que du délai de quinze jours dont ils disposaient, en application de l’article R. 621-39-2 du code monétaire et financier, pour demander la récusation d’un ou de plusieurs de ses membres, conformément aux articles R. 621-39-3 et R. 621-39-4 du même code.

Des observations en réponse au rapport du rapporteur ont été déposées le 27 février 2019 par la société Iliad et MM. Maxime Lombardini et B, le 6 mars 2019 par MM. A et C et le 7 mars 2019 par la société X1, venant aux droits de la société X.

M. Maxime Lombardini et X ont déposé des pièces respectivement le 20 et le 22 mars 2019.

Des observations complémentaires ont été déposées le 22 mars par M. C et le 27 mars 2019 par M. B.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I. Sur les moyens de procédure

1. Sur les moyens soulevés par MM. A et C, tirés de l’irrégularité de leur audition par les enquêteurs

1. MM. A et C soutiennent que la procédure est nulle au motif que les enregistrements et les retranscriptions de leurs auditions par la Financial Conduct Authority (ci-après « FCA ») sont versés au dossier alors que la FCA s’était engagée, lors de ces auditions, à ne pas utiliser les propos recueillis dans le cadre d’une procédure portant sur des faits éventuellement constitutifs d’abus de marché retenus contre eux, de sorte que leur présence au dossier constitue une violation du principe de loyauté dans l’administration de la preuve. M. A soutient encore que son audition est irrégulière pour avoir été réalisée en méconnaissance de la liberté fondamentale de se taire garantie

par l’article 6 de la CSDH.

2. Au cours de l’enquête, l’AMF a adressé à la FCA une demande d’assistance fondée sur l’article 16 de la directive abus de marché n° 2003/6/CE, le Memorandum of Understanding du Comité des régulateurs européens du 26 janvier 1999 et l’accord multilatéral portant sur la consultation, la coopération et l’échange d’informations signé dans le cadre de l’Organisation internationale des commissions de valeurs mobilières (ci-après « MMoU »). En exécution de cette demande, la FCA a convoqué MM. A et C selon une procédure de comparution obligatoire. Le

15 mars 2016, en préambule de leur audition, un agent de la FCA leur a indiqué qu’ils étaient entendus en application des sections 172 et 171 de la loi sur les services et les marchés financiers de 2000, qu’ils étaient tenus de répondre aux questions posées sous peine de poursuites pénales et que leurs réponses aux questions des enquêteurs « [pouvaient] constituer des éléments de preuve admissibles dans toute procédure, mais de façon générale pas dans une procédure engagée pour [leur] infliger une sanction pour abus de marché ».

3. Aux termes de l’article 9 d) du MMoU, « A moins que les Autorités n’en aient décidé autrement, les informations et documents demandés dans le cadre du présent Accord seront rassemblés conformément aux procédures en vigueur dans la juridiction de l’Autorité requise, par les personnes qu’elle aura désignées ». En l’absence de décision contraire, les conditions de recueil de l’audition de MM. A et C étaient donc régies par le droit applicable à la FCA.

4. En application de ce droit MM. A et C ont été contraints de répondre aux questions des enquêteurs sous peine de sanctions pénales mais ils ont obtenu la garantie que leurs propos ne pourraient être utilisés à titre d’élément de preuve dans le cadre de poursuites pour abus de marché.

5. ll est reproché dans le cadre de la présente procédure à MM. A et C d’avoir communiqué à des tiers une information privilégiée, manquement relevant de la catégorie des abus de marché.

6. Dès lors, il n’est pas possible d’utiliser leurs auditions. Les enregistrements et la retranscription de leurs auditions seront donc retirés du dossier de la présente procédure.

7. En outre, les extraits du rapport d’enquête qui reproduit une partie des déclarations faites par M. A devant les enquêteurs, seront cancellés.

8. Ni les notifications de griefs, ni le rapport du rapporteur ne se fondent sur les auditions litigieuses pour apprécier la caractérisation des manquements.

9. Contrairement à ce que soutient M. C, la notification de griefs ne se réfère pas au contenu de son audition pour justifier du fait que c’est le 15 juillet 2014 qu’il aurait rapporté à M. I les événements intervenus dans l’Eurostar, mais à un courriel du 18 juillet 2014 adressé par lui à M. I.

10. Enfin, il importe de noter que les mis en cause ont pu faire valoir, tout au long de la procédure de sanction, les moyens de fait et de droit qu’ils jugeaient utiles à leur défense, notamment en réponse aux notifications de griefs, au rapport du rapporteur et enfin au cours de la séance de la commission, de sorte que les éléments à décharge qu’ils auraient invoqués lors de leur audition dans les locaux de la FCA ont pu être développés ultérieurement.

11. En conséquence, il n’y a pas lieu de prononcer la nullité de l’ensemble de la procédure.

2. Sur les moyens tirés de l’absence d’envoi des lettres circonstanciées, soulevés par M. C

12. M. C fait valoir qu’alors qu’il avait indiqué lors de son audition par les enquêteurs qu’il n’était plus salarié d’X depuis le mois de décembre 2015, c’est à l’adresse d’X à Londres que les deux lettres circonstanciées lui ont été adressées les 16 septembre 2016 et 14 février 2017. Or, X ne lui a pas fait suivre ces courriers. Selon lui, le défaut d’envoi des lettres circonstanciées, en violation de l’article 144-2-1 du règlement général de l’AMF, entache d’illégalité la décision d’ouverture de la procédure de sanction à son égard en application du régime des nullités administratives dégagé par la jurisprudence du Conseil d’État, en particulier dans son arrêt du 23 décembre 2011, qui décide que si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie. Il soutient aussi que le défaut d’envoi des lettres circonstanciées constitue une violation du devoir de loyauté au cours de la procédure d’enquête.

Sur le non-respect des dispositions relatives à l’envoi des lettres circonstanciées

13. Aux termes de l’article 144-2-1 du règlement général de l’AMF dans sa rédaction issue de l’arrêté du 8 décembre 2010, toujours en vigueur : « Avant la rédaction finale du rapport d’enquête, une lettre circonstanciée relatant les éléments de fait et de droit recueillis par les enquêteurs est communiquée aux personnes susceptibles d’être ultérieurement mises en cause. Ces personnes peuvent présenter des observations écrites dans un délai qui ne peut être supérieur à un mois. Ces observations sont transmises au collège lorsque celui-ci examine le rapport d’enquête en application du I de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier. »

14. Les lettres circonstanciées ont été envoyées à M. C les 16 septembre 2016 et 14 février 2017 à l’adresse d’X à Londres. X a indiqué qu’en application de sa politique en matière de courrier, elle n’a pas fait suivre ces lettres à  M. C. Il n’est donc pas établi que M. C a reçu les deux lettres circonstanciées avant que le collège décide l'ouverture d'une procédure de sanction à son encontre.

15. Cependant, il n’appartient pas à la commission des sanctions de prononcer la nullité pour excès de pouvoir des décisions du collège de l’AMF de sorte qu’il n’y a pas lieu d’examiner plus avant la demande.

Sur la loyauté de l’enquête

16. L’enquête doit être loyale de façon à ne pas compromettre irrémédiablement les droits de la défense. La déloyauté ne se présume pas. Le mis en cause qui s’en prévaut doit en rapporter la preuve.

17. La lettre circonstanciée, dont l’envoi est une prescription de l’article 144-2-1 du règlement général de l’AMF, a pour objet de permettre aux personnes susceptibles d’être mises en cause de prendre connaissance des éléments de fait et de droit recueillis par les enquêteurs et de présenter des observations à l’attention tant des enquêteurs que de la formation du collège appelée à statuer sur les suites qui pourraient être données à l’enquête.

18. L’absence de réception des lettres circonstanciées a privé M. C de la possibilité de présenter ses observations devant le collège de l’AMF et d’une chance de le convaincre de ne pas le poursuivre.

19. La preuve que ces deux lettres ont été reçues par l’AMF ne résulte d’aucun élément. La déloyauté invoquée n’est donc pas établie.

20. Il convient de noter que la notification de griefs concernant M. C a été envoyée le

28 septembre 2017 à l’adresse d’X Londres, ainsi que celles concernant M. A et X. Le 20 octobre 2017, un employé d’X lui a demandé s’il souhaitait recevoir la copie originale de la notification de griefs. Il est ainsi certain que M. C a pris connaissance des griefs qui lui ont été notifiés. Il a constitué avocat le 15 novembre 2017. Son conseil a pris contact avec l’AMF et l’entier dossier de la procédure lui a été transmis par courrier le 20 novembre 2017. Le 5 février 2018, le mis en cause a fait parvenir ses observations en réponse à la notification de griefs. Au cours de l’instruction, il a été entendu par le rapporteur. Enfin, il a présenté des observations en réponse au rapport du rapporteur puis a fait valoir ses moyens de défense de fait et de droit lors de la séance publique de la commission des sanctions.

21. Ainsi, si regrettable qu’ait été l’atteinte portée aux droits de la défense de M. C, celle-ci n’a pas été irrémédiable.

22. Le moyen n’est donc pas fondé.

3. Sur les irrégularités liées à la séance du collège du 14 février 2017 et à l’envoi des lettres circonstanciées à X et M. Maxime Lombardini

23. M. Maxime Lombardini expose que tandis qu’il avait reçu une première lettre circonstanciée le

16 septembre 2016 qui indiquait que « dès le 9 juillet 2014, l’information relative au projet d’offre sur T-Mobile US paraît avoir présenté les caractéristiques d’une information privilégiée », le 6 mars 2017 la direction des enquêtes et des contrôles de l’AMF lui a envoyé une seconde lettre circonstanciée mentionnant d’une part que les éléments de faits et de droit consignés par les enquêteurs ainsi que ses observations avaient été présentées au collège de l’AMF lors de sa séance du 14 février 2017, au cours de laquelle il avait été décidé de lui adresser cette nouvelle lettre circonstanciée, d’autre part qu’il apparaissait selon une nouvelle analyse des faits que le projet d’acquisition de T-Mobile présentait les caractéristiques d’une information privilégiée « dès le 2 juillet 2014, et non à compter du 9 juillet 2014 ». Il soulève la nullité de la procédure au motif que le collège, saisi du rapport d’enquête, ne pouvait sans méconnaître le principe de la loyauté de l’enquête, ni surseoir à statuer sur la décision qu’il devait prendre quant à l’envoi ou non d’une notification de griefs, ni demander aux enquêteurs de modifier leurs conclusions en occultant les éléments à décharge.

24. X, qui n’a reçu qu’une seule lettre circonstanciée, à l’issue du collège du 14 février 2017, fait d’abord valoir que le collège n’avait pas compétence pour décider de l’envoi d’une lettre circonstanciée. Elle soutient, ensuite, que la lettre circonstanciée dont l’envoi a été décidé par le collège lui a été adressée alors que le rapport d’enquête était finalisé, hors de toute habilitation du secrétaire général de l’AMF. Elle affirme enfin, que l’enquête a été menée de manière déloyale dès lors que le collège a délibéré le 14 février 2017 sur la base d’un rapport d’enquête finalisésans qu’elle ait été entendue par les enquêteurs ni qu’elle ait eu la possibilité de contester les éléments recueillis par les enquêteurs.

Sur la décision du collège du 14 février 2017

25. Aux termes du I de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans sa version en vigueur du 22 février 2014 au 5 décembre 2015, non modifiée depuis dans un sens moins sévère : « Le collège examine le rapport d’enquête ou de contrôle établi par les services de l’Autorité des marchés financiers [...]. S’il décide l’ouverture d’une procédure de sanction, il notifie les griefs aux personnes concernées. ».

26. Aux termes de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après « CSDH ») :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

[...] / 3. Tout accusé a droit notamment à : (a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ; (b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ».

27. Les droits de la défense rappelés par ces stipulations s’appliquent seulement à la procédure de sanction, ouverte par la notification de griefs par le collège et par la saisine de la commission des sanctions, et non à la phase préalable d’enquête. Cependant, celle-ci doit être conduite de manière loyale et, d’une manière générale, se dérouler dans des conditions garantissant qu’il ne soit pas porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense des personnes auxquelles des griefs sont ensuite notifiés.

28. D’abord, si X soutient que le collège n’avait pas compétence pour décider de l’envoi d’une lettre circonstanciée, force est de constater que cette lettre n’émane pas du collège mais de la direction des enquêtes et des contrôles de l’AMF.

29. Ensuite, contrairement à ce que fait valoir la société X, aucun texte ni principe ne fait obstacle à ce que le collège appelé à statuer en vertu des dispositions précitées du I de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier décide de reporter sa décision dans l’attente d’éléments complémentaires qu’il jugerait utiles pour se prononcer.

30. Enfin, les exigences d’impartialité et d’indépendance édictées par l’article 6 de la CSDH sont applicables aux seules autorités de jugement. Ni les enquêteurs chargés d’élaborer le rapport d’enquête, ni le collège de l’AMF lorsqu’il statue sur d’éventuelles poursuites, ne sont tenus d’y satisfaire.

31. La procédure n’est donc pas entachée de nullité pour méconnaissance de la compétence du collège de l’AMF ou pour illégalité.

Sur la loyauté de l’enquête diligentée à l’égard de la société X

32. La décision d’engager des poursuites à l’encontre d’X a été prise le 4 juillet 2017 par le collège, seule instance pouvant décider de telles poursuites et en déterminer l’étendue.

33. Une lettre circonstanciée lui ayant été adressée le 6 mars 2017, X a pu, avant la décision de notifier des griefs, transmettre aux enquêteurs des documents et faire valoir des arguments en réponse à la lettre circonstanciée, à l’occasion de laquelle elle a eu accès aux principaux éléments du dossier sur lesquels les enquêteurs fondaient leur raisonnement. Ses observations ont, conformément aux dispositions de l’article 144-2-1 du règlement général de l’AMF, été transmises au collège avant qu’il ne décide l’ouverture d’une procédure de sanction.

34. Dans ces conditions, X ne démontre pas en quoi l’enquête aurait présenté un caractère déloyal. Son moyen tiré de la déloyauté de l’enquête n’est donc pas fondé.

Sur la loyauté de l’enquête diligentée à l’égard de M. Maxime Lombardini 

Les services d'enquête de l'AMF déterminent librement la nature et l'étendue des investigations auxquelles ils procèdent dans le cadre de l'enquête qui leur est confiée, à la condition que celle-ci ne soit pas déloyale.

36. Dès lors que les enquêteurs et le collège ne sont pas tenus, comme il l’a été rappelé ci-dessus, de satisfaire aux exigences d’impartialité et d’indépendance énoncées par l’article 6 de la CSDH, l’interférence du collège dans la rédaction du rapport d’enquête alléguée par M. Maxime Lombardini, à la supposer établie, ne suffit pas à elle seule à caractériser une telle déloyauté.

37. Sans démontrer ni même alléguer que les enquêteurs auraient soustrait de la procédure ou dénaturé des documents de nature à influer sur l’appréciation, par la commission des sanctions, des faits soumis à son examen, M. Maxime Lombardini se borne à affirmer que les éléments qui avaient initialement conduit les enquêteurs à écarter la date du 2 juillet 2014 manquent à la procédure. Cette allégation ne peut donc être prise en considération.

38. De plus, si la définition de l’information privilégiée relative au titre Iliad a évolué au cours de l’enquête, M. Maxime Lombardini a pu prendre connaissance de l’appréciation initiale des enquêteurs, puisque la première lettre circonstanciée qui lui a été adressée le 16 septembre 2016 indiquait que cette information avait présenté un caractère précis à compter du 9 juillet 2014 et contenait l’énoncé des considérations de fait et de droit au soutien de cette conclusion.

39. Enfin, la notification de griefs du 28 septembre 2017 a avisé M. Maxime Lombardini de manière détaillée de la nature et de la cause des poursuites engagées contre lui, notamment du périmètre de l’information privilégiée en cause. Au cours de la procédure de sanction ouverte par la notification de griefs, le mis en cause a eu l’occasion, à plusieurs reprises, et en dernier lieu devant la commission des sanctions, de faire valoir sa défense.

40. Ainsi, l’existence d’une déloyauté ayant compromis irrémédiablement l’exercice des droits de la défense n’est pas démontrée. En conséquence, le moyen pris de l’atteinte portée à ces droits n’est pas fondé.

4. Sur les moyens tirés de la violation du principe du contradictoire, soulevés par M. A et X

41. M. A fait valoir que les imprécisions des lettres circonstanciées, puis de la notification de griefs, sur la définition de l'information privilégiée ainsi que sur les transmissions de cette information qui lui sont reprochées ne lui ont pas permis d’appréhender la nature exacte des poursuites dirigées contre lui, en méconnaissance des exigences de l’article 6§3 de la CSDH.

42. X reproche au rapporteur d’avoir, dans son rapport, estimé que le grief de transmission de l’information privilégiée à M. D pouvait lui être imputé, alors que ce grief ne figurait pas dans la notification de griefs, en violation de l’article 6 de la CSDH.

43. Aux termes de l’article 6§3 de la CSDH : « 3. Tout accusé a droit notamment à : (a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ; (b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ».

44. Le contenu de la notification de griefs doit permettre à la personne mise en cause de comprendre précisément les faits qui lui sont reprochés et les manquements qu’ils pourraient constituer, afin que celle-ci puisse se défendre utilement.

Sur les termes de la notification de griefs adressée à M. A

45. La notification de griefs adressée à M. A indique, dans le paragraphe concluant la section intitulée « Sur le caractère privilégié de l'information relative au projet d'acquisition de la société T-MOBILE » : « il apparaît que l'information relative au projet d'acquisition de T-MOBILE par ILIAD était privilégiée, comme étant, au sens de l'article 621-1 du règlement général de I'AMF, non publique, précise et susceptible d'avoir une influence sensible sur le cours, à partir du 2 juillet 2014 ». Si elle se réfère à plusieurs reprises à « l'information privilégiée relative au projet d'acquisition de T-MOBILE » sans préciser que cette acquisition serait réalisée par la société Iliad, la notification de griefs définit sans ambiguïté dans un paragraphe conclusif l’information privilégiée comme « l'information relative au projet d'acquisition de T-MOBILE par ILIAD ». Le mis en cause n’a donc pas pu se méprendre sur sa définition, étant rappelé que, comme précisé par la notification, celle-ci a été envoyée à l’issue d’une enquête ouverte « sur le marché du titre ILIAD ». Par ailleurs, la notification de griefs, après avoir rappelé les dispositions de l’article 621-1 du règlement général de l'AMF relatives à l’obligation d’abstention de communication d’une information privilégiée, expose les faits suivants : « Il ressort des investigations que vous avez-vous-même transmis par emails, le 15 juillet 2014, les informations ainsi recueillies à deux collaborateurs d'X, MM. J et K. Par ailleurs, vous avez donné instruction à M. L de tenter d'obtenir d'éventuelles informations sur ce projet auprès d'un banquier de Z, M. G, qui, à l'époque, conseillait DEUTSCHE TELEKOM sur le projet de cession de T-MOBILE. Vous avez ensuite adressé, le 18 juillet 2014, un email à treize de vos collaborateurs d'X (dont MM. C, J, K et L) mentionnant les informations recueillies par M. C dans le but de parvenir à être mandaté en tant que banque conseil sur le financement de l'opération d'acquisition de T-MOBILE par ILIAD. Vous avez, à cette fin, vous-même contacté M. D, directeur financier d'ILIAD le 17 juillet 2014 puis vous avez donné instruction à M. L, l'un de vos collaborateurs, de persister à solliciter ILIAD (M. L ayant ainsi à nouveau pris contact avec M. D le 19 juillet 2014). [...] Par ailleurs, il ressort des investigations réalisées qu'en communiquant les informations que vous avez reçues de M. C le 15 juillet, vous pourriez être à l'origine de la transmission d'une information privilégiée qui, in fine, aurait été utilisée par M. B (lui- même en contact avec les collaborateurs d'X disposant de l'information privilégiée en cause) permettant ainsi de réaliser une économie de perte de1 674 088 euros pour le compte du [Fonds] dont M. B est l'un des gérants. » Elle conclut en indiquant : « Ces faits pourraient être constitutifs d'un manquement aux dispositions des articles 622-1 et 622-2 du règlement général de I'AMF ».

46. La notification de griefs décrit ainsi avec précision les faits de communication d’une information privilégiée reprochés à M. A qui a donc pu en prendre connaissance et les comprendre.

47. Les observations en réponse adressées le 15 janvier 2018 par le conseil de M. A, qui contestent tant le caractère privilégié de l’information relative au projet d'acquisition de T-Mobile par Iliad que la caractérisation des griefs de communication notifiés, démontrent qu’il a pu se défendre utilement.

48. Le moyen n’est donc pas fondé.

Sur les termes de la notification de griefs adressée à la société X

49. La notification de griefs adressée à la société X, après avoir rappelé les dispositions de l’article 621-1 du règlement général de l'AMF relatives à l’obligation d’abstention de communication d’une information privilégiée, expose les faits suivants : « Il ressort des investigations que M. A a transmis par emails, le 15 juillet 2014, les informations ainsi recueillies à deux collaborateurs d'une autre société du groupe X, MM. J et K. Par ailleurs, M. A a donné instruction à M. W, collaborateurs d'X, de tenter d'obtenir d'éventuelles informations sur ce projet auprès d'un banquier de Z, M. G, qui, à l'époque, conseillait DEUTSCHE TELEKOM sur le projet de cession de T-MOBILE. M. A a ensuite adressé, le 18 juillet 2014, un email à treize des collaborateurs d'X (dont MM. C, J, K et L) mentionnant les informations recueillies par M. C dans le but de parvenir à être mandaté en tant que banque conseil sur le financement de l'opération d'acquisition de T-MOBILE par ILIAD. M. A a, à cette fin, contacté M. D, directeur financier d'ILIAD le 17 juillet 2014 puis a donné instruction à M. L, l'un des autres collaborateurs, de persister à solliciter ILIAD (M. L ayant ainsi à nouveau pris contact avec M. D le 19 juillet 2014). »

Elle conclut en indiquant : « Ces faits pourraient être constitutifs d'un manquement aux dispositions des articles 622-1 et 622-2 du règlement général de I'AMF ». Elle ajoute que « Les investigations diligentées par la Direction des enquêtes et des contrôles de I'AMF ont permis de constater [...] qu'X [...] détenait cette information privilégiée qui a été diffusée à treize des collaborateurs, y compris appartenant à d'autres sociétés du groupe, sans aucune précaution ou restriction, certains d'entre eux ayant ensuite soit contacté des personnes directement impliquées dans l'opération en cause (à tout le moins ILIAD) [...] ».

50. La notification de griefs décrit ainsi avec précision les faits, reprochés à X, de communication d’une information privilégiée à M. D, directeur financier d’Iliad à l’époque des faits.

51. En conséquence, contrairement à ce qui est soutenu, le rapporteur n’a pas soulevé un grief nouveau.

52. Au surplus, le rapporteur ne donne qu’un avis qui ne lie pas la commission, de sorte que le moyen est inopérant.

53. En définitive, sauf à retirer du dossier l’enregistrement et la retranscription des auditions par les enquêteurs de MM. A et C et à canceller les déclarations de M. A aux enquêteurs, toutes les demandes des mis en cause seront rejetées

II. Sur les griefs notifiés

54. Les faits reprochés, qui se sont déroulés au mois de juillet 2014, seront examinés à la lumière des textes alors applicables, sous réserve de l’application rétroactive d’éventuelles dispositions moins sévères entrées en vigueur postérieurement.

1. Sur le caractère privilégié de l’information relative au projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad

55. Aux termes de l’article 621-1 du règlement général de l’AMF, dans sa version en vigueur du 15 juin 2014 jusqu’à son abrogation par l’arrêté du 14 septembre 2016 :

« Une information privilégiée est une information précise qui n’a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d’instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui si elle était rendue publique, serait susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés [...] / Une information est réputée précise si elle fait mention d’un ensemble de circonstances ou d’un événement qui s’est produit ou qui est susceptible de se produire et s’il est possible d’en tirer une conclusion quant à l’effet possible de ces circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers concernés [...] / Une information, qui si elle était rendue publique, serait susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés [...] est une information qu’un investisseur raisonnable serait susceptible d’utiliser comme l’un des fondements de ses décisions d’investissement. »

56. Le règlement MAR, entré en application le 3 juillet 2016, dispose, en son article 7 :

« 1. Aux fins du présent règlement, la notion d’« information privilégiée » couvre les types d’information suivants :

 a) une information à caractère précis qui n’a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d’influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés [...] ; 2. Aux fins de l’application du paragraphe 1, une information est réputée à caractère précis si elle fait mention d’un ensemble de circonstances qui existe ou dont on peut raisonnablement penser qu’il existera ou d’un événement qui s’est produit ou dont on peut raisonnablement penser qu’il se produira, si elle est suffisamment précise pour qu’on puisse en tirer une conclusion quant à l’effet possible de cet ensemble de circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers [...] 4. Aux fins du paragraphe 1, on entend par information qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d’influencer de façon sensible le cours des instruments financiers [...], une information qu’un investisseur raisonnable serait susceptible d’utiliser comme faisant partie des fondements de ses décisions d’investissement. »

57. Ces dispositions, qui définissent l’information privilégiée en des termes équivalents à ceux des dispositions précitées de l’article 621-1 du règlement général de l’AMF, ne sont pas moins sévères et ne sont donc pas susceptibles de recevoir une application rétroactive.

(a) Sur le caractère précis de l’information privilégiée

58. Les notifications de griefs retiennent que l’information relative au projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad était, à partir du 2 juillet 2014, précise, car :

- À cette date, toutes les parties prenantes à l’opération en étaient informées et participaient activement à la réussite du projet. Deux des principaux dirigeants d’Iliad, M. E (principal actionnaire et directeur général délégué) et M. D (directeur financier), étaient particulièrement impliqués dans le projet. Les équipes de Deutsche Telekom, principal actionnaire de T-Mobile, avaient fait part de leur impression favorable suite à leurs premières discussions relatives au projet intervenues le 3 juin 2014 avec M. D. Y ainsi que le cabinet d’avocats Paul Hastings avaient été sollicités par Iliad pour travailler sur le projet depuis début mai 2014. Le 1er juillet 2014, l’opération d’acquisition ainsi que les principales conditions de son financement (modalités d’acquisition des titres de T-Mobile et de restructuration de la dette de T-Mobile) avaient été présentées au conseil d’administration d’Iliad, celui-ci ayant autorisé la poursuite du projet en vue de déposer une offre non engageante dans les prochaines semaines.

- Ce projet impliquait d’augmenter l’endettement d’Iliad de manière significative (l’acquisition des titres T-Mobile devait être financée par un endettement minimum de 9 milliards d’euros accompagné d’une augmentation de capital d’Iliad comprise entre 4,4 et 11 milliards d’euros). Or, les banques avaient accepté de participer au financement des transactions intervenues dans le secteur des télécommunications à cette période reposant également sur un endettement significatif. Au cours du mois d’avril 2014, dans le cadre du rachat de SFR, Numericable et sa maison-mère, Altice, ont emprunté 12 milliards d’euros sur les marchés obligataires « haut rendement ». Quelques mois plus tard, en novembre 2014, et toujours dans le cadre du financement de cette acquisition, Numericable avait procédé à une augmentation de capital de 4,7 milliards d’euros. Ces montants s’avéraient supérieurs à ceux envisagés par Iliad pour financer son offre. En outre, le bureau d’analyse de Natixis soulignait, à la même période, qu’Iliad était moins endettée que ses concurrents. L’acquisition des titres de T-Mobile aurait conduit dès lors à augmenter le niveau d’endettement d’Iliad, mesuré par le ratio dette nette/EBITDA passant de 0,8 à 4,4. Les analystes de Natixis concluaient que ce niveau demeurait bien inférieur à celui des autres opérateurs français. Ce contexte permettait à Iliad d’avoir une assurance raisonnable quant à l’acceptation des banques de participer au financement de l’opération d’acquisition.

- Le lendemain de la réunion du conseil d’administration ayant autorisé la poursuite du projet, le

2 juillet 2014, la société Orange a annoncé, par un communiqué de presse, qu’elle renonçait au projet de rachat des titres de Bouygues Telecom aux côtés d’Iliad. À compter de l’abandon de cette opération d’envergure, le projet d’acquisition de T-Mobile demeurait le seul projet majeur de croissance externe d’Iliad et avait dès lors une chance raisonnable d’aboutir.

Selon les notifications de griefs, l’information portant sur ce projet était ainsi suffisamment précise à partir du 2 juillet 2014 pour provoquer des variations de cours si elle était rendue publique et, à tout le moins, était susceptible d’être utilisée par des investisseurs qui auraient eu connaissance de ce projet.

59. La société Iliad et M. Maxime Lombardini contestent le caractère précis de l’information et font valoir que les axes de réflexion présentés au conseil d’administration le 1er juillet 2014, relatifs au projet d’acquisition de T-Mobile, qui était alors à un stade très préliminaire de réflexion et auquel M. Maxime Lombardini n’était pas associé, ne pouvaient en aucune façon constituer un projet précis. Ils ajoutent que le financement de l’acquisition envisagée, sans lequel celle-ci n’avait aucune chance d’aboutir, était très aléatoire tant le 2 juillet 2014 que le 9 juillet 2014, les banques n’ayant accepté de participer au financement que le 24 juillet suivant. Ils soutiennent en outre qu’Iliad ne pouvait sérieusement tirer du contexte économique dans lequel le projet d’acquisition de T-Mobile s’inscrivait une assurance raisonnable que les banques accepteraient de participer à son financement, dans la mesure où les opérations de rapprochement dans le secteur des télécoms auxquelles la notification de griefs se réfère n’étaient en rien similaires au projet de rapprochement entre Iliad et T-Mobile, et que la date à laquelle Orange avait annoncé son abandon du projet de rachat des actifs de Bouygues Télécom était dépourvue de pertinence pour apprécier la précision de l’information en cause.

60. Le caractère précis d’une information sur un projet d’offre publique est établi si le projet est suffisamment défini pour avoir des chances raisonnables d’aboutir, peu important l’existence d’aléas inhérents à toute opération de cette nature quant à la réalisation effective de ce projet. Ainsi, en matière d’offres publiques, le critère de précision ne requiert pas, pour être établi, que le conseil d’administration ait formellement approuvé l’opération, ni que ses modalités définitives soient arrêtées, ni que le prix ait été fixé.

61. Il résulte des pièces de la procédure les éléments suivants :

62. En premier lieu, le contexte général était, au cours du premier semestre 2014, celui de réorientations dans les Télécom.

- En janvier 2014 : l’Autorité de la concurrence a autorisé l’acquisition du câblo-opérateur Numericable par Altice,

- En février 2014, le nouvel ensemble Altice-Numericable a affiché son intention d’acquérir SFR pour un prix estimé à 15 milliards d’euros ;

- Au mois de mars 2014, Bouygues Telecom a également affiché son intention d’acquérir SFR et a initié un jeu de surenchère contre Altice-Numericable ; Vivendi, propriétaire de SFR a finalement accepté l’offre d’Altice-Numericable en avril 2014

- En mai 2014, Altice-Numericable a annoncé un projet de rachat de Virgin Mobile ;

- En mai 2014, Orange et Iliad ont engagé conjointement un projet d’acquisition des actifs de Bouygues Telecom.

63. Dans ce contexte, Iliad était la moins endettée des opérateurs français dans ce secteur en recomposition.

64. En second lieu, dans le contexte américain, T-Mobile était un acteur dont la stratégie commerciale était très proche de celle de Free, la principale filiale d’Iliad. T-Mobile tentait à l’époque des faits de prendre des parts de marché aux deux grands opérateurs américains Verizon et AT&T en provoquant, comme l’avait fait Free en France, une« guerre des prix » sur la téléphonie. Le projet d’acquisition de T-Mobile aurait permis à Iliad de trouver de nouveaux relais de croissance sur le plus grand marché du monde, celui des Etats-Unis, marché oligopolistique dominé par deux acteurs, en conduisant la même stratégie que celle qui avait déjà été menée avec succès par M. E en France.

De son côté, Deutsche Telekom cherchait depuis plusieurs années à se séparer de sa filiale américaine T-Mobile.

Des négociations étaient entamées depuis de longs mois avec Sprint (le 3ème opérateur des Etats-Unis). Ce projet de rapprochement entre le 3ème opérateur, Sprint et le 4ème opérateur des Etats-Unis, T-Mobile, était bloqué depuis le mois de janvier 2014 par les autorités de la concurrence américaines, opposées à une concentration entre deux acteurs américains dans un marché considéré déjà comme peu concurrentiel. Or, contrairement à Sprint, Iliad, qui n’était pas implantée aux Etats-Unis, n’était pas soumise à l’obtention d’un accord des autorités de la concurrence pour réaliser une fusion avec T-Mobile, ce qui facilitait la possibilité d’un rapprochement entre le français Iliad et l’américain T-Mobile.

65. Enfin, le contexte était particulièrement favorable sur le marché de la dette. La presse économique soulignait à cette époque l’extraordinaire liquidité du marché de la dette qui avait besoin d’opérations de financement importantes pour placer ses fonds. L’acquisition de SFR par Altice Numericable intervenue au mois d’avril 2014, portant sur un montant d’un ordre de grandeur similaire (13,5 milliards d’euros), en est l’un des exemples, ces sociétés ayant emprunté 12 milliards d'euros sur les marchés obligataires à « haut rendement » et Numericable ayant procédé à une augmentation de capital de 4,7 milliards d'euros. Les commentateurs de l’époque indiquaient que l’acquisition de SFR signait le retour des dettes géantes qui répondait au fort appétit des investisseurs pour le crédit aux entreprises.

66. Dans le même sens, le dossier montre qu’une information obtenue par un collaborateur junior de la banque X dans un train et à l’insu d’un tiers a conduit à mobiliser en quelques heures une équipe de 14 personnes en France, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis pour monter une offre de financement sur une opération d’un montant d’au minimum 15 milliards d’euros.

67. C’est dans ce contexte qu’ont eu lieu les faits suivants :

- En avril 2014, M. E a « commencé à réfléchir » au projet d’acquisition de T-Mobile. En mai 2014, il a demandé à M. D, alors directeur financier d’Iliad, « qu’il regarde le sujet » et avant la fin du mois, la société a mandaté Y pour travailler sur le projet.

- Le 3 juin 2014, M. D s’est rendu à Düsseldorf pour présenter aux dirigeants de Deutsche Telekom, actionnaire majoritaire de T-Mobile, une première ébauche de projet d’acquisition consistant pour Iliad à prendre une participation à hauteur de 50,1% du capital de T-Mobile. Dans sa version initiale, Iliad prévoyait d’acquérir 75% des actions de T-Mobile détenues par Deutsche Telekom, pour un montant de 10,8 milliards d’euros.

- Le 4 juin 2014, M. D a indiqué par courriel à M. F, associé-gérant de Y en charge du dossier : « F, on a fait le point avec E. On se met en ordre de bataille pour shooter une offre fin juin ». Le même jour, M. F a rapporté à M. D que les représentants de Deutsche Telekom rencontrés la veille « étaient très contents aussi du meeting » et « qu’ils sont prêts à faire des efforts pour [...] aider sur les 30% ».

- Le 5 juin 2014, M. D a envoyé un courriel aux dirigeants de Deutsche Telekom qu’il avait rencontrés quelques jours plus tôt, les informant qu’Iliad avait besoin d’un peu de temps pour travailler sur le projet et qu’il devrait revenir vers eux dans les prochaines semaines.

- Le 10 juin 2014, M. F a adressé à M. D un premier projet de lettre d’offre indicative. Le 24 juin 2014, M. D a communiqué par courriel à plusieurs dirigeants d’Iliad, dont M. Maxime Lombardini (alors directeur général) et M. N (alors président du conseil d’administration), les détails du projet d’acquisition de T-Mobile, la structuration envisagée étant présentée comme suit : « Iliad deviendrait actionnaire en direct de T-Mobile à hauteur de [51% - 80%] avec une dette d’acquisition (hors dette opérationnelle) maximum de 9,2 milliards d’euros ».

- Le 27 juin 2014, M. D a pris contact avec M. O, collaborateur de la banque HSBC, pour lui présenter le projet.

- Le 1er juillet 2014, M. D a présenté le projet d’acquisition au conseil d’administration d’Iliad. Dans sa présentation, M. D a indiqué : « il s’agirait pour Iliad de se porter acquéreur de 100% du capital de T-Mobile US à 34$ par action. Le financement de l’opération se réaliserait pour partie en numéraire (jusqu’à 9 milliards de dollars) et pour partie en nouvelles actions Iliad émises à 240 euros par action. Le montant total de la transaction s’élèverait entre 13,4 milliards d’euros et 20,1 milliards d’euros ». Selon les termes du procès-verbal de la séance du conseil d’administration, relu et validé, à l’issue de la séance, le conseil d’administration a autorisé « Messieurs Lombardini et D à poursuivre la réalisation du projet notamment à l’effet de déposer une offre non engageante dans les prochaines semaines ». Le même jour, après la séance, M. D s’est entretenu du projet avec les représentants des banques retenues pour le financement de l’opération, BNP Paribas et HSBC.

- Le 2 juillet 2014, la société Orange a publié un communiqué de presse annonçant qu’elle « a exploré les possibilités de participer à une opération de consolidation du marché français des télécoms, et juge que les conditions que le Groupe avait fixées ne sont pas réunies aujourd’hui pour y donner suite ». Cette annonce a mis fin au projet de partenariat entre Iliad et Orange visant à acquérir les actifs de Bouygues Telecom.

68. Il résulte de ces éléments, en particulier des courriels échangés après la rencontre de M. D avec

Deutsche Telekom, du procès -verbal du 1er juillet 2014 et de la rencontre avec les deux banques chargées du financement que, contrairement à ce qu’affirment les mis en cause, le projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad avait, dès le 1er juillet 2014, pris sa consistance et qu’il était alors sérieusement envisagé par Iliad comme par ses partenaires banquiers, tandis qu’aucun obstacle à l’obtention des financements qui aurait empêché Iliad d’augmenter son endettement n’avait été identifié en interne, pas plus qu’un obstacle à une émission obligataire ou une augmentation de capital. L’abandon, le 2 juillet 2014, par la société Orange du projet de rachat des actifs de

Bouygues Telecom aux côtés d’Iliad rendait plus facile l’obtention de financement d’Iliad pour l’acquisition de T-Mobile, Iliad considérant elle-même qu’elle ne pouvait pas mener les deux opérations de front.

69. Dès lors, au 2 juillet 2014, même si la structure financière du projet n’était pas définitive et que les lettres de confort des banques n’avaient pas encore été obtenues, le projet d’offre d’acquisition était suffisamment défini pour avoir des chances raisonnables d’aboutir.

70. Compte tenu de l’ampleur de l’acquisition envisagée, il était possible de tirer de cette information une conclusion, positive ou négative, sur le cours du titre Iliad.

71. L’information en cause a donc revêtu, le 2 juillet 2014, un caractère précis (b) Sur le caractère non public de l’information privilégiée.

72. Les notifications de griefs retiennent que l’information relative au projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad était, au 2 juillet 2014, non publique puisqu’elle a été rendue publique par un article du Wall Street Journal publié le 31 juillet 2014 à 17h43 (heure de Paris). Iliad a publié un communiqué de presse 53 minutes plus tard, confirmant l’existence du projet d’acquisition.

73. Il n’est pas contesté que ce projet n’a fait l’objet d’aucun autre article de presse avant cette annonce et n’a pas non plus été évoqué par les analystes financiers.

74. En conséquence, l’information en cause était, au 2 juillet 2014, non publique, et l’est demeurée jusqu’au 31 juillet.(c) Sur l’influence sensible de l’information sur le cours du titre Iliad

75. Selon les notifications de griefs, le projet d’acquisition de T-Mobile poursuivait l’objectif de permettre à Iliad de s’implanter sur le marché nord-américain, marché oligopolistique n’offrant pas aux consommateurs de contrats rassemblant téléphonie fixe, mobile, internet et télévision. Une telle acquisition aurait été le point d’ancrage sur le marché américain permettant ensuite à Iliad de déployer une stratégie identique à celle qui a fait le succès de Free en France (offre plus compétitive que ses concurrents ; sans engagement ; rassemblant téléphonie fixe, mobile, internet et télévision).

76. M. Maxime Lombardini conteste cette analyse en faisant valoir que Deutsche Telekom n’avait pas l’intention de considérer l’offre d’Iliad et qu’un investisseur raisonnable n'aurait dû tirer aucune conséquence des réflexions d'Iliad tant qu'il ne connaissait pas la position de l’actionnaire majoritaire de T-Mobile. Il souligne également qu’au 31 décembre 2013, la capitalisation boursière de T-Mobile s’élevait à 18,1 milliards d’euros, contre 8,6 milliards pour Iliad à la même date et que l’opération se serait traduite par une très forte augmentation du niveau d’endettement d’Iliad, alors que la société avait jusqu’à présent suivi une politique d’endettement limité.

77. Compte tenu de l’importance de l’acquisition envisagée ainsi que de sa nature, l’information en cause était susceptible d’être utilisée par un investisseur raisonnable pour fonder sa décision d’investir dans le titre Iliad ou de céder ses titres et, ainsi, d’avoir une influence sensible sur le cours du titre Iliad au sens de l’alinéa 3 de l’article 621-1 du règlement général de l’AMF. Il importe peu que cet investisseur n’ait pas eu connaissance de ce que Deutsche Telekom n’avait pas l’intention d’entrer en pourparlers avec Iliad.

78. Il résulte de l’ensemble des éléments qui précèdent que l’information relative au projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad a présenté, à compter du 2 juillet 2014, les caractéristiques d’une information privilégiée au sens de l’article 621-1 du règlement général de l’AMF.

2. Sur le grief pris de la violation de l’article 223-2 du règlement général de l’AMF notifié à la société

Iliad

79. Il est fait grief à la société Iliad de n’avoir pas communiqué dès que possible et au plus tard le 24 juillet 2014, en violation des dispositions de l’article 223-2 du règlement général de l’AMF, l’information privilégiée relative à son projet d’acquisition de T-Mobile. La notification de grief relève d’une part, que la société avait constaté au cours des jours précédant la remise de son offre qu’elle n’était plus en mesure d’assurer la confidentialité de cette information, la rupture de la confidentialité ayant été constatée par Iliad à tout le moins le 17 juillet 2014, date àlaquelle un banquier d'X non impliqué sur l'opération faisait part à M. D de sa connaissance du projet et la société ayant en outre été interrogée par une journaliste du Wall Street Journal sur la réalité de l'opération le 23 juillet 2014.

Elle relève d’autre part, qu’à compter de la communication de son offre à Deutsche Telekom, Iliad n’était plus en mesure de se prévaloir d’un intérêt légitime nécessitant de conserver la confidentialité de l’opération. Ainsi, selon la notification de griefs, Iliad aurait dû communiquer cette information au public au plus tard le 24 juillet 2014 (après avoir déposé son offre et, en outre, après avoir été interrogé par une journaliste sur la réalité de l'opération), celle- ci n'ayant été publiée par voie de communiqué de presse qu'après la publication d'un article du Wall Street Journal daté du 31 juillet 2014.

80. Iliad prétend qu’elle pouvait différer la publication de l’information privilégiée en vertu des dispositions du II de l’article 223-2 du règlement général de l’AMF. Elle fait valoir qu’elle disposait d’un intérêt légitime nécessitant de conserver la confidentialité de l’opération dans la mesure où, une fois l’offre déposée auprès de Deutsche Telekom le 24 juillet 2014, il était essentiel que le cours des titres des sociétés concernées ne connaisse pas de variations susceptibles d’affecter l’attractivité de l’offre ainsi que son financement. Elle soutient encore qu’elle a assuré la confidentialité de l’information en cause jusqu’à sa communication au marché le 31 juillet 2014. Selon la société mise en cause, il n’existait aucune rumeur de marché portant sur des faits suffisamment précis qui auraient dû la conduire à publier l’information privilégiée. Elle fait observer, d’une part, que si un préposé de la banque X l’a sollicitée, elle n’a pas donné suite à sa démarche et que ce préposé était tenu à une obligation de confidentialité.

Elle souligne, d’autre part, que si une journaliste du Wall Street Journal a échangé des courriels avec M. E en indiquant qu’elle était au fait du « projet Tolbiac », nom de code du projet en cause, les relations de longue date de ce dernier avec cette journaliste garantissaient qu’elle ne publierait pas l’information privilégiée sans avoir informé Iliad. De plus, les deux sollicitations en cause ne présentaient pas, selon elle, un caractère précis, puisque le préposé de la banque X avait seulement rapporté l’intérêt d’ « Iliad/XN » pour T-Mobile et que les éléments avancés par la journaliste du Wall Street Journal le 23 juillet 2014 présentaient un caractère inexact dans la mesure où elle indiquait qu’une offre d’Iliad avait été rejetée par Deutsche Telekom, alors que tel n’était pas le cas.

(a) Sur l’obligation d’information

81. Le I de l’article 223-2 du règlement général de l’AMF, dans sa version issue de l’arrêté du 12 novembre 2004, non modifiée jusqu’à son abrogation par l’arrêté du 14 septembre 2016, énonçait : « I. - Tout émetteur doit, dès que possible, porter à la connaissance du public toute information privilégiée définie à l’article 621-1 et qui le concerne directement. »

82. Le point 1 de l’article 17 du règlement MAR dispose : « 1. Tout émetteur rend publiques, dès que possible, les informations privilégiées qui concernent directement ledit émetteur. »

83. Ces dernières dispositions, qui sont rédigées en des termes équivalents de celles précitées du

I de l’article 223-2 du règlement général de l’AMF, ne sont pas moins sévères et, partant, ne sont pas susceptibles de recevoir une application rétroactive.

84. Alors qu’elle a présenté un caractère privilégié à partir du 2 juillet 2014, l’information relative au projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad a été publiée par voie de communiqué de presse après la publication d’un article du Wall Street Journal daté du 31 juillet 2014.

85. Il convient donc de déterminer si, comme le soutient la société mise en cause, la publication de l’information pouvait être différée.

(b) Sur le bénéfice des dispositions autorisant le report de la publication de l’information privilégiée

86. Le II de l’article 223-2 du règlement général de l’AMF, dans sa version issue de l’arrêté du 4 janvier 2007, non modifiée jusqu’à l’arrêté du 14 septembre 2016, énonçait : « II. - L’émetteur peut, sous sa propre responsabilité, différer la publication d’une information privilégiée afin de ne pas porter atteinte à ses intérêts légitimes, sous réserve que cette omission ne risque pas d’induire le public en erreur et que l’émetteur soit en mesure d’assurer la confidentialité de ladite information en contrôlant l’accès à cette dernière, et en particulier : / 1° En mettant en place des dispositions efficaces pour empêcher l’accès à cette information aux personnes autres que celles qui en ont besoin pour exercer leurs fonctions au sein de l’émetteur ; / 2° En prenant les mesures nécessaires pour veiller à ce que toute personne ayant accès à cette information connaisse les obligations légales et réglementaires liées à cet accès et soit avertie des sanctions prévues en cas d’utilisation ou de diffusion indue de cette information ; / 3°En mettant en place les dispositions nécessaires permettant une publication immédiate de cette information dans le cas où il n’aurait pas été en mesure d’assurer sa confidentialité, sans préjudice des dispositions du deuxième alinéa de l’article 223-3. »

87. Le III du même article, dans la même version, disposait quant à lui : « III. – Les intérêts légitimes mentionnés au deuxième alinéa peuvent notamment concerner les situations suivantes : / 1° Négociations en cours ou éléments connexes, lorsque le fait de les rendre publics risquerait d’affecter l’issue normale de ces négociations. En particulier, en cas de danger grave et imminent menaçant la viabilité financière de l’émetteur, mais n’entrant pas dans le champ des dispositions mentionnées au livre VI du code de commerce relatif aux difficultés des entreprises, la divulgation d’informations au public peut être différée pendant une période limitée si elle risque de nuire gravement aux intérêts des actionnaires existants ou potentiels en compromettant la conclusion de négociations particulières visant à assurer le redressement financier à long terme de l’émetteur ; [...] ».

88. Les dispositions de l’article 17 du règlement MAR, entrées en application le 3 juillet 2016, telles qu’éclairées par le considérant 50 du même règlement, sont rédigées en des termes équivalents des dispositions précitées de l’article 223-2 du règlement général et ne sont donc pas susceptibles de recevoir une application rétroactive, de sorte que la possibilité de report de la communication de l’information privilégiée invoquée par la société Iliad sera examinée à la lumière de ces dernières dispositions, qui la subordonnent à trois conditions cumulatives : l’atteinte aux intérêts légitimes de l’émetteur, le fait de ne pas induire le public en erreur par le report de la publication et la préservation de la confidentialité de l’information.

89. Pour soutenir que la confidentialité de l’information a été préservée, la société mise en cause fait valoir qu’elle avait pris toutes les précautions nécessaires pour assurer la confidentialité des travaux menés sur le projet d’acquisition de T-Mobile et qu’elle n’avait identifié aucune rupture de confidentialité.

90. Il résulte des pièces du dossier que le 11 juillet 2014, M. P de la société Google a envoyé le courriel suivant à M. E : « Voudriez-vous vous associer avec nous (Google) et racheter T-Mobile ensemble ? ». M. E a transféré ce courriel à M. D, qui a répondu : « Je pense que notre intérêt pour les US commence à fuiter. » Le lendemain, M. E a révélé à M. P qu’Iliad travaillait sur le projet d’acquisition de T-Mobile depuis trois mois.

91. Par ailleurs, M. D a déclaré aux enquêteurs que le 17 juillet 2014, un collaborateur de la banque X à Londres l’avait contacté par téléphone pour l’interroger sur le projet. Le jour même, M. D a envoyé à ses équipes, ainsi qu’aux collaborateurs de Y et Y1 impliqués sur le dossier, le courriel suivant : « merci d’être extrêmement vigilant sur la confidentialité de l’info. Un banquier a appelé ce matin avec les détails de notre dossier et les noms de code utilisés ! ».

92. Le 19 juillet 2014, M. L, collaborateur de la banque X à Paris, a envoyé un courriel à

MM. D et Maxime Lombardini indiquant avoir été informé par une source « plutôt crédible » du projet d’acquisition de T-Mobile.

93. Enfin, le 23 juillet 2014, Mme Q, journaliste du Wall Street Journal à Paris, a envoyé plusieurs courriels à M. E lui disant : « On entend de sources que vous seriez éventuellement intéressé par faire quelque chose de grand aux US... [...] Je parle d’une entreprise qui s’appelle T-mobile US. C’est vrai ? [...] On a appris un petit peu plus : Il parait que vous auriez approche T-Mobile et/ou deutsche Telekom pour une possible offre sur t-mobile US mais que cela n’a pas abouti. Il est possible qu’on va l’écrire. Vous ne voudriez pas me parler ? ». En réaction, M. E a écrit à MM. D et F : « On ne va pas la tenir 1 mois ». M. F a répondu : « C’est clair ! Bon déjà ça n’est pas sorti avant l’envoi. Il faut être prêt. C’est dommage tactiquement pour le cours car on descendait bien vers les $30 et ça va créer une excitation pas possible ».

94. Le 31 juillet 2014, à 17h06, M. D a envoyé un courriel à M. F et aux collaborateurs de Y1 indiquant : « Il semblerait que le WSJ écrive ce soir à 17h35 sur nous ». À 17h44, après la séance de bourse, le Wall Street Journal a publié l’information relative à l’opération. À 18h33, Iliad a publié à son tour un communiqué de presse selon lequel « à la suite de rumeurs de presse, Iliad confirme son intérêt pour T-Mobile US ».

95. Il résulte de l’ensemble de ces éléments qu’à plusieurs reprises, les dirigeants d’Iliad ont été contactés par des tiers qui avaient connaissance du projet d’acquisition de T-Mobile, en ce compris les noms de code utilisés. Quand bien même ces tiers n’auraient pas été mis en possession de tous les détails de l’opération préparée sur T-Mobile ou que certains détails obtenus auraient présenté un caractère erroné, ces contacts étaient de nature à démontrer que la confidentialité du projet n’avait pas été maintenue. De même, la circonstance, à la supposer établie, que les relations entre M. E et Mme Q auraient fait obstacle à une publication de l’information privilégiée par le Wall Street

Journal sans avoir permis à Iliad de se conformer à ses obligations réglementaires n’a pas d’incidence sur l’appréciation de la rupture du caractère confidentiel de l’information en cause.

96. Dans ces conditions, au plus tard le 24 juillet 2014, lendemain de la réception du courriel interrogeant M. E sur la réalité du projet et précisant que le Wall Street Journal allait potentiellement publier l’information, Ilia n’était plus « en mesure d’assurer la confidentialité de ladite information ».

97. La condition relative à la préservation de la confidentialité de l’information prévue par le II de l’article 223-2 du règlement général n’étant pas remplie, la société Iliad n’était, à compter de cette date, pas fondée à différer la publication de l’information privilégiée relative au projet d’acquisition de T-Mobile.

98. Le manquement d’Iliad à l’obligation, prévue par le I de l’article 223-2 du règlement général de l’AMF, de porter dès que possible à la connaissance du public toute information privilégiée qui la concerne directement est donc caractérisé.

3. Sur le grief d’utilisation d’une information privilégiée notifié à M. Maxime Lombardini

99. Il est reproché à M. Maxime Lombardini d’avoir utilisé l’information privilégié en cause le 4 juillet 2014, pour son propre compte, et le 11 juillet 2014, pour le compte de sa compagne.

100. La notification de griefs indique que les transactions sur options ont permis à M. Maxime Lombardini de réaliser une économie de perte de 185 768 euros et celles réalisées pour le compte de sa compagne une économie de perte de 11 425 euros, sur la base du cours de clôture du 1er août 2014, postérieurement à l’annonce du projet d’acquisition de T-Mobile.

(a) Textes applicables

101. L’article 622-1 du règlement général de l’AMF, dans sa version en vigueur du 15 juin 2014 jusqu’à son abrogation par l’arrêté du 14 septembre 2016, disposait : « Toute personne mentionnée à l’article 622-2 doit s’abstenir d’utiliser l’information privilégiée qu’elle détient en acquérant ou en cédant, ou en tentant d’acquérir ou de céder, pour son propre compte ou pour le compte d’autrui, soit directement soit indirectement, les instruments financiers ou les produits de base auxquels se rapporte cette information, au moyen de contrats commerciaux ou d’instruments financiers auxquels ces instruments ou ces contrats commerciaux sont liés. / Elle doit également s’abstenir de : /

1° Communiquer cette information à une autre personne en dehors du cadre normal de son travail, de sa profession ou de ses fonctions ou à des fins autres que celles à raison desquelles elle lui a été communiquée ; [...] ».

102. Les dispositions des articles 8 paragraphe 1, 10 paragraphe 1 et 14 du règlement MAR, entrées en vigueur le 3 juillet 2016, sont équivalentes à celles précitées de l’article 622-1 du règlement général de l’AMF et, partant, ne sont pas susceptibles de recevoir une application rétroactive.

103. Aux termes de l’article 622-2 du règlement général de l’AMF, dans sa version en vigueur du 25 novembre 2004 jusqu’au 24 septembre 2016, date de son abrogation : « Les obligations d’abstention prévues à l’article 622-1 s’appliquent à toute personne qui détient une information privilégiée en raison de : / 1° Sa qualité de membre des organes d’administration, de direction, de gestion ou de surveillance de l’émetteur ; / 2° Sa participation dans le capital de l’émetteur ; / 3° Son accès à l’information du fait de son travail, de sa profession ou de ses fonctions, ainsi que de sa participation à la préparation et à l’exécution d’une opération financière ; / 4° Ses activités susceptibles d’être qualifiées de crimes ou de délits. / Ces obligations d’abstention s’appliquent également à toute autre personne détenant une information privilégiée et qui sait ou qui aurait dû savoir qu’il s’agit d’une information privilégiée. / Lorsque la personne mentionnée au présent article est une personne morale, ces obligations d’abstention s’appliquent également aux personnes physiques qui participent à la décision de procéder à l’opération pour le compte de la personne morale en question. »

104. Les dispositions de l’article 8 paragraphe 4 du règlement MAR, entrées en vigueur le 3 juillet 2016, équivalentes à celles de l’article 622-2 du règlement général de l’AMF, ne sont pas moins sévères, et, dès lors, ne sont pas susceptibles de recevoir une application rétroactive.

(b) Sur la détention de l’information privilégiée par M. Maxime Lombardini

105. La notification de griefs adressée à M. Maxime Lombardini retient que celui-ci était, par ses fonctions de directeur général de la société Iliad, en possession des détails du projet d’acquisition de T-Mobile au moment de ses interventions sur le titre Iliad.

106. Sans contester avoir eu connaissance du projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad, M. Maxime Lombardini indique qu’il n’y était pas étroitement associé et s’était forgé l’opinion que l’opération n’avait aucune chance de prospérer, de sorte qu’il ne détenait aucune information qui lui aurait donné un avantage sur les autres investisseurs.

107. À l’époque des faits reprochés, M. Maxime Lombardini exerçait les fonctions de directeur général de la société Iliad.

Le 24 juin 2014, M. D lui a envoyé un courriel contenant plusieurs supports de travail relatifs à l’opération et indiquant : « Iliad deviendrait actionnaire en direct de T-Mobile à hauteur de [51% - 80%] avec une dette d’acquisition (hors dette opérationnelle) maximum de 9,2 milliards d’euros ». Il ressort par ailleurs du procès-verbal du conseil d’administration de la société Iliad du 1er juillet 2014 que M. Maxime Lombardini a assisté à la présentation du projet d’acquisition de T-Mobile, le conseil ayant personnellement autorisé le mis en cause, aux côtés de M. D, à « poursuivre la réalisation du projet notamment à l’effet de déposer une offre non engageante dans les prochaines semaines ».

108. Il est donc établi que M. Maxime Lombardini, initié primaire, était informé du projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad.

(c) Sur l’utilisation de l’information privilégiée par M. Maxime Lombardini

109. Il est reproché à M. Maxime Lombardini, initié primaire, d’avoir, d’une part ordonné la levée-cession d’options d’achat portant sur 7 000 actions Iliad le 4 juillet 2014, d’autre part procédé à la cession de 650 titres Iliad pour le compte de sa compagne, le 11 juillet 2014, en utilisant l’information privilégiée en cause.

A) Sur la levée-cession d’options d’achat

110. Le 4 juillet 2014, alors que l’information était privilégiée depuis le 2 juillet 2014, M. Maxime Lombardini a adressé un courriel à la Société Générale, donnant l’ordre de lever des options d’achat de titres Iliad et de céder ces titres immédiatement. L’ordre portait sur 7 000 actions et était assorti d’une limite de 218 euros.

111. M. Maxime Lombardini fait valoir qu’à supposer même que l’information qu’il détenait soit qualifiée de privilégiée, il n’en a pas fait un usage indu. Il souligne que le rapport d’enquête constate que l’opération du 4 juillet 2014 n’était pas atypique et qu’il n’y a pas eu de précipitation inhabituelle dans ses opérations de vente au cours du mois de juillet 2014. Il indique que l’opération faisait partie de la mise en œuvre d’une stratégie de liquidation préétablie et raisonnablement échelonnée du plan d’options qui n’a pas créé d’atteinte à l’intégrité du marché. Il ajoute qu’ellene représentait qu’une part marginale de son exposition de sorte qu’il restait très largement soumis au risque d’évolution défavorable du marché.

112. Il est interdit aux initiés primaires d’utiliser une information privilégiée lorsqu’ils effectuent une opération de marché.

Dès lors qu’est établie la matérialité du manquement d’initié, il appartient à la personne mise en cause à ce titre de démontrer qu’elle n’a pas fait une exploitation indue que lui procurait la détention de l’information privilégiée.

113. Il convient donc d’examiner les explications de M. Maxime Lombardini à la lumière de la finalité de la directive 2003/6/CE qui est de protéger l’intégrité des marchés et de renforcer la confiance des investisseurs.

114. A compter du 2 juillet 2014, M. Maxime Lombardini disposait d’une information privilégiée que les investisseurs ayant acquis les 7 000 actions qu’il a cédées entre le 4 et le 7 juillet 2014 ne détenaient pas. Il se trouvait donc dans une position avantageuse par rapport aux autres investisseurs, ce qui était de nature à réduire leur confiance.

115. S’il n’est pas contesté que les cessions sont intervenues dans le cadre d’une stratégie préétablie de levées-cessions régulières décidée à une époque où M. Maxime Lombardini n’était pas encore initié, cette circonstance n’est pas de nature à justifier l’opération en cause. Il lui appartenait d’interrompre ses cessions à compter du 2 juillet 2014.

116. Le manquement est donc caractérisé.

B) Sur la cession de 650 titres Iliad du 11 juillet 2014

117. Le 11 juillet 2014, M. Maxime Lombardini a procédé, comme l’y autorisait la procuration donnée par sa compagne, à la vente de 650 titres Iliad pour le compte de cette dernière, l’ordre étant assorti d’une limite de 208 euros.

118. M. Maxime Lombardini fait valoir qu’il est intervenu en application d’un mandat impératif de sa compagne d’exécuter l’ordre de vente et qu’ainsi l’opération reprochée ne peut s’analyser en une utilisation indue d’une information privilégiée.

119. En sa qualité de directeur général de la société Iliad, M. Maxime Lombardini, initié primaire, avait l’obligation de s’abstenir d’utiliser l’information privilégiée qu’il détenait en cédant pour le compte d’autrui les titres en cause. Il est présumé avoir utilisé l’information privilégiée qu’il détenait lorsqu’il a ordonné la cession de 650 actions Iliad pour le compte de sa compagne le 11 juillet 2014, sauf à rapporter la preuve contraire.

120. M. Lombardini a produit une attestation de sa compagne indiquant : « [j’] atteste par la présente avoir pris la décision, au mois de juillet 2014, de céder 650 des 2.400 actions Iliad que je détenais à l’époque, et avoir donné instruction à mon conjoint, Monsieur Maxime Lombardini, d’exécuter l’ordre de vente correspondant pour mon compte, ce qu’il a fait le 11 juillet 2014 ».

121. Lors de son audition, M. Lombardini a déclaré : « ma compagne a une petite société qui avait obtenu un crédit d’impôt recherche. Ce crédit a été remis en cause par l’administration fiscale sur des motifs très subjectifs.

Mme H a des titres Iliad en plus-value sur son PEA, qui correspondent à la proposition de rectification. J’ai donc cédé les titres à sa demande et ne partage à l’évidence aucune information avec elle. Lors de mon audition, mes mots « avec l’accord » reflétaient le fait que j’avais une procuration sur le compte. Mais je lui ai en aucun cas suggéré de procéder à cette opération. J’ai agi sur procuration ». Lors de son audition par le rapporteur, celle-ci a déclaré : « Il y a eu un contrôle fiscal qui m’a terriblement blessée. J’ai toujours géré ma société de façon très droite et ai d’ailleurs fait l’objet d’un contrôle URSSAF qui s’est achevé sans redressement. Ma structure est de taille modeste et la période était très compliquée compte tenu de notre activité. J’en ai parlé à Maxime Lombardini et j’avais besoin de me sentir sécurisée ». Elle a produit une proposition de rectification datée du 28 mai 2014 portant sur un montant de 84 512 euros. Elle également indiqué que ce montant a, à la suite d’un recours, été réduit à 38 453 euros, cette somme ayant été mise en recouvrement par un avis daté du 13 janvier 2015.

Elle a encore précisé : « Je ne suis pas une grande connaisseuse des marchés financiers. Je demandais à mon banquier et j’ai pu évoquer ces sujets avec Maxime Lombardini. Je ne consulte pas les sites boursiers par exemple.

Je regarde mes relevés de comptes et je suis à l’écoute de ce qui se dit ». Interrogée sur le nombre d’opérations sur instruments financiers qu’elle a réalisées au cours des dix dernières années, elle a précisé : « Je ne saurais vous le dire. J’ai toujours demandé à Maxime Lombardini de s’en occuper. Ces opérations ont été peu nombreuses ». Interrogée sur les raisons pour lesquelles elle avait procédé à une opération sur le titre Gaztransport Technigaz en mars-avril 2014, elle a déclaré : « Je ne m’en souviens plus ».

122. BNP Paribas a indiqué aux enquêteurs que le 24 juillet 2014, l’intéressée avait procédé à un achat de 13 345 titres Orange pour un montant net de 156 198,87 euros. Il ressort par ailleurs des documents fournis par Société Générale et HSBC qu’entre le 15 et le 25 juillet 2014, M. Maxime Lombardini a fait l’acquisition de 19 200 titres Orange.

123. Pour justifier cette opération sur le titre Orange, la compagne de M. Maxime Lombardini a déclaré : « Cette opération me rassurait. Je dispose d’autres liquidités (assurances-vie par exemple) et j’étais rassurée d’avoir sécurisé cette plus-value sur les titres Iliad. Les titres Orange étaient pour moi un actif stable dont le risque me semblait limité ».

124. Compte tenu du profil d’investisseur de la compagne de M. Maxime Lombardini, du fait que cette dernière ait admis qu’il la conseillait pour ses opérations sur instruments financiers et des conditions dans lesquelles le produit de la cession des titres Iliad a été réinvesti en titres Orange au lieu d’être conservé afin de faire face aux conséquences financières du contrôle fiscal en cours, dont elle ignorait l’issue, les motifs avancés par M. Maxime Lombardini, tirés de ce qu’il se serait borné à exécuter un ordre de vente pour le compte de de sa compagne qui avait besoin de se

sentir rassurée, ne sont convaincants ni sur l’existence du mandat, ni sur la justification de l’opération effectuée.

125. Enfin, les arguments avancés par M. Maxime Lombardini, tenant à son pessimisme quant aux chances de réalisation effective de l’opération d’acquisition de T-Mobile, relèvent de considérations purement personnelles et ne sont pas de nature à établir le caractère non indu de l’utilisation de l’information privilégiée.

126. En conséquence, les circonstances invoquées ne permettent pas d’écarter la présomption d’utilisation indue, par M. Maxime Lombardini, de l’avantage que procurait la détention de l’information privilégiée.

127. Le manquement est donc caractérisé.

4. Sur le grief d’utilisation d’une information privilégiée notifié à M. B

128. Il est reproché à M. B d’avoir donné l’instruction, le 23 juillet 2014, de vendre l’intégralité des titres Iliad détenus par le [Fonds] dont il était l’un des analystes-gérants, alors qu’il détenait l’information privilégiée relative au projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad, ce qui aurait permis à ce fonds de réaliser une économie de perte de 1 674 688 euros pour les cessions exécutées entre le 25 juillet 2014 et le 31 juillet 2014, date à laquelle l’information a été rendue publique.

129. La notification de griefs adressée à M. B retient que :

- De janvier à juillet 2014, le cours du titre Iliad a constamment progressé (passant de 170 euros à 215 euros)

- Aucun évènement particulier ni aucun besoin de liquidité du fonds ne justifiait la décision de M. B de donner instruction de vendre l’intégralité des titres Iliad le 23 juillet 2014.

- Il est établi qu’au cours du mois de juillet 2014, M. B était en contact avec plusieurs initiés du projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad, dont le directeur financier de T-Mobile, M. F (Y) et trois collaborateurs d’X informés des éléments recueillis dans I’Eurostar, notamment M. J.

- Le 23 juillet 2014, sans avoir été sollicité par les gérants en charge du compte de réserve, M. B a envoyé le courriel suivant : « please sell the Iliad shares in [le Fonds] RP [le compte de réserve] », alors que la question du devenir des titres était en suspens depuis 6 mois et que les gérants du compte de réserve n’avaient manifesté aucun empressement.

- M. B a indiqué, dans sa réponse à la lettre circonstanciée, qu’il avait privilégié, au cours du mois de juillet 2014, les sujets prioritaires en raison de son calendrier chargé, sans expliquer en quoi la cession des titres Iliad était devenue prioritaire le 23 juillet 2014.

- Les cessions ordonnées par M. B ont été initiées à compter du 25 juillet 2014 et représentaient 80% du volume quotidien échangé sur le titre le 1er jour de cession (60% le 2ème ; 20% le 3ème ; 25% le 4ème), la taille importante de la participation détenue par [le Fonds] empêchant de céder plus rapidement les titres sans risquer de faire chuter le cours. À la date de la publication de l’information privilégiée, le 31 juillet, les cessions ont été interrompues.

Celles-ci n’ont repris que deux semaines plus tard afin d’écouler le solde de la participation détenue par le fonds (88% de la participation restait encore à écouler au 31 juillet).

La notification de griefs en conclut que M. B détenait l’information privilégiée et seule cette détention explique sa décision de céder les titres Iliad.

130. M. B conteste avoir détenu une information privilégiée et soutient que sa décision du 23 juillet 2014 de ne pas adjoindre les titres Iliad à son portefeuille s’explique autrement que par l’utilisation d’une l’information privilégiée. Il indique que son opinion d’investissement sur les titres Iliad était déjà négative depuis le mois de février 2014, date à laquelle il avait refusé une première fois d’intégrer les titres à son portefeuille. Le 2 juillet, Orange a annoncé qu’elle renonçait à son projet de rachat des actifs de Bouygues Telecom en partenariat avec Iliad, ce qui rendait le titre Iliad encore moins attractif à ses yeux. Il explique par ailleurs que son portefeuille était déjà très exposé au secteur des télécommunications français et qu’il ne souhaitait pas augmenter encore cette exposition, ce qui aurait été la conséquence de l’intégration des titres Iliad à son portefeuille. C’est en réponse à la demande répétée des gérants de la « réserve » du fonds, en dernier lieu le 2 juillet 2014, qu’il a de nouveau fait savoir, le 23 juillet 2014, qu’il ne souhaitait pas reprendre les titres Iliad, les trois semaines ayant séparé sa réponse de cette dernière relance se justifiant par un emploi du temps personnel chargé et le fait que cette question ne constituait nullement une priorité. M. B fait encore valoir qu’il n’est pas plausible qu’il ait pris le risque de passer un ordre sur le titre Iliad se sachant détenteur d’une information privilégiée, alors qu’il n’avait aucun intérêt personnel à utiliser cette information dans l’hypothèse où elle aurait été en sa possession. Il indique que les titres Iliad ayant été placés dans un compartiment dédié du [Fonds] appelé « réserve » dans l’attente de leur réallocation ou de leur cession sur le marché, il n’a tiré aucune rémunération ou autre avantage liés à leur vente entre le 25 et le 31 juillet 2014. De plus, il n’a jamais recommandé l’achat ni lui-même investi dans les titres T-Mobile ou Deutsche Telekom dans la période précédant l’annonce de l’offre d’Iliad, alors que celle-ci était susceptible d’entraîner une augmentation de leur cours.

En outre, le rythme auquel ont été réalisées les cessions des titres Iliad révèle, selon lui, qu’il n’a pas recommandé que la cession des titres Iliad sur le marché soit mise en œuvre rapidement. Enfin, M. B soutient que ses échanges du 31 juillet 2014 avec ses collaborateurs, après l’annonce de l’opération, montrent qu’il n’était pas en possession de l’information privilégiée.

131. La détention de l’information privilégiée est un fait qui se prouve par tous moyens, notamment, par un faisceau d’indices graves, précis et concordants desquels il résulte que seule cette détention permet d’expliquer les opérations auxquelles les personnes mises en cause ont procédé, sans que la poursuite n’ait l’obligation d’établir précisément les circonstances dans lesquelles l’information est parvenue à la personne qui l’a utilisée, mais à condition que le rapprochement de ces indices l’établisse sans équivoque et que les justifications avancées par les personnes poursuivies ne permettent pas d’écarter les soupçons et indices motivant les poursuites.

132. En l’espèce, les dépouillements versés au dossier établissent que le [Fonds], dont M. B était l’un des analystes, a cédé 79 151 actions Iliad entre le 25 et le 31 juillet 2014, soit quelques jours avant l’annonce du dépôt de l’offre d’Iliad auprès de Deutsche Telekom, ce qui constitue un moment opportun.

133. Il ressort des investigations des enquêteurs que ces titres, en portefeuille du [Fonds] ont été acquis au cours de l’année 2013 par M. R qui a quitté ses fonctions d’analyste-gérant en janvier 2014. Le 24 janvier 2014, M. R a demandé à plusieurs gérants du fonds, dont M. B, s’ils étaient intéressés par les lignes de son précédent portefeuille, en ce compris Iliad. Le 1er février 2014, M. B a répondu : « Je ne compte pas reprendre les actions [...]

Sentez-vous libre de mon point de vue de vendre les actions Iliad lorsque vous considérez que c’est le bon moment ». Les titres Iliad n’ont toutefois pas été cédés par le fonds mais ont été placés sur un compte dit « de réserve » au sein du fonds (committee reserve). Le 27 mars 2014, M. S, coordinateur des portefeuilles de recherche, a relancé M. B par le message suivant : « B : si ANZR [R] a un avis positif sur les actions [Iliad], nous serions plus qu’heureux de les conserver dans la Réserve aussi longtemps qu’il vous sera nécessaire pour former une décision d’investissement ». Le 27 mai 2014, M. B a envoyé un courriel faisant savoir : « J’ai rencontré Iliad la semaine dernière et je suis plutôt tiraillé sur les actions [...] Je dois travailler un peu plus sur les titres. J’espère lancer la couverture au milieu ou à la fin du mois de juin et déciderai ensuite quoi faire avec les actions [du Fonds]

RP ensuite ». Le 2 juillet 2014, M. S a indiqué à ses collaborateurs : « [B] va lancer la couverture d’Iliad et revenir bientôt vers nous avec une décision ». Le 23 juillet 2014, M. B a envoyé à M. S, le courriel suivant : « Désolé que cela ait pris plus de temps que prévu, j’étais en train de déménager ! J’ai travaillé davantage sur Iliad et je n’envisage pas de reprendre les actions – OK pour avancer et les vendre ».

134. Ces échanges démontrent que M. B, qui avait émis une opinion négative sur le titre Iliad dès le mois de février 2014, a été invité à plusieurs reprises à y réfléchir davantage.

135. Par ailleurs, les documents de voyage fournis par M. B confirment qu’il a quitté Londres le 14 juillet 2014 avec sa famille pour emménager aux États-Unis. Il ressort également de son calendrier qu’il avait prévu de travailler sur le sujet d’Iliad le 17 juillet 2014.

136. Ainsi, contrairement à ce que soutient la poursuite, le moment de cession des titres Iliad en dépit de l’augmentation constante du cours du titre Iliad qui aurait dû pousser à les conserver, peut s’expliquer par leur position particulière dans une réserve et les demandes répétées des gérants auxquelles M. B était confronté. Cet indice invoqué est donc équivoque et ne peut être retenu.

137. Il résulte des déclarations de M. B et des documents fournis par son employeur que le 9 juillet 2014, il a rencontré le directeur financier de T-Mobile ainsi que deux autres cadres de la société. Il a précisé aux enquêteurs que cette rencontre s’inscrivait dans le cadre d’un « road show » au cours duquel les éléments financiers et les perspectives commerciales de l’opérateur étaient abordés.

138. Le 11 juillet 2014, M. B a rencontré M. F, collaborateur de Y initié sur le dossier et lui a transmis les coordonnées de M. J d’X. Il a indiqué avoir communiqué ces coordonnées parce que l’établissement était mandaté par la société NII Holding pour organiser la cession de certaines de ses activités, ce qui aurait pu intéresser des clients de Y.

M. B a précisé qu’il s’agissait d’une rencontre entre deux professionnels du secteur des télécommunications mais qu’à aucun moment le projet d’acquisition d’Iliad n’avait été évoqué, ce qui a été confirmé par M. F lors de son audition par les enquêteurs.

139. Enfin le 22 juillet 2014, M. B s’est entretenu par courriel avec trois collaborateurs d’X,

MM. J, K et T. Il a déclaré que cet échange avait eu lieu dans le cadre de l’acquisition des actifs de NII Holding, qui avait mandaté X, ce qui ressort du contenu des courriels versés au dossier. Par ailleurs, aucun des échanges entre M. B et les personnes susmentionnées versés au dossier ne concerne le projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad.

140. Dans ces conditions, les contacts relevés par les enquêteurs sont équivoques et ne peuvent caractériser un circuit plausible de transmission de l’information privilégiée.

141. En l’absence de faisceau d’indices et alors que la cession de titres en cause peut s’expliquer autrement que par la détention d’une information privilégiée par M. B, le manquement à l’obligation d’abstention d’utilisation d’une information privilégiée qui lui a été notifié n’est pas caractérisé.

5. Sur les griefs de communication d’une information privilégiée notifiés à MM. A et C et à X

142. Il est reproché à MM. A et C ainsi qu’à X d’avoir, alors que M. C avait pris connaissance de l’information relative au projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad dans I’Eurostar, communiqué cette information à des tiers, en violation des dispositions des articles 622-1 et 622-2 du règlement général de I’AMF.

(a) Sur la détention de l’information privilégiée

143. Les notifications de griefs retiennent que, le 15 juillet 2014, M. C, collaborateur d’X, a pris connaissance de l’information relative au projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad dans I’Eurostar reliant Londres à Paris en consultant le téléphone portable de la personne assise à la place attenante à la sienne, M. F de Y, alors que celui-ci consultait des documents confidentiels relatifs au projet. Elles ajoutent qu’au fur et à mesure de sa prise de connaissance des détails du projet d’acquisition de T-Mobile, M. C les communiquait par courriels à M. A, également collaborateur d’X. Parmi les éléments transmis par M. C figuraient l'identité de son voisin et de l'établissement pour lequel il travaillait, les identités des sociétés cible et acquéreuse ainsi que des banques conseils, les moyens de financement de l'opération, le montant de l'opération, l'implication personnelle de

M. E, le communiqué de presse en préparation ou encore les noms de code utilisés. Ces éléments auraient ensuite été diffusés par M. A à douze autres collaborateurs, y compris appartenant à d'autres sociétés du groupe X.

144. Les mis en cause contestent avoir détenu l’information privilégiée.

145. M. C fait valoir que l’information dont il a pris connaissance et qu’il a transmise à M. A, limitée au fait qu’un banquier de Y étudiait une opération relative aux activités de la société T-Mobile, au terme de laquelle M. E pourrait devenir président-directeur général de cette dernière, et qui devait porter sur une somme de 40 milliards de dollars et être financée par de la dette et une augmentation de capital, n’était ni précise, ni sensible. Il ajoute qu’il lui était impossible de savoir si Iliad avait effectivement la capacité de formuler une telle offre d’acquisition, puisque le montant à financer et les modalités de financement demeuraient inconnus. Il précise qu’à supposer même qu’une offre ait été envisageable, il lui était impossible de déterminer si elle avait des chances d’être acceptée en l’absence de connaissance de sa teneur et de la position du vendeur, Deutsche Telekom.

146. M. A soutient qu’il n’a reçu de M. C qu’une information parcellaire, qui ne présentait pas un caractère privilégié. Il indique qu’il ignorait chacune des composantes de l’information privilégiée telle que figurant dans les notifications de griefs et qu’en particulier, il ne savait pas si Iliad ou une autre société de M. E devait être impliquée dans l’opération. Il ajoute que l’opération en cours, pour autant qu’elle ait impliqué Iliad, était selon lui vouée à l’échec, puisque la banque conseil de Deutsche Telekom avait elle-même indiqué à X que son client ne prenait pas Iliad au sérieux et recommandait à X de ne pas perdre de temps avec elle car la conclusion d’un accord avec l’opérateur

Sprint était proche.

147. X fait de même valoir que M. A n’avait reçu aucun élément précis sur le projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad etque les informations transmises par M. C ne correspondaient pas aux indices définissant l’information privilégiée.

Elle indique de plus que M. A ignorait en particulier le nom de la société acquéreuse et des banques conseils de la société acquéreuse et de la société cible, que les éléments transmis ne lui permettaient pas de savoir comment l’opération serait financée, ni si les financements étaient acquis, et que l’estimation du montant de l’opération par M. C à « 40 milliards de dollars » ne correspondait pas à l’opération envisagée. Enfin, la société mise en cause ajoute que la mention par M. C d’un projet de communiqué de presse en préparation ne signifiait en rien que l’opération était acquise. Elle conclut que l’information reçue par M. A ne revêtait pas les caractéristiques de l’information privilégiée.

148. Il résulte des pièces du dossier que le 15 juillet 2014, M. C a envoyé des courriels successifs à M. A, indiquant : «

Suis dans un eurostar a cote d’un banquier...j’ai pu lire "E would become CEO of T Mobile", "acquisition debt- equity issuance" On a acces a Iliad ? [...] Mon voisin est F de Y. [...] "E had a vision in France. Now he has one in the

US"... [...] "$40bn deal" [...] The guy mentions MS [Z] too. I think Y is (one of) E’s advisor(s) [...] y’a clairement des communications tmob/E [...] Theres a draft press release re tmob... ». À cette dernière indication de la préparation d’un communiqué de presse, M. A a répondu : « Wow ».

149. Lors de son audition par les enquêteurs, M. W, collaborateur d’X à Londres, a affirmé : « A m’a dit qu’il venait d’apprendre d’un autre banquier d’X, C, que celui-ci avait entendu ou vu dans l’Eurostar, certaines indications selon lesquelles Iliad pourrait faire une offre sur – pour T-Mobile US. C’est la première fois que j’en ai entendu parler, puis A m’a demandé de faire des recherches à ce sujet auprès de G. [...] C’était la mi-juillet. Je ne rappelle pas de la date exacte, je crois que c’était le 15 ou le 16 peut-être le 17 mais c’est à ce moment-là que A m’en a parlé, j’ai passé cet appel immédiatement après... [...] Il m’a demandé de vérifier auprès de G, un ancien de nos collaborateurs qui, à l’époque, a quitté X pour Z et A savait que Z travaillait pour Deutsche Telekom [...] J’ai dit : «

G, es-tu – en ce qui concerne Iliad – pardon – en ce qui concerne T-Mobile US, es-tu en contact avec l’entreprise française, je n’ai pas mentionné le nom... [...] je n’ai pas parlé d’Iliad. Et il a été très dédaigneux. Il a dit quelque chose comme : « Ce sont des petits joueurs, ne perds pas ton temps avec eux, on ne peut pas... On ne les prend pas au sérieux ». »

150. Lors de son audition par les enquêteurs, M. L, collaborateur d’X à Paris, a déclaré :

« le 18 juillet 2014 alors que je me trouvais dans mon bureau j'ai reçu un email et un appel téléphonique de A responsable du secteur télécom au sein d'X. Il est basé à Londres. Il m'informait de sa suspicion qu'Iliad pourrait regarder une opération d'acquisition de T-Mobile. Il m'a demandé de prendre contact avec mes interlocuteurs au sein d'Iliad pour voir si notre banque pouvait travailler sur cette éventuelle opération ». 151. Le 18 juillet 2014, M. A a adressé à treize collaborateurs d’X, le message électronique suivant : « Objet : Iliad TMOUS : Nous avons désormais établi que Iliad (capitalisation boursière de $12.5 milliards), conseillée par Y, a exprimé son intérêt pour T-Mobile USA (capitalisation boursière de $25 milliards, valeur d’entreprise $40 milliards).

Bravo à C et W pour avoir aidé à obtenir l’info ! / DT (actionnaire à 67% de TMOUS, le reste est du flottant) a rejeté l’offre car elle ne visait pas 100% de l’activité. Cela laisse à penser qu’ils proposaient d’acquérir moins de 50%. / Nos sources nous disent de ne pas perdre notre temps sur Iliad : ils ne sont pas pris au sérieux par DT et le deal Sprint/T-Mobile est proche d’un accord. / J’ai contacté un administrateur d’Iliad (ex directeur financier et bras droit de E pour les investissements privés) qui n’a pas répondu. / Je propose la marche à suivre suivante (d’autres idées sont les bienvenues !) : / 1. L contacte lundi le directeur général et le directeur financier d’Iliad, qu’il a déjà rencontrés auparavant, avec les renseignements ci-dessus pour proposer nos services / 2. En fonction de ce que L’entend, nous pourrions envoyer une proposition de financement à Iliad pour un deal à 100% et solliciter un rendez-vous /

3. En fonction de #2, demander à WM de contacter E à qui ils ont accès. / Nos chances sont minces car nous n’avons pas couvert Iliad, mais la plupart des banques sont conflictées et ils auront besoin d’un soutien financier s’ils décident d’aller de l’avant ».

152. Le 19 juillet 2014, MM. Maxime Lombardini et D ont reçu un courriel de M. L, qui indiquait avoir été informé d’une source « plutôt crédible » qu’Iliad serait en train d’étudier une offre d’achat sur

T-Mobile et affirmait qu’X était disposée à les assister sur le financement de l’opération. M. D a écrit à M. Maxime Lombardini : « Je vais lui répondre fin de semaine prochaine après remise de notre offre. J’ai eu un mail de son collègue américain en début de semaine ».

153. Ainsi, M. C a obtenu l’information relative au projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad et l’a transmise à M. A. Les éléments recueillis comprenaient l’identité des sociétés cible et acquéreuse, les modalités de financement, l’implication directe de M. E dans les échanges relatifs à l’opération, un ordre de grandeur de la valeur de la transaction, l’identité des banques conseil des sociétés cible (Z) et acquéreuse (Y) et l’état d’avancement du projet.

M. A a demandé à l’un de ses collaborateurs, M. W, de contacter Z, qui était le conseil de Deutsche Telekom, afin de se faire confirmer la réalité de l’opération, puis à un autre collaborateur, M. L, de prendre contact avec les dirigeants d’Iliad afin d’adresser à la société une proposition de financement portant sur 100% du capital de T-Mobile. Les tentatives répétées d’entrée en relation des collaborateurs d’X auprès des dirigeants d’Iliad démontrent que, contrairement à ce qu’ils affirment, les mis en cause n’avaient pas de véritables doutes sur l’implication d’Iliad dans le projet d’acquisition de T-Mobile.

154. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que même s’ils n’étaient pas en possession de tous les détails de l’opération préparée sur le capital de T-Mobile, MM. A et C avaient, à tout le moins, connaissance des éléments essentiels et précis du projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad constituant l’information privilégiée.

155. Il est donc établi que MM. A et C détenaient l’information privilégiée en cause.

(b) Sur la communication de l’information privilégiée par les mis en cause

Sur la communication de l’information privilégiée par M. C

156. Il est reproché à M. C d’avoir transmis les détails du projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad à M. A ainsi qu’à M. I, également collaborateur d’X à Londres. Par ailleurs, la notification de griefs indique qu’en communiquant les informations dont il avait pris connaissance dans I’Eurostar, il pourrait être à l’origine de la transmission d’une information privilégiée qui, in fine, aurait été utilisée par M. B.

M. C fait valoir qu’il ignorait le caractère privilégié de l’information en cause, puisque l’opération évoquée par M. F pouvait constituer une proposition commerciale purement interne à la banque Y et non un véritable projet d’acquisition. Il soutient également que la communication des informations obtenues s’inscrivait dans le cadre normal de ses fonctions.

157. La communication d’une information privilégiée est un fait qui peut être établi par tout moyen.

158. Comme il a été dit, le 15 juillet 2014, M. C a envoyé plusieurs courriels à M. A, indiquant : « Suis dans un eurostar a cote d’un banquier...j’ai pu lire "E would become CEO of T Mobile", "acquisition debt- equity issuance" On a acces a Iliad? [...] Mon voisin est F de Y. [...] "E had a vision in France. Now he has one in the US"... [...] "$40bn deal" [...] The guy mentions MS too. [...] y’a clairement des communications tmob/E [...] Theres a draft press release re tmob... ».

159. Ces courriels ont été transférés par M. C à M. I le 16 juillet 2014.

160. Les éléments transmis par M. C incluent l’identité de son voisin et de l’établissement pour lequel il travaillait, les identités des sociétés cible et acquéreuse ainsi que des banques conseils, les moyens de financement de l’opération, le montant de l’opération, l’implication personnelle de M. E et la préparation d’un projet de communiqué de presse. Ces informations présentaient donc un caractère particulièrement précis, excluant que M. C, « associate director » au sein de la division Corporate Clients Solutions, département Equity Capital Market Europe Moyen-Orient et Afrique, ait pu se méprendre sur le caractère de l’opération en cause qu’il transmettait.

161. M. C a donc bien communiqué une information privilégiée. Il prétend avoir agi dans le cadre normal de ses fonctions et demande à la commission des sanctions de transmettre à la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après la « CJUE ») les deux questions suivantes : « 1. L'article 3 a) de la Directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché (abus de marché) doit-il être interprété en ce sens qu'il interdirait qu'une information privilégiée obtenue par une personne de manière fortuite, puisse ultérieurement être communiquée par cette personne dans le cadre normal de l'exercice de son travail, de sa profession ou de ses fonctions ? / 2. Si la réponse à la question n° 1 est positive, convient-il, afin d'apprécier si la communication d'une information privilégiée par une personne visée à l'article 4 de la directive précitée a pu violer l'interdiction posée en son article 3 a), d'examiner si cette communication a eu pour objet ou a été susceptible d'avoir pour effet de porter atteinte à l'intégrité du marché ? ».

162. Aux termes de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après le « TFUE ») : « La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel : / a) sur l'interprétation des traités, / b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union. / Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question. Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour. »

163. Pour apprécier si l’organisme de renvoi possède le caractère d’une « juridiction » au sens de l’article 267 du TFUE, question qui relève uniquement du droit de l’Union européenne, il convient de tenir compte d’un ensemble d’éléments, tels que l’origine légale de l’organisme considéré, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la nature contradictoire de la procédure, l’application, par l’organisme, des règles de droit ainsi que son indépendance.

164. En l’espèce, la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière a mis en place, au sein de l’AMF, un collège et une commission des sanctions. Lorsqu’elle est saisie par le collège, cette dernière est seule compétente pour statuer sur les manquements notifiés. La procédure devant la commission est contradictoire et celle-ci applique des règles de droit. Enfin, des dispositions, en particulier celles issues de la loi 1er août 2003 qui opèrent une séparation entre d’une part les organes de contrôle, d’enquête et de poursuite, et d’autre part l’organe de jugement, organisent les modalités et les conditions de nomination des membres de la commission, et garantissent son indépendance.

165. La commission des sanctions de l’AMF doit donc être qualifiée de juridiction au sens de l’article 267 du TFUE.

166. Aux termes de l’article L. 621-30, alinéa 3 du code monétaire et financier, dans sa rédaction actuellement en vigueur : « Les décisions prononcées par la commission des sanctions peuvent faire l'objet d'un recours par les personnes sanctionnées et par le président de l'Autorité des marchés financiers, après accord du collège ». Dès lors, la commission n’est pas tenue de transmettre à la CJUE la question préjudicielle présentée par le mis en cause mais en a la faculté si « elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement ».

167. En l’espèce, l’article 3 de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché, dans sa version en vigueur jusqu’à son abrogation par le règlement européen n° 596/2014 du 16 avril 2014 sur les abus de marché (ci-après « règlement MAR »),disposait : « Les États membres interdisent à toute personne soumise à l'interdiction prévue à l'article 2 : / a) de communiquer une information privilégiée à une autre personne, si ce n'est dans le cadre normal de l'exercice de son travail, de sa profession ou de ses fonctions ».

168. Aux termes de l’article 4 de la même directive : « Les États membres veillent à ce que les articles 2 et 3 s'appliquent également à toute personne autre que les personnes visées auxdits articles qui détient une information privilégiée et qui sait ou aurait dû savoir qu'il s'agit d'une information privilégiée. ».

169. Il résulte de la combinaison des termes clairs de ces dispositions que la seule exception à l’interdiction de communication d’une information privilégiée est la communication dans le cadre normal de l’exercice du travail, de la profession ou des fonctions de la personne qui la communique et que la caractérisation du manquement de communication d’une information privilégiée n’est subordonnée à aucune autre condition.

170. La détermination de ce que constitue le cadre normal de l'exercice des fonctions du mis en cause relève essentiellement du droit national, sous réserve pour la juridiction nationale de tenir compte des conditions précisées par la CJCE dans sa décision du 22 novembre 2005.

171. Il n’y a donc pas lieu de transmettre à la CJUE les questions préjudicielles posées par M. C.

172. Selon les dispositions de l’article 622-1 du règlement général de l’AMF, toute personne mentionnée à l’article 622-2 doit s’abstenir de communiquer une information privilégiée « à une autre personne en dehors du cadre normal de son travail, de sa profession ou de ses fonctions ou à des fins autres que celles à raison desquelles elle lui a été communiquée ». Par dérogation, qui doit être interprétée restrictivement, une personne qui détient une information privilégiée peut la transmettre dans le cadre normal de son travail, de sa profession ou de ses fonctions.

173. Cette exception pose la condition d’un lien étroit entre la communication et l’exercice du travail, de la profession ou des fonctions de la personne qui communique l’information privilégiée. Cette communication n’est justifiée que si elle est strictement nécessaire à l’exercice desdits travail, profession ou fonctions et que si elle respecte le principe de proportionnalité.

174. En cas de communications successives, chaque communication supplémentaire doit satisfaire à ces conditions.

175. En l’espèce, l’information privilégiée relative au projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad a été obtenue par M. C fortuitement, du fait de la négligence de M. F. Sa communication à M. A, spécialiste du secteur des télécom au sein de la division Corporate Clients Solutions, destinée à mesurer l’intérêt pour son employeur de l’information dont ilprenait connaissance, puis sa transmission à M. I, son supérieur direct, co-directeur du département Equity Capital

Market Europe Moyen-Orient et Afrique, a bien un lien étroit avec l’exercice de leur profession qui consistait notamment à rechercher des occasions de proposer aux sociétés qui envisageaient d’effectuer des opérations de participer à leur financement.

176. Ces deux communications étaient strictement nécessaires à l’exercice du travail de démarchage de la société Iliad afin de lui proposer une participation au financement de l’opération.

177. Compte tenu du nombre restreint de collaborateurs informés et du caractère sensible de l’information, ces deux communications étaient proportionnées à l’objectif à atteindre.

178. Elles sont donc intervenues dans le cadre normal des fonctions de M. C.

179. En conséquence, il ne peut être fait grief à M. C d’avoir communiqué l’information privilégiée en cause à MM. A et M. I.

180. La commission ayant retenu ci-dessus que les contacts entre les collaborateurs d’X et M. B en juillet 2014 ne permettent pas d’établir la transmission de l’information privilégiée à ce dernier, il en résulte que le manquement à l’obligation d’abstention de transmission d’une information privilégiée à M. B, reproché à M. C, n’est pas caractérisé.

181. En conséquence, M. C sera mis hors de cause.

Sur la communication de l’information privilégiée par M. A

182. Il est reproché à M. A d’avoir communiqué l’information privilégiée en cause à treize collaborateurs d’X, d’une part, en transmettant le 15 juillet 2014 à MM. J et K, collaborateurs d’X aux États-Unis, les courriels susmentionnés de M. C, d’autre part, en envoyant le 18 juillet 2014 un courriel à treize collaborateurs d’X, dont MM. J et K, mentionnant les informations recueillies par M. C, dont l’objet était de permettre à X d’être mandaté en tant que banque conseil d’Iliad sur le financement de l'opération d'acquisition de T-Mobile. Par ailleurs, la notification de griefs indique que M. A a donné instruction à un de ses collaborateurs de tenter d’obtenir d’éventuelles informations sur le projet

auprès d’un banquier de Z, qui conseillait Deutsche Telekom, puis a lui-même contacté M. D, directeur financier d’Iliad, le 17 juillet 2014. Enfin, elle relève qu’en communiquant les informations transmises par M. C, il pourrait être à l’origine de la transmission d’une information privilégiée qui, in fine, aurait été utilisée par M. B.

183. M. A fait valoir qu’il a communiqué l’information qu’il détenait dans le cadre normal de ses fonctions, puisqu’il entendait démarcher la société Iliad afin de lui proposer les services d’X. Il soutient également qu’aucun élément ne démontre la transmission de l’information par les collaborateurs de la banque X à M. B.

184. Comme il a été dit, M. A, après avoir transféré les courriels de M. C à MM. J et K, a envoyé un courriel le 18 juillet 2014 à destination de treize collaborateurs d’X, indiquant : « Nous avons désormais établi que Iliad (capitalisation boursière de $12.5 milliards), conseillée par Y, a exprimé son intérêt pour T-Mobile USA (capitalisation boursière de $25 milliards, valeur d’entreprise $40 milliards) ».

185. ll importe peu que l’information privilégiée ait été obtenue par M. C du fait de la négligence du banquier assis à côté de lui dans l’Eurostar et que l’employeur de M. A n’ait pas été mandaté ni approché par Iliad dans le cadre de cette opération dès lors que M. A a communiqué l’information en cause à ses équipes afin d’adresser à Iliad une proposition de financement, ce qui avait un lien étroit avec l’exercice de sa profession et était strictement nécessaire afin d’obtenir un mandat d’Iliad et proportionné à l’objectif à atteindre.

186. En conséquence, la communication de l’information en cause par M. A a eu lieu dans le cadre normal de sa profession et de ses fonctions.

187. Si la notification de griefs relève que M. A a donné instruction à l’un de ses collaborateurs, M. W, de tenter d’obtenir des informations sur le projet auprès d’un banquier de Z, M. G, qui, à l’époque, conseillait Deutsche Telekom sur le projet de cession de T-Mobile, aucun élément ne permet d’établir que M. A aurait communiqué une information privilégiée à M. G. Il ne peut donc lui être fait grief d’avoir transmis l’information privilégiée à M. G.

188. Si M. D a confirmé lors de son audition par les enquêteurs qu’un banquier d’X l’avait contacté ce jour par téléphone pour l’interroger sur le projet, aucun élément ne permet d’établir qu’il s’agissait de M. A. De même, si la poursuite fait valoir que M. A a donné instruction à M. L de persister à solliciter Iliad, aucun élément ne permet d’établir que

M. A aurait communiqué une information privilégiée à M. D. Ainsi, le manquement n’est pas en l’espèce établi, à supposer qu’un initié secondaire puisse se voir reprocher d’avoir « communiqué » ou « divulgué » une information privilégiée à un initié primaire.

189. Enfin, la commission a retenu ci-dessus que les contacts entre les collaborateurs de la banque X et M. B en juillet 2014 ne permettent pas d’établir la transmission de l’information privilégiée à ce dernier.

190. Dans ces conditions, le manquement à l’obligation d’abstention de transmission d’une information privilégiée reproché à M. A, n’est en aucun cas caractérisé.

Sur la communication de l’information privilégiée par X

191. Il est fait grief à X d’avoir permis que l’information privilégiée soit diffusée à treize collaborateurs, y compris appartenant à d’autres sociétés du groupe, sans aucune précaution ou restriction, certains d’entre eux ayant ensuite contacté soit des personnes directement impliquées dans l’opération en cause (à tout le moins Iliad), soit des personnes dont X estimait qu’elles pouvaient être impliquées (à tout le moins Z, qui était connue pour être l’une des banques conseils de T-Mobile), soit des journalistes (M. J ayant averti le Wall Street Journal), soit probablement des investisseurs (tels que M. B).

192. La société mise en cause fait valoir que l’information a été transmise par ses salariés dans le cadre normal de leurs fonctions. Elle soutient également s’être conformée à l’ensemble des exigences réglementaires visant à prévenir et détecter la circulation indue d’informations privilégiées qui lui sont applicables, tout en précisant que l’AMF n’est pas compétente pour en connaître, X étant un prestataire de services d’investissement anglais régulé par la FCA.

Elle ajoute que M. A n’a pas, en l’espèce, respecté l’obligation qui lui incombait de notifier au service de la conformité sa détention d’une information sensible, bien qu’en l’espèce, la société n’ait identifié aucune négociation au sein d’X sur le titre Iliad ni aucun élément suggérant un abus de marché. La société mise en cause fait encore valoir qu’il ne saurait lui être reproché d’avoir transmis l’information privilégiée à M. D dès lors, d’une part, que ce dernier détenait déjà cette information et, d’autre part, que M. L, qui a envoyé le courriel reproché à M. D, n’est pas un salarié d’X. Enfin, elle soutient qu’aucun élément n’établit que M. J, qui est salarié d’X Securities LLC, a transmis l’information en cause à un journaliste du Wall Street Journal ou à M. B.

193. Il a été retenu que MM C et A ont transmis l’information privilégiée, dans le cadre normal de leur profession à plusieurs collaborateurs du groupe X et qu’il n’est pas établi qu’ils aient transmis cette information à M. D et M. J.

194. M. L, collaborateur d’X à Paris, a proposé, à la demande de M. A, les services d’X à Iliad, dans un message électronique du 19 juillet 2014, indiquant qu’une source plutôt crédible avait informé X qu’Iliad/XN seraient en train de regarder TMOUS. Il n’a pas été mis en cause et il n’est pas établi qu’il soit salarié d’X. Ses agissements ne peuvent donc être reprochés à cette société.

195. Si la notification de griefs relève que M. J a indiqué à M. A qu’un journaliste du Wall Street Journal l’avait contacté pour obtenir des informations sur le projet d’acquisition de T-Mobile par Iliad et que Mme Q, journaliste au Wall Street Journal, a rapporté à M. E sa connaissance de l’information privilégiée en incluant des détails de l’opération qui se révélaient inexacts mais qui correspondaient aux éléments transmis par M. A à M. J, à savoir que Deutsche

Telekom avait refusé une première offre d’Iliad, ces seules circonstances ne permettent pas d’établir la transmission de l’information privilégiée de M. J à Mme Q.

196. Enfin, ainsi que cela a été retenu ci-dessus, aucun élément ne permet d’établir que les salariés d’X auraient communiqué une information privilégiée à MM. G ou à M. B.

197. Dès lors qu’aucun manquement n’est retenu à l’encontre des salariés d’X, celle-ci ne peut se voir imputer aucun manquement.

SANCTIONS ET PUBLICATION

198. L’article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans sa version en vigueur du 22 février 2014 au 5 décembre 2015, non modifiée depuis dans un sens moins sévère, dispose : « II.- La commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l’encontre des personnes suivantes : [...] / c) Toute personne qui, sur le territoire français ou à l’étranger, s’est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d’initié ou s’est livrée à une manipulation de cours, à la diffusion d’une fausse information ou à tout autre manquement mentionné au premier alinéa du I de l’article L. 621-14, dès lors que ces actes concernent : -un instrument financier [...] admis aux négociations sur un marché réglementé [...] ».

199. L’article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans sa version en vigueur du 22 février 2014 au 5 décembre 2015, non modifiée depuis dans un sens moins sévère, dispose : « II.- La commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l’encontre des personnes suivantes : [...] / c) Toute personne qui, sur le territoire français ou à l’étranger, s’est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d’initié ou s’est livrée à une manipulation de cours, à la diffusion d’une fausse information ou à tout autre manquement mentionné au premier alinéa du I de l’article L. 621-14, dès lors que ces actes concernent : -un instrument financier [...] admis aux négociations sur un marché réglementé [...] ».

200. Le III de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans sa version en vigueur du 22 février 2014 au 5 décembre 2015, non modifiée depuis dans un sens moins sévère, dispose : « III. -Les sanctions applicables sont :

[...] / c) Pour les personnes autres que l’une des personnes mentionnées au II de l’article L. 621-9, auteurs des faits mentionnés aux c et d du II, une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 100 millions d’euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés ; les sommes sont versées au Trésor public. ».

201. Il en résulte que la société Iliad et M. Maxime Lombardini encourent chacun une sanction de 100 millions d’euros ou du décuple du montant des profits éventuellement réalisés.

202. Aux termes du III ter de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans sa version en vigueur depuis le 11 décembre 2016 : « Dans la mise en œuvre des sanctions mentionnées aux III et III bis, il est tenu compte notamment : - de la gravité et de la durée du manquement ; - de la qualité et du degré d’implication de la personne en cause ; / - de la situation et de la capacité financières de la personne en cause, au vu notamment de son patrimoine et, s’agissant d’une personne physique de ses revenus annuels, s’agissant d’une personne morale de son chiffre d’affaires total ; / - de l’importance soit des gains ou avantages obtenus, soit des pertes ou coûts évités par la personne en cause, dans la mesure où ils peuvent être déterminés ; - des pertes subies par des tiers du fait du manquement, dans la mesure où elles peuvent être déterminées ; / - du degré de coopération avec l’Autorité des marchés financiers dont a fait preuve la personne en cause, sans préjudice de la nécessité de veiller à la restitution de l’avantage retiré par cette personne ; / - des manquements commis précédemment par la personne en cause ; / - de toute circonstance propre à la personne en cause, notamment des mesures prises par elle pour remédier aux dysfonctionnements constatés, provoqués par le manquement qui lui est imputable et le cas échéant pour réparer les préjudices causés aux tiers, ainsi que pour éviter toute réitération du manquement. »

203. La société Iliad a méconnu, du 24 juillet 2014 au plus tard jusqu’au 31 juillet 2014, son obligation de porter dès que possible à la connaissance du public toute information privilégiée qui la concerne directement, résultant de l’article 223-2 du règlement général de l’AMF.

204. Ce manquement a été commis par l’un des principaux acteurs français dans le domaine des télécommunications et concerne un projet d’acquisition de grande ampleur, alors que les dirigeants d’Iliad avaient connaissance de rumeurs, issues de différentes sources, démontrant que la société n’était plus en mesure d’assurer la confidentialité de l’information privilégiée. Ils persistent à considérer que la confidentialité de l’information a été maintenue jusqu’au

31 juillet 2014. La société n’a en outre fait état d’aucune mesure prise afin de se conformer à la réglementation applicable aux sociétés cotées.

205. Au regard de ces éléments, le manquement revêt une gravité certaine.

206. La société a indiqué que son chiffre d’affaires pour l’exercice 2017 s’élevait à [...] euros et son résultat net à [...] euros. Elle n’a pas fourni d’autres éléments.

207. Il lui sera infligé une sanction pécuniaire de 100 000 euros.

208. Compte tenu de ses fonctions de directeur général d’Iliad à l’époque des faits, le manquement de M. Maxime Lombardini à son obligation d’abstention d’utilisation d’une information privilégiée, une première fois à son profit, une seconde fois à celui de sa compagne, est d’une particulière gravité.

209. Les opérations incriminées lui ont permis de réaliser une économie de 185 768 euros et à sa compagne une économie de 11 425 euros.

210. M. Lombardini a déclaré au rapporteur : « Mon salaire est de [...] euros annuels en fixe. Il n’y a pas de variable chez Iliad. Mon patrimoine s’élève à [...] d’euros environ ».

211. Il lui sera infligé une sanction pécuniaire de 600 000 euros.

212. Les mis en cause ont demandé l’anonymisation de la décision. Cependant, la publication de la présente décision n’est ni susceptible de leur causer un préjudice grave et disproportionné, ni de nature à perturber gravement la stabilité du système financier ou encore le déroulement d’une enquête ou d’un contrôle en cours. Elle sera donc ordonnée, sans anonymisation pour les personnes sanctionnées.

PAR CES MOTIFS,

La Commission des sanctions, ainsi qu’il en a été délibéré par Mme Marie-Hélène Tric, présidente de la commission des sanctions, M. Bernard Field, Mmes Anne Le Lorier et Ute Meyenberg, membres de la 1ère section de la commission des sanctions, ainsi que par Mme Sophie Schiller, membre de la 2ème section, en remplacement de M. Bruno Gizard et en présence du secrétaire de séance :

- ordonne le retrait du dossier des retranscriptions et des enregistrements des auditions par les enquêteurs de MM. A et C qui se sont déroulées à Londres le 15 mars 2016 ;

- ordonne la cancellation des parties du rapport d’enquête reproduisant tout ou partie l’audition de

M. A par les enquêteurs ;

- met hors de cause MM. C, A, B et la société X ;

- prononce à l’encontre de la société Iliad SA une sanction pécuniaire de 100 000 € (cent mille euros) ;

- prononce à l’encontre de M. Maxime Lombardini une sanction pécuniaire de 600 000 € (six cent mille euros) ;

- ordonne la publication de la présente décision sur le site Internet de l’Autorité des marchés financiers et fixe à cinq ans à compter de la date de la présente décision la durée de son maintien en ligne de manière non anonyme, sauf en ce qui concerne les personnes mises hors de cause.